L’Encyclopédie/1re édition/ATOMISME
ATOMISME, Physique corpusculaire très-ancienne. Strabon, en parlant de l’érudition des Phéniciens, dit (l. XVI. p. 521. édit. Genev. Voyez aussi Sextus Emp. adv. Math. pag. 367. édit. Gén.) « S’il en faut croire Posidonius, le dogme des atomes est ancien, & vient d’un Sidonien nommé Moschus, qui a vécu avant la guerre de Troie ». Pythagore paroît avoir appris cette doctrine en Orient ; & Ecphantus, célebre Pythagoricien, a témoigné (apud Stobœum) que les unités dont Pythagore disoit que tout est composé, n’étoient que des atomes ; ce qu’Aristote assûre aussi en divers endroits. Empedocle, Pythagoricien, disoit de même que la nature de tous les corps ne venoit que du mêlange & de la séparation des particules ; & quoiqu’il admît les quatre élémens, il prétendoit que ces élémens étoient eux-mêmes composés d’atomes ou de corpuscules. Ce n’est donc pas sans raison que Lucrece loue si fort Empedocle, puisque sa physique est, à plusieurs égards, la même que celle d’Epicure. Pour Anaxagore, quoiqu’il fût aussi atomiste, il avoit un sentiment particulier, qui est que chaque chose étoit composée des atomes de son espece ; les os, d’atomes d’os ; les corps rouges, d’atomes rouges, &c.
La doctrine des atomes n’a été proprement réduite en système que par Leucippe & Démocrite : avant ces deux philosophes, elle n’avoit passé que pour une partie du système philosophique qui servoit à expliquer les phénomenes des corps. Ils allerent plus loin, & firent de ce dogme le fondement d’un système entier de philosophie. C’est ce qui a fait que Diogene Laerce, & plusieurs autres auteurs, les en ont regardés comme les inventeurs. On associe ordinairement ensemble les noms de ces deux philosophes. « Leucippe, dit Aristote dans sa métaphysique, Leucippe, & son compagnon Démocrite, disent que les principes de toutes choses sont le plein & le vuide (le corps & l’espace), dont l’un est quelque chose, & l’autre n’est rien ; & que les causes de la variété des autres êtres sont ces trois choses, la figure, la disposition, & la situation ». Il n’y a point de meilleur moyen pour se faire une idée complette de l’atomisme, que de lire le fameux poëme de Lucrece : voici en peu de mots le fond de ce système, tel que nous le trouvons dans ce poëte Latin, & dans divers endroits de Cicéron où il en est parlé.
Le monde est nouveau, & tout est plein des preuves de sa nouveauté : mais la matiere dont il est composé est éternelle. Il y a toûjours eu une quantité immense, & réellement infinie, d’atomes ou corpuscules durs, crochus, quarrés, oblongs, & de toutes figures ; tous indivisibles, tous en mouvement, & faisant effort pour avancer ; tous descendant, & traversant le vuide : s’ils avoient toûjours continué leur route de la sorte, il n’y auroit jamais eû d’assemblages, & le monde ne seroit pas : mais quelques-uns allant un peu de côté, cette légere déclinaison en serra & accrocha plusieurs ensemble ; delà se sont formées diverses masses ; un ciel, un soleil, une terre, un homme, une intelligence, & une sorte de liberté. Rien n’a été fait avec dessein : il faut bien se garder de croire que les jambes de l’homme ayent été faites dans l’intention de porter le corps d’une place à une autre ; que les doigts ayent été pourvûs d’articulations, pour mieux saisir ce qui nous seroit nécessaire, que la bouche ait été garnie de dents pour broyer les alimens ; ni que les yeux ayent été adroitement suspendus sur des muscles souples & mobiles, pour pouvoir se tourner avec agilité, & pour voir de toutes parts en un instant. Non, ce n’est point une intelligence qui a disposé ces parties afin qu’elles pussent nous servir : mais nous faisons usage de ce que nous trouvons capable de nous rendre service.
Neve putes oculorum clara, creata
Ut videant : sed quod natum est, id procreat usum.
Le tout s’est fait par hasard, le tout se continue, & les especes se perpétuent les mêmes par hasard : le tout se dissoudra un jour par hasard : tout le système se réduit là. (Hist. au ciel, tom. II. page 211. 212.) Il seroit superflu de s’arrêter à la réfutation de cet amas d’absurdités ; ou s’il étoit nécessaire de les combattre, on peut consulter l’anti-Lucrece du cardinal de Polignac.
L’ancien atomisme étoit un pur athéisme : mais on auroit tort de faire rejaillir cette accusation sur la philosophie corpusculaire en général. L’exemple de Démocrite, de Leucippe, & d’Epicure, tous trois aussi grands athées qu’atomistes, a fait croire à bien des gens que dès que l’on admettoit les corpuscules, on rejettoit la doctrine qui établit des êtres immatériels, comme la divinité & les ames humaines. Néanmoins, non-seulement la Pneumatologie n’est pas incompatible avec la doctrine des atomes, mais même elles ont beaucoup de liaison ensemble : aussi les mêmes principes de Philosophie qui avoient conduit les anciens à reconnoître les atomes, les conduisirent aussi à croire qu’il y a des choses immatérielles ; & les mêmes maximes qui leur persuaderent que les formes corporelles ne sont pas des entités distinctes de la substance des corps, leur persuaderent aussi que les ames ne sont ni engendrées avec le corps, ni anéanties avec sa mort. Ceux qui souhaitent des preuves plus détaillées là-dessus, les trouveront dans le système intellectuel de Cudworth, & dans l’extrait de M. le Clerc. Bibl. chois. tom. I. art. 3. Voyez aussi Corpusculaire. Cet article est tiré de M. Formey. (X)