L’Encyclopédie/1re édition/ANABAPTISTES
ANABAPTISTES, s. m. plur. (Théol.) secte d’hérétiques qui soûtiennent qu’il ne faut pas baptiser les enfans avant l’âge de discrétion, ou qu’à cet âge on doit leur réitérer le baptême, parce que selon eux ces enfans doivent être en état de rendre raison de leur foi, pour recevoir validement ce sacrement.
Ce mot est composé d’ἀνὰ, de rechef, & de βαπτίζω ou de βάπτω, baptiser, laver, parce que l’usage des Anabaptistes est de rebaptiser ceux qui ont été baptisés dans leur enfance.
Les Novatiens, les Cataphryges, & les Donatistes, dans les premiers siecles, ont été les prédecesseurs des nouveaux Anabaptistes, avec lesquels cependant il ne faut pas confondre les Evêques catholiques d’Asie & d’Afrique, qui dans le troisieme siecle soûtinrent que le baptême des hérétiques n’étoit pas valide, & qu’il falloit rebaptiser ceux de ces hérétiques qui rentroient dans le sein de l’Eglise. Voyez Rebaptisans.
Les Vaudois, les Albigeois, les Pétrobrusiens, & la plûpart des sectes qui s’éleverent au xiie siecle, passent pour avoir adopté la même erreur : mais on ne leur a pas donné le nom d’Anabaptistes, car il paroît d’ailleurs qu’ils ne croyoient pas le baptême fort nécessaire. Voyez Albigeois, &c.
Les Anabaptistes proprement dits, sont une secte de protestans qui parut d’abord dans le xvie siecle en quelques contrées d’Allemagne, & particulierement en Westphalie, où ils commirent d’horribles excès. Ils enseignoient que le baptême donné aux enfans étoit nul & invalide ; que c’étoit un crime que de prêter serment & de porter les armes ; qu’un véritable Chrétien ne sauroit être magistrat : ils inspiroient de la haine pour les puissances & pour la noblesse ; vouloient que tous les biens fussent communs, & que tous les hommes fussent libres & indépendans, & promettoient un sort heureux à ceux qui s’attacheroient à eux pour exterminer les impies, c’est-à-dire, ceux qui s’opposoient à leurs sentimens.
On ne sait pas au juste quel fut l’auteur de cette secte : les uns en attribuent l’origine à Carlostad, d’autres à Zuingle. Cochlée dit que ce fut Balthasar Pacimontan, nommé par d’autres Hubméïr, & brûlé pour ses erreurs à Vienne en Autriche l’an 1527. Meshovius, qui a écrit fort au long une histoire des Anabaptistes, imprimée à Cologne en 1617. leur donne pour premier chef Pelargus, qui commença, dit-il, à ébaucher cette hérésie en 1522. Leur système paroît avoir été développé successivement en Allemagne par Hubmeïr, Rodenstein, Carlostad, Westenberg, Didyme, More, Mansius, David, Hoffman, Kants ; & par plusieurs autres, soit en Hollande, soit en Angleterre.
L’opinion la plus commune est qu’elle doit son origine à Thomas Muncer de Zwicau, ville de Misnie, & à Nicolas Storch ou Pelargus de Stalberg, en Saxe, qui avoient été tous deux disciples de Luther, dont ils se séparerent ensuite, sous prétexte que sa doctrine n’étoit pas assez parfaite ; qu’il n’avoit que préparé les voies à la réformation ; & que pour parvenir à établir la véritable religion de Jesus-Christ, il falloit que la révélation vînt à l’appui de la lettre morte de l’écriture. Ex revelationibus divinis judicandum esse, & ex bibliis, dicebat Muncerus.
Sleidan est l’auteur qui détermine plus précisément l’origine des Anabaptistes, dans ses commentaires historiques. Il observe que Luther avoit prêché avec tant de force pour ce qu’il appelloit la liberté évangélique, que les paysans de Suabe se liguerent ensemble, sous prétexte de défendre la doctrine évangélique & de secoüer le joug de la servitude. Obductâ causâ quasi doctrinam evangelii tueri, & servitutem abs se profligare vellent. Ils commirent de grands desordres : la noblesse, qu’ils se proposoient d’exterminer, prit les armes contr’eux ; & après en avoir tué un grand nombre, les obligea à poser les armes, excepté dans la Turinge, où Muncer, secondé de Pfiffer, homme hardi, avoit fixé le siége de son empire chimérique à Mulhausen. Luther leur écrivit plusieurs fois pour les engager à quitter les armes, mais toûjours inutilement : ils retorquerent contre lui sa propre doctrine, soûtenant que puisqu’ils avoient été rendus libres par le sang de Jesus-Christ, c’étoit déjà trop d’outrage au nom Chrétien qu’ils eussent été réputés esclaves par la noblesse, & que s’ils prenoient les armes, c’étoit par ordre de Dieu. Telles étoient les suites du fanatisme où Luther lui-même avoit plongé l’Allemagne par la liberté de ses opinions. Il crut y remédier en publiant un livre dans lequel il invitoit les Princes à prendre les armes contre ces séditieux, qui abusoient ainsi de la parole de Dieu. Il est vrai que le comte de Mansfeld, soûtenu par les Princes & la noblesse d’Allemagne, défit & prit Muncer & Pfiffer, qui furent exécutés à Mulhausen : mais la secte ne fut que dissipée & non détruite ; & Luther, suivant son caractere inconstant, desavoüa en quelque sorte son premier livre par un second, à la sollicitation de bien des gens de son parti, qui trouvoient sa premiere démarche dure, & même un peu cruelle.
Cependant les Anabaptistes se multiplierent & se trouverent assez puissans pour s’emparer de Munster en 1534. & y soûtenir un siége sous la conduite de Jean de Leyde, tailleur d’habits, qui se fit déclarer leur roi. La ville fut reprise sur eux par l’Evêque de Munster, le 24. Juin 1535. Le prétendu roi, & son confident Knisperdollin, y périrent par les supplices ; & depuis cet échec la secte des Anabaptistes n’a plus osé se montrer ouvertement en Allemagne.
Vers le même tems, Calvin écrivit contr’eux un traité qu’on trouve dans ses opuscules. Comme ils fondoient sur-tout leur doctrine sur cette parole de Jesus-Christ, Marc xvj. vers. 16. quiconque croira & sera baptisé sera sauvé, & qu’il n’y a que les adultes qui soient capables d’avoir la foi actuelle ; ils en inféroient qu’il n’y a qu’eux non plus qui doivent recevoir le baptême, sur-tout n’y ayant aucun passage dans le nouveau Testament où le baptême des enfans soit expressément ordonné : d’où ils tiroient cette conséquence, qu’on devoit le réitérer à ceux qui l’avoient reçû avant l’âge de raison. Calvin & d’autres auteurs furent embarrassés de ce sophisme ; & pour s’en tirer, ils eurent recours à la tradition & à la pratique de la primitive Eglise. Ils opposerent aux Anabaptistes Origene, qui fait mention du baptême des enfans, l’Auteur des questions attribuées à saint Justin, qui en parle aussi ; un concile tenu en Afrique, qui, au rapport de S. Cyprien, ordonnoit qu’on baptisât les enfans aussi-tôt qu’ils seroient nés ; la pratique du même saint Docteur à ce sujet ; les conciles d’Autun, de Mâcon, de Gironne, de Londres, de Vienne, &c. une foule de témoignages des Peres, tels que S. Irenée, S. Jérôme, S. Ambroise, S. Augustin, &c.
Ces autorités, toutes respectables & toutes fortes qu’elles soient, faisoient peu d’impression sur des esprits aheurtés à décider tout par les Ecritures, tels qu’étoient les Anabaptistes : aussi les Théologiens catholiques se sont-ils attachés à trouver dans le nouveau Testament des textes capables de les terrasser, n’employant contr’eux les argumens de tradition que par surabondance de droit. En effet, les enfans sont jugés capables d’entrer dans le royaume des cieux, Marc, ix. vers. 14. Luc, xviij. vers. 16. & le Sauveur lui-même en fit approcher quelques-uns de lui & les bénit. Or ailleurs, chap. iij. vers. v. S. Jean assure que quiconque n’est pas baptisé ne peut entrer dans le royaume de Dieu ; d’où il s’ensuit qu’on doit donner le baptême aux enfans.
Ce que répondent les Anabaptistes, que les enfans dont parle Jesus-Christ étoient déjà grands, puisqu’ils vinrent à lui, & conséquemment qu’ils étoient capables de produire un acte de foi, est manifestement une interprétation forcée du texte sacré, puisque dans S. Matthieu & dans S. Marc ils sont appellés de jeunes enfans, παίδια, dans S. Luc, βρέφη, de petits enfans ; & que le même Evangéliste dit expressément qu’ils furent amenés à Jesus-Christ : ils n’étoient donc pas en état d’y aller tous seuls.
Une autre preuve non moins forte contre les Anabaptistes, c’est celle qui se tire de ces paroles de saint Paul aux Romains, chap. v. vers. 17. « que si à cause du péché d’un seul, la mort a régné par ce seul homme, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grace & du don de la justice regneront-ils dans la vie par un seul homme, qui est Jesus-Christ ». Car si tous sont devenus criminels par un seul, les enfans sont donc criminels ; & de même si tous sont justifiés par un seul, les enfans sont donc aussi justifiés par lui : or on ne sauroit être justifié sans la foi ; les enfans ont donc la foi nécessaire pour recevoir le baptême, non pas une foi actuelle, telle qu’on l’exige dans les adultes, mais une foi suppléée par celle de l’Eglise, de leurs peres & meres, de leurs parreins & marreines. C’est la doctrine de S. Augustin : satis piè recteque credimus, dit-il, Lib. III. de Liber. arb. c. xxiij. n°. 67. prodesse parvulo eorum fidem à quibus consecrandus offertur : & il ajoûte ailleurs que cette imputation de foi est très-équitable, puisque ces enfans ayant péché par la volonté d’autrui, il est juste qu’ils soient aussi justifiés par la volonté d’autrui. Accommodat illis mater Ecclesia aliorum pedes ut veniant, aliorum cor ut credant, aliorum linguam ut fateantur, ut quoniam quod ægri sunt, alio peccante prægravantur, alio pro eis confitente salventur. Serm. 176. de verbis Apostoli.
A cette erreur capitale, les Anabaptistes en ont ajoûté plusieurs autres des Gnostiques & des anciens hérétiques : par exemple, quelques-uns ont nié la divinité de Jesus-Christ, & sa descente aux enfers ; d’autres ont soûtenu que les ames des morts dormoient jusqu’au jour du jugement, & que les peines de l’enfer n’étoient pas éternelles. Leurs enthousiastes prophétisoient que le jugement dernier approchoit, & en fixoient même le terme.
Les nouveaux Anabaptistes se bornent aux trois principales opinions des anciens, n’attaquent point les puissances, du moins ouvertement, & ne se distinguent guere en Angleterre des autres sectes que par une conduite des mœurs, & un extérieur extrèmement simple & uni, en quoi ils ont beaucoup de conformité avec les Quakers. Voyez Quakers.
A mesure que les Anabaptistes se sont multipliés, leurs diverses sectes ont pris des dénominations distinctives, tirées, soit du nom de leurs chefs, soit des opinions particulieres qu’elles ont entées sur le système général de l’Anabaptisme. On les a connus sous les noms de Munceriens, Catharistes, Enthousiastes, Silentieux, Adamistes, Georgiens, Indépendans, Hutites, Melchiorites, Nudipedaliens, Mennonites, Bulcholdiens, Augustiniens, Servetiens, Monasteriens ou Munsteriens, Libertins, Deorelictiens, Semperorans, Polygamites, Ambroisiens, Clanculaires, Manifestaires, Babulariens, Pacificateurs, Pastoricides, Sanguinaires, &c. On peut principalement consulter sur cette hérésie Sleidan. Meshovius, hist. des Anabap. Spon. ad ann. 1522. & 1523. Dupin, hist. du XVI. siecle. (G)