L’Encyclopédie/1re édition/CABINET

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CABINET, s. m. (Architect.) sous ce nom on peut entendre les pieces destinées à l’étude, ou dans lesquelles l’on traite d’affaires particulieres, ou qui contiennent ce que l’on a de plus précieux en tableaux, en bronzes, livres, curiosités, &c. On appelle aussi cabinet, les pieces où les dames font leur toilette, leur oratoire, leur méridienne, ou autres qu’elles destinent à des occupations qui demandent du recueillement & de la solitude. On appelle cabinet d’aisance, le lieu où sont placées les commodités, connues aujourd’hui sous le nom de lieux à soupape.

Les premieres especes de cabinets doivent être pour plus de décence, placés devant les chambres à coucher & non après, n’étant pas convenable que les étrangers passent par la chambre à coucher du maitre pour arriver au cabinet, cette derniere piece chez un homme d’un certain rang, lui servant à conférer d’affaires particulieres avec ceux que son état ou sa dignité amenent chez lui ; par ce moyen le maître, au sortir du lit, peut aller recevoir ses visites, parler d’affaires sans être interrompu par les domestiques, qui pendant son absence entrent dans la chambre à coucher par des dégagemens particuliers, & y font leur devoir, sans entrer dans le lieu qu’habitent les maîtres, à moins qu’on ne les y appelle. Je parle ici d’un cabinet faisant partie d’un appartement destiné à un très-grand seigneur, à qui pour lors il faut plusieurs de ces pieces, qui empruntent leur nom de leurs différens usages, ainsi que nous venons de le dire ci-dessus. On a une piece qu’on appelle le grand cabinet de l’appartement du maître ; elle est consacrée à l’usage dont nous venons de parler ; c’est dans son cabinet paré qu’il rassemble ce qu’il a de tableaux ou de curiosités ; son arriere-cabinet contient ses livres, son bureau, & c’est là qu’il peut recevoir en particulier, à la faveur des dégagemens qui l’environnent, les personnes de distinction qui demandent de la préférence : un autre lui sert de serre-papiers, c’est là que sont conservés sous sa main & en sûreté ses titres, ses contracts, son argent : enfin il y en a un destiné à lui servir de garde-robe & à contenir des lieux à soupape, où il entre par sa chambre à coucher, & les domestiques par un dégagement. Ce detail nous a paru nécessaire.

Il y a encore d’autres cabinets ; on en a un du côté de l’appartement de société, qui a ses usages particuliers ; il peut servir pour un concert vocal ; les lieux pour les concerts composés de beaucoup d’instrumens devant être plus spacieux, alors on les appelle salle de concert ; dans ce même cabinet on peut tenir jeu, pendant que la salle d’assemblée, qui est à côté, serviroit ainsi que celle de compagnie, à recevoir une plus nombreuse société. Un petit sallon peut aussi servir de cabinet au même usage : mais sa forme elliptique, la maniere dont il est plafonné, & principalement les pieces qui l’environnent, lui ont fait donner le nom de sallon, pendant que la piece qui lui est opposée peut recevoir le nom de cabinet, par rapport à l’appartement dont elle fait partie ; cependant il faut avoüer qu’il est, pour ainsi dire, des formes consacrées à l’usage de chaque piece en particulier : par exemple, il semble que les cabinets destinés aux affaires ou à l’étude, doivent être de forme réguliere, à cause de la quantité des meubles qu’ils sont obligés de contenir, au lieu que ceux de concerts, de bijoux, de toilette, & autres de cette espece, peuvent être irréguliers : il faut sur-tout que la décoration des uns & des autres soit relative à leur usage, c’est-à-dire qu’on observe de la gravité dans l’ordonnance des cabinets d’affaires ou d’étude ; de la simplicité dans ceux que l’on décore de tableaux ; & de la légereté, de l’élegance, & de la richesse, dans ceux destinés à la société, sans que pour cela on use de trop de licence.

Il n’y a personne qui ne sente la nécessité qu’il y a de faire précéder les chambres à coucher par les cabinets, sur-tout dans les appartemens qui ne sont composés que d’un petit nombre de pieces.

On appelle aussi cabinets, certains meubles en forme d’armoire, faits de marqueterie, de pieces de rapport & de bronze, servant à serrer des médailles, des bijoux, &c. Ces cabinets étoient fort en usage dans le dernier siecle : mais comme ils ne laissoient pas d’occuper un espace assez considérable dans l’intérieur des appartemens, on les y a supprimés. Il s’en voit encore cependant quelques-uns dans nos anciens hôtels, exécutés par Boule, ébeniste du roi, ainsi que des bureaux, des secrétaires, serre-papiers, bibliotheques, &c. dont l’exécution est admirable, & d’une beauté fort au-dessus de ceux qu’on fait aujourd’hui.

On appelle aussi cabinets, de petits bâtimens isolés en forme de pavillons, que l’on place à l’extrémité de quelque grande allée, dans un parc, sur une terrasse ou sur un lieu éminent ; mais leur forme étant presque toûjours sphérique, elliptique ou à pans couverts, en calotte, & souvent percés à jour, le nom de sallons leur convient davantage ; & lorsque ces pieces sont accompagnées de quelques autres, comme de vestibules, d’anti-chambres, garde-robes, &c. on les nomme belvederes. Voyez Belvedere.

On appelle cabinets de treillage, de petits sallons quarrés, ronds, ou à pans, composés de barreaux de fer maillé d’échalats peints en verd, tels qu’il s’en voit un à Clagny, d’un dessein & d’une élégance très estimable, & plusieurs à Chantilly, d’une distribution très-ingénieuse. (P)

Cabinet d’Histoire naturelle. Le mot cabinet doit être pris ici dans une acception bien différente de l’ordinaire, puisqu’un cabinet d’Histoire naturelle est ordinairement composé de plusieurs pieces & ne peut être trop étendu ; la plus grande salle ou plutôt le plus grand appartement, ne seroit pas un espace trop grand pour contenir des collections en tout genre des différentes productions de la nature : en effet, quel immense & merveilleux assemblage ! comment même se faire une idée juste du spectacle que nous présenteroient toutes les sortes d’animaux, de végétaux, & de minéraux, si elles étoient rassemblées dans un même lieu, & vûes, pour ainsi dire, d’un coup d’œil ? ce tableau varié par des nuances à l’infini, ne peut être rendu par aucune autre expression, que par les objets mêmes dont il est composé : un cabinet d’Histoire naturelle est donc un abregé de la nature entiere.

Nous ne savons pas si les anciens ont fait des cabinets d’Histoire naturelle. S’il y en a jamais eu un seul, il aura été établi chez les Grecs, ordonné par Alexandre, & formé par Aristote. Ce fameux naturaliste voulant traiter son objet avec toutes les vûes d’un grand philosophe, obtint de la magnificence d’Alexandre des sommes très-considérables, & il les employa à rassembler des animaux de toute espece, & à les faire venir de toutes les parties du monde connu. Ses livres sur le regne animal, prouvent qu’il avoit observé presque tous les animaux dans un grand détail, & ne permettent pas de douter qu’il n’eût une ménagerie très-complette à sa disposition, ce qui fait le meilleur cabinet que l’on puisse avoir pour l’histoire des animaux. D’ailleurs les dépouilles de tant d’animaux, & leurs différentes parties disséquées, étoient plus que suffisantes pour faire un très-riche cabinet d’Histoire naturelle dans cette partie ; car on ne peut pas douter qu’Aristote n’ait disséqué les animaux avec soin, puisqu’il nous a laissé des résultats d’observations anatomiques, & qu’il a attribué à certaines especes des qualités particulieres, dont elles sont doüées à l’exclusion de toute autre espece. Pour tirer de pareilles conséquences, il faut avoir, pour ainsi dire, tout vû. Si nous sommes quelquefois tentés de les croire hasardées, ce n’est peut-être que parce que les connoissances que l’on a acquises sur les animaux depuis la renaissance des lettres, ne sont pas encore assez étendues, & que les plus grandes collections d’animaux que l’on a faites sont trop imparfaites en comparaison de celles d’Aristote.

La science de l’Histoire naturelle fait des progrès à proportion que les cabinets se completent ; l’édifice ne s’éleve que par les matériaux que l’on y employe, & l’on ne peut avoir un tout que lorsqu’on a mis ensemble toutes les parties dont il doit être composé. Ce n’a guere été que dans ce siecle que l’on s’est appliqué à l’étude de l’Histoire naturelle avec assez d’ardeur & de succès pour marcher à grands pas dans cette carriere. C’est aussi à notre siecle que l’on rapportera le commencement des établissemens les plus dignes du nom de cabinet d’Histoire naturelle.

Celui du jardin du Roi est un des plus riches de l’Europe. Pour en donner une idée il suffira de faire ici mention des collections dont il est composé, en suivant l’ordre des regnes.

Regne animal. Il y a au cabinet du Roi différens squeletes humains de tout âge, & une très-nombreuse collection d’os remarquables par des coupes, des fractures, des difformités, & des maladies : des pieces d’anatomie injectées & desséchées ; des fœtus de différens âges, & d’autres morceaux singuliers conservés dans des liqueurs : de très-belles pieces d’anatomie représentées en cire, en bois, &c. quelques parties de momies & des concrétions pierreuses tirées du corps humain. Voyez la description du cabinet du Roi, Hist. nat. tome III. Quantité de vêtemens, d’armes, d’ustenciles de sauvages, &c. apportés de l’Amérique & d’autres parties du monde.

Par rapport aux quadrupedes, une très-grande suite de squeletes & d’autres pieces d’ostéologie, & quantité d’animaux & de parties d’animaux conservées dans des liqueurs, des peaux empaillées, une collection de toutes les cornes des quadrupedes, des bézoards, des égagropiles, &c.

De très-beaux squeletes des oiseaux les plus gros & les plus rares ; des oiseaux entiers conservés dans des liqueurs, & d’autres empaillés, &c.

Une nombreuse collection de poissons de mer & d’eau douce desséchés ou conservés dans des liqueurs.

Un très-grand nombre d’especes différentes de serpens, de lésards, &c. recueillis de toutes les parties du monde.

Une très-grande suite de coquilles, de crustacées, &c.

Enfin quantité d’insectes de terre & d’eau, entr’autres une suite de papillons presque complette, & une très-grande collection de fausses plantes marines de toutes especes.

Regne végétal. Des herbiers très-complets faits par M. de Tournefort & par M. Vaillant ; de nombreuses suites de racines, d’écorces de bois, de semences & de fruits de plantes ; une collection presqu’entiere de gommes, de résines, de baumes, & d’autres sucs de végétaux.

Regne minéral. Des collections de terres, de pierres communes & de pierres figurées, de pétrifications, d’incrustations, de résidus pierreux, & de stalactites : une très-belle suite de cailloux, de pierres fines, brutes, polies, façonnées en plaques, taillées en vases, &c. & de pierres précieuses, de crystaux ; toutes sortes de sels & de bitumes, de matieres minérales & fossiles, de demi-métaux & de métaux. Enfin une très-nombreuse collection de minéraux du royaume, & de toutes les parties de l’Europe, surtout des pays du nord, des autres parties du monde, & principalement de l’Amérique.

Toutes ces collections sont rangées par ordre méthodique, & distribuées de la façon la plus favorable à l’étude de l’Histoire naturelle. Chaque individu porte sa dénomination, & le tout est placé sous des glaces avec des étiquettes, ou disposé de la maniere la plus convénable. (I)

* Pour former un cabinet d’Histoire naturelle, il ne suffit pas de rassembler sans choix, & d’entasser sans ordre & sans goût, tous les objets d’Histoire naturelle que l’on rencontre ; il faut savoir distinguer ce qui mérite d’être gardé de ce qu’il faut rejetter, & donner à chaque chose un arrangement convenable. L’ordre d’un cabinet ne peut être celui de la nature ; la nature affecte par-tout un desordre sublime. De quelque côté que nous l’envisagions, ce sont des masses qui nous transportent d’admiration, des groupes qui se font valoir de la maniere la plus surprenante. Mais un cabinet d’Histoire naturelle est fait pour instruire ; c’est-là que nous devons trouver en detail & par ordre, ce que l’univers nous présente en bloc. Il s’agit d’y exposer les thrésors de la nature selon quelque distribution relative, soit au plus ou moins d’importance des êtres, soit à l’intérêt que nous y devons prendre, soit à d’autres considérations moins savantes & plus raisonnables peut-être, entre lesquelles il faut préférer celles qui donnent un arrangement qui plait aux gens de goût, qui intéresse les curieux, qui instruit les amateurs, & qui inspire des vûes aux savans. Mais satisfaire à ces différens objets, sans les sacrifier trop les uns aux autres ; accorder aux distributions scientifiques autant qu’il faut, sans s’éloigner des voies de la nature, n’est pas une entreprise facile ; & entre tant de cabinets d’Histoire naturelle formés en Europe, s’il doit y en avoir de bien rangés, il doit aussi y en avoir beaucoup d’autres qui peut-être auront le mérite de la richesse, mais qui n’auront pas celui de l’ordre. Cependant qu’est-ce qu’une collection d’êtres naturels sans le mérite de l’ordre ? A quoi bon avoir rassemblé dans des édifices, à grande peine & à grands frais, une multitude de productions, pour me les offrir confondues pêle-mêle & sans aucun égard, soit à la nature des choses, soit aux principes de l’histoire naturelle ? « Je dirois volontiers à ces Naturalistes qui n’ont ni gout ni génie : Renvoyez toutes vos coquilles à la mer ; rendez à la terre ses plantes & son engrais, & nettoyez vos appartemens de cette foule de cadavres, d’oiseaux, de poissons, & d’insectes, si vous n’en pouvez faire qu’un chaos où je n’apperçois rien de distinct, qu’un amas où les objets épars ou entassés ne me donnent aucune idée nette & précise. Vous ne savez pas faire valoir l’opulence de la nature, & sa richesse dépérit entre vos mains. Restez au fond de la carriere, taillez des pierres ; mais laissez à d’autres le soin d’ordonner l’édifice ». Qu’on pardonne cette sortie au regret que j’ai de savoir dans des cabinets, même célebres, les productions de la nature les plus prétieuses, jettées comme dans un puits : on accourt sur les bords de ce puits, vous y suivez la foule, vous cherchez à percer les ténebres qui couvrent tant de raretés ; mais elles sont trop épaisses, vous vous fatiguez envain, & vous ne remporterez que le chagrin d’être privé de tant de richesses, soit par l’indolence de celui qui les possede, soit par la négligence de ceux à qui le soin en est confié.

Nous n’aurions jamais fait, si nous entreprenions la critique ou l’éloge de toutes les collections d’Histoire naturelle qui sont en Europe ; nous nous arrêterons seulement à la plus florissante de toutes, je veux dire le cabinet du Roi. Il me semble qu’on n’a rien négligé, soit pour faire valoir, soit pour rendre utile ce qu’il renferme. Il a commencé dès sa naissance à intéresser le public par sa propreté & par son élegance : on a pris dans la suite tant de soins pour le compléter, que les acquisitions qu’il a faites en tout genre, sont surprenantes, sur-tout si on les compare avec le peu d’années que l’on compte depuis son institution. Les choses les plus belles & les plus rares y ont afflué de tous les coins du monde ; & elles y ont heureusement rencontré des mains capables de les réunir avec tant de convenance, & de les mettre ensemble avec tant d’ordre, qu’on n’auroit aucune peine à y rendre à la nature un compte clair & fidele de ses richesses. Un établissement si considérable & si bien conduit, ne pouvoit manquer d’avoir de la célébrité, & d’attirer des spectateurs ; aussi il en vient de tous états, de toutes nations, & en si grand nombre, que dans la belle saison, lorsque le mauvais tems n’empêche pas de rester dans les salles du cabinet, leur espace y suffit à peine. On y reçoit douze à quinze cents personnes toutes les semaines : l’accès en est facile ; chacun peut à son gré s’y introduire, s’amuser, ou s’instruire. Les productions de la nature y sont exposées sans fard, & sans autre apprêt que celui que le bon goût, l’élegance, & la connoissance des objets devoient suggérer : on y répond avec complaisance aux questions qui ont du rapport à l’Histoire naturelle. La pédanterie qui choque les honnêtes gens, & la charlatanerie qui retarde les progrès de la science, sont loin de ce sanctuaire : on y a senti par une impulsion particuliere aux ames d’un certain ordre, quelle bassesse ce seroit à des particuliers qui auroient quelques collections d’Histoire naturelle, de prétendre s’en faire un mérite réel, & de travailler à enfler ce mérite, soit en les étalant avec faste, soit en les vantant au-delà de leur juste prix, soit en mettant du mystere dans de petites pratiques qu’il est toûjours assez facile de trouver, lorsqu’on veut se donner la peine de les chercher. On a senti qu’une telle conduite s’accorderoit moins encore avec un grand établissement, où l’on ne doit avoir d’autres vûes que le bien de l’établissement, où en rendant le public témoin des procédés qu’on suit, on en tire de nouvelles lumieres, & l’on répand le goût des mêmes occupations. C’est le but que M. d’Aubenton, garde & démonstrateur du cabinet du Roi, s’est proposé, & dans son travail au cabinet même qu’il a mis en un si bel ordre, & dans la description qu’on en trouve dans l’Histoire naturelle. Nous ne pouvons mieux faire que d’insérer ici ses observations sur la maniere de ranger & d’entretenir en général un cabinet d’Histoire naturelle ; elles ne sont point au-dessous d’un aussi grand objet.

« L’arrangement, dit M. d’Aubenton, le plus favorable à l’étude de l’Histoire naturelle, seroit l’ordre méthodique qui distribue les choses qu’elle comprend, en classes, en genres, & en especes ; ainsi les animaux, les végétaux, & les minéraux, seroient exactement séparés les uns des autres ; chaque regne auroit un quartier à part. Le même ordre subsisteroit entre les genres & les especes ; on placeroit les individus d’une même espece les uns auprès des autres, sans qu’il fût jamais permis de les éloigner. On verroit les especes dans leurs genres, & les genres dans leurs classes. Tel est l’arrangement qu’indiquent les principes qu’on a imaginés pour faciliter l’étude de l’Histoire naturelle ; tel est l’ordre qui seul peut les réaliser. Tout en effet y devient instructif ; à chaque coup d’œil, non-seulement on prend une connoissance réelle de l’objet que l’on considere, mais on y découvre encore les rapports qu’il peut avoir avec ceux qui l’environnent. Les ressemblances indiquent le genre, les différences marquent l’espece ; ces caracteres plus ou moins ressemblans, plus ou moins différens, & tous comparés ensemble, présentent à l’esprit & gravent dans la mémoire l’image de la nature. En la suivant ainsi dans les variétés de ses productions, on passe insensiblement d’un regne à un autre ; les dégradations nous préparent peu à peu à ce grand changement, qui n’est sensible dans son entier que par la comparaison des deux extrèmes. Les objets de l’Histoire naturelle étant présentés dans cet ordre, nous occupent assez pour nous intéresser par leurs rapports, sans nous fatiguer, & même sans nous donner le dégoût qui vient ordinairement de la confusion & du desordre.

» Cet arrangement paroît si avantageux, que l’on devroit naturellement s’attendre à le voir dans tous les cabinets ; cependant il n’y en a aucun où l’on ait pû le suivre exactement. Il y a des especes & même des individus qui, quoique dépendans du même genre & de la même espece, sont si disproportionnés pour le volume, que l’on ne peut pas les mettre les uns à côté des autres ; il en est de même pour les genres, & quelquefois aussi pour les classes. D’ailleurs on est souvent obligé d’interrompre l’ordre des suites ; parce qu’on ne peut pas concilier l’arrangement de la méthode avec la convenance des places. Cet inconvénient arrive souvent, lorsque l’espace total n’est pas proportionné au nombre des choses qui composent les collections : mais cette irrégularité ne peut faire aucun obstacle à l’étude de l’Histoire naturelle : car il n’est pas possible de confondre les choses de différens regnes & de différentes classes ; ce n’est que dans le détail des genres & des especes, que la moindre équivoque peut causer une erreur.

» L’ordre méthodique qui, dans ce genre d’étude, plaît si fort à l’esprit, n’est presque jamais celui qui est le plus avantageux aux yeux. D’ailleurs, quoiqu’il ait bien des avantages, il ne laisse pas d’avoir plusieurs inconvéniens. On croit souvent connoître les choses, tandis que l’on n’en connoît que les numeros & les places : il est bon de s’éprouver quelquefois sur des collections, qui ne suivent que l’ordre de la symmétrie & du contraste. Le cabinet du Roi étoit assez abondant pour fournir à l’un & à l’autre de ces arrangemens ; ainsi dans chacun des genres qui en étoit susceptible, on a commencé par choisir une suite d’especes, & même de plusieurs individus, pour faire voir les variétés aussi bien que les especes constantes ; & on les a rangés méthodiquement par genres & par classes. Le surplus de chaque collection a été distribué dans les endroits qui ont paru le plus favorables, pour en faire un ensemble agréable à l’œil, & varié par la différence des formes & des couleurs. C’est-là que les objets les plus importans de l’Histoire naturelle sont présentés à leur avantage ; on peut les juger sans être contraint par l’ordre méthodique, parce qu’au moyen de cet arrangement, on ne s’occupe que des qualités réelles de l’individu, sans avoir égard aux caracteres arbitraires du genre & de l’espece. Si on avoit toûjours sous les yeux des suites rangées méthodiquement, il seroit à craindre qu’on ne se laissât prevenir par la methode, & qu’on ne vînt à négliger l’étude de la nature, pour se livrer à des conventions auxquelles elle n’a souvent que très-peu de part. Tout ce qu’on peut rassembler de ses productions, dans un cabinet d’Histoire naturelle, devroit y être distribué dans l’ordre qui approcheroit le plus de celui qu’elle suit, lorsqu’elle est en liberté. Quoique contrainte, on pourroit encore l’y reconnoître, après avoir rassemblé dans un petit espace des productions qui sont dispersées au loin sur la terre ; mais pour peu que ces objets soient nombreux, on se croit obligé d’en faire des classes, des genres & des especes, pour faciliter l’étude de leur histoire : ces principes arbitraires sont fautifs pour la plûpart ; ainsi il ne faut les suivre rangées méthodiquement, que comme des indices qui conduisent à observer la nature dans les collections où elle paroît, sans presqu’aucun autre apprêt que ceux qui peuvent la rendre agréable aux yeux. Les plus grands cabinets ne suffiroient pas, si on vouloit imiter scrupuleusement les dispositions & les progressions naturelles. On est donc obligé, afin d’éviter la confusion, d’employer un peu d’art, pour faire de la symmétrie ou du contraste.

» Tant qu’on augmente un cabinet d’Histoire naturelle, on n’y peut maintenir l’ordre qu’en déplaçant continuellement tout ce qui y est. Par exemple, lorsqu’on veut faire entrer dans une suite une espece qui y manque, si cette espece appartient au premier genre, il faut que tout le reste de la suite soit déplacé, pour que la nouvelle espece soit mise en son lieu..... Quoique ce genre d’occupation demande de l’attention, & qu’il emporte toûjours beaucoup de tems, ceux qui font des collections d’histoire naturelle ne doivent point le négliger : on ne le trouvera point ennuyeux ni même infructueux, si on joint au travail de la main l’esprit d’observation. On apprend toûjours quelque chose de nouveau en rangeant méthodiquement une collection ; car dans ce genre d’étude plus on voit, plus on sait. Les arrangemens qui ne sont faits que pour l’agrément, supposent aussi des tentatives inutiles ; ce n’est qu’après plusieurs combinaisons qu’on trouve un résultat satisfaisant dans les choses de goût : mais on est bien dédommagé de la peine qu’on a eue par le plaisir qu’on ressent, lorsqu’on croit avoir réussi. Ce qu’il y a de plus désagréable sont les soins que l’on est obligé de prendre pour conserver certaines pieces sujettes à un prompt dépérissement ; l’on ne peut être trop attentif à tout ce qui peut contribuer à leur conservation, parce que la moindre négligence peut être préjudiciable. Heureusement toutes les pieces d’un cabinet ne demandent pas autant de soins les unes que les autres, & toutes les saisons de l’année ne sont pas également critiques.

» Les minéraux en général ne demandent que d’être tenus proprement, & de façon qu’ils ne puissent pas se choquer les uns contre les autres ; il y en a seulement quelques-uns qui craignent l’humidité, comme les sels qui se fondent aisément, & les pyrites qui se fleurissent, c’est-à-dire qui tombent en poussiere. Mais les animaux & les végétaux sont plus ou moins sujets à la corruption. On ne peut la prévenir qu’en les desséchant le plus qu’il est possible, ou en les mettant dans des liqueurs préparées ; dans ce dernier cas, il faut empêcher que la liqueur ne s’évapore ou ne se corrompe. Les pieces qui sont desséchées demandent encore un plus grand soin ; les insectes qui y naissent & qui y trouvent leurs alimens, les détruisent dans l’intérieur avant qu’on les ait apperçûs. Il y a des vers, des scarabées, des teignes, des papillons, des mites, &c. qui s’établissent chacun dans les choses qui leur sont le plus convenables ; ils rongent les chairs, les cartilages, les peaux, les poils, & les plumes ; ils attaquent les plantes, quoique desséchées avec le plus grand soin ; on sait que le bois même peut être réduit en poudre par les vers : les papillons ne font pas autant de mal que les scarabées ; & il n’y a que ceux qui produisent les teignes qui soient nuisibles. Tous ces insectes pullulent en peu de tems, & leur génération est si abondante, que le nombre en deviendroit prodigieux, si on n’employoit pas différens moyens pour les détruire. La plupart de ces petits animaux commencent ordinairement à éclorre ou à se mettre en mouvement au mois d’Avril, lorsque le printems est chaud, ou au mois de Mai, lorsque la saison est plus tardive ; c’est alors qu’il faut tout visiter, & examiner si on n’appercevra pas la trace de ces insectes, qui est ordinairement marquée par une petite poussiere qu’ils font tomber des endroits où ils sont logés ; dans ce cas il y a déjà du mal de fait ; ils ont rongé quelque chose : ainsi on ne doit point perdre de tems, il faut travailler à les détruire. On doit observer ces petits animaux jusqu’à la fin de l’été ; dans ce tems il n’en reste plus que des œufs, ou bien ils sont arrêtés & engourdis par le froid. Voilà donc environ cinq mois pendant lesquels il faut veiller sans cesse ; mais aussi pendant le reste de l’année, on peut s’épargner ce soin.

» Il suffit en général de garantir l’intérieur d’un cabinet du trop grand froid, de la trop grande chaleur, & sur-tout de l’humidité. Si les animaux desséchés, particulierement ceux de la mer, qui restent toûjours imprégnés de sel marin, étoient exposés à l’air extérieur dans les grandes gelées, après avoir été imbibés de l’humidité des brouillards, des pluies, ou des dégels, ils seroient certainement altérés & décomposés en partie, par l’action de la gelée & par de si grands changemens de température. Aussi pendant la fin de l’automne & pendant tout l’hyver, on ne peut mieux faire que de tenir tous les cabinets bien fermés ; il ne faut pas craindre que l’air devienne mauvais pour n’avoir pas été renouvellé : il ne peut avoir de qualité plus nuisible que celle de l’humidité. D’ailleurs les salles des cabinets sont ordinairement assez grandes pour que l’air y circule aisément : au reste en choisissant un tems sec, on pourroit les ouvrir au milieu du jour. Pendant l’été on a moins à craindre de l’humidité : mais la chaleur produit de mauvais effets, qui sont la fermentation & la corruption. Plus l’air est chaud, plus les insectes sont vigoureux ; plus leur multiplication est facile & abondante, plus les ravages qu’ils font sont considérables : il faut donc parer les rayons du soleil par tous les moyens possibles, & ne jamais donner l’entrée à l’air du dehors, que lorsqu’il est plus frais que celui du dedans. Il seroit à souhaiter que les cabinets d’Histoire naturelle ne fussent ouverts que du côté du nord ; cette exposition est celle qui leur convient le mieux, pour les préserver de l’humidité de l’hyver, & des chaleurs de l’été.

» Enfin par rapport à la distribution & aux proportions de l’intérieur, comme les planchers ne doivent pas être fort élevés, on ne peut pas faire de très-grandes salles ; car si l’on veut décorer un cabinet avec le plus d’avantage, il faut meubler les murs dans toute leur hauteur, & garnir le platfond comme les murs, c’est le seul moyen de faire un ensemble qui ne soit point interrompu ; & même il y a des choses qui sont mieux en place étant suspendues que partout ailleurs. Mais si elles se trouvent trop élevées, on se fatigueroit inutilement à les regarder sans pouvoir les bien distinguer. En pareil cas, l’objet qu’on n’apperçoit qu’à demi, est toûjours celui qui pique le plus la curiosité : on ne peut guere voir un cabinet d’Histoire naturelle, sans une certaine application qui est déjà assez fatiguante ; quoique la plûpart de ceux qui y entrent, ne prétendent pas en faire une occupation sérieuse, cependant la multiplicité & la singularité des objets fixent leur attention.

» Par rapport à la maniere de placer & de présenter avantageusement les différentes pieces d’Histoire naturelle, je crois que l’on a toujours à choisir. Il y en a plusieurs qui peuvent être aussi convenables les unes que les autres pour le même objet ; c’est au bon goût à servir de regle ». M. d’Aubenton ne prétend entrer dans aucune discussion à cet égard ; il s’est contenté dans sa description du cabinet du Roi, de rapporter la façon dont les choses de différens genres y sont disposées, & en même tems les moyens de les conserver.

Me sera-t-il permis de finir cet article par l’exposition d’un projet qui ne seroit guere moins avantageux qu’honorable à la nation ? Ce seroit d’élever à la nature un temple qui fût digne d’elle. Je l’imagine composé de plusieurs corps de bâtimens proportionnés à la grandeur des êtres qu’ils devroient renfermer : celui du milieu seroit spatieux, immense, & destiné pour les monstres de la terre & de la mer : de quel étonnement ne seroit-on pas frappé à l’entrée de ce lieu habité par les crocodiles, les éléphans & les baleines ? On passeroit de-là dans d’autres salles contiguës les unes aux autres, où l’on verroit la nature dans toutes ses variétés & ses dégradations. On entreprend tous les jours des voyages dans les différens pays pour en admirer les raretés ; croit-on qu’un pareil édifice n’attireroit pas les hommes curieux de toutes les parties du monde, & qu’un étranger un peu lettré pût se résoudre à mourir, sans avoir vû une fois la nature dans son palais ? Quel spectacle que celui de tout ce que la main du tout-puissant a répandu sur la surface de la terre, exposé dans un seul endroit ! Si je pouvois juger du goût des autres hommes par le mien, il me semble que pour joüir de ce spectacle, personne ne regretteroit un voyage de cinq ou six cents lieues ; & tous les jours ne fait-on pas la moitié de ce chemin pour voir des morceaux de Raphael & de Michel-Ange ? Les millions qu’il en coûteroit à l’état pour un pareil établissement seroient payés plus d’une fois par la multitude des étrangers qu’il attireroit en tout tems. Si j’en crois l’histoire, le grand Colbert leur fit autrefois acquitter la magnificence d’une fête pompeuse, mais passagere. Quelle comparaison entre un carrousel & le projet dont il s’agit ? & quel tribut ne pourrions-nous pas en espérer de la curiosité de toutes les nations ?

Cabinets secrets, (Physique) sorte de cabinets dont la construction est telle que la voix de celui qui parle à un bout de la voûte, est entendue à l’autre bout : on voit un cabinet ou chambre de cette espece à l’Observatoire royal de Paris. Tout l’artifice de ces sortes de chambres consiste en ce que la muraille auprès de laquelle est placée la personne qui parle bas, soit unie & cintrée en ellipse ; l’arc circulaire pourroit aussi convenir, mais il seroit moins bon. Voici pourquoi les voutes elliptiques ont la propriété dont nous parlons. Si on imagine (fig. 16. n°. 3. Pneumatique.) une voute elliptique ACB, dont les deux foyers soient F & f, voyez Ellipse, & qu’une personne placée au point F parle tout aussi bas qu’on peut parler à l’oreille de quelqu’un, l’air poussé suivant les directions FD, FC, FO, &c. se réfléchira à l’autre foyer f par la propriété de l’ellipse qui est connue & démontrée en Géométrie ; d’où il s’ensuit qu’une personne qui auroit l’oreille à l’endroit f, doit entendre celui qui parle en F aussi distinctement que si elle en étoit tout proche.

Les endroits fameux par cette propriété étoient la prison de Denys à Syracuse, qui changeoit en un bruit considérable un simple chuchotement, & un claquement de mains en un coup très-violent ; l’aquéduc de Claude, qui portoit la voix, dit-on, jusqu’à seize milles ; & divers autres rapportés par Kircher dans sa Phonurgie.

Le cabinet de Denys à Syracuse étoit, dit-on, de forme parabolique ; Denys ayant l’oreille au foyer de la parabole, entendoit tout ce qu’on disoit en bas ; parce que c’est une propriété de la parabole, que toute action qui s’exerce suivant des lignes paralleles à l’axe, se réfléchit au foyer. Voyez Parabole & Foyer.

Ce qu’il y a de plus remarquable sur ce point, en Angleterre, c’est le dome de l’église de S. Paul de Londres, où le battement d’une montre se fait entendre d’un côté à l’autre, & où le moindre chuchotement semble faire le tour du dome. M. Derham dit que cela ne se remarque pas seulement dans la galerie d’en-bas, mais au-dessus dans la charpente où la voix d’une personne qui parle bas est portée en rond au-dessus de la tête jusqu’au sommet de la voute, quoique cette voute ait une grande ouverture dans la partie supérieure du dome.

Il y a encore à Glocester un lieu fameux dans ce genre, c’est la galerie qui est au-dessus de l’extrémité orientale du chœur, & qui va d’un bout à l’autre de l’église. Deux personnes qui parlent bas, peuvent s’entendre à la distance de 25 toises. Tous les phénomenes de ces différens lieux dépendent à peu-près des mêmes principes. Voyez Echo & Porte-voix. (O)