L’Encyclopédie/1re édition/ABORIGENES
ABORIGENES, nom que l’on donne quelquefois aux habitans primitifs d’un pays, ou à ceux qui en ont tiré leur origine, par opposition aux colonies ou nouveaux habitans qui y sont venus d’ailleurs. Voyez Colonie.
Le mot d’Aborigenes est fameux dans l’antiquité. Quoiqu’on le prenne à présent pour un nom appellatif, ç’a été cependant autrefois le nom propre d’un certain Peuple d’Italie ; & l’étymologie de ce nom est extrèmement disputée entre les Savans.
Ces Aborigenes sont la Nation la plus ancienne que l’on sache qui ait habité le Latium, ou ce qu’on appelle à présent la Campagne de Rome, Campagna di Roma.
En ce sens on distingué les Aborigenes des Janigenes, qui selon le faux Berose étoient établis dans le pays avant eux ; des Sicules que ces Aborigenes chasserent ; des Grecs, de qui ils tiroient leur origine ; des Latins, dont ils prirent le nom après leur union avec Enée & les Troyens ; & enfin des Ausoniens, des Volsques, des Ænotriens, & autres qui habitoient d’autres cantons du même pays.
On dispute fort pour savoir d’où vient le mot Aborigenes : s’il faut le prendre dans le sens que nous l’avons expliqué au commencement de cet article, ou s’il faut le faire venir par corruption d’aberrigenes, errans ; ou de ce qu’ils habitoient les montagnes, ou de quelqu’autre etymologie.
S. Jérôme dit qu’on les appella ainsi de ce qu’ils étoient absque origine, les premiers habitans du pays après le déluge. Denys d’Halicarnasse dit que ce nom signifie les fondateurs & les premiers peres de tous les habitans du pays.
D’autres croyent que la raison pour laquelle ils furent ainsi appellés, est qu’ils étoient Arcadiens d’origine, lesquels se disoient enfans de la Terre, & non issus d’aucun autre Peuple.
Aurelius Victor, & après lui Festus, font venir Aborigenes par corruption d’aberrigenes, comme qui diroit errans, vagabonds, & prétendent que le nom de Pelasgiens qu’on leur a aussi donné a la même origine, ce mot signifiant aussi errant.
Pausanias veut qu’ils ayent été ainsi appellés ἀπὸ ὄρεσι des montagnes qu’ils habitoient. Ce qui semble être confirmé par le sentiment de Virgile, qui parlant de Saturne, le Législateur de ce Peuple, s’exprime ainsi :
Is genus indocile, ac dispersum montibus altis
Composuit, legesque dedit.
Les Aborigenes étoient ou les anciens habitans du Pays qui y avoient été établis par Janus, à ce que quelques-uns prétendent, ou par Saturne, ou par Cham, ou quelqu’autre chef, peu de tems après la dispersion, ou même auparavant, selon le sentiment de quelques Auteurs ; ou bien c’étoit une colonie que quelqu’autre Nation y avoit envoyée, & qui ayant chassé les anciens Sicules s’établit en leur place. Or il y a beaucoup de partage entre les Auteurs touchant le nom de cette Nation primordiale : quelques-uns veulent que ç’ait été des Arcadiens qui vinrent en Italie en différens tems ; les premiers sous la conduite d’Ænotrus, fils de Lycaon, 450 ans avant la guerre de Troye, & d’autres sous là conduite d’Hercule. Quelques-autres font venir cette colonie de Lacédémoniens qui quitterent leur pays, rebutés par la sévérité du gouvernement de Lycurgue ; & ils prétendent que les uns & les autres unis ensemble avoient formé la Nation des Aborigenes. D’autres les font venir des Contrées barbares plûtôt que de la Grece, & les prétendent originaires de Scythie, d’autres des Gaules ; d’autres enfin disent que c’étoit les Cananéens que Josué avoit chassés de leur Pays. (G)