L’Encyclopédie/1re édition/CEMENTATOIRE

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CEMENTATOIRE, (eau) (Hist. nat. & Minéralogie) aqua camentatoria ; en Allemand, cement wasser. L’on nomme ainsi des sources d’eau très-chargées de vitriol de Venus, que l’on trouve au fond de plusieurs mines de cuivre ; on en voit sur-tout en Hongrie, près de la ville de Neusol, au pié des monts Krapacks. On leur attribue vulgairement la propriété de convertir le fer en cuivre, quoique pour peu que l’on ait de connoissance de la Chimie, il soit facile de voir qu’il ne se fait point de transmutation, mais seulement une simple précipitation causée par le fer que l’on trempe dans cette eau. Voici comment on s’y prend pour faire cette prétendue transmutation.

L’eau cémentatoire est très-claire & très-limpide dans sa source ; l’on fait des réservoirs pour la recevoir, afin qu’elle puisse s’y rassembler : l’on fait entrer l’eau de ces réservoirs dans des auges ou canaux de bois, qui ont environ un pié de large & autant de profondeur. Quant à leur longueur elle n’est point déterminée ; on la pousse aussi loin que l’on peut, quelquefois même jusqu’à 100 ou 150 piés ; on appelle ces auges ou canaux cementers, suivant M. Schlutter, on les remplit de vieille ferraille autant qu’il y en peut tenir ; l’on fait ensuite entrer l’eau cémentatoire dans ces auges : elle couvre le fer, le dissout, & le détruit, & met en sa place le cuivre dont elle est chargée ; il prend la figure & la forme que la ferraille avoit auparavant, de sorte qu’en trois mois de tems, plus ou moins, suivant la force de l’eau vitriolique, tout le fer se trouve consommé & détruit, & le cuivre est entierement précipité. La raison pour laquelle le cuivre précipité prend la même figure qu’avoit le fer, c’est que l’acide vitriolique ayant plus d’affinité avec le fer, lâche le cuivre qu’il tenoit en dissolution pour s’y attacher ; il arrive de-là qu’il se précipite précisément autant de cuivre, qu’il se dissout de fer ; de façon que l’un prend la place de l’autre, & qu’il se met toûjours une particule de cuivre à la place de celle de fer, qui a été mise en dissolution. Voyez Wallerius, Hydrologie, p. 62. §. 23.

Voilà la maniere dont on s’y prend pour obtenir à peu de frais & sans grande peine, une quantité quelquefois très-considérable de cuivre très-bon, & que l’on dit même plus ductile & plus malléable que celui, qui par des fontes réitérées a été tiré de sa mine. Ce cuivre est mou & semblable à du limon tant qu’il est sous l’eau ; mais il prend de la consistance, & se durcit aussi-tôt qu’il vient à l’air.

Les deux plus fameuses sources d’eau de cémentation de la Hongrie, sont celles de Smolnitz & des Heregrund ; l’on assûre que la premiere peut fournir tous les ans, jusqu’à 600 quintaux de cuivre précipité de la maniere qui vient d’être décrite ; ce qui vient de la grande abondance de cette source, & de la prodigieuse quantité de vitriol de Venus dont elle est chargée : outre cela le fer que l’on y met tremper, se trouve entierement dissous en trois semaines de tems, & le cuivre a pris sa place ; au lieu que dans d’autres sources, il faut trois mois, & même quelquefois un an, pour que cette opération se fasse.

L’on trouve en Hongrie plusieurs autres sources qui ont les mêmes propriétés ; il y en a de pareilles en Allemagne, près de Goslar, en Suede, &c. L’on attribue la même qualité à une source que l’on voit à Chiessy, dans le Lyonnois. Voyez E. Schwedenborg, tom. III. pag. 49. & suiv. Henckel nous explique, dans sa Pyritologie, pag. 764, la cause de ces phénomenes, savoir, que les eaux qui composent ces sources, venant à passer sur des pyrites cuivreuses, qui ont été décomposées dans les entrailles de la terre, en détachent les parties vitrioliques qui s’y sont formées, & les entraînent avec elles.

C’étoit une transmutation semblable à celle qui vient d’être décrite, que produisirent, il y a quelques années, des personnes qui avoient trouvé le secret d’obtenir un privilége exclusif, pour convertir le fer en cuivre dans toute l’étendue du royaume ; l’on fut très-flatté de l’idée de pouvoir se passer du cuivre de l’étranger, & de pouvoir en produire autant que l’on voudroit. Tout le secret consistoit dans une eau vitriolique, où en faisant tremper du fer, il se faisoit une précipitation du cuivre tout-à-fait semblable à celle que nous venons d’expliquer dans cet article : mais comme ces convertisseurs de métaux n’avoient point à leur disposition, une source d’eau vitriolique aussi abondante que celle de Smolnitz, qui pût fournir long-tems à faire leur prétendue transmutation, la fraude se découvrit, & le public fut en peu de tems desabusé. (—)