L’Encyclopédie/1re édition/AMBASSADEUR

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 319-320).
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AMBASSADEUR, s. m. (Hist. moder.) Ministre public envoyé par un Souverain à un autre, pour y représenter sa personne. Voyez Ministre.

Ce mot vient de ambasciator, terme de la basse latinité, qui a été fait de ambactus, vieux mot emprunté du Gaulois, signifiant serviteur, client, domestique ou officier, selon Borel, Ménage, & Chifflet d’après Saumaise & Spelman : mais les Jésuites d’Anvers, dans les act. Sanct. Mart. tom. II. pag. 128. rejettent cette opinion, parce que l’ambact des Gaulois avoit cessé d’être en usage long-tems avant qu’on se servît du mot Latin ambascia : cependant cela n’est pas strictement vrai, car on trouve ambascia dans la loi Salique, tit. 19, qui s’est fait d’ambactia, en prononçant le t comme dans actio, & ambactia vient d’ambactus, & ce dernier d’ambact. Lindenbroeg le dérive de l’Allemand ambacht, qui signifie œuvre, comme si on se loüoit pour faire quelque ouvrage ou légation : Chorier est du sentiment de Lindenbroeg au sujet du même mot, qui se trouve dans la loi des Bourguignons. Albert Acharisius en son Dictionnaire Italien, le dérive du Latin ambulare, marcher ou voyager. Enfin les Jésuites d’Anvers, à l’endroit que nous venons de citer, disent que l’on trouve ambascia dans les lois des Bourguignons, & que c’est de-là que viennent les mots ambassicatores & ambascintores, pour dire les Envoyés, les Agens d’un Prince ou d’un État, à un autre Prince ou État. Ils croient donc que chez les Barbares qui inonderent l’Europe, ambascia signifioit le discours d’un homme qui s’humilie ou s’abaisse devant un autre, & qu’il vient de la même racine qu’abaisser, c’est-à-dire de an ou am & de bas.

En Latin nous nommons ce Ministre legatus ou orator : cependant il est certain que ce mot ambassadeur a chez nous une signification beaucoup plus ample que celui de legatus chez les Romains ; & à la réserve de la protection que le droit des gens donne à l’un & donnoit à l’autre, il n’y a presque rien de commun entr’eux. Voyez Legatus.

Les ambassadeurs sont ou ordinaires ou extraordinaires.

Ambassadeur ordinaire, est celui qui réside en la Cour d’un autre Prince par honneur, pour entretenir réciproquement une bonne intelligence, pour veiller aux intérêts de son Maître, & pour négocier les affaires qui peuvent survenir. Les ambassadeurs ordinaires sont d’institution moderne ; ils étoient inconnus il y a 200 ans : avant ce tems-là tous les ambassadeurs étoient extraordinaires, & se retiroient sitôt qu’ils avoient achevé l’affaire qu’ils avoient à négocier. Voyez Ordinaire.

Ambassadeur extraordinaire, est celui qui est envoyé à la Cour d’un Prince pour quelque affaire particuliere & pressante, comme pour conclurre une paix ou un mariage, pour faire un compliment, &c. Voyez Extraordinaire.

A la vérité il n’y a nulle différence essentielle entre ambassadeur ordinaire & ambassadeur extraordinaire : le motif de leurs ambassades est tout ce qui les distingue : ils joüissent également de toutes les prérogatives que le droit des gens leur accorde.

Athènes & Sparte florissantes, dit M. Toureil, n’avoient autrefois rien tant aimé que de voir & d’entendre dans leurs assemblées divers ambassadeurs qui recherchoient la protection ou l’alliance de l’une ou de l’autre. C’étoit, à leur gré, le plus bel hommage qu’on leur pût rendre ; & celle qui recevoit le plus d’ambassades, croyoit l’emporter sur sa rivale.

À Athènes, les ambassadeurs des Princes & des États étrangers montoient dans la tribune des Orateurs pour exposer leur commission & pour se faire mieux entendre du peuple : à Rome ils étoient introduits au Sénat, auquel ils exposoient leurs ordres. Chez nous les ambassadeurs s’adressent immédiatement & uniquement au Roi.

Le nom d’ambassadeur, dit Ciceron, est sacré & inviolable : non modo inter sociorum jura, sed etiam inter hostium tela incolume versatur. In Verr. Orat. VI. Nous lisons que David fit la guerre aux Ammonites pour venger l’injure faite à ses ambassadeurs, liv. II. des Rois, ch. x. Alexandre fit passer au fil de l’épée les habitans de Tyr, pour avoir insulté ses ambassadeurs. La jeunesse de Rome ayant outragé les ambassadeurs de Vallonne, fut livrée entre leurs mains pour les en punir à discrétion.

Les ambassadeurs des Rois ne doivent point aller aux nôces, aux enterremens, ni aux assemblées publiques & solemnelles, à moins que leur Maître n’y ait intérêt : ils ne doivent point aussi porter le deuil, pas même de leurs proches, parce qu’ils représentent la personne de leur Prince, à qui il est de leur devoir de se conformer en tout.

En France le nonce du Pape a la préséance sur tous les autres ambassadeurs, & porte la parole en leur nom lorsqu’il s’agit de complimenter le Roi.

Dans toutes les autres Cours de l’Europe l’ambassadeur de France a le pas sur celui d’Espagne, comme cette Couronne le reconnut publiquement au mois de Mai 1662, dans l’audience que le Roi Louis XIV. donna à l’ambassadeur d’Espagne, qui, en présence de vingt-sept autres tant ambassadeurs qu’envoyés des Princes, protesta que le Roi son maitre ne disputeroit jamais le pas à la France. Ce fut en réparation de l’insulte faite à Londres l’année précédente par le Baron de Batteville, ambassadeur d’Espagne, au Comte d’Estrades, ambassadeur de France : on frappa à cette occasion une médaille. (G)