L’Encyclopédie/1re édition/CHRONOMETRE
CHRONOMETRE, s. m. (Musique.) nom générique pour marquer les instrumens qui servent à mesurer le tems. Ce mot est composé de χρόνος, tems, & de μέτρον, mesure.
On dit en ce sens que les montres, les horloges, &c. sont des chronometres. Voyez plus bas.
Il y a néanmoins quelques instrumens qu’on a appellés en particulier chronometres, & nommément un que M. Sauveur décrit dans ses principes d’Acoustique. C’étoit un pendule particulier qu’il destinoit à déterminer exactement les mouvemens en Musique. Laffilard, dans ses principes dédies aux Dames religieuses, avoit mis à la tête de tous les airs des chiffres qui exprimoient le nombre des vibrations de ce pendule pendant la durée de chaque mesure.
Il y a une douzaine d’années qu’on vit reparoître le projet d’un instrument semblable, sous le nom de métrometre, qui battoit la mesure tout seul ; mais tout cela n’a pas réussi. Plusieurs prétendent cependant qu’il seroit fort à souhaiter qu’on eût un tel instrument pour déterminer le tems de chaque mesure dans une piece de Musique. On conserveroit par ce moyen plus facilement le vrai mouvement des airs, sans lequel ils perdent toûjours de leur prix, & qu’on ne peut connoître après la mort des auteurs que par une espece de tradition fort sujette à s’effacer. On se plaint déjà que nous avons oublié le mouvement d’un grand nombre d’airs de Lulli. Si l’on eût pris la précaution dont je parle, & à laquelle on ne voit pas d’inconvéniens, on entendroit aujourd’hui ces mêmes airs tels que l’auteur les faisoit exécuter.
A cela, les connoisseurs en Musique ne demeurent pas sans réponse, Ils objecteront, dit M. Diderot (Mémoires sur différens sujets de Math.) qu’il n’y a peut-être pas dans un air quatre mesures qui soient exactement de la même durée, deux choses contribuant nécessairement à ralentir les unes & à précipiter les autres, le goût & l’harmonie dans les pieces à plusieurs parties, le goût & le pressentiment de l’harmonie dans les solo. Un musicien qui sait son art, n’a pas joüé quatre mesures d’un air, qu’il en saisit le caractere & qu’il s’y abandonne. Il n’y a que le plaisir de l’harmonie qui le suspend ; il veut ici que les accords soient frappés ; là qu’ils soient dérobés, c’est-à-dire qu’il chante ou joue plus ou moins lentement d’une mesure à une autre, & même d’un tems & d’un quart de tems à celui qui le suit.
A la vérité cette objection qui est d’une grande force pour la Musique Françoise, n’en auroit aucune pour la Musique Italienne, soûmise irrémissiblement à la plus exacte mesure : rien même ne montre mieux l’opposition parfaite de ces deux sortes de Musiques ; car si la Musique Italienne tire son énergie de cet asservissement à la rigueur de la mesure, la Françoise met toute la sienne à maîtriser à son gré cette même mesure, à la presser & à la ralentir selon que l’exige le goût du chant, ou le dégré de flexibilité des organes du chanteur.
Mais quand on admettroit l’utilité d’un chronometre, il faut toûjours, continue M. Diderot, commencer par rejetter tous ceux qu’on a proposés jusqu’à présent, parce qu’on y a fait du Musicien & du chronemetre deux machines distinctes, dont l’une ne peut jamais assujettir l’autre. Cela n’a presque pas besoin d’être démontré : il n’est pas possible que le musicien ait pendant toute sa piece l’œil au mouvement ou l’oreille au bruit du pendule ; & s’il s’oublie un moment, adieu le frein qu’on a prétendu lui donner.
J’ajoûterai que quelque instrument qu’on pût trouver pour regler la durée de la mesure, il seroit impossible, quand même l’exécution en seroit de la derniere facilité, qu’il fût admis dans la pratique. Les Musiciens, gens confians, & faisant comme bien d’autres, de leur propre goût la regle du bon, ne l’adopteroient jamais ; ils laisseroient le chronometre, & ne s’en rapporteroient qu’à eux-mêmes du vrai caractere & du vrai mouvement des airs : ainsi le seul bon chronometre que l’on puisse avoir, c’est un habile musicien, qui ait du goût, qui ait bien lû la Musique qu’il doit faire exécuter, & qui sache en battre la mésure. Machine pour machine, il vaut mieux s’en tenir à celle-ci. (S)
Chronometre, (Horlog.) M. Graham, excellent horloger, de la société royale de Londres, a donné ce nom à une petite pendule portative de son invention, qui marque les tierces, & qui est fort utile dans les observations astronomiques ; parce que l’on peut très-commodément la faire marcher dans l’instant précis où l’observation commence, & l’arrêter de même, à l’instant où elle finit : ce qui fait qu’on a exactement le tems juste qu’elle a duré.
Pour concevoir comment cela se fait, imaginez une piece toute semblable à un balancier à trois barrettes, dont le rayon seroit un peu plus court que le pendule du chronometre, & duquel d’un côté du centre il resteroit une barrette seulement, & de l’autre côté les deux autres barrettes & la portion de zone comprise entre elles : imaginez de plus que cette piece soit placée sur la platine de derriere de la maniere suivante ; 1° que parallele à cette platine, elle soit fixée par son centre au-dessus du point de suspension du pendule ; de façon qu’en supposant une ligne tirée du centre de cette piece au milieu de sa portion de zone, cette ligne soit parallele à la verticale du pendule, & en même tems dans un plan perpendiculaire à la platine, qu’on imagineroit passer par cette verticale ; 2° qu’elle soit mobile à charniere sur son centre, tellement qu’on puisse l’éloigner ou l’approcher à volonté de la platine. Supposez de plus, que la portion de zone a des chevilles du côté où elle regarde la platine, qui sont fixées à des distances de la verticale du pendule, telles que s’il tomboit de la hauteur de ces chevilles, il acquerreroit assez de mouvement pour continuer de se mouvoir, & pour que le chronometre aille. La barrette opposée à la portion de zone passe à-travers de la boîte, pour qu’on puisse sans l’ouvrir mettre le pendule en mouvement ; parce qu’au moyen de cette barrette ou queue, on peut éloigner ou approcher cette zone du pendule, & par conséquent le dégager de dedans ses chevilles.
Maniere de se servir de cet instrument. Le pendule étant écarté de la verticale, & reposant sur une des chevilles dont nous venons de parler, dans l’instant que l’observation commence, on le met en mouvement en le dégageant de cette cheville, au moyen de la barrette qui traverse la boîte. L’observation finie, on meut cette barrette en sens contraire ; & les chevilles rencontrant le pendule, l’arrêtent au même instant. Voyez Balancier, Pendule, &c. (T)