L’Encyclopédie/1re édition/CEREMONIES

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 838-839).
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* CEREMONIES, s. f. pl. (Hist. civ. & ecclés.) les cerémonies sont en général des démonstrations extérieures & symboliques, qui font partie des usages de la police & du culte d’une société. Voyez Police & Culte. Laissant à d’autres le soin de chercher la véritable étymologie du mot ceremonia, & de décider s’il vient de Cereris munia, ou de Care munia, ou du verbe Grec χερεῖν, nous observerons d’abord qu’il y a, selon notre définition, trois sortes de cérémonies ; des cérémonies politiques, telles que le couronnement d’un prince, l’introduction d’un ambassadeur, &c. des cérémonies religieuses, telles que l’ordination d’un prêtre, le sacre d’un évêque, le baptême ou la bénédiction d’une cloche, &c. des cérémonies politico-religieuses, c’est-à-dire, où les usages du peuple se trouvent mêlés avec la discipline de l’Église, telles que la cérémonie du mariage prise dans toute son étendue.

Il y a deux choses principales à examiner sur les cérémonies ; leur origine, soit dans la société, soit dans la religion, & leur nécessité dans la religion : quant au premier point, il paroît que chaque cérémonie dans la société a son origine particuliere, relative à quelque fait primitif & aux circonstances de ce fait, & qu’il en est de même de l’origine de chaque cérémonie dans la religion ; avec cette différence qu’on peut rechercher ce qui a donné lieu à celles-ci, qui forment tantôt un système sage & raisonné, ou qui ne sont d’autres fois qu’un assemblage d’extravagances, d’absurdités & de petitesses, sans motif, sans liaison, sans autorité.

Il est donc à propos dans cette recherche de distribuer les cérémonies religieuses en deux classes ; en cérémonies pieuses & saintes, & en cérémonies superstitieuses & abominables.

Il n’y a eu de cérémonies religieuses pieuses & saintes sur la surface de la terre, 1°. que le petit nombre de celles qui accompagnerent le culte naturel que les premiers hommes rendirent à Dieu en pleine campagne, dans la simplicité de leur cœur & l’innocence de leurs mœurs, n’ayant d’autre temple que l’univers, d’autre autel qu’une touffe de gason, d’autre offrande qu’une gerbe, d’autre victime qu’un agneau, & d’autres sacrificateurs qu’eux-mêmes, & qui ont duré depuis Adam jusqu’à Moyse ; 2°. les cérémonies qu’il plût à Dieu de prescrire au peuple Juif, par sa propre bouche ou par celle de ses pontifes & de ses prophetes, qui commencerent à Moyse, & que Jesus-Christ a abolies ; 3°. les cérémonies de la religion Chrétienne, que son divin instituteur a indiquées, que ses apôtres & leurs successeurs ont instituées, qui sont toûjours sanctifiées par l’esprit des ministres qui les exécutent, & des fideles qui y assistent, & qui dureront jusqu’à la fin des siecles.

L’origine de ces cérémonies est fondée sur l’Histoire, & nous est transmise par des livres sur l’authenticité desquels il n’y a point de doute. Elles furent chez les premiers hommes des mouvemens de la nature inspirée ; chez les Juifs, une portion des lois d’un gouvernement théocratique ; chez les Chrétiens, des symboles de foi, d’espérance, & de charité ; & il ne peut y avoir sur elles deux sentimens. Loin donc de nous les idées de Marsham & de Spencer ; c’est presqu’un blasphème que de déduire les cérémonies du Lévitique, des rites Egyptiens.

Mais il n’en est pas de même des cérémonies superstitieuses : il semble qu’à l’exception de ce que les saintes Ecritures nous en apprennent, le reste soit entierement abandonné aux disputes de la Philosophie ; & voici en peu de mots ce qu’elle nous suggere de plus raisonnable. Elle réduit les causes de l’idolatrie à la flatterie, à l’admiration, à la tendresse, à la crainte, à l’espérance, mal entendues ; voyez Idolatrie : conséquemment il paroît que toutes les cérémonies superstitieuses ne sont que des expressions de ces différens sentimens, variées selon l’intérêt, le caprice, & la méchanceté des prêtres idolatres. Faites une combinaison des passions qui ont donné naissance aux idoles, avec celles de leurs ministres, & tous les monstres d’abomination & de cruauté qui noircissent les volumes de nos historiens & de nos voyageurs ; vous les en verrez sortir, sans avoir recours aux conjectures d’Huet, de Bochart, de Vossius, & de Dickinson, où l’on remarque quelquefois plus de zele que de vraissemblance.

Quant à la question de la nécessité des cérémonies pour un culte, sa solution dépend d’une autre ; savoir, si la religion est faite pour le seul philosophe, ou pour le philosophe & le peuple : dans le premier cas, on pourroit peut-être soûtenir que les cérémonies sont superflues, puisqu’elles n’ont d’autre but que de nous rappeller les objets de notre foi & de nos devoirs, dont le philosophe se souvient bien sans le secours des signes sensibles : mais la religion est faite indistinctement pour tous les hommes, comme il en faut convenir ; donc, comme les prodiges de la nature ramenent sans cesse le philosophe à l’existence d’un Dieu créateur ; dans la religion Chrétienne, par exemple, les cérémonies rameneront sans cesse le chrétien à la loi d’un Dieu crucifié. Les représentations sensibles, de quelque nature qu’elles soient, ont une force prodigieuse sur l’imagination du commun des hommes : jamais l’éloquence d’Antoine n’eût fait ce que fit la robe de César. Quod litteratis est scriptura, hoc idiotis præstat pictura, dit saint Grégoire le grand, liv. IX. épît. ix.