L’Encyclopédie/1re édition/CHEVAUCHÉE

CHEVAUCHER  ►

CHEVAUCHÉE, s. f. (Jurisprud.) signifioit anciennement le service que les vassaux & sujets étoient tenus de faire à cheval, soit envers le roi, ou envers quelque seigneur particulier. Devoir chevauchée, selon l’ancienne coûtume d’Anjou, c’est être obligé de monter à cheval pour défendre son seigneur féodal dans ses guerres particulieres ; & devoir l’ost, c’est être obligé de monter à cheval pour accompagner son seigneur à la guerre publique. Il y a différence, ajoûte cette coûtume, entre houst & chevauchée ; car houst est pour défendre le pays qui est pour le profit commun, & chevauchée est pour défendre son seigneur. Il est parlé de ce droit dans les usages de Barcelone, & dans les anciens fors de Béarn & de Navarre. Fontanella, auteur Catalan, dit qu’hostis, au masculin, signifie l’ennemi ; mais qu’au féminin, il signifie l’aide ou secours que les vassaux & sujets doivent fournir au roi dans la guerre publique ; que chevauchée, calvacata, est lorsque le roi, ou quelqu’autre seigneur, mande ses vassaux & sujets pour quelque expédition particuliere, contre un seigneur ou contre un château, soit par voie de guerre ou pour expédition de justice ; que le roi seul peut indiquer l’ost ; que les seigneurs ne peuvent indiquer qu’une chevauchée ; que l’ost est une assemblée qui n’est pas pour un seul jour ni pour un lieu seulement, au lieu que la chevauchée n’est que pour un jour ou pour un terme certain.

Les baillis & sénéchaux convoquoient autrefois des chevauchées ; c’étoit une espece de convocation du ban & arriere-ban, qui comprenoit non-seulement tous les seigneurs de fiefs, mais aussi les nobles, qui faisoient tous alors profession de porter les armes ; ils étoient obligés de servir à cheval & à leurs dépens.

Une ordonnance de S. Louis en 1256 défend aux baillis & sénéchaux d’ordonner des chevauchées inutiles, pour en tirer de l’argent ; & que ceux qui auront été sommés, quand elles seront ordonnées justement, auront la liberté de donner de l’argent ou de servir en personne.

Philippe VI. accorda en 1324 aux habitans de Fleurence l’exemption d’host & chevauchée, ce qui fut confirmé par le roi Jean en 1350. Il accorda en 1343 le même privilége aux monnoies, & en 1346, aux sergens des foires de Brie & de Champagne, ce qui fut aussi confirmé par le roi Jean en 1352 & 1362.

Guy comte de Nevers remit aux bourgeois plusieurs droits, entr’autres chevaucheiam nostram & exercitum nostrum ; ce qui fut confirmé en Février 1356 par Charles V. alors régent du royaume.

Les habitans de Saint-André, près Avignon, furent pareillement exemptés des chevauchées par Philippe le Bel en 1296, ce qui fut confirmé par le roi Jean en 1362.

Les priviléges accordés à la ville d’Auxonne en 1229, & confirmés par le roi Jean en 1361, font mention que les habitans doivent au seigneur l’ost & la chevauchée ; mais qu’il ne peut pas les mener si loin de la ville qu’ils ne puissent revenir le même jour.

On peut aussi appliquer au service de chevauchée beaucoup d’ordonnances & de lettres concernant l’ost & service militaire, qui sont dans le recueil des ordonnances de la troisieme race. Voyez aussi le traité du ban & arriere-ban, par de la Roque ; celui de la Lande ; le gloss. de Ducange, au mot calvacata ; & celui de M. de Lauriere, au mot chevauchée.

Chevauchée des baillis & sénéchaux, voyez ci-devant Chevauchée.

Chevauchées des commissaires députés par la cour des monnoies. Charles IX. en Septembre 1570, & Henri III. en Mai 1577, ordonnerent que ces commissaires feroient leurs chevauchées & visites dans les provinces pour tenir la main à l’exécution des réglemens sur le fait des monnoies. Voyez la conférence de Guenois, tit. des monnoies.

Chevauchées des élûs, sont les visites que les élûs, & à présent les conseillers des élections, sont tenus de faire dans leur département, pour s’informer de l’état & facultés de chaque paroisse, de l’abondance ou stérilité de l’année, du nombre des charrues, du trafic qui se fait dans chaque lieu, ensemble de toutes les autres commodités ou incommodités qui peuvent les rendre riches ou pauvres.

Il en est parlé dans l’art. 4. de l’ordonnance de François I. du dernier Juillet 1517. Dans l’édit d’Henri II. du mois de Février 1552. L’édit d’Henri IV. du mois de Mars 1600. art. 3. & 4. Le réglem. du 8 Avril 1634. art. 43.

Les élûs dans leurs chevauchées doivent aussi s’informer des exemptions dont joüissent quelques habitans, & si elles sont fondées ; voir si l’égalité est observée, autant qu’il est possible, entre les contribuables. S’ils y trouvent de l’excès ou diminution, ils prendront l’avis de trois ou quatre des principaux de la paroisse, ou des paroisses circonvoisines, des plus gens de bien, & qui seront mieux informés de leurs facultés & moyens, pour après en l’assemblée des officiers de l’élection, sur le procès verbal de l’élû qui aura été sur le lieu, faire les départemens des paroisses avec droiture & sincérité, taxer ceux qui s’exempteroient indûment, modérer ou augmenter les taxes ainsi qu’ils jugeront en leurs consciences, & sur le rapport desdits prudhommes.

Ils doivent faire leurs chevauchées après la recolte, & oüir le procureur-syndic, ou les marguilliers de la paroisse, & en faire bon & fidele procès verbal.

Les élûs doivent se partager entre eux le ressort de l’élection pour leurs chevauchées ; ils ne peuvent aller deux années de suite dans le même département, ni faire leur chevauchée dans un lieu où ils possedent du bien. Voyez la conférence de Guenois, & le mém. alphab. des tailles, au mot chevauchées.

Chevauchée, (droit de) étoit un droit qui étoit dû au lieu des corvées de chevaux & charroi, pour le passage du roi. L’ordonnance de S. Louis, du mois de Décembre 1254. art. 37. défend que nul en sa terre, c’est-à-dire dans le royaume, ne prenne cheval contre la volonté de celui à qui le cheval sera, si ce n’est pour le service du roi ; & en ce cas, il veut que les baillis, prevôts ou maires, ou ceux qui seront en leurs lieux, prennent des chevaux à loyer ; que si ces chevaux ne suffisent pas pour faire le service, les baillis, prevôts, & autres dessus nommés, ne prennent pas les chevaux des marchands ni des pauvres gens, mais les chevaux des riches seulement, s’ils peuvent suffire pour faire le service. L’art. 38 défend que pour le service du roi, ni pour autre, nul prenne chevaux des gens de sainte Eglise, si ce n’est de l’espécial mandement du roi ; que les baillis ni autres ne prennent de chevaux forts tant comme métier sera ; & que ceux qui seront pris ne soient point relâchés par argent ; ce qui sera gardé, est-il dit, sauf nos services, nos devoirs & nos droits, & aussi les autrui.

Chevauchée d’une justice, sont des procès verbaux que l’on faisoit anciennement, pour reconnoître & constater l’étendue & les limites d’une justice. On les a appellées chevauchées, parce que la plûpart de ceux qui y assistoient étoient à cheval. Le juge convoquoit à cet effet le procureur d’office, le greffier, & les autres officiers du siége, & les principaux & plus anciens habitans, avec lesquels il faisoit le tour de la justice. On faisoit dans le procès verbal la description des limites, & de ce qui pourroit servir à les faire reconnoître. Dans un de ces procès verbaux du xiij. siecle, il est dit que l’on marqua un chêne d’un coup de serpe ; cela ne formoit pas un monument bien certain.

Chevauchées des grands maîtres des eaux & forêts, sont les visites qu’ils font pour la conservation des forêts du roi. Il en est parlé dans plusieurs ordonnances, notamment dans l’art. 18. de l’édit de 1583. qui enjoint aux grands-maîtres réformateurs, leurs lieutenans & maîtres particuliers, qu’en faisant leurs visites & chevauchées ils ayent à visiter les rivieres, levées, chaussées, moulins, pêcheries, & s’informer de l’occasion du dépérissement d’iceux.

Chevauchées des lieutenans criminels. Il étoit enjoint, par l’ordonnance de Henri II. en 1554. à ces lieutenans, tant de robe longue que courte, de faire tous les ans, ou de quatre mois en quatre mois, des visitations & chevauchées dans leurs provinces. Ce soin est présentement confié au prevôt des maréchaux de France. Voyez ci-après chevauchées des prevôts, &c.

Chevauchées des maîtres des eaux & forêts, voyez ci-devant Chevauchées des grands-maîtres.

Chevauchées des maîtres des requêtes. On appelloit ainsi autrefois la visite qu’ils faisoient dans les provinces ; il en est parlé dans l’ordonn. d’Orléans, art. 33. celle de Moulins, art. 7. & celle de Blois, art. 209. L’objet de ces visites étoit de dresser procès verbal des choses importantes pour l’état, recevoir les plaintes, réprimer les abus. Présentement ce sont les intendans de province qui font la visite dans l’étendue de leur généralité.

Chevauchées des prevôts des maréchaux, sont les rondes & visites que ces prevôts font avec leurs compagnies, ou font faire par des détachemens dans tous les lieux de leur département, pour la sûreté & tranquillité publique. Il en est fait mention dans le réglement de François I. du 20 Janv. 1514. art. 34. d’Henri II. en Nov. 1549. art. 18. & 5. Fev. 1549. Fev. 1552. art. 3. Ordonn. d’Orléans, art. 67. Celle de Roussillon, art. 9. Celle de Moulins, art. 43. de Blois, art. 187. Déclar. du 9. Fév. 1584. & plusieurs autres. Voyez Prevôt des maréchaux.

Chevauchées des thrésoriers de France, sont les visites que ces officiers font tous les ans dans les élections de leur ressort, pour voir si le département des tailles fait par les élûs est conforme aux facultés de chaque paroisse. Ils font aussi la visite des chemins, ponts & chaussées. Voyez le réglem. d’Henri IV. du 10. Octobre 1603. pour les tailles, art. 1. (A)