L’Encyclopédie/1re édition/CENSURE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 819-820).
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CENSURE, s. f. (Droit canoniq.) se prend ordinairement pour un jugement, par lequel on condamne quelque livre, quelque personne ; & plus particulierement pour une réprimande faite par un supérieur, ou une personne en autorité. (H)

Censures ecclésiastiques, sont des menaces publiques que l’Eglise fait, d’infliger les peines qu’on a encourues, pour avoir desobéi à ses ordres, ou plûtôt encore ces peines ou ces punitions elles-mêmes. Le Droit canonique en reconnoit de trois sortes, qui sont l’excommunication, la suspense, & l’interdit. Voyez chacun de ces mots à leur rang.

Jusqu’au tems de la prétendue réforme, les rois d’Angleterre ont été soûmis aux censures de l’église de Rome : mais les François s’en sont toûjours maintenus exempts. En effet il n’y a point d’exemple d’excommunication d’aucun roi de la premiere race, jusqu’à celle de Lothaire, par le pape Nicolas I. pour avoir répudié sa femme Tetberge ; c’est la premiere breche qui fut faite aux libertés de l’église Gallicane : cependant le pape n’osa hasarder son excommunication de sa propre autorité ; il la fit confirmer par l’assemblée des évêques de France.

Les autres papes ont pris dans la suite les mêmes précautions : mais depuis ce tems-là, les rois ont mieux soûtenu leur privilége : car l’anti-pape Benoît XIII. ayant prononcé des censures contre le roi Charles VI. & mis le royaume en interdit ; le parlement de Paris, par Arrêt de 1408, ordonna que la bulle fût lacérée. Jules II. avant aussi lancé l’excommunication contre Louis XII. l’assemblée générale tenue à Tours, censura les censures du pape. Voyez Excommunication.

Les Canonistes distinguent deux sortes de censures : l’une de droit, à jure ; l’autre de fait ou par sentence, qu’ils appellent ab homine.

Les premieres sont générales & perpétuelles : il n’en est pas de même des secondes ; mais aussi elles sont toûjours réservées.

On divise les censures par rapport à l’effet qu’elles produisent, en celles qu’on appelle latæ sententiæ, & celles qu’on nomme ferendæ sententiæ ; c’est-à-dire en censures encourues par le seul fait, ipso facto, par vertu du jugement qui les a prononcées, sans qu’il soit besoin d’un nouveau ; & en censures comminatoires, qui ne s’encourent pas sans une nouvelle sentence du juge.

Il n’y a que les supérieurs ecclésiastiques qui joüissent de la jurisdiction extérieure, qui puissent porter des censures ; ainsi les curés n’ont pas ce droit. (H)

Censure de livres ou de propositions c’est une note ou une qualification, qu’on donne à tout ce qui blesse la vérité, soit dans un livre, soit dans une proposition. La vérité, si on peut parler ainsi, est une fleur tendre ; on n’y peut toucher qu’on ne l’altere, & qu’on n’en ternisse l’éclat. La note dont on marque un livre ou une proposition, est d’autant plus flétrissante, que l’un ou l’autre s’éloigne plus de la vérité ; car il y a différentes nuances dans l’erreur. La note de l’hérésie est la plus infamante de toutes ; parce que l’hérésie est de toutes les erreurs celle qui s’éloigne le plus de la vérité. En effet, elle contredit formellement l’expresse parole de Dieu, & se révolte contre l’autorité de l’Eglise qui l’interprete ; la flétrissure de l’erreur est moins forte que celle qui lance l’anathème contre l’hérésie. Comme la vérité que l’erreur attaque est en partie fondée sur l’Ecriture, & en partie sur la raison, son crime est moindre, parce qu’elle se révolte moins directement contre l’autorité de Dieu. On note comme sentant l’hérésie, tout livre ou toute proposition, qui présente d’abord à l’esprit un sens hérétique, quoique l’un ou l’autre ait un sens plus caché qui renferme la vérité. Il y a beaucoup d’analogie entre ce qui sent l’hérésie, & ce qui est captieux ; elle est la même que celle qui se trouve entre l’hérésie & l’erreur. Ainsi toute proposition chargée de termes compliqués, obscurs & embarrassés, est ou captieuse ou sentant l’hérésie ; captieuse, si c’est seulement une erreur qu’elle insinue ; sentant l’hérésie, si c’est une hérésie qu’elle présente d’une maniere indirecte. Il n’est pas aisé d’assigner des limites qui séparent une proposition mal sonnante dans la foi d’avec celle qui sent l’hérésie ; peut-être que toute la malignité de l’une consiste dans les termes durs qui énoncent une vérité, & qui la rendent odieuse à ceux qui l’écoutent : tandis que la malignité de l’autre en veut à la vérité, quoique sous des termes plus doux & plus mitigés. Ainsi la note d’une proposition mal sonnante dans la foi, n’est pas si forte que la note d’une proposition sentant l’hérésie. On qualifie d’opinion dangereuse celle qui embarrasse si fort le dogme catholique dans les incertitudes des systèmes théologiques, que cette opinion entraîneroit la ruine du dogme avec celle des systèmes. Rien n’est sans doute plus dangereux, pour la foi, que de la faire dépendre d’une opinion humaine, sujette par sa nature à l’examen critique de tout homme qui voudra l’attaquer. La note de témérité tombe sur une proposition qui seroit balancée par une grande autorité ; ce n’est pas tant le nombre des scholastiques que leurs raisons, qui doivent faire autorité sur l’esprit d’un Théologien. Il y a eu un tems où toutes les écoles, & même toutes les universités de Théologie, soûtenoient avec chaleur le probabilisme ; cette nuée de Théologiens, qui formoient pour lui un puissant parti, lui donnoit-elle plus de poids & d’autorité ? non sans doute. Il y a eu aussi un tems où ç’eût été un crime en Théologie, de soûtenir l’intention extérieure ; c’est aujourd’hui une opinion soûtenue publiquement sur les bancs : tel est le sort des opinions théologiques. Ce que de graves docteurs ont proscrit comme téméraire dans leur jeunesse, ils le voyent quelquefois soûtenir sur leurs vieux ans, comme une opinion très-vraissemblable : témoin la fameuse question des ordinations Anglicanes, sur laquelle on a fait autrefois tant de bruit. L’exemple du concile de Trente, qui a laissé tant de questions indécises, ne voulant point interposer son autorité où il voyoit différentes opinions, nous apprend combien on doit être circonspect, quand il est question de flétrir un livre ou quelques propositions extraites. Ce qui a été une fois censuré par l’Eglise, soit dispersée, soit assemblée dans un concile, l’est irrévocablement ; aussi la censure ne tombe pas sur toute expression ou toute proposition, qui se reproduit dans l’Eglise, après y avoir été défendue quelque tems, à cause de l’abus qui pouvoit en naître. Tels sont, par exemple, le terme d’omousios ; & cette proposition, unus e trinitate passus est. Il y a donc cette différence entre les propositions que l’Eglise censure, & celles qu’elle défend seulement ; que les premieres contenant en elles-mêmes quelque fausseté, blesseront toûjours par quelque endroit la vérité, qui est la même dans tous les tems ; au lieu que les secondes n’étant mauvaises que par l’abus qu’en fait l’erreur, reprendront leur premier sens avoüé par la vérité, quand l’erreur qui lui en donnoit un forcé & mauvais, le précipitera dans l’oubli. Voyez Note & Qualification. (X)