L’Enclos du Rêve/08/Les coteaux que je vois de ma fenêtre ouverte…

Alphonse Lemerre (p. 135-136).




Les coteaux que je vois de ma fenêtre ouverte
Ont une courbe molle, où de grands peupliers
Étendent des rideaux souples et réguliers,
D’une gaze qui semble à la fois bleue et verte.

Deux arbres chevelus se dressent tout en haut,
Donnant à ce décor paisible un air de fête,
Et des meules de foin, de la base à la crête
Paraissent s’agripper, pour monter à l’assaut.

C’est là que je voudrais une maison rustique,
Où s’ébattrait le vol des rêves familiers
Dans les panaches bleus et verts des peupliers ;
Ils viendraient écouter quelque chanson mystique ;


Ils laisseraient traîner leurs plumes en passant
Sur les tas de foin roux que la menthe parfume,
Et puis s’endormiraient après quand le soir fume
Et met au fond du ciel des roses et du sang.

Au matin, ils s’éveilleraient avec les choses ;
Leur essaim danserait, fol, autour de mes yeux,
Et sur le seuil du jour je fuirais avec eux
Butiner le jardin des chimères écloses.

Le bonheur serait là sous ces rameaux ombrés,
Et ce calme horizon sur sa pente l’abrite :
Pourtant je partirai sans essayer du gîte
Et sans chercher le toit rougeoyant sur ces prés,

Car nous ne devons pas suivre notre pensée
Aux méandres ombreux où l’espoir l’appela :
Il nous faut cheminer la vie, et tout est là
De savoir cheminer la route commencée.