L’Encyclopédie/1re édition/EXCOMMUNICATION

EXCOMMUNICATION, s. f. (Hist. anc.) séparation de communication ou de commerce avec une personne avec laquelle on en avoit auparavant. En ce sens, tout homme exclus d’une société ou d’un corps, & avec lequel les membres de ce corps n’ont plus de communication, peut être appellé excommunié ; & c’étoit une peine usitée en certains cas parmi les Payens, & qui étoit infligée par leurs prêtres. On défendoit à ceux qu’on excommunioit, d’assister aux sacrifices, d’entrer dans les temples ; on les livroit aux démons & aux Eumenides avec des imprécations terribles : c’est ce qu’on appelloit sacris interdicere, diris devovere, execrari. La prêtresse Théano, fille de Menon, fut loüée de n’avoir pas voulu dévoüer Alcibiade aux furies, quoique les Athéniens l’eussent ordonné ; & les Eumolpides, qui en ce point obéirent au peuple, furent très-blâmés, parce qu’on n’en devoit venir à cette peine qu’aux dernieres extrémités. Elle passa chez les Romains, mais avec la même reserve ; & nous n’en voyons guere d’exemples que celui du tribun Ascius, qui n’ayant pû empêcher Crassus de porter la guerre chez les Parthes, courut vers la porte de la ville par laquelle ce général devoit sortir pour se mettre à la tête des troupes ; & là jettant certaines herbes sur un brasier, il prononça des imprécations contre Crassus. La plus rigoureuse punition qu’infligeassent les druides chez les Gaulois, c’étoit, dit César liv. VI. d’interdire la communion de leurs mysteres à ceux qui ne veulent point acquiescer à leur jugement. Ceux qui sont frappés de cette foudre, passent pour scélérats & pour impies ; chacun fuit leur rencontre & leur entretien. S’ils ont quelqu’affaire, on ne leur fait point justice, ils sont exclus des charges & des dignités, ils meurent sans honneur & sans crédit. On pouvoit pourtant, par le repentir & après quelques épreuves, être rétabli dans son premier état ; cependant si l’on mouroit sans avoir été réhabilité, les druides ne laissoient pas d’offrir un sacrifice pour l’ame du défunt. (G)

Excommunication, (Théologie.) peine ecclésiastique par laquelle on sépare & prive quelqu’un de la communication ou du commerce qu’il étoit auparavant en droit d’avoir avec les membres d’une société religieuse. Voyez Communion.

L’excommunication, en général, est une peine spirituelle fondée en raison, & qui opere les mêmes effets dans la société religieuse, que les châtimens infligés par les lois pénales produisent dans la société civile. Ici les législateurs ont senti qu’il falloit opposer au crime un frein puissant ; que la violence & l’injustice ne pouvoient être réprimées que par de fortes barrieres ; & que dès qu’un citoyen troubloit plus ou moins l’ordre public, il étoit de l’intérêt & de la sûreté de la société, qu’on privât le perturbateur d’une partie des avantages, ou même de tous les avantages dont il joüissoit à l’abri des conventions qui font le fondement de cette société : de-là les peines pécuniaires ou corporelles, & la privation de la liberté ou de la vie, selon l’exigence des forfaits. De même dans une société religieuse, dès qu’un membre en viole les lois en matiere grave, & qu’à cette infraction il ajoûte l’opiniâtreté, les dépositaires de l’autorité sacrée sont en droit de le priver, proportionnellement au crime qu’il a commis, de quelques-uns ou de tous les biens spirituels auxquels il participoit antérieurement.

C’est sur ce principe, également fondé sur le droit naturel & sur le droit positif, que l’excommunication restreinte à ce qui regarde la religion, a eu lieu parmi les Payens & chez les Hébreux, & qu’elle l’a encore parmi les Juifs & les Chrétiens.

L’excommunication étoit en usage chez les Grecs, les Romains & les Gaulois, comme on l’a vû par l’article précédent ; mais plus cette punition étoit terrible ; plus les lois exigeoient de prudence pour l’infliger ; au moins Platon dans ses lois, liv. VII. la recommande-t-il aux prêtres & aux prêtresses.

Parmi les anciens Juifs on séparoit de la communion pour deux causes, l’impureté légale, & le crime. L’une & l’autre excommunication étoit décernée par les prêtres, qui déclaroient l’homme souillé d’une impureté légale, ou coupable d’un crime. L’excommunication pour cause d’impureté cessoit lorsque cette cause ne subsistoit plus, & que le prêtre déclaroit qu’elle n’avoit plus lieu. L’excommunication pour cause de crime ne finissoit que quand le coupable reconnoissant sa faute, se soûmettoit aux peines qui lui étoient imposées par les prêtres ou par le sanhédrin. Tout ce que nous allons dire roulera sur cette derniere sorte d’excommunication.

On trouve des traces de l’excommunication dans Esdras, liv. I. c. x. v. 8. Un CaraïtE cité par Selden, liv. I. c. vij. de synedrüs, assûre que l’excommunication commença à n’être mise en usage chez les Hébreux que lorsque la nation eut perdu le droit de vie & de mort sous la domination des princes infideles. Basnage, hist. des Juifs, liv. V. ch. xviij. art. 2. croit que le sanhédrin ayant été établi sous les Machabées, s’attribua la connoissance des causes ecclésiastiques & la punition des coupables ; que ce fut alors que le mélange des Juifs avec les nations infideles, rendit l’exercice de ce pouvoir plus fréquent, afin d’empêcher le commerce avec les Payens, & l’abandon du Judaïsme. Mais le plus grand nombre des interpretes présume avec fondement que les anciens Hébreux ont exercé le même pouvoir & infligé les mêmes peines qu’Esdras, puisque les mêmes lois subsistoient ; qu’il y avoit de tems en tems des transgresseurs, & par conséquent des punitions établies. D’ailleurs ces paroles si fréquentes dans les Livres saints écrits avant Esdras, anima quæ fuerit rebellis adversus Dominum, peribit, delebitur ; (& selon l’hébreu) exscindetur de populo suo, ne s’entendent pas toûjours de la mort naturelle, mais de la séparation du commerce ou de la communication in sacris.

On voit l’excommunication constamment établie chez les Juifs au tems de Jesus-Christ, puisqu’en S. Jean, ch. jx. v. 22. xij. v. 42. xvj. v. 2. & dans S. Luc, chap. vj. v. 22. il avertit ses apôtres qu’on les chassera des synagogues. Cette peine étoit en usage parmi les Esséniens. Josephe parlant d’eux dans son histoire de la guerre des Juifs, liv. II. chap. xij. dit « qu’aussi-tôt qu’ils ont surpris quelqu’un d’entr’eux dans une faute considérable, ils le chassent de leur corps ; & que celui qui est ainsi chassé, fait souvent une fin tragique : car comme il est lié par des sermens & des vœux qui l’empêchent de recevoir la nourriture des étrangers, & qu’il ne peut plus avoir de commerce avec ceux dont il est séparé, il se voit contraint de se nourrir d’herbages, comme une bête, jusqu’à ce que son corps se corrompe, & que ses membres tombent & se détachent. Il arrive quelquefois, ajoûte cet historien, que les Esséniens voyant ces excommuniés prêts à périr de misere, se laissent toucher de compassion, les retirent & les reçoivent dans leur société, croyant que c’est pour eux une pénitence assez sévere que d’avoir été réduits à cette extrémité pour la punition de leurs fautes ». Voyez Esséniens.

Selon les rabbins, l’excommunication consiste dans la privation de quelque droit dont on joüissoit auparavant dans la communion ou dans la société dont on est membre. Cette peine renferme ou la privation des choses saintes, ou celle des choses communes, ou celle des unes & des autres tout à-la-fois ; elle est imposée par une sentence humaine, pour quelque faute ou réelle ou apparente, avec espérance néanmoins pour le coupable de rentrer dans l’usage des choses dont cette sentence l’a privé. Voyez Selden, liv. I. ch. vij. de synedriis.

Les Hébreux avoient deux sortes d’excommunications, l’excommunication majeure, & l’excommunication mineure : la premiere éloignoit l’excommunié de la société de tous les hommes qui composoient l’Eglise : la seconde le séparoit seulement d’une partie de cette société, c’est-à-dire de tous ceux de la synagogue ; ensorte que personne ne pouvoit s’asseoir auprès de lui plus près qu’à la distance de quatre coudées, excepté sa femme & ses enfans. Il ne pouvoit être pris pour composer le nombre de dix personnes nécessaire pour terminer certaines affaires. L’excommunié n’étoit compté pour rien, & ne pouvoit ni boire ni manger avec les autres. Il paroît pourtant par le talmud, que l’excommunication n’excluoit pas les excommuniés de la célébration des fêtes, ni de l’entrée du temple, ni des autres cérémonies de religion. Les repas qui se faisoient dans le temple aux fêtes solennelles, n’étoient pas du nombre de ceux dont les excommuniés étoient exclus ; le talmud ne met entr’eux & les autres que cette distinction, que les excommuniés n’entroient au temple que par le côté gauche, & sortoient par le côté droit ; au lieu que les autres entroient par le côté droit, & sortoient par le côté gauche : mais peut-être cette distinction ne tomboit-elle que sur ceux qui étoient frappés de l’excommunication mineure.

Quoi qu’il en soit, les docteurs juifs comptent jusqu’à vingt-quatre causes d’excommunication, dont quelques-unes paroissent très-legeres, & d’autres ridicules ; telles que de garder chez soi une chose nuisible ; telles qu’un chien qui mord les passans, sacrifier sans avoir éprouvé son couteau en présence d’un sage ou d’un maître en Israël, &c. L’excommunication encourue pour ces causes, est précedée par la censure qui se fait d’abord en secret ; mais si celle-ci n’opere rien, & que le coupable ne se corrige pas, la maison du jugement, c’est-à-dire l’assemblée des juges, lui dénonce avec menaces qu’il ait à se corriger : on rend ensuite la censure publique dans quatre sabbats, où l’on proclame le nom du coupable & la nature de sa faute ; & s’il demeure incorrigible, on l’excommunie par une sentence conçûe en ces termes : qu’un tel soit dans la séparation ou dans l’excommunication, ou qu’un tel soit séparé.

On subissoit la sentence d’excommunication ou durant la veille ou dans le sommeil. Les juges ou l’assemblée, ou même les particuliers, avoient droit d’excommunier, pourvû qu’il y eût une des 24 causes dont nous avons parlé, & qu’on eût préalablement averti celui qu’on excommunioit, qu’il eût à se corriger ; mais dans la regle ordinaire c’étoit la maison du jugement ou la cour de justice qui portoit la sentence de l’excommunication solennelle. Un particulier pouvoit en excommunier un autre ; il pouvoit pareillement s’excommunier lui-même, comme, par exemple, ceux dont il est parlé dans les Actes, ch. xxiij. v. 12. & dans le second livre d’Esdras, ch. x. v. 29. qui s’engagent eux-mêmes, sous peine d’excommunication, les uns à observer la loi de Dieu, les autres à se saisir de Paul mort ou vif. Les Juifs lançoient quelquefois l’excommunication contre les bêtes, & les rabbins enseignent qu’elle fait son effet jusque sur les chiens.

L’excommunication qui arrivoit pendant le sommeil, étoit lorsqu’un homme voyoit en songe les juges qui par une sentence juridique l’excommunioient, ou même un particulier qui l’excommunioit ; alors il se tenoit pour véritablement excommunié, parce que, selon les docteurs, il se pouvoit faire que Dieu, ou par sa volonté, ou par quelqu’un de ses ministres, l’eût fait excommunier. Les effets de cette excommunication sont tous les mêmes que ceux de l’excommunication juridique, qui se fait pendant la veille.

Si l’excommunié frappé d’une excommunication mineure, n’obtenoit pas son absolution dans un mois après l’avoir encourue, on la renouvelloit encore pour l’espace d’un mois ; & si après ce terme expiré il ne cherchoit point à se faire absoudre, on le soûmettoit à l’excommunication majeure, & alors tout commerce lui étoit interdit avec les autres ; il ne pouvoit ni étudier ni enseigner, ni donner ni prendre à loüage. Il étoit réduit à-peu-près dans l’état de ceux auxquels les anciens Romains interdisoient l’eau & le feu. Il pouvoit seulement recevoir sa nourriture d’un petit nombre de personnes ; & ceux qui avoient quelque commerce avec lui durant le tems de son excommunication, étoient soûmis aux mêmes peines ou à la même excommunication, selon la sentence des juges. Quelquefois même les biens de l’excommunié étoient confisqués & employés à des usages sacrés, par une sorte d’excommunication nommée cherem, dont nous allons dire un mot. Si quelqu’un mouroit dans l’excommunication, on ne faisoit point de deuil pour lui, & l’on marquoit, par ordre de la justice, le lieu de sa sépulture, ou d’une grosse pierre ou d’un amas de pierres, comme pour signifier qu’il avoit mérité d’être lapide.

Quelques critiques ont distingué chez les Juifs trois sortes d’excommunications, exprimées par ces trois termes, nidui, cherem, & schammata. Le premier marque l’excommunication mineure, le second la majeure, & le troisieme signifie une excommunication au-dessus de la majeure, à laquelle on veut qu’ait été attachée la peine de mort, & dont personne ne pouvoit absoudre. L’excommunication nidui dure 30 jours. Le cherem est une espece de réaggravation de la premiere ; il chasse l’homme de la synagogue, & le prive de tout commerce civil. Enfin le schammata se publie au son de 400 trompettes, & ôte toute espérance de retour à la synagogue. On croit que le maranatha dont parle S. Paul, est la même chose que le schammata ; mais Selden prétend que ces trois termes sont souvent synonymes, & qu’à proprement parler les Hébreux n’ont jamais eu que deux sortes d’excommunications, la mineure & la majeure.

Les rabbins tirent la maniere & le droit de leurs excommunications, de la maniere dont Débora & Barac maudissent Meroz, homme qui, selon ces docteurs, n’assista pas les Israélites. Voici ce qu’on en lit dans le Livre des juges, ch. v. v. 23. Maudissez Meroz, dit l’ange du Seigneur : maudissez ceux qui s’asseyeront auprès de lui, parce qu’ils ne sont pas venus au secours du Seigneur avec les forts. Les rabbins voyent évidemment, à ce qu’ils prétendent, dans ce passage, 1° les malédictions que l’on prononce contre les excommuniés ; 2° celles qui tombent sur les personnes qui s’asseyent auprès d’eux plus près qu’à la distance de quatre coudées ; 3° la déclaration publique du crime de l’excommunié, comme on dit dans le texte cité, que Meroz n’est pas venu à la guerre du Seigneur ; 4° enfin la publication de la sentence à son de trompe, comme Barac excommunia, dit-on, Meroz au son de 400 trompettes : mais toutes ces cérémonies sont récentes.

Ils croyent encore que le patriarche Hénoch est l’auteur de la formule de la grande excommunication dont ils se servent ençore à-présent, & qu’elle leur a été transmise par une tradition non interrompue depuis Hénoch jusqu’aujourd’hui. Selden, liv. IV. ch. vij. de jure natur. & gent. nous a conservé cette formule d’excommunication, qui est fort longue, & porte avec elle des caracteres évidens de supposition. Il y est parlé de Moyse, de Josué, d’Elisée, de Giezi, de Rarac, de Meroz, de la grande synagogue, des anges qui président à chaque mois de l’année, des livres de la loi, des 390 préceptes qui y sont contenus, &c. toutes choses qui prouvent que si Hénoch en est le premier auteur, ceux qui sont venus après lui y ont fait beaucoup d’additions.

Quant à l’absolution de l’excommunication, elle pouvoit être donnée par celui qui avoit prononcé l’excommunication, pourvû que l’excommunié fût touché de repentir, & qu’il en donnât des marques sinceres. On ne pouvoit absoudre que présent celui qui avoit été excommunié présent. Celui qui avoit été excommunié par un particulier, pouvoit être absous par trois hommes à son choix, ou par un seul juge public. Celui qui s’étoit excommunié soi-même, ne pouvoit s’absoudre soi-même, à moins qu’il ne fût éminent en science ou disciple d’un sage ; hors ce cas, il ne pouvoit recevoir son absolution que de dix personnes choisies du milieu du peuple. Celui qui avoit été excommunié en songe, devoit encore employer plus de cérémonies : il falloit dix personnes savantes dans la loi & dans la science du talmud ; s’il ne s’en trouvoit autant dans le lieu de sa demeure, il devoit en chercher dans l’étendue de quatre mille pas ; s’il ne s’y en rencontroit point assez, il pouvoit prendre dix hommes qui sûssent lire dans le Pentateuque ; ou, à leur défaut, dix hommes, ou tout au moins trois. Dans l’excommunication encourue pour cause d’offense, le coupable ne pouvoit être absous que la partie lésée ne fût satisfaite : si par hasard elle étoit morte, l’excommunié devoit se faire absoudre par trois hommes choisis, ou par le prince du sanhédrin. Enfin c’est à ce dernier qu’il appartient d’absoudre de l’excommunication prononcée par un inconnu. Sur l’excommunication des Juifs on peut consulter l’ouvrage de Selden, de Synedrüs ; Drusius, de novem sect. lib. III. c. xj. Buxtorf, epist. hebr. le P. Morin, de pœnit. la continuat. de l’hist. des Juifs, par M. Basnage ; la dissertation de dom Calmet sur les supplices des Juifs ; & son dictionnaire de la Bible, au mot Excommunication.

Les Chrétiens dont la société doit être, suivant l’institution de Jesus-Christ, très-pure dans la foi & dans les mœurs, ont toûjours eu grand soin de séparer de leur communion les hérétiques & les personnes coupables de crimes. Relativement à ces deux objets, on distinguoit dans la primitive Église l’excommunication médicinale de l’excommunication mortelle. On usoit de la premiere envers les pénitens que l’on séparoit de la communion, jusqu’à ce qu’ils eussent satisfait à la pénitence qui leur étoit imposée. La seconde étoit portée contre les hérétiques, & les pécheurs impénitens & rebelles à l’Église. C’est à cette derniere sorte d’excommunication que se rapportera tout ce qui nous reste à dire dans cet article. Quant à l’excommunication médicinale, voyez Pénitence & Pénitens.

L’excommunication mortelle en général est une censure ecclésiastique qui prive un fidele en tout, ou en partie, du droit qu’il a sur les biens communs de l’Église, pour le punir d’avoir desobéi à l’Église dans une matiere grave. Depuis les decrétales, on a distingué deux especes d’excommunication ; l’une majeure, & l’autre mineure. La majeure est proprement celle dont on vient de voir la définition, par laquelle un fidele est retranché du corps de l’Église, jusqu’à ce qu’il ait mérité par sa pénitence d’y rentrer. L’excommunication mineure est celle qui s’encourt par la communication avec un excommunié d’une excommunication majeure, qui a été légitimement dénoncée. L’effet de cette derniere excommunication ne prive celui qui l’a encourue que du droit de recevoir les sacremens, & de pouvoir être pourvû d’un bénéfice.

Le pouvoir d’excommunier a été donné à l’Église dans la personne des premiers pasteurs ; il fait partie du pouvoir des clés que Jesus-Christ même conféra aux apôtres immédiatement & dans leur personne aux évêques, qui sont les successeurs des apôtres. Jesus-Christ, en S. Matthieu, ch. xviij. V. 17. & 18. a ordonné de regarder comme un payen & un publicain, celui qui n’écouteroit pas l’Église. S. Paul usa de ce pouvoir, quand il excommunia l’incestueux de Corinthe ; & tous les apôtres ont eu recours à ce dernier remede, quand ils ont anathématisé ceux qui enseignoient une mauvaise doctrine. L’Eglise a dans la suite employé les mêmes armes, mais en mêlant beaucoup de prudence & de précautions dans l’usage qu’elle en faisoit ; il y avoit même différens degrés d’excommunication, suivant la nature du crime & de la desobéissance. Il y avoit des fautes pour lesquelles on privoit les fideles de la participation au corps & au sang de Jesus-Christ, sans les priver de la communion des prieres. L’évêque qui avoit manqué d’assister au concile de la province, ne devoit avoir avec ses confreres aucune marque extérieure de communion jusqu’au concile suivant, sans être cependant séparé de la communion extérieure des fideles de son diocèse, ni retranché du corps de l’Église. Ces peines canoniques étoient, comme on voit, plûtôt médicinales que mortelles. Dans la suite, l’excommunication ne s’entendit que de l’anathème, c’est-à-dire du retranchement de la société des fideles ; & les supérieurs ecclésiastiques n’userent plus avec tant de modération des foudres que l’Église leur avoit mis entre les mains.

Vers le neuvieme siecle on commença à employer les excommunications pour repousser la violence des petits seigneurs qui, chacun dans leurs cantons, s’étoient érigés en autant de tyrans ; puis pour défendre le temporel des ecclésiastiques, & enfin pour toutes sortes d’affaires. Les excommunications encourues de plein droit, & prononcées par la loi sans procédures & sans jugement, s’introduisirent après la compilation de Gratien, & s’augmenterent pendant un certain tems d’année en année. Les effets de l’excommunication furent plus terribles qu’ils ne l’avoient été auparavant ; on déclara excommuniés tous ceux qui avoient quelque communication avec les excommuniés. Grégoire VII. & quelques-uns de ses successeurs, pousserent l’effet de l’excommunication jusqu’à prétendre qu’un roi excommunié étoit privé de ses états, & que ses sujets n’étoient plus obligés de lui obéir.

Ce n’est pas une question, si un souverain peut & doit même être excommunié en certains cas graves, où l’Église est en droit d’infliger des peines spirituelles à ses enfans rebelles, de quelque qualité ou condition qu’ils soient : mais aussi comme ces peines sont purement spirituelles, c’est en connoître mal la nature & abuser du pouvoir qui les inflige, que de prétendre qu’elles s’étendent jusqu’au temporel, & qu’elles renversent ces droits essentiels & primitifs, qui lient les sujets à leur souverain.

Ecoutons sur cette matiere un écrivain extrèmement judicieux, & qui nous fera sentir vivement les conséquences affreuses de l’abus du pouvoir d’excommunier les souverains, en prétendant soûtenir les peines spirituelles par les temporelles : c’est M. l’abbé Fleuri, qui dans son discours sur l’histoire ecclésiastique, depuis l’an 600 jusqu’à l’an 1200, s’exprime ainsi : « J’ai remarqué que les évêques employoient le bras séculier pour forcer les pécheurs à pénitence, & que les papes avoient commencé plus de deux cents ans auparavant à vouloir par autorité regler les droits des couronnes ; Grégoire VII. suivit ces nouvelles maximes, & les poussa encore plus loin, prétendant ouvertement que, comme pape, il étoit en droit de déposer les souverains rebelles à l’Église. Il fonda cette prétention principalement sur l’excommunication. On doit éviter les excommuniés, n’avoir aucun commerce avec eux, ne pas leur parler, ne pas même leur dire bon jour, suivant l’apôtre S. Jean, ép. II. c. j : donc un prince excommunié doit être abandonné de tout le monde ; il n’est plus permis de lui obéir, de recevoir ses ordres, de l’approcher ; il est exclus de toute société avec les Chrétiens. Il est vrai que Grégoire VII. n’a jamais fait aucune décision sur ce point ; Dieu ne l’a pas permis : il n’a prononcé formellement dans aucun concile, ni par aucune decrétale, que le pape ait droit de déposer les rois ; mais il l’a supposé pour constant, comme d’autres maximes aussi peu fondées, qu’il croyoit certaines. Il a commencé par les faits & par l’exécution.

» Il faut avoüer, continue cet auteur, qu’on étoit alors tellement prévenu de ces maximes, que les défenseurs de Henri IV. roi d’Allemagne se retranchoient à dire, qu’un souverain ne pouvoit être excommunié. Mais il étoit facile à Grégoire VII. de montrer que la puissance de lier & de délier a été donnée aux apôtres généralement, sans distinction de personne, & comprend les princes comme les autres. Le mal est qu’il ajoûtoit des propositions excessives. Que l’Église ayant droit de juger des choses spirituelles, elle avoit, à plus forte raison, droit de juger des temporelles : que le moindre exorciste est au-dessus des empereurs, puisqu’il commande aux démons : que la royauté est l’ouvrage du démon, fondé sur l’orgueil humain ; au lieu que le sacerdoce est l’ouvrage de Dieu : enfin que le moindre chrétien vertueux est plus véritablement roi, qu’un roi criminel ; parce que ce prince n’est plus un roi, mais un tyran : maxime que Nicolas Ier. avoit avancée avant Grégoire VII. & qui semble avoir été tirée du livre apocryphe des constitutions apostoliques, où elle se trouve expressément. On peut lui donner un bon sens, la prenant pour une expression hyperbolique, comme quand on dit, qu’un méchant homme n’est pas un homme : mais de telles hyperboles ne doivent pas être réduites en pratique. C’est toutefois sur ces fondemens que Grégoire VII. prétendoit en général, que suivant le bon ordre c’étoit l’Église qui devoit distribuer les couronnes & juger les souverains, & en particulier il prétendoit que tous les princes chrétiens étoient vassaux de l’église romaine, lui devoient préter serment de fidélité & payer tribut.

» Voyons maintenant les conséquences de ces principes. Il se trouve un prince indigne & chargé de crimes, comme Henri IV. roi d’Allemagne ; car je ne prétens point le justifier. Il est cité à Rome pour rendre compte de sa conduite ; il ne comparoît point. Après plusieurs citations, le pape l’excommunie : il méprise la censure. Le pape le déclare déchû de la royauté, absout ses sujets du serment de fidélité, leur défend de lui obéir, leur permet ou leur ordonne d’élire un autre roi. Qu’en arrivera-t-il ? Des séditions, des guerres civiles dans l’état, des schismes dans l’Église. Allons plus loin : Un roi déposé n’est plus un roi : donc, s’il continue à se porter pour roi, c’est un tyran, c’est-à-dire un ennemi public, à qui tout homme doit courir sus. Qu’il se trouve un fanatique, qui ayant lû dans Plutarque la vie de Timoléon ou de Brutus, se persuade que rien n’est plus glorieux que de délivrer sa patrie ; ou qui prenant de travers les exemples de l’Ecriture, se croye suscité comme Aod, ou comme Judith, pour affranchir le peuple de Dieu : voilà la vie de ce prétendu tyran exposée au caprice de ce visionnaire, qui croira faire une action héroïque, & gagner la couronne du martyre. Il n’y en a, par malheur, que trop d’exemples dans l’histoire des derniers siecles ; & Dieu a permis ces suites affreuses des opinions sur l’excommunication, pour en desabuser au moins par l’expérience.

» Revenons donc aux maximes de la sage antiquité. Un souverain peut être excommunié comme un particulier, je le veux ; mais la prudence ne permet presque jamais d’user de ce droit. Supposé le cas, très-rare, ce seroit à l’évêque aussi-bien qu’au pape, & les effets n’en seroient que spirituels ; c’est-à-dire qu’il ne seroit plus permis au prince excommunié de participer aux sacremens, d’entrer dans l’église, de prier avec les fideles, ni aux fideles d’exercer avec lui aucun acte de religion : mais les sujets ne seroient pas moins obligés de lui obéir en tout ce qui ne seroit point contraire à la loi de Dieu. On n’a jamais prétendu, au moins dans les siecles de l’Église les plus éclairés, qu’un particulier excommunié perdît la propriété de ses biens, ou de ses esclaves, ou la puissance paternelle sur ses enfans. Jesus-Christ, en établissant son évangile, n’a rien fait par force, mais tout par persuasion, suivant la remarque de S. Augustin ; il a dit que son royaume n’étoit pas de ce monde, & n’a pas voulu se donner seulement l’autorité d’arbitre entre deux freres ; il a ordonné de rendre à César ce qui étoit à César, quoique ce César fût Tibere, non-seulement payen, mais le plus méchant de tous les hommes : en un mot il est venu pour réformer le monde, en convertissant les cœurs, sans rien changer dans l’ordre extérieur des choses humaines. Ses apôtres & leurs successeurs ont suivi le même plan, & ont toûjours prêché aux particuliers d’obéir aux magistrats & aux princes, & aux esclaves d’être soûmis à leurs maîtres bons ou mauvais, chrétiens ou infideles ».

Plus ces principes sont incontestables, & plus on a senti, sur-tout en France, que par rapport à l’excommunication il falloit se rapprocher de la discipline des premiers siecles, ne permettre d’excommunier que pour des crimes graves & bien prouvés ; diminuer le nombre des excommunications prononcées de plein droit ; réduire à une excommunication mineure la peine encourue par ceux qui communiquent sans nécessité avec les excommuniés dénoncés ; & enfin soûtenir que l’excommunication étant une peine purement spirituelle, elle ne dispense point les sujets des souverains excommuniés de l’obéissance dûe à leur prince, qui tient son autorité de Dieu même ; & c’est ce qu’ont constamment reconnu non seulement les parlemens, mais même le clergé de France, dans les excommunications de Boniface VIII. contre Philippe-le-Bel, de Jules II. contre Louis XII ; de Sixte V. contre Henri III ; de Grégoire XIII. contre Henri IV ; & dans la fameuse assemblée du clergé de 1682.

En effet, les canonistes nouveaux qui semblent avoir donné tant d’étendue aux effets de l’excommunication, & qui les ont renfermées dans ce vers technique :

Os, orare, vale, communio, mensa negatur.


c’est-à-dire qu’on doit refuser aux excommuniés la conversation, la priere, le salut, la communion, la table, choses pour la plûpart purement civiles & temporelles ; ces mêmes canonistes se sont relâchés de cette sévérité par cet autre axiome aussi exprimé en forme de vers :

Utile, lex, humile, res ignorata, necesse.


qui signifie que la défense n’a point de lieu entre le mari & la femme, entre les parens, entre les sujets & le prince ; & qu’on peut communiquer avec un excommunié si l’on ignore qu’il le soit, ou qu’il y ait lieu d’espérer qu’en conversant avec lui, on pourra le convertir ; ou enfin quand les devoirs de la vie civile ou la nécessité l’exigent. C’est ainsi que François premier communiqua toûjours avec Henri VIII. pendant plus de dix ans, quoique ce dernier souverain eût été solennellement excommunié par Clément VII.

De-là le concile de Paris, en 829, confirme une ordonnance de Justinien, qui défend d’excommunier quelqu’un avant de prouver qu’il est dans le cas où, selon les canons, on est en droit de procéder contre lui par excommunication. Les troisieme & quatrieme conciles de Latran & le premier concile de Lyon, en 1245, renouvellent & étendent ces reglemens. Selon le concile de Trente, sess. 25. c. iij. de reform. l’excommunication ne peut être mise en usage qu’avec beaucoup de circonspection, lorsque la qualité du délit l’exige, & après deux monitions. Les conciles de Bourges en 1584, de Bordeaux en 1583, d’Aix en 1585, de Toulouse en 1590, & de Narbonne en 1609, confirment & renouvellent le decret du concile de Trente, & ajoûtent qu’il ne faut avoir recours aux censures, qu’après avoir tenté inutilement tous les autres moyens. Enfin la chambre ecclésiastique des états de 1614, défend aux évêques ou à leurs officiaux, d’octroyer monitions ou excommunications, sinon en matiere grave & de conséquence. Mém. du clergé, tom. VII. pag. 990. & suiv. 1107. & suiv.

Le cas de l’excommunication contre le prince pourroit avoir lieu dans le fait, & jamais dans le droit ; car par la Jurisprudence reçûe dans le royaume, & même par le clergé, les excommunications que les papes décernent contre les rois & les souverains, ainsi que les bulles qui les prononcent, sont rejettées en France comme nulles. Mém. du clergé, tom. VI. pag. 998. & 1005.

Elles n’auroient par conséquent nul effet, quant au temporel. C’est la doctrine du clergé de France, assemblé en 1682, qui dans le premier de ses quatre fameux articles, déclara que les princes & les rois ne peuvent être, par le pouvoir des clés, directement ou indirectement déposés, ni leurs sujets déliés du serment de fidélité. Doctrine adoptée par tout le clergé de France, & par la faculté de Théologie de Paris. Libert. de l’église gallic. art. 15.

« On ne peut excommunier les officiers du roi, dit M. d’Héricourt, lois ecclésiast. de France, part. I. ch. xxij. art. 27. pour tout ce qui regarde les fonctions de leurs charges. Si les juges ecclésiastiques contreviennent à cette loi, on procede contre eux par saisie de leur temporel. Le seul moyen qu’ils puissent prendre, s’ils se trouvent lésés par les juges royaux inférieurs, c’est de se pourvoir au parlement ; si c’est le parlement dont les ecclésiastiques croyent avoir quelque sujet de se plaindre, ils doivent s’adresser au roi ; ce qui n’auroit point de lieu, si un juge royal entreprenoit de connoître des choses de la foi, ou des matieres purement spirituelles, dont la connoissance est reservée en France aux tribunaux ecclésiastiques : car dans ce cas les juges d’église sont les vengeurs de leur jurisdiction, & peuvent se servir des armes que l’Eglise leur met entre les mains ».

Comme nous ne nous proposons pas de donner ici un traité complet de l’excommunication, nous nous contenterons de rapporter les principes les plus généraux, les plus sûrs, & les plus conformes aux usages du royaume sur cette matiere.

Lorsque dans une loi ou dans un jugement ecclésiastique on prononce la peine de l’excommunication, la loi ou le jugement doivent s’entendre de l’excommunication majeure qui retranche de la communion des fideles.

L’excommunication est prononcée ou par la loi qui déclare que quiconque contreviendra à ses dispositions, encourra de plein droit la peine de l’excommunication, sans qu’il soit besoin qu’elle soit prononcée par le juge ; ou elle est prononcée par une sentence du juge. Les canonistes appellent la premiere excommunication, latæ sententiæ ; & la seconde, excommunication ferendæ sententiæ. Il faut néanmoins observer que comme on doit toûjours restraindre les lois pénales, l’excommunication n’est point encourue de plein droit, à moins que la loi ou le canon ne s’exprime sur ce sujet d’une maniere si précise, que l’on ne puisse douter que l’intention du législateur n’ait été de soûmettre par le seul fait à l’excommunication ceux qui contreviendront à la loi.

Les excommunications prononcées par la loi, n’exigent point de monitions préalables ou monitoires ; mais les excommunications à prononcer par le juge, en exigent trois, faites dans des intervalles convenables. Voyez Monitoire.

On peut attaquer une excommunication, ou comme injuste, ou comme nulle : comme injuste, quand elle est prononcée pour un crime dont on est innocent, ou pour un sujet si leger, qu’il ne mérite pas une peine si grave : comme nulle, quand elle a été prononcée par un juge incompétent, pour des affaires dont il ne devoit pas prendre connoissance, & quand on a manqué à observer les formalités prescrites par les canons & les ordonnances. Néanmoins l’excommunication, même injuste, est toûjours à craindre ; & dans le for extérieur, l’excommunié doit se conduire comme si l’excommunication étoit légitime.

Le premier effet de l’excommunication est que l’excommunié est séparé du corps de l’Eglise, & qu’il n’a plus de part à la communion des fideles. Les suites de cette séparation sont que l’excommunié ne peut ni recevoir ni administrer les sacremens, ni même recevoir après sa mort la sépulture ecclésiastique, être pourvû de bénéfices pendant sa vie ou en conférer, ni être élû pour les dignités, ni exercer la jurisdiction ecclésiastique. On ne peut même prier pour lui dans les prieres publiques de l’Eglise : & de-là vient qu’autrefois on retranchoit des dyptiques les noms des excommuniés. Voy. Dyptiques. Il est même défendu aux fideles d’avoir aucun commerce avec les excommuniés : mais comme le grand nombre des excommunications encourues par le seul fait avoient rendu très-difficile l’exécution des canons qui défendent de communiquer avec des excommuniés, le pape Martin V. fit dans le concile de Constance une constitution qui porte, qu’on ne sera obligé d’éviter ceux qui sont excommuniés par le droit, ou par une sentence du juge, qu’après que l’excommunication aura été publiée, & que l’excommunié aura été dénoncé nommément. On n’excepte de cette regle que ceux qui sont tombés dans l’excommunication pour avoir frappé un clerc, quand le fait est si notoire qu’on ne peut le dissimuler, ni le pallier par aucune excuse quelque qu’elle puisse être. La dénonciation des excommuniés nommément, doit se faire à la messe paroissiale pendant plusieurs dimanches consécutifs ; & les sentences d’excommunication doivent être affichées aux portes des églises, afin que ceux qui ont encouru cette peine soient connus de tout le monde. Depuis la bulle de Martin V. le concile de Bâle renouvella ce decret, avec cette différence que, suivant la bulle de Martin V. on n’excepte de la loi, pour la dénonciation des excommuniés, que ceux qui ont frappé notoirement un clerc, qu’on est obligé d’éviter dès qu’on sait qu’ils ont commis ce crime ; au lieu que le concile de Bâle veut qu’on évite tous ceux qui sont excommuniés notoires, quoiqu’ils n’ayent pas été publiquement dénoncés. Cet article du concile de Bâle a été inséré dans la pragmatique sans aucune modification, & repété mot pour mot dans le concordat. Cependant on a toûjours observé en France de n’obliger d’éviter les excommuniés que quand ils ont été nommément dénoncés, même par rapport à ceux dont l’excommunication est connue de tout le monde, comme celle des personnes qui font profession d’hérésie. Voyez Concordat & Pragmatique.

Avant que de dénoncer excommunié celui qui a encouru une excommunication latæ sententiæ, il faut le citer devant le juge ecclésiastique, afin d’examiner le crime qui a donné lieu à l’excommunication, & d’examiner s’il n’y auroit pas quelque moyen légitime de défense à proposer. Au reste, ceux qui communiquent avec un excommunié dénoncé, soit pour le spirituel, soit pour le temporel, n’encourent qu’une excommunication mineure.

Dès qu’un excommunié dénoncé entre dans l’Eglise, on doit faire cesser l’office divin ; en cas que l’excommunié ne veuille pas sortir, le prêtre doit même abandonner l’autel ; cependant s’il avoit commencé le canon, il devroit continuer la sacrifice jusqu’à la communion inclusivement, après laquelle il doit se retirer à la sacristie pour y réciter le reste des prieres de la messe : tous les canonistes conviennent qu’on doit en user ainsi.

Dans la primitive Eglise, la forme d’excommunication étoit fort simple : les évêques dénonçoient aux fideles les noms des excommuniés, & leur interdisoient tout commerce avec eux. Vers le jx. siecle, on accompagna la fulmination de l’excommunication d’un appareil propre à inspirer la terreur : douze prêtres tenoient chacun une lampe à la main, qu’ils jettoient à terre & fouloient aux piés : après que l’évêque avoit prononcé l’excommunication, on sonnoit une cloche, & l’évêque & les prêtres proféroient des anathèmes & des malédictions. Ces cérémonies ne sont plus guere en usage qu’à Rome, ou tous les ans le jeudi-saint, dans la publication de la bulle in cæna Domini (voyez Bulle), l’on éteint & l’on brise un cierge : mais l’excommunication en soi n’est pas moins terrible & n’a pas moins d’effet, soit qu’on observe ou qu’on omette ces formalités.

L’absolution de l’excommunication étoit anciennement réservée aux évêques : maintenant il y a des excommunications dont les prêtres peuvent relever : il y en a de réservées aux évêques, d’autres au pape. L’absolution du moins solennelle de l’excommunication est aussi accompagnée de cérémonies. Lorsqu’on s’est assûré des dispositions du pénitent, l’évêque à la porte de l’église, accompagné de douze prêtres en surplis, six à sa droite & six à sa gauche, lui demande s’il veut subir la pénitence ordonnée par les canons, pour les crimes qu’il a commis ; il demande pardon, confesse sa faute, implore la pénitence, & promet de ne plus tomber dans le desordre : ensuite l’évêque assis & couvert de sa mitre récite les sept pseaumes avec les prêtres, & donne de tems en tems des coups de verge ou de baguette à l’excommunié, puis il prononce la formule d’absolution qui a été déprécative jusqu’au xiij. siecle, & qui depuis ce tems là est impérative ou conçue en forme de sentence ; enfin il prononce deux oraisons particulieres, qui tendent à rétablir le pénitent dans la possession des biens spirituels dont il avoit été privé par l’excommunication. A l’égard des coups de verges sur le pénitent, le pontifical qui prescrit cette cérémonie, comme d’usage à Rome, avertit qu’elle n’est pas reçue par-tout, & ce fait est justifié par plusieurs rituels des églises de France, tels que celui de Troyes en 1660, & celui de Toul en 1700.

Lorsqu’un excommunié a donné avant sa mort des signes sinceres de repentir, on peut lui donner après sa mort l’absolution des censures qu’il avoit encourues.

Comme un excommunié ne peut ester en jugement, on lui accorde une absolution indicielle ou absolutio ad cautelam, pour qu’il puisse librement poursuivre une affaire en justice : cette exception n’est pourtant pas reçue en France dans les tribunaux séculiers. C’est à celui qui a prononcé l’excommunication, ou à son successeur, qu’il appartient d’en donner l’absolution. Sur toute cette matiere de l’excommunication, on peut consulter le pere Morin, de pœnit. Eveillon, traité des censures ; M. Dupin, de antiq. eccles. discipl. dissert. de excomm. l’excellent ouvrage de M. Gibert, intitulé, usage de l’église gallicane, contenant les censures ; les lois ecclésiast. de France, par M. d’Héricourt, premiere part. chap. xxij. & le nouvel abregé des mémoires du clergé, au mot censures. (G)

Lisez aussi le traité des excommunications, par Collet, Dijon 1689, in-12. & qui a été réimprimé depuis à Paris. Cette matiere est digne de l’attention des souverains, des sages, & des citoyens. On ne peut trop refléchir sur les effets qu’ont produit les foudres de l’excommunication, quand elles ont trouvé dans un état des matieres combustibles, quand les raisons politiques les ont mises en œuvre, & quand la superstition des tems les ont souffertes. Grégoire V. en 998, excommunia le roi Robert, pour avoir épousé sa parente au quatrieme degré ; mariage en soi légitime, & des plus nécessaires au bien de l’état. Tous les évêques qui eurent part à ce mariage, allerent à Rome faire satisfaction au pape : les peuples, les courtisans mêmes se séparerent du roi ; & les personnes qui furent obligées de le servir, purifierent par le feu, toutes les choses qu’il avoit touchées.

Peu d’années après en 1092, Urbain II. excommunia Philippe I. petit-fils de Robert, pour avoir quitté sa parente. Ce dernier prononça sa sentence d’excommunication dans les propres états du roi, à Clermont en Auvergne, où sa sainteté venoit chercher un asyle ; dans ce même concile où elle prêcha la croisade, & où pour la premiere fois le nom de pape fut donné au chef de l’Eglise, à l’exclusion des évêques qui le prenoient auparavant. Tant d’autres monumens historiques, que fournissent les siecles passés sur les excommunications, & les interdits des royaumes, ne seroient cependant qu’une connoissance bien stérile, si on n’en chargeoit que sa mémoire. Mais il faut envisager de pareils faits d’un œil philosophique, comme des principes qui doivent nous éclairer, & pour me servir des termes de M. d’Alembert, comme des recueils d’expériences morales faites sur le genre humain. C’est de ce côté là que l’histoire devient une science utile & précieuse. Voy. Histoire. Addition de M. le Chevalier de Jaucourt.