L’Enclos du Rêve/04/À quatorze ans

Alphonse Lemerre (p. 52-54).

À QUATORZE ANS

À Madame du S. C.


Ma pensée alors, déjà voyageuse,
Éprise du verbe au contour divin,
Cherchait à dompter la rime obsesseuse
Et à ciseler la strophe berceuse
Pour donner l’essor au rêve enfantin
Vibrant en mon âme silencieuse.

Quand l’été mourait, ô tristes et douces.
Chansons que j’allais chantant par les soirs,
Frissons des rameaux et senteurs des mousses
Dans les bois profonds aux frondaisons rousses
Que l’automne effeuille avec ses doigts noirs,
Tandis que le vent pleure dans les brousses.


Mais toujours une invincible attirance
Entraînait mon rêve, entraînait mes pas
Vers les temples saints. J’aimais leur silence,
Leur paix où se vient blottir la souffrance,
Et j’aimais l’autel fleuri de lilas
Où sourit la reine de l’espérance.

J’aimais l’ombre embuant la nef gothique,
L’autel étoilé comme un soir d’avril,
Et les ors verdis au fond du triptyque,
Et la châsse où dort l’ancienne relique,
Et le sanctuaire où l’encens subtil
Se déroule et monte à la voûte antique,

Et l’écho puissant de l’orgue qui tonne,
Et sa plainte lente et ses chants confus,
Et sur le vitrail la pure madone
Qu’un dernier rayon de soleil couronne,
Et plus loin le doux regard du Jésus
Au geste béni de main qui pardonne.

Ô mes visions de prime jeunesse !
Doux poèmes blancs, poèmes ailés,
Parfumés et clairs et pleins de tendresse,
Par vous, j’ai goûté la sainte allégresse !
Fragiles oiseaux si vite envolés
Quand sont arrivés les jours de tristesse !


Poèmes d’antan que mon cœur assemble
Les soirs, quand je fouille en l’ancien trésor,
Ma voix balbutie et ma lèvre tremble…
Souvenirs pâlis, qui fuyez, il semble,
Chers regards fanés de mes rêves d’or,
Mon enfance et vous dormez donc ensemble.