L’Encyclopédie/1re édition/BIBLIOTHEQUE de Bâle

BIBLIOTHEQUE de Bâle, (Hist. Littérat.) nous avons la description moderne de cette bibliotheque par un homme bien capable d’en juger, le savant M. de la Croze ; voici ce qu’il nous en dit.

« La bibliotheque publique de Bâle est belle pour le pays ; mais elle ne peut pas être comparée à un grand nombre de bibliotheques de Paris, pour le nombre & pour la rareté des livres. On n’a presque rien à Bâle que des éditions du siecle passé (le seizieme), les éditions des peres d’Angleterre & de Paris n’y sont point ; & si l’on excepte la bibliotheque des peres de Lyon, les conciles du Louvre, & quelques editions de Froben, il n’y a rien dont on puisse faire une grande estime. Il n’en est pas de même des manuscrits, il y en a de fort beaux & de fort anciens.

» J’y ai vu entr’autres une bible du neuvieme siecle en trois volumes in-folio. Elle est belle, mais elle a été négligée, & il y manque quelques livres de l’Ecriture, entr’autres les pseaumes. Le fameux passage de la Trinité dans l’épître de saint Jean ne s’y trouve point, non plus que dans la plûpart des autres manuscrits grecs & latins de ce tems-là. Il y a aussi deux volumes in-4°. du même siecle, dont chacun comprend les quatre évangélistes en latin, avec les canons d’Eusebe & la préface de S. Jérôme. On ne peut rien voir de mieux écrit que ces deux livres, l’un est entier & assez bien conservé, & l’autre fort défectueux, quelqu’un ayant coupé les feuilles par où commence chacun des évangélistes.

» Je serois trop long si je parlois de tous les manuscrits qui sont dans cette bibliotheque ; mais comme il n’y a guere eu d’étrangers qui les ait tant vus que moi, & que même les gens du pays les connoissent peu, j’ajouterai encore quelques lignes à ce que j’ai dit. M. Patin qui a visité autrefois cette bibliotheque, n’en ayant parlé que superficiellement, & n’y ayant presque remarqué que ce qui étoit le moins digne de l’être.

» On ne peut rien voir de si beau qu’un S. Augustin, forma quadratæ. Il est écrit par versets, ce qui faisoit autrefois toute sa distinction, mais depuis on y a ajouté des points & des virgules. Ce manuscrit est du viij. siecle. Il y en a d’Isidore de Séville du ix. siecle, & de quelques peres moins considérables par leur rareté, que par leur antiquité. Le texte grec des évangiles in-4°. dont parle M. Patin, est sans doute beau, mais il a eu tort de le faire de la même antiquité que les épîtres de S. Paul de l’abbaye de S. Germain ; il est plus récent de cent ans pour le moins, & est peut-être du viij. siecle.

» Il y a un manuscrit dans la même bibliotheque, qui contient tout le nouveau Testament dans un ordre différent de celui qu’on suit d’ordinaire. Ce manuscrit est moins ancien que celui dont je viens de parler. Le jugement de la femme adultere n’est point dans le texte, quoique le copiste l’ait renvoyé à la fin du manuscrit où il se trouve avec cette remarque, qu’on ne le trouvoit que dans peu de manuscrits. Il est néanmoins tout entier dans l’autre manuscrit qui est plus ancien ; mais le copiste y a ajouté de gros astériques à la marge, à-peu-près de cette forme *. Le 7e verset du chapitre v. de la I. épître de S. Jean ne s’y rencontre point. Il y a plusieurs manuscrits grecs de S. Jean-Chrysostôme, de S. Athanase, des commentaires sur la Genèse tirés des anciens peres, & qu’on nomme ordinairement catenæ.

» Je ne dois point oublier ici un beau pseautier in-4°. écrit en grec par un latin qui y a ajouté une traduction latine interlinéaire : le latin est écrit correctement, mais le grec qui est écrit sans accens est plein de fautes … Après cela ce que j’ai vu de plus curieux est un manuscrit fort récent, contenant un traité du patriarche Photius, περὶ πιστέως, qui n’est point imprimé, à-moins qu’il ne le soit dans ses épîtres ; plusieurs discours & sermons d’Eustathe, archevêque de Thessalonique, forment un autre manuscrit plus ancien, écrit sur du papier, & fort difficile à lire. J’y ai vu entr’autres un discours qui porte ce titre, Εὐσταθίου ἔτι διαϰόνοις ὄντος πρόλογος τῶν Πινδάρου παρεϰϐολῶν, ce qui prouve qu’Eustathe a fait des commentaires sur Pindare, dont je n’ai point ouï dire qu’on eût de connoissance. On trouve dans le même manuscrit des oraisons funebres de quelques empereurs de Constantinople, & plusieurs discours qui pourroient peut-être servir à l’histoire de ces tems-là.

» Il y a dans la même bibliotheque divers auteurs classiques manuscrits, comme Thucydide grec, avec les scholies anciennes, duquel Camérarius s’est servi pour l’édition latine qu’il a donnée de cet auteur ; un Salluste in-4°. du ix. siecle d’une beauté admirable. Quelques Virgiles, & quelques Ovides anciens : deux Horaces manuscrits vieux de cinq à six cens ans. Ils sont tous remplis de scholies marginales & interlinéaires, de peu de valeur … M. Patin parle d’un Virgile ; c’est un manuscrit moderne, qui n’est considérable que par la beauté de l’écriture & des ornemens qu’on y a prodigués.

» Ceux qui y chercheront l’alcoran écrit sur du papier de la Chine, dont Misson parle dans ses voyages, perdront leurs peines. L’alcoran dont il s’agit est écrit sur du papier oriental comme tous les autres, & ce n’est pas une piece rare … Entre les manuscrits modernes que j’y ai vus, est une histoire de Saladin in fol. écrite en arabe, & traduite en latin par un savant de Bâle, qui se nommoit M. Harder … Le cabinet d’Amerbach se conserve dans la même bibliotheque.

» Il y a plusieurs médailles & plusieurs tableaux d’Holbein dans le même lieu, &c. J’y ai vu une traduction d’un traité de Plutarque de la main d’Erasme : son testament écrit aussi de sa main ; & une permission qu’il avoit obtenue de manger de la viande toute sa vie.

» Entre les ouvrages de la nature & de l’art que l’on garde dans ce cabinet, ce qui m’a frappé davantage est une grosse piece de plomb que l’on a trouvée depuis quelques années dans un pré, en un endroit où l’herbe ne croissoit point, & où l’on fouilla pour en découvrir la raison. C’est, selon les apparences, un poids ancien : il y a dessus cette inscription, Societat. S. T. Luc. Ret. Ce morceau de plomb pese prodigieusement, & beaucoup plus que ne doit peser une piece d’un volume égal à celui-là ». Histoire de la vie & des ouvrages de M. de la Croze. (D. J.)