L’Encyclopédie/1re édition/ALBIGEOIS

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 245-246).
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ALBIGEOIS, adj. pris subst. (Théol.) secte générale composée de plusieurs hérétiques qui s’éleverent dans le XII. siecle, & dont le but principal étoit de détourner les Chrétiens de la réception des Sacremens, de renverser l’ordre hiérarchique, & de troubler la discipline de l’Eglise. On les nomma ainsi, parce qu’Olivier, un des disciples de Pierre de Valdo, chef des Vaudois ou pauvres de Lyon, répandit le premier leurs erreurs dans Albi, ville du haut Languedoc sur le Tarn, & que cette ville fût comme le centre des provinces qu’ils infecterent de leurs opinions.

Cette hérésie qui renouvelloit le Manichéisme, l’Arianisme & d’autres dogmes des anciens sectaires, auxquels elle ajoûtoit diverses erreurs particulieres aux différentes branches de cette secte, avoit pris naissance en Bulgarie. Les Cathares en étoient la tige ; & les Pauliciens d’Arménie l’ayant semée en Allemagne, en Italie & en Provence, Pierre de Bruys & Henri la porterent, dit-on, en Languedoc ; Arnaud de Bresse la fomenta ; ce qui fit donner à ces hérétiques les noms d’Henriciens, de Petrobusiens, d’Arnaudistes, Cathares, Pissres, Patarins, Tisserands, Bons-hommes, Publicains, Passagiens, &c. & à tous ensuite le nom général d’Albigeois.

Ceux-ci étoient proprement des Manichéens. Les erreurs dont les accusent Alanus, moine de Cîteaux, & Pierre, moine de Vaux-Cernay, auteurs contemporains qui écrivirent contre eux, sont 1°. d’admettre deux principes ou deux créateurs, l’un bon, l’autre méchant : le premier, créateur des choses invisibles & spirituelles ; le second, créateur des corps, & auteur de l’ancien Testament qu’ils rejettoient, admettant le nouveau, & néanmoins rejettant l’utilité des Sacremens. 2°. D’admettre deux Christs : l’un méchant, qui avoit paru sur la terre avec un corps fantastique, comme l’avoient prétendu les Marcionites, & qui n’avoit, disoient-ils, vécu ni n’étoit ressuscité qu’en apparence ; l’autre bon, mais qui n’a point été vû en ce monde. 3°. De nier la résurrection de la chair, & de croire que nos ames sont ou des démons, ou d’autres ames logées dans nos corps en punition des crimes de leur vie passée ; en conséquence ils nioient le purgatoire, la nécessité de la priere pour les morts, & traitoient de fable la créance des Catholiques sur l’enfer. 4°. De condamner tous les Sacremens de l’Eglise ; de rejetter le Baptême comme inutile ; d’avoir l’Eucharistie en horreur ; de ne pratiquer ni confession, ni pénitence ; de croire le mariage défendu : à quoi l’on peut ajoûter leur haine contre les Ministres de l’Eglise ; le mépris qu’ils faisoient des images & des reliques. Ils étoient généralement divisés en deux ordres, les parfaits & les croyans. Les parfaits menoient une vie austere, continente, ayant en horreur le mensonge & le jurement. Les croyans, vivant comme le reste des hommes & souvent même déréglés, s’imaginoient être sauvés par la foi & par la seule imposition des mains des parfaits.

Cette hérésie fit en peu de tems de si grands progrès dans les provinces méridionales de la France, qu’en 1176 on la condamna dans un concile tenu à Lombez, & au concile général de latran en 1179. Mais malgré le zele de S. Dominique & des autres Inquisiteurs, ces hérétiques multipliés mépriserent les foudres de l’Eglise. La puissance temporelle se joignit à la spirituelle pour les terrasser. On publia contre eux une croisade en 1210, & ce ne fut qu’après dix-huit ans d’une guerre sanglante, qu’abandonnés par les Comtes de Toulouse leurs protecteurs, & affoiblis par les victoires de Simon de Montfort, les Albigeois poursuivis dans les Tribunaux ecclésiastiques, & livrés au bras séculier, furent entierement détruits, à l’exception de quelques-uns qui se joignirent aux Vaudois des vallées de Piémont, de France & de Savoie. Lorsque les nouveaux réformés parurent, ces hérétiques projetterent de se joindre aux Zuingliens, & s’unirent enfin aux Calvinistes, sous le regne de François I. L’execution de Cabrieres & de Mérindol, qu’on peut lire dans notre histoire, acheva de dissiper les restes de cette secte dont on ne connoît plus que le nom. Au reste, quoique les Albigeois se soient joints aux Vaudois, il ne faut pas croire que ceux-ci ayent adopté les opinions des premiers ; les Vaudois n’ayant jamais été Manichéens, comme M. Bossuet l’a démontré dans son histoire des Variations, Liv. XI. Petrus Vall. Cern. Sanderus, Baronius, Spondan de Marca, Bossuet, hist. des Variat. Dupin, Biblioth eccles. siecl. XII. & XIII. (G)