L’Encyclopédie/1re édition/CANELLE
CANELLE, s. f. (Botanique exotique.) c’est la seconde écorce & l’intérieure d’un arbre qui ne croît plus que dans l’île de Ceylan.
Les Hollandois sont parvenus à faire seuls le commerce de la canelle. Les histoires anciennes ne nous fournissent pas d’exemples de nation, qui ait fait dans le commerce en aussi peu de tems un progrès pareil à celui des Hollandois, surtout au milieu des guerres étrangeres & des divisions domestiques. Plusieurs causes ont concouru à procurer aux Hollandois ce grand avantage ; la nécessité de se domicilier dans un terroir ingrat, d’y subsister par artifice, de défendre des prises sur mer, les formerent d’abord à de petites courses, ensuite à des armemens, enfin à la navigation, à la création de puissantes compagnies, & au commerce le plus étendu dans les quatre parties du monde. Aussi cette nation possede en ce genre des qualités très-essentielles : de ce nombre sont un génie né pour la pêche, une frugalité naturelle, un goût dominant pour l’épargne, pour le travail, & pour la propreté, qui sert à conserver leurs vaisseaux & leurs équipages. Ajoûtez-y leur industrie & leur perséverance à supporter les plus grandes pertes sans se rebuter.
Par tous ces moyens ils établirent dans l’île de Java un second siége de leur empire, conquirent sur les Portugais d’un côté les îles Molucques, produisant seules le girofle, voyez Girofle ; & de l’autre l’île de Ceylan, autrefois Taprobane, seule féconde en canelle, écorce précieuse, d’un goût admirable, thrésor de luxe & de commerce, qui de superflu est devenu nécessaire.
Entrons dans les détails ; M. Geoffroi me fournira ceux de Botanique ; les Hollandois, éclairés sur cette matiere, m’en ont confirmé l’exactitude.
Description de la canelle. La canelle commune, cinnamomum des boutiques, est une écorce mince, tantôt de l’épaisseur d’une carte à joüer, tantôt de la grosseur de deux lignes : elle est roulée en petits tuyaux ou cannules, de la longueur d’une coudée, d’une demi-coudée, plus ou moins, d’un pouce de large le plus souvent ; d’une substance ligneuse & fibreuse, cassante cependant, dont la superficie est quelquefois ridée, quelquefois unie, de couleur d’un jaune rougeâtre, ou tirant sur le fer ; d’un goût acre, piquant, mais agréable, douceâtre, aromatique, un peu astringent, d’une odeur douce & très-pénétrante.
L’arbre qui la produit est le cinnamomum, foliis latis, ovalis, frugiferum, Burm. Ther. Zeyl. pag. 62. tab. 27. laurus foliis oblongo-ovatis, trinerviis, nitidis, planis, Linn. Hort. Cliffort, 154.
Description du canellier. La racine de cet arbre est grosse, partagée en plusieurs branches, fibreuse, dure, couverte d’une écorce d’un roux grisâtre en dehors, rougeâtre en-dedans, qui approche de l’odeur du camphre ; le bois de cette racine est solide, dur, blanchâtre, & sans odeur.
Le tronc s’éleve à trois ou quatre toises, & il est couvert aussi bien que les branches qui sont en grand nombre, d’une écorce qui est verte d’abord, & qui rougit ensuite avec le tems : elle enveloppe le bois avec une petite peau & une croute grise ; son goût est foible lorsqu’elle est verte, mais douceâtre, acre, aromatique, & très-agréable lorsqu’elle est seche ; cette écorce récente, séparée de sa croûte qui est grise & inégale, enlevée en son tems, & séchée au soleil, s’appelle canelle ; le bois est dur intérieurement, blanc, & sans odeur.
Les feuilles naissent tantôt deux à deux, tantôt seule à seule : elles sont semblables aux feuilles du laurier ou du citronier ; elles sont longues de plus d’un palme, lisses, luisantes, ovalaires, terminées en pointe : lorsqu’elles sont tendres, elles ont la couleur de foie ; selon qu’elles sont plus vieilles, plus seches, elles sont d’un verd foncé en-dessus, & d’un verd plus clair en-dessous, soûtenues d’une queue d’un demi-pouce, épaisse, cannelée, terminée par trois filets nerveux qui s’étendent tout le long de la feuille, saillans des deux côtés, d’où partent de petites nervures transversales : enfin elles ont le goût & l’odeur de la canelle, caractere qui les distingue principalement de la feuille du malabathrum.
Les fleurs sont petites, étoilées, à six pétales, blanchâtres, & comme disposées en gros bouquet à l’extrémité des rameaux, portées sur des pédicules d’un beau verd, d’une odeur agréable, & qui approche de celle du muguet. Au milieu de la fleur est renfermé un petit cœur composé de deux rangs d’étamines, avec un pistil verd, noirâtre au sommet, qui se change en une baie ovalaire, longue de quatre ou cinq lignes, lisse, verte, d’abord, ensuite d’un brun bleuâtre, tachetée de pointes blanchâtres, fort attachées à un calice un peu profond, un peu épais, verd, partagé en six pointes.
Elle contient sous une pulpe verte, onctueuse, astringente, un peu acre & aromatique, un petit noyau cassant, qui renferme une amande ovalaire, acre, presque de couleur de chair, ou de pourpre légere.
Cet arbre naît, & ne se trouve présentement que dans l’île de Ceylan, où il seroit aussi commun dans les forêts & dans les haies, que le coudrier l’est parmi nous, si on n’avoit grand soin de l’arracher. Aussi ne le cultive-t-on que dans un espace d’environ quatorze lieues le long de la mer : mais cette petite étendue de pays en produit si abondamment, que sur le pié de la consommation de canelle qui se fait aujourd’hui, Ceylan en pourroit fournir aisément à quatre mondes comme le nôtre.
Les canelliers doivent avoir un certain nombre d’années avant qu’on enleve leur écorce : suivant même le terroir, la culture, & l’espece, ils donnent la canelle plus ou moins promptement. Ceux qui croissent dans des vallées couvertes d’un sable menu, pur & blanchâtre, sont propres à être écorcés au bout de trois ans ; au lieu que ceux qui sont plantés dans des lieux humides & marécageux, profitent beaucoup moins vîte. Ceux qui sont situés à l’ombre des grands arbres qui leur derobe les rayons du soleil, parviennent aussi plus tard à la maturité ; il y a même quelque différence entre les écorces des uns & des autres. L’écorce des canelliers plantés dans des lieux humides & ombragés, a un peu plus le goût du camphre, que celle de ceux qui viennent à découvert dans un terrein sabloneux ; car l’influence du soleil rend le camphre si volatil, qu’il se mêle facilement avec les sucs de l’arbre, & que s’élevant entre le bois & la membrane intérieure & tendre de l’écorce, il se répand si parfaitement entre les branches & dans les feuilles où il se transforme, qu’il ne se laisse plus distinguer, & que ce qui en reste n’est pas sensible.
L’odeur du canellier est admirable quand il est en fleur ; & lorsque les vents favorables soufflent de terre, le parfum en est porté fort avant dans la mer, ensorte qu’au rapport de quelques voyageurs, ceux qui navigent alors dans ces contrées, sentent cette odeur suave à quelques milles de distance du rivage.
Méthode en usage pour tirer la canelle de l’arbre. La canelle des boutiques est l’écorce tirée des canelliers de trois ans : on a coûtume de l’enlever au printems & en automme, dans le tems que l’on observe une seve abondante entre l’écorce & le bois ; lorsqu’on l’a enlevée, on sépare la petite écorce extérieure grise & raboteuse ; ensuite on la coupe par lames, on l’expose au soleil ; & là en se séchant, elle se roule d’elle-même comme nous la voyons : on choisit sur-tout le printems, & lorsque les arbres commencent à fleurir, pour enlever cette écorce. Après qu’on l’a enlevée, l’arbre reste nud pendant deux ou trois ans ; enfin au bout de ce tems il se trouve revêtu d’une nouvelle écorce, & est propre à la même opération.
La canelle Portugaise ne subsiste plus. On a eu pendant quelque tems dans le commerce cette canelle, qu’on appelloit canelle sauvage, canelle grise, qui croissoit dans le royaume de Cochin, sur la côte de Malabar ; les Portugais chassés par les Hollandois de Ceylan ; débitoient cette canelle sauvage à la place de la véritable ; mais ce debit n’a pas duré longtems : ces derniers ne virent pas sans envie le négoce de la canelle Portugaise, & l’on croit que cette jalousie fut en partie la cause qui les engagea de s’emparer en 1661 de Cochin, dont ils firent arracher toute la canelle sauvage, afin de se trouver seuls maîtres dans le monde de cette précieuse épicerie.
On demande si les anciens ont connu notre canelle, & si le cinnamome dont il est tant parlé dans les écrits des anciens, étoit la canelle de nos jours : problème qui partage tous les auteurs.
Il est d’abord certain que le kin-namom des Hébreux, mentionné dans l’Ecriture-sainte, Exode xx. 33. cantiq. iv : 14. n’est point celui des Grecs & des Romains, encore moins quelque canelle d’Amérique, ou celle des Indes orientales. Le nouveau monde n’étoit pas connu, & le commerce avec l’île de Ceylan ou de Taprobane, n’étoit pas ouvert. Dieu ordonne à Moyse de prendre du kin-namom avec divers autres aromates, & d’en composer une huile de parfum pour oindre le tabernacle. Il s’agit donc ici d’une gomme, ou d’une huile, plûtôt que d’une écorce ou d’un bois odorant.
La difficulté est bien plus grande à l’égard du cinnamome des autres peuples. Quelques-uns pensent que leur cinnamome étoit les tendres rameaux de l’arbre qui porte le clou de girofle : mais ils ne songent pas que si les anciens eussent connu cet arbre, ils n’auroient pas omis, comme ils l’ont fait, de parler de ses fruits, qui sont si remarquables par leur aromate, leur goût piquant, & leur odeur pénétrante.
Ceux qui prétendent que le cinnamomum des anciens, de Théophraste, Dioscoride, Galien, & Pline, est notre canelle moderne, s’appuient sur la ressemblance des caracteres de cet arbrisseau avec notre canellier, dans la description que ces anciens écrivains nous ont donnée de la petitesse de l’écorce, de son odeur, de son goût, de ses vertus, & de son prix : mais on combat les sectateurs de cette opinion précisément par les mêmes armes qu’ils employent pour la défendre. On leur oppose que les anciens distinguant plusieurs especes de cinnamomum, une mosylitique noirâtre, d’un gris vineux, qui est la plus excellente, acre, échauffante, & salée en quelque maniere, une autre de montagne, une noire, une blanche ; aucune de ces especes ne convient à notre canelle : d’où l’on conclut que les anciens Grecs & Romains ne l’ont point connue. Les curieux trouveront toutes les raisons possibles en faveur de ce dernier sentiment, rassemblées dans un ouvrage exprès de Balthasar Michacl Campi, intitulé : Spicilegio botanico, nel quale si manifesta lo sconosciuto cinnamomo delli antichi. Lucca, 1652, in-4o.
Sans décider une question susceptible de raisons pour & contre, nous nous contenterons de remarquer, que les anciens n’ayant point déterminé clairement ni unanimement ce qu’ils entendoient par leur cinnamomum, nous n’en pouvons juger qu’en aveugles ; ils n’en connoissoient pas même l’histoire, comme il est aisé de le prouver.
Pline raconte que les marchands qui l’apportoient en Europe, faisoient un voyage si long & si périlleux, qu’ils étoient quelquefois cinq ans sans revenir ; que la plûpart mouroient en chemin ; & que la plus considérable partie de ce trafic se faisoit par des femmes. L’éloignement du lieu dont on tiroit la marchandise, la longueur du trajet, l’avidité du gain, le prix naturel de la chose, les diverses mains par lesquelles elle passoit ; en faut-il davantage pour donner lieu à toutes les fables qu’on débitoit sur l’origine de la production végétale qu’ils nommerent cinnamomum ?
Du tems de Galien elle étoit déjà si rare, qu’on n’en trouvoit plus que dans les cabinets des Empereurs. Pline ajoûte que le prix en étoit autrefois très-considérable, & que ce prix étoit augmenté de moitié par le dégât des Barbares, qui en avoient brûlé tous les plants. Seroit-il donc hors de vraissemblance de penser que le cinnamome des anciens nous est entierement inconnu, & qu’il est présentement perdu ?
Il n’en arrivera pas de même de notre canelle, ni du canellier : description exacte, planches, culture, débit, usage en Medecine, tant de préparations qu’on en tire, ou dans lesquelles elle entre ; tout nous assûre son immortalité.
Du débit qui s’en fait, de ses diverses sortes, & de son choix. J’ai déjà remarqué que la compagnie des Indes orientales en Hollande étoit seule maîtresse de la canelle : mais au lieu d’en augmenter la quantité par la multiplication des arbres qui la produisent, ce qui seroit facile, la compagnie prend grand soin de faire arracher de tems en tems une partie de ceux qui croissent sans culture, ou qui ne seroient pas dans de certains districts de l’île : elle sait par une expérience de près de cent ans la quantité de canelle qu’il lui faut pour le commerce, & est persuadée qu’elle n’en débiteroit pas davantage, quand même elle la donneroit à meilleur marché.
On juge que ce que cette compagnie en apporte en Europe, peut aller à environ six cents mille livres pesant par an, & qu’elle en débite à peu-près autant dans les Indes.
Il s’en consomme une grande quantité en Amérique, particulierement au Pérou pour le chocolat, dont les Espagnols ne peuvent se passer.
Ce qu’on appelle à Ceylan le champ de la canelle, & qui appartient en entier à la compagnie Hollandoise, est depuis Négambo jusqu’à Gallieres : la meilleure canelle est celle des environs de Négambo & de Colombo.
On en distingue de trois sortes, de fine, de moyenne ; & de grossiere : cette diversité procede de la variété, non-seulement des arbres dont on la tire, par rapport à leur âge, leur position, leur culture, mais encore des différentes parties de l’arbre : car la canelle d’un jeune arbre differe de celle d’un vieux arbre ; l’écorce du tronc, de celle des branches ; & l’écorce de la racine, de celle de l’un & de l’autre : les jeunes arbres produisent la plus fine, & toûjours de moindre qualité à mesure qu’ils acquierent plus de trois ans.
Ainsi cette canelle grossiere, connue communément dans le commerce sous le nom de canelle matte, n’est autre chose que des écorces de vieux troncs de canelliers : une telle écorce est de beaucoup inférieure par son odeur, son goût, & ses vertus, à la fine canelle ; aussi la doit-on rejetter en Medecine.
On demande pour le choix de la bonne canelle, qu’elle soit fine, unie, facile à rompre, mince, d’un jaune tirant sur le rouge, odorante, aromatique, d’un goût vif piquant, & cependant douçâtre & agréable : celle dont les morceaux en même tems sont petits, & les bâtons longs, ont la préférence par les connoisseurs.
Il semble que toute sa vertu consiste dans une pellicule très-fine, qui revêt intérieurement cette écorce ; du moins a-t-on lieu d’en juger ainsi, si ce que dit Herman est vrai, qu’on retire plus d’huile d’une livre de cette pellicule, que de six livres de l’écorce entiere.
De ses falsifications. Il y a des gens qui pour gagner sur le débit de cette épicerie, la mêlangent avec des écorces de même grosseur & couleur ; d’autres la vendent après en avoir tiré les vertus par la distillation. Ces fraudes se connoîtront aisément, tant au goût qu’à l’odorat. On dit qu’en laissant séjourner pendant long-tems des bâtons de canelle privés par la distillation de leur huile odorante, parmi de bonne canelle, ils reprennent leurs vertus. Mais, suivant la remarque de Boerhaave, si le fait est vrai, c’est aux dépens de la bonne canelle sur laquelle on les a mis ; & alors il est évident qu’elle doit avoir perdu tout ce qu’ils ont recouvré. Cependant comme il n’est pas possible dans l’achat de la canelle de goûter tous les bâtons les uns après les autres, le vrai secret est de la prendre chez d’honnêtes négocians, qui méprisent les gains illicites.
Toutes les parties du canellier fournissent des secours à la Medecine : son écorce, sa racine, son tronc, ses tiges, ses feuilles, ses fleurs, & son fruit : on en tire des eaux distillées, des sels volatils, du camphre, du suif ou de la cire, des huiles précieuses ; l’on en compose des sirops, des pastilles, des essences odoriférantes, d’autres qui convertissent en hypocras toutes sortes de vins ; en un mot c’est le roi des arbres à tous ces égards. Prouvons-le en détail.
De la distillation de l’huile de canelle, & de sa nature. Newman dit que la canelle est un singulier composé de parties huileuses, salines, résineuses, gommeuses, & sur-tout terrestres, ensorte que dans une livre de canelle il y a presque les trois quarts d’une terre indissoluble, deux onces d’une substance résineuse, une once & demie d’une substance gommeuse, & près d’une dragme d’une huile essentielle.
Cette huile vient dans la distillation avec une eau blanche au fond de la quelle elle se précipite, parce qu’elle est plus pesante en pareil volume. La qualité essentielle de cette eau & de cette huile, logée dans leur esprit recteur invisible, qui n’en augmente ni n’en diminue le poids, est un phénomene bien surprenant.
Si l’on distille la canelle quand elle est récente, elle donne plus d’huile que quand elle est vieille : delà vient peut-être que quelques chimistes disent n’avoir tiré qu’une dragme d’huile, & d’autres deux, d’une livre de canelle : mais il se peut aussi que l’art de la distillation y concoure pour beaucoup, s’il est vrai qu’il y a des artistes qui savent tirer près d’une once d’huile pure d’une livre de canelle, par le moyen de l’esprit-de-vin préparé d’une certaine maniere, dont ils font un secret. C’est aux Indes même, à Ceylan, à Batavia, qu’on fait la distillation de la plus grande partie d’huile de canelle qui se débite en Europe ; les Droguistes & Apothicaires Hollandois trouvant encore mieux leur compte à l’acheter de la compagnie, qu’à la tirer de la canelle par la distillation.
Mais comme cette huile est extrèmement chere, & vaut environ cinquante francs l’once, l’amour du gain a fait imaginer des ruses pour l’adultérer finement ; & on y a réussi par le mêlange de l’huile de girofle, qui perdant avec le tems son odeur, ne laisse presqu’aucun moyen de découvrir la falsification.
Suivant le procédé de Boerhaave, on retire par la distillation d’une livre de canelle avec de l’eau bouillante, une liqueur laiteuse, au fond de laquelle on trouve une petite quantité d’huile limpide, rougeâtre, inflammable, brûlante, extrèmement odoriférante, & doüée au suprème degré des qualités essentielles de la canelle : il faut la garder dans une phiole étroite bien bouchée ; il en est de même de la liqueur laiteuse, si recherchée par son agréable odeur, son goût vif & piquant. Cette liqueur étant gardée, dépose un peu d’huile, & devient insensiblement plus claire, & moins aromatique.
Si on conserve l’huile de canelle pendant plusieurs années dans des phioles hermétiquement bouchées, on prétend que la plus grande partie se transformera en un sel qui a les vertus de la canelle, & qui se dissout dans l’eau. Le docteur Slare assûre, dans les Transactions philosophiques, que dans l’espace de vingt ans la moitié d’une certaine quantité d’huile de canelle se changea en sel.
La canelle est donc remplie d’un sel essentiel, soit acide, soit urineux, qui approche du sel ammoniac, uni avec une huile essentielle aromatique, d’où son action paroît dépendre principalement. Toutes les expériences nous manquent sur ce sel.
Du camphre que donne la racine du canellier. Voici d’autres phénomenes. Par la distillation on retire de l’ecorce de la racine du canellier une huile & un sel volatil, ou plûtôt du camphre : l’huile est plus légere que l’eau, limpide, jaunâtre, subtile, & se dissipe aisément dans l’air ; d’une odeur forte, vigoureuse, agréable, qui tient le milieu entre le camphre & la canelle ; d’un goût fort vif : sans employer même la distillation, l’écorce de la racine du canellier rend de tems en tems du camphre en gouttes oléagineuses, qui se coagulent en forme de grains blancs.
Le camphre de la canelle est très-blanc ; il surpasse de beaucoup par la douceur de son odeur le camphre ordinaire ; il est très-volatil, & se dissipe fort aisément ; il s’enflamme promptement, & il ne laisse point de marc après la déflagration.
L’huile que l’on tire de l’écorce de la racine du canellier, est employée extérieurement aux Indes dans les douleurs aux jointures, produites par le froid, dans les rhûmatismes & dans les paralysies ; on l’y donne intérieurement broyée avec du sucre, pour exciter les sueurs, les urines, fortifier l’estomac, chasser les vents, dissiper les catarrhes. On y regarde le camphre du canellier comme le meilleur dont on puisse faire usage en Medecine : on le ramasse avec soin, & il est destiné pour les rois du pays, qui le prennent comme un cordial d’une efficacité peu commune. La blancheur de ce sel, son odeur douce, sa volatilité, sa rareté, assureroient sa fortune quelque part que ce fût. L’eau camphrée qui vient avec l’huile dans la distillation, est extrèmement recommandée à Ceylan dans les fluxions, les fievres malignes, & extérieurement pour dissiper les tumeurs aqueuses & œdémateuses.
De l’usage de l’huile des feuilles du canellier. L’huile des feuilles distillées va au fond de l’eau : elle est d’abord trouble ; elle devient jaunâtre & transparente avec le tems, d’un goût douçâtre, acre, aromatique, sentant un peu la canelle, & approchant un peu de l’odeur du clou de girofle.
Cette huile passe pour un correctif des violens purgatifs : on la donne mêlée avec quelque poudre appropriée, dans les maux d’estomac, les coliques venteuses, & causées par le froid ; bouillie avec de l’huile commune, elle est recommandée dans les compositions des linimens, des cataplasmes nervins ou résolutifs : on prescrit même à Ceylan les seules feuilles du canellier dans les bains aromatiques, & les onguens dessiccatifs.
De l’usage des fleurs du canellier. On obtient des fleurs par la distillation, une eau odoriférante, agréable, bonne contre les vapeurs, propre à rétablir le cours des esprits, à les ranimer, à adoucir la mauvaise haleine, à donner du parfum & de l’agrément à différentes sortes de mets. On prépare encore avec ces fleurs une conserve très-bonne pour les personnes d’un tempérament leucophlegmatique.
De l’usage des fruits & de la cire. Les fruits donnent deux sortes de substances ; on en tire par la distillation une huile essentielle semblable à l’huile de genievre, qui seroit mêlée avec un peu de canelle & de clou de girofle ; & par la décoction on en tire une certaine graisse épaisse, d’une odeur pénétrante, ressemblante au suif par sa couleur, sa consistance, & qu’on met en pain comme le savon.
La compagnie des Indes orientales Hollandoise nous l’apporte sous le nom de cire de canelle, parce que le roi de Candy, province du Mogolistan, en fait faire ses bougies, ses flambeaux, qui rendent une odeur agréable, & sont réservés pour son usage & celui de sa cour. Elle sert d’un remede intérieur & extérieur chez les Indiens ; ils la donnent intérieurement, assez mal-à-propos, dans les contusions, les luxations, les fractures ; ils la font entrer dans les onguens & les emplâtres résolutifs, nerveux, céphaliques : elle pourroit peut-être servir à faire un excellente pommade odorante, pour nettoyer & adoucir la peau, pour les petits boutons, les gerçures, les engelures, &c.
Dans les vieux troncs du canellier, il y a des nœuds résineux qui ont l’odeur du bois de Rhodes : nos ébénistes pourroient en tirer quelque usage pour des ouvrages de leur profession.
De l’usage de la canelle, de l’eau spiritueuse, & de l’huile qu’on en tire par la distillation. Mais de toutes les parties du canellier, nous n’employons guere en Europe dans la Medecine que son écorce, l’eau spiritueuse, & l’huile essentielle qu’on en tire par la distillation.
Les modernes attribuent à l’écorce du canellier, les mêmes vertus que les anciens attribuoient à leur cinnamomum, ou à leur casse en tuyau. Ils l’estiment aromatique, stimulante, corroborative, cordiale, stomachique, emménagogue, styptique. Le docteur Hales démontre, dans ses Essais de statique, cette derniere qualité de la canelle par l’expérience suivante. Il injecta une certaine quantité de cette décoction chaude dans les intestins d’un gros chien ; aussi-tôt les vaisseaux se resserrerent, & retinrent pendant quelque tems la liqueur qu’ils avoient reçûe ; d’où l’on peut inférer que l’effet de cet aromate dans les intestins, seroit d’en arrêter les évacuations trop abondantes, & par conséquent conviendroit aux cours de ventre qui naissent du relâchement des vaisseaux. Elle est cordiale dans l’abattement des esprits, & la défaillance qui en est la suite ; parce que picotant les membranes de l’estomac, elle met les nerfs de ce viscere en jeu : suivant les mêmes raisons elle est emménagogue, quand les regles sont supprimées par l’atonie des vaisseaux : c’est encore d’après les mêmes principes qu’elle est carminative, en dissipant les vents par son action sur l’estomac & les intestins.
En un mot comme c’est le meilleur des aromates, elle en a toutes les propriétés au souverain degré : mais elle en a aussi les inconvéniens. Son usage immodéré ou mal placé, dispose l’estomac à l’inflammation, en crispant les fibres, & resserrant les orifices des glandes stomacales ; ce qui diminue la quantité du suc digestif, & jette un desordre général dans la machine : de plus son usage trop fréquent rend les sucs trop épais, trop acres ; d’où naissent plusieurs maladies chroniques. Il ne faut donc l’employer qu’à propos, & prendre garde d’en continuer l’usage trop long-tems.
L’écorce de camelle entre dans les plus fameuses compositions pharmaceutiques ; & on fait quantité de différentes préparations de cette écorce, dont la principale est l’eau spiritueuse de canelle, qui a les mêmes qualités que l’aromate.
On la prépare en faisant macérer pendant vingt-quatre heures une livre de canelle concassée, dans trois livres d’eau de mélisse distillée & trois livres de vin blanc. On distille la liqueur à un feu violent dans l’alembic avec un réfrigérant. On conserve pour l’usage les trois livres d’eau qui viennent les premieres. Cette eau est trouble, blanchâtre, laiteuse, à cause des parties huileuses de la canelle qui y sont incorporées, & qui lui donnent beaucoup de force.
Mais cette force n’est pas comparable à celle de l’huile pure, qui est vraiment caustique, & qui adoucie par le mêlange du sucre, sous la forme d’un oleosaccharum, est délicieuse au goût. On la prescrit encore depuis une goutte jusqu’à six dans un œuf poché, ou quelques liqueurs convenables. C’est dans cette huile que réside toute l’efficacité de la canelle ; aussi est-elle étonnante par ses effets. Rien de plus agréable, ni de plus admirable, pour animer, échauffer, fortifier tout d’un coup la machine : mais il faut bien se garder d’en faire un usage déplacé. Elle est utile dans les accouchemens laborieux pour l’expulsion du fœtus, de l’arrierefaix & des vuidanges, dans les femmes froides, phlegmatiques, & dont les forces languissent : mais il faut s’abstenir de ce remede dans les tempéramens échauffés, pléthoriques, & dans les cas où l’on craint quelque inflammation. On en éprouve au-contraire le succès dans les maladies qui proviennent d’un phlegme muqueux, dans celles où il regne un défaut de chaleur & de mouvement, occasionné par l’habitude flasque des vaisseaux, ou par la constitution languissante des humeurs.
On peut ajoûter l’huile de canelle aux purgatifs ; non-seulement pour les rendre moins désagréables au goût, mais encore, pour prevenir les flatulences & les tranchées. On la fait entrer dans les linimens, les onguents & les baumes, tant à cause de sa bonne odeur, que parce qu’elle est échauffante, résolutive & discussive.
Comme elle est extrèmement acre, brûlante & corrosive, elle cautérise avec promptitude, quand on l’applique extérieurement ; quelques Chirurgiens l’ont employée dans la carie profonde des os : mais outre qu’on a d’autres remedes plus faciles & plus sûrs, son prix excessif empêche de s’en servir. Tout le monde en connoît l’usage dans le mal de dents : mais elle ne le guérit qu’en déssechant & brûlant le nerf par son acreté caustique ; il ne faut donc l’employer qu’avec prudence dans ce cas-ci, & dans tous ceux dont nous avons parlé.
Auteurs. Je n’en connois point de particuliers sur la canelle ; il n’y a de bonnes figures du canellier, que celles des Botanistes Hollandois ; d’un autre côté, je ne sache aucun voyageur, dont les relations méritent notre confiance sur ce sujet. L’académie des Sciences ne l’a point traité, & l’on trouve peu de détails intéressans dans les Transactions philosophiques. Article communiqué par M. le Chevalier de Jaucourt.
Canelle, (le pays de la) (Géog.) grande contrée de l’île de Ceylan. L’arbre qui fournit la canelle lui a donné son nom, à cause de la grande abondance qu’on en retire. Il y a des mines de pierres précieuses très-riches ; les Hollandois sont maîtres des côtes.