L’Encyclopédie/1re édition/CLOU
* CLOU, s. m. (Art méch.) petit ouvrage en or, ou argent, ou fer, ou cuivre, à pointe par un bout & à tête par l’autre, dont le corps est rond ou à face, mais va en diminuant de la tête à la pointe, & dont la tête est d’un grand nombre de formes différentes, selon les usages auxquels on le destine. Les clous en fer se forgent ; les autres se fondent : la fabrication de ces derniers n’a rien de particulier ; c’est un ouvrage de Fondeur très-commun. Nous allons expliquer comment on fabrique les clous en fer : nous observerons d’abord qu’il y en a de deux sortes, les clous ordinaires, & les clous d’épingles.
Des clous ordinaires. On donne le nom de Cloutier tout court, aux ouvriers qui font ces clous. Les outils du Cloutier sont en petit nombre : ils consistent en une forge, autour de laquelle on pose des blocs ou billots qui servent de base au pié d’étape, à la cloüiere ou cloutiere, & au ciseau. Voy. la vignette.
Le pié d’étape, qu’on voit Planche du Cloutier, figure 21. en A, est une espece de tas ou d’enclume, dont un des côtés est quelquefois terminé en bigorne : cet instrument est ordinairement tout de fer ; mais pour être bon & durable, il vaut mieux que la tête en soit acérée & trempée. La place est une espece de coin émoussé, dont la partie supérieure est applatie & un peu inclinée. Voyez cet outil, même Pl. en B. La cloüiere est une espece de bille de fer, d’un pouce en quarré, & de la longueur de dix pouces ; à deux pouces ou environ d’un de ses bouts, est un trou quarré dont les bords excedent un peu sa surface : c’est dans ce trou qu’on fait entrer le bout de fer forgé & coupé qui doit former le clou, pour en façonner la tête au marteau. Il y a des cloüieres dont les trous sont plus ou moins grands, ronds ou quarrés, ou de toute autre figure, selon la différence des clous qu’on se propose de fabriquer. Les cloüieres pour clous à tête ronde, sont différentes des autres : les rebords du trou en sont un peu arrondis ; la cloüiere est plantée dans le pié d’étape ou d’étable de la longueur d’environ cinq pouces, & son autre bout porte d’environ un pouce sur la place. Voy. les fig. 22. 25. 26. La premiere montre la cloüiere montée d’un bout dans le pié d’étable ou d’étape, & de l’autre appuyée sur le bord de la place : en-dessous on voit un ressort dont l’usage est de repousser en en-haut le clou quand il est formé. Pour chasser le clou du trou de la cloüiere, on frappe en-dessous ce ressort avec le marteau. On voit fig. 25. le clou coupé, mais tenant encore à la verge ou baguette, & présenté par la pointe au trou de la cloüiere, où l’ouvrier le laisse enfoncé en rompant la partie par laquelle il tient à la baguette. Et la figure 26. représente le clou dans la cloüiere prêt à être frappé avec le marteau 23, pour en façonner la tête. La cloüiere est acerée & trempée. L’enclume est la même qui se voit chez tous les ouvriers en fer.
Voici la maniere dont les outils du Cloutier sont disposés : ils sont rassemblés sur un même billot, comme on voit fig. 22. en A, B, C, D. La cloüiere entre dans une mortaise pratiquée à la partie supérieure du pié d’étape ; elle est arrêtée dans cette mortaise par deux coins de fer, placés l’un en-dessus & l’autre en-dessous : le premier à la partie antérieure, le second à la partie postérieure. Son autre extrémité est posée sur la place à un des bouts ; le pié-d’étape & la place sont fermement établis dans le bloc, où on les raffermit à coups de masse quand ils sont dérangés. On applique, comme nous avons dit, aux petites cloüieres une espece de ressort fixe dans la mortaise du pié-d’étape ; on fixe quelquefois une petite fiche de fer à la partie de ce ressort, qui répond au trou de la cloüiere : cette fiche doit entrer dans ce trou, & elle sert à chasser le clou hors de la cloüiere, ce qui se fait en frappant du marteau contre le ressort ; ce qui n’a lieu que pour les petits clous.
On se sert pour les clous de fer en verge, de Berri & d’Anjou ; les paquets sont ordinairement de cinquante livres. Pour commencer le travail des clous, on coupe chaque verge en deux, trois, ou quatre morceaux ; comme le fer qu’on employe est cassant, on n’a pas beaucoup de peine à le couper ; il suffit de poser l’endroit où on veut le casser, sur une des carnes de l’enclume & de frapper dessus un coup de marteau ; on met chauffer dans la forge deux ou trois de ces morceaux à la fois, afin de travailler sans cesse, & que l’un soit chaud quand on quitte l’autre. Quand le fer est chaud, on l’étire : l’étirer, c’est le forger pour en faire la lame ; c’est ainsi qu’on appelle la partie qui doit former le corps du clou. On prépare la lame sur la place, on en forme la pointe ; & quand la pointe est faite, on pare : parer le clou, c’est l’unir & le dresser sur le pié-d’étape. Quand il est paré, on le coupe : le couper, c’est présenter le morceau de fer sur le tranchant du ciseau, & y faire entrer ce tranchant d’un coup de marteau assez vigoureux, pour que la séparation soit presque faite. On frappe la partie coupée contre le pié-d’étape, pour en faciliter encore la rupture, & l’on met la partie coupée dans la cloüiere pour la rabattre : rabattre, c’est former la tête sur la cloüiere. La tête ne se fait pas de même dans tous les clous. Pour un clou à tête plate, on se contente de donner plusieurs coups sur la partie de fer qui excede la cloüiere, observant que tous les coups tombent perpendiculairement à cette partie. Pour un clou à tête ronde, après avoir frappé deux ou trois coups en tout sens, on se sert de l’étampe. Pour un clou à tête à diamant, chaque coup devant former une face, & toutes les faces de la tête étant inclinées les unes aux autres, il faut que les coups soient inclinés à la portion excédente qui doit former la tête ; il est même évident que les inclinaisons différentes des coups de marteau donneront à la tête différentes formes. Pour un clou à deux têtes, on étire le clou à l’ordinaire, on applatit la partie qui doit former la tête, on la coupe, on la rabat, on lui donne quelques coups de marteau vers les extrémités, sans toucher au milieu. Pour les clous à glace, on étire, on pare, on coupe, & le clou est fait. Pour les clous à sabords, on étire, on pare, on coupe ; on observe en coupant de laisser un peu forte la partie qui doit faire la tête ; on place le clou dans une cloüiere à trou quarré ; & comme la tête doit être à quatre faces & se terminer en une pointe assez aiguë, les coups qui la rabattent doivent être frappés très-inclinés : on appelle clous de sabords, ceux qui ont la forme qu’on voit aux clous de crucifix. Pour les clous à cheville, on s’y prend d’abord comme pour les clous à deux têtes, c’est-à-dire qu’on étire, qu’on applatit ce qui doit former la tête, qu’on coupe & qu’on rabat sur deux faces, sans frapper le milieu.
Tous les clous dont nous venons de parler, s’appellent clous d’une seule venue, & on les expédie d’une seule chaude. Il n’en est pas de même des clous à patte, à crochet, à crampons : ceux-ci demandent au moins deux chaudes. A la premiere, on les étire ; & s’il s’agit d’un clou à patte, quand on l’a paré, on applatit la partie qui doit faire la patte, qu’on finit à la seconde chaude. D’un clou à crochet ; on étire la pointe, on applatit l’autre extrémité, on rabat la partie applatie sur le pié-d’étape pour en commencer l’autre branche ; on coupe le clou sur le ciseau, observant de ne pas le couper suivant sa plus grande face ; on essaye de le séparer de sa branche ; & la premiere opération est faite : la seconde consiste à le remettre au feu, à étirer la seconde branche, à la mettre en pointe, à l’étirer assez ; à séparer le clou, à le parer un peu sur le pié-d’étape, & à le finir. D’un clou à crampon ; on suit le même travail pour la premiere branche : quant à la seconde, au lieu de l’étirer, on l’applatit. D’un clou à gond ; on arrondit la seconde branche, observant que son extrémité soit un peu plus petite que sa base, afin de faciliter l’entrée du gond. D’un clou à tête de champignon ; on prend une cloüiere dont la petite éminence soit arrondie en forme de calote ; & quand on rabat la tête, on frappe tout autour, & on lui fait prendre en-dessous la forme de la calote de la cloüiere.
Dans la fabrique de ces différens clous, on se sert de tenailles lorsque les bouts des baguettes sont trop courts ; on resoude ces bouts, & on en refait une verge. Lorsque les clous sont achevés, on a une caisse plus élevée sur le fond que sur le devant ; les cases y sont disposées en gradin, comme celles d’une Imprimerie : on nomme cette caisse l’assortissoire (Voyez dans la vignette), & on y répand les clous selon leurs qualités & leurs noms. On y met la broquette commune, celle qu’on estampe, le clou à ardoise, le clou à bardeau, le clou à crochet, le clou à caboche, à tête de diamant, le clou à river, le clou à champignon, le clou de cheval ordinaire, le clou de cheval à glace, le clou à bande commun, le clou à tête rabattue. Voyez ces différentes sortes, figures 1, 2, 3, 4, 5, 6, &c.
Especes principales de clous. Clou à ardoise, ce sont ceux avec lesquels on attache les ardoises ; ils sont depuis deux jusqu’à trois livres au millier. Clou à bande & à tête rabattue ; ils servent à attacher les bandes sur les roües des carrosses & charrettes : ceux pour les carrosses s’appellent clous à bande ; ceux pour les charrettes, clous à tête rabattue : les plus petits sont de sept livres au millier, & les plus gros de douze livres au millier. Clous à bardeau ou clous legers ; ils sont à l’usage des Selliers, des Bahutiers, des Menuisiers, des Serruriers, &c. ils sont depuis trois jusqu’à quatre livres au millier ; ils ont tous la tête ronde. La broquette sert au Tapissier, au Sellier, au Serrurier, &c. il y en a de quarre onces, de huit onces, de douze onces, d’une livre, de cinq quarts, de six quarts, de sept quarts, & de deux livres au millier. Clou à Chauderonnier, petites lames de cuivre coupées en losanges, & tournées en fer d’aiguillettes, dont les Chauderonniers cloüent leurs ouvrages : pour cet effet ils y pratiquent une tête avec une cloüiere. Voyez la Planche II. du Chauderonnier, fig. 15. CD. Clous à cheval, ce sont ceux dont on ferre les chevaux ; ils sont ou ordinaires, ou à glace : les ordinaires ont la tête plate, les autres l’ont en pointe ; ils sont depuis quatorze jusqu’à vingt-quatre liv. au millier. Clou à Couvreur, voyez Clous à ardoise & à latte. Clous à crochet, ils servent à suspendre ; ils sont depuis six jusqu’à dix livres au millier : ceux-ci s’appellent legers, les gros s’appellent clous à crochet au cent ; ils pesent dix à douze livres de plus au millier, que les legers : ceux qui sont au dessus s’appellent clous de cinquante. Le clou à crochet de 50, qui a le crochet plat, s’appelle clou à bec de canne ou à pigeon. Clou à latte, les Couvreurs s’en servent pour attacher les lattes : ils s’appellent aussi clous à bouche ; ils sont depuis deux jusqu’à quatre livres & demie au millier. Clous à parquet, ils servent aux Menuisiers pour cloüer les parquets, dans lesquels ils se noyent facilement, parce qu’ils ont la tête longue ; ils sont depuis dix jusqu’à trente-cinq livres au millier. Clous à river, ils sont à l’usage des Chauderonniers ; ils ont une tête, mais point de pointe, & leur grosseur est la même par-tout. Clous à deux pointes ou à tête de champignon, ils servent aux Charpentiers dans les gros ouvrages : leur tête a la forme de champignon ; on en voit aux portes cocheres & à celles des granges. Clous à Sellier, ils sont plus petits que les clous de Cordonnier ; & ces ouvriers les employent à cloüer les cuirs sur les bois des carrosses, berlines, & autres voitures. Clous à Serrurier, ils sont depuis quatre jusqu’à huit livres au millier ; ils ont la tête en pointe de diamant ; ils sont faits comme les clous legers, mais ils pesent plus : on les appelle aussi clous communs ; les clous communs pesent le double des clous legers ; & les clous à Serrurier, le double des communs. Clous à soulier, ils servent aux Cordonniers pour ferrer les gros souliers des paysans, des porteurs-de-chaise, &c. il y en a qui pesent depuis deux livres jusqu’à quatre livres au millier, ce sont les plus legers ; les lourds sont ou à deux têtes, ou à caboche. Clous à soufflets, ce sont de très gros clous à tête large, dont on se sert pour cloüer les soufflets des forgerons. Clous sans tête ou pointes ; il y en a de legers ou à la somme, & de lourds ou au poids : les premiers sont depuis trois livres jusqu’à cinq livres au millier ; les autres sont de six livres au millier : ils servent à ferrer les fiches, croisées, & guichets d’armoires. Clous à trois têtes, ils servent aux Cordonniers pour monter les talons des souliers : ils ont deux à trois pouces de long ; la tête en est plate, elle a quatre à cinq lignes de hauteur, elle est divisée en trois par deux rainures ; ces rainures servent à recevoir les tranchans de la tenaille, à les arrêter, & à faciliter l’extraction du clou. Voy. Soulier. Les Cordonniers ont d’autres clous de la même forme, mais moins forts. Voilà les sortes de clous les plus connues ; ce ne sont pas les Cloutiers dont il s’agit ici qui les vendent tous : il y en a qui sont fabriqués & vendus par les Cloutiers d’épingles, qui sont des artistes très-distingués des précédens, comme on verra par ce que nous en dirons dans la suite de cet article.
Il y a encore les clous de rue : c’est ainsi que les Maréchaux appellent les pointes que les chevaux se fichent dans le pié, & qui les font boiter.
Les Lapidaires appellent clou, une cheville fichée dans la table du moulin, près de la roüe à travailler où l’on passe le bois & le cadran. Voyez rs, fig. 6. Planc. du Diamantaire : les Marbriers & Sculpteurs, les nœuds ou parties dures qui se rencontrent dans le marbre : les Bas-lissiers, une cheville ou pince de fer dont ils se servent pour faire tourner leurs ensuples, &c.
Des clous d’épingle. Voici quel est l’attelier & quels sont les outils de ce cloutier. Il a une S ; c’est un fil-de-fer ou d’acier auquel on a donné différens contours, formant des espaces circulaires de différens diametres : ces espaces servent à déterminer le calibre & la grosseur des fils employés pour faire les clous d’épingle. Voyez la Planc. I. du Cloutier, fig. 1. Un engin ou dressoir, qu’on voit Planc. II. fig. 15. C’est une planche de chêne ou d’autre bois, sur laquelle on dispose des clous en zigzag, de maniere cependant que ceux de chaque rang soient tous sur une même ligne : les rangs doivent être paralleles, quoique diversement écartés. Pour se former une idée plus juste de cet instrument, il faut imaginer une planche sur laquelle on a tracé des paralleles à des distances inégales les unes des autres : si l’on suppose chaque ligne divisée en parties égales, & qu’en attachant les clous on ait l’attention de ne pas les faire correspondre à la même division sur les deux lignes correspondantes, & qu’on observe ce procedé sur toutes, on aura la planche préparée pour l’usage auquel on la destine. On fixe l’engin à une table ou à un banc, à l’aide de deux boulons garnis de leurs clavettes. Voyez la fig. 20. Une meule ; l’assortissement de la meule est fait de deux forts poteaux fixés au plancher & dans la terre ; on y en-arbre la roüe de maniere qu’elle puisse tourner librement : cette roüe communique à la meule par une corde qui passe dans une gorge creusée sur sa circonférence, de-là dans une poulie adaptée à l’axe de la meule. La meule est d’acier trempé, elle a depuis trois jusqu’à cinq pouces de diametre, sur deux à trois d’épaisseur ; sa circonférence est taillée en lime. Cette meule & ses dépendances sont portées sur deux petits tourillons de cuivre ou de fer, placés dans deux petits montans ou poupées pratiquées à une base circulaire, qui est fixée fortement sur un bâti composé de deux tretaux & de quelques planches qu’on y attache ; sur cette base, on ajuste une espece de caisse appellée tabernacle. Voyez Planche II. fig. 11. & 12. A, est la partie antérieure supérieure du tabernacle : on voit au milieu un petit chassis de bois garni d’un verre posé d’une maniere inclinée ; il sert à empêcher les étincelles de feu qui s’échappent continuellement de la meule, de frapper les yeux de celui qui affile. La meule & tout son équipage se voyent fig. 11. & 12. on les voit seulement de face avec le banc qui sert de base, dans la fig. 12. Un banc à couper, qu’on a représenté en entier fig. 13. il est composé d’un fort banc & d’une grosse cisaille ; à un des longs & à un des petits côtés, il y a de hautes planches qui servent à retenir les morceaux de fil-de-fer, à mesure qu’on les coupe ; partout ailleurs il y a des rebords, excepté en un endroit qui sert à tirer les pointes : il faut que cet instrument soit disposé de maniere à fatiguer le moins qu’il est possible le coupeur. Un étau ; il est de figure ordinaire : on le voit Plan. II. fig. 14. Un mordant, qu’on voit figure 16. c’est un composé de deux morceaux de fer, dont les têtes sont acérées : ces morceaux circulaires sont assemblés à charniere, & leur mouvement est libre ; on a pratiqué à la tête de chaque branche & en-dehors, une retraite dont l’usage est de retenir le mordant toûjours dans la même situation, lors même qu’on l’ouvre pour en faire sortir la pointe dont on vient de faire la tête. A la partie supérieure & intérieure de la tête du mordant, il y a de petites cannelures propres à recevoir la pointe ; elles sont faites de maniere que l’entrée en est plus large que le bas : ces cannelures se renouvellent à l’aide du poinçon qu’on voit fig. 17. 18. Pour abreger le travail de l’ouvrier, qui seroit contraint d’écarter les deux branches du mordant à chaque tête qu’il voudroit faire, on a placé entre elles un V d’acier dont les extrémités recourbées portent perpendiculairement contre les faces intérieures du mordant ; on met sous le mordant une calote de chapeau, pour recevoir les clous à mesure qu’il en tombe. Voyez, figure 14. le mordant, l’étau, la calote, & le clou prêt à être frappé. Un vannoir, c’est un grand bassin de bois fort plat, qu’on voit Planche I. fig. 7. dans lequel on agite les pointes de laiton ou de fer pour les rendre claires. Un poinçon à étamper (Voyez Pl. II. fig. 21.) ; il est petit & quarré : on a pratiqué à sa base un trou fait en calote. Cela bien compris, il ne sera pas difficile d’entendre la maniere de fabriquer le clou d’épingle.
On appelle clou d’épingle, un petit morceau de fil-de-fer ou de laiton, aiguisé en pointe par un bout, & refoulé par l’autre bout. Il y en a de différentes grosseurs & longueurs. La premiere opération consiste à esser : esser le fil, c’est le présenter à un des espaces circulaires de l’S, pour connoître s’il est du calibre qu’on souhaite. Après l’avoir essé, on le dresse : pour le dresser, on le force à passer à-travers les rangs de pointes de l’engin ; cette manœuvre lui ôte toutes ses petites courbures. Quand il est dressé, on le coupe de la longueur de quinze à dix-huit pouces ; on se sert pour cela de la cisoire, fixée sur le banc à couper. Quand on a une quantité suffisante de bouts, on les affile : affiler, c’est passer le fil-de-fer sur la meule, pour en faire la pointe. Pour affiler, l’ouvrier prend une cinquantaine de brins plus ou moins ; il les tient sur ses doigts dans une situation parallele, & leur faisant faire un ou plusieurs tours sur eux-mêmes par le moyen de ses pouces qu’il meut dessus en sens contraire, en conduisant chaque pouce vers le petit doigt, il les affile tous en même tems. Quand les brins sont affilés, on les coupe sur la grande cisoire de la longueur dont on veut les pointes ; de là on les passe dans le mordant pour en faire la tête : si on veut qu’elle soit plate, on laisse un peu excéder la pointe au-dessus du mordant, on frappe un ou deux coups de marteau sur cet excédant ; il est applati, & la tête est faite : si on veut qu’elle soit ronde, on la commence comme si on la vouloit plate ; on ne frappe qu’un coup ; puis on la finit avec le poinçon à estamper. Le clou fini, il faut le chasser du mordant ; c’est ce que l’ouvrier exécute en prenant une autre pointe entre le pouce & l’index, chassant la pointe qui est dans la cannelure avec le petit doigt, & y plaçant celle qu’il tient. Il continue ainsi avec une vîtesse extrème ; & son opération est la même pour les clous de quelque grandeur qu’ils soient. Il en peut fabriquer d’or, de fer, & de cuivre. Quand ils sont de laiton, on les blanchit : pour cet effet, on les découvre d’abord ; les découvrir, c’est les mettre tremper dans une solution de tartre ou de cendre gravelée & d’eau commune, où on les laisse séjourner quelque tems ; après quoi on les vanne. Pour les vanner, on met du son ou du tan dans le vannoir ; on les y agite ; & ils en sortent secs & plus jaunes. On finit par les étamer : pour les étamer, on a un vaisseau plus étroit à chacun de ses bouts qu’au milieu ; on les met dans ce vase ; on a un mêlange d’étain fin & de sel ammoniac ; le sel ammoniac y est en petite quantité : on met ce mêlange en fusion, on y jette les pointes ou épingles, on les y agite jusqu’à ce qu’on s’apperçoive qu’elles soient bien blanchies : le mouvement les empêche de s’attacher les unes aux autres. Quand elles sont refroidies, on en fait des paquets de cent : pour cet effet, on en compte cent ; on jette cette centaine dans un des plats de la balance, & on en jette dans l’autre plat autant qu’il en faut pour l’équilibre ; on continue ainsi jusqu’à ce qu’on ait mis toutes les pointes en paquets de centaines, & en état de vente.
Voyez, fig. 21. Pl. I. des clous à tête ronde. Il y a parmi les clous d’épingle, ceux d’homme & ceux de femme : ils ne different que par la force ; les premiers sont les plus forts.
Les Arquebusiers donnent le nom de clou, au clou du chien de la platine. Voyez Fusil & Platine. On appelle du même nom la graine de girofle ; voyez Girofle : c’est le nom d’une maladie de l’œil. Voyez Clou (Medecine). Le clou a servi quelquefois à marquer les années & les évenemens. Voyez Clou (Hist. anc.) On argente & l’on dore les clous. Voyez Dorer & Argenter.
Clou. (Hist. anc.) Tite-Live rapporte que les anciens Romains, encore grossiers & sauvages, n’avoient pour annales & pour fastes que des clous, qu’ils attachoient au mur du temple de Minerve. Il ajoûte que les Etruriens, peuples voisins de Rome, en fichoient à pareille intention dans les murs du temple de Nortia leur déesse. Tels étoient les premiers monumens dont on se servit pour conserver la mémoire des évenemens, au moins celle des années ; ce qui prouve qu’on connoissoit encore bien peu l’écriture à Rome, & rend douteux ce que les historiens ont raconté de cette ville avant sa prise par les Gaulois. D’autres prétendent que c’étoit une simple cérémonie de religion, & se fondent aussi sur TiteLive, qui dit que le dictateur ou un autre premier magistrat, attachoit ce clou mystérieux aux ides de Septembre, idibus Septembr. clavum pungat ; mais ils n’expliquent ni le sens ni l’origine de cette cérémonie, & la regardent seulement comme un secours à l’ancienne chronologie, surabondamment ajoûté aux annales par écrit.
On avoit encore coûtume à Rome, dans les calamités publiques, d’attacher un clou dans le temple de Jupiter. Dans une peste qui desola Rome, le clou sacré fut placé par le dictateur, & la contagion cessa. En cas de troubles intestins & de sécession, c’est-à-dire de schisme de la populace, on avoit recours à ce clou. Et dans une circonstance singuliere où les dames Romaines donnoient à leurs maris des philtres qui les empoisonnoient, on pensa que le clou qui dans les tems de troubles avoit affermi les hommes dans le bon sens, pourroit bien produire le même effet sur l’esprit des femmes. On ignore les cérémonies qu’on employoit dans cet acte de religion, Tite-Live s’étant contenté de marquer qu’il n’appartenoit qu’au dictateur, ou à son défaut au plus considérable des magistrats de placer le clou. Manlius Capitolinus fut le premier dictateur créé pour cette fonction. Mém. de l’acad. des Bell. Lett. tom. VI. (G)
Clou, (Med.) maladie de l’œil ; espece de staphylome, en Grec ἑλος, en Latin clavus oculi.
On donne le nom de clou au staphylome, quand par un ulcere de la cornée, l’uvée s’étant avancée en-dehors, s’endurcit & se resserre à la base de la tumeur qu’elle forme ; ou lorsque la cornée s’endurcit pareillement, & se resserre de telle maniere que la base de la tumeur étant fort retrécie, la tumeur en paroît éminente & arrondie en forme de tête sphérique d’un clou. Cette tumeur détruit la vûe, & ne se guérit point, parce qu’aucun staphylome n’est guérissable. Voyez Staphylome. Voyez aussi l’art. Clavus. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.