G. Charpentier (p. 322-334).

XI

HIC JACET


Jacques demeura toute la nuit auprès du lit de sa pupille.

Depuis son retour de Cadillac, la pauvre petite occupait la chambre de Marianne, elle ne devait plus la quitter.

Le jeune homme avait le cœur déchiré, d’un côté par un désespoir sans nom à la vue des souffrances de cette enfant, de l’autre par une foule de souvenirs, que lui rappelait tout ce qui remplissait cette petite pièce où il n’avait jamais pénétré jusque-là.

Aidé de Cadette, il soigna Marguerite avec des attentions quasi-maternelles, il la berça, la consola, lui disant de douces choses, parlant d’espoir et d’avenir à cette mourante de dix-huit ans à laquelle le grand sommeil sans rêves tendait déjà les bras.

Le lendemain matin, Blanche arriva.

— Votre fille va mourir, Madame, lui dit Jacques avec une cruauté impitoyable : tuée par vous, comme tout ce qui vous approche.

Madame Larroche essaya un commencement de crise nerveuse.

Jacques, sans le moindre souci d’elle, s’éloigna, pendant que Georges accourait au bruit des sanglots de sa femme.

— Ah ! mon ami, s’écria Blanche, quelle désolation, quel malheur !… Ma tête éclate, je deviens folle.

— Qu’y a-t-il, miséricorde ? Pourquoi ce désespoir ? Voyons, qu’est-ce ?…

— Il dit que Marguerite se meurt, Marguerite, ma fille, que j’aime tant !…

Georges poussa un cri.

— Marguerite, répéta-t-il, votre pauvre Marguerite, Blanche ! Ah ! ce n’est pas possible !

Il s’élança vers la chambre de la mourante ; dans l’escalier, sa femme le rejoignit.

Marguerite, en voyant entrer Georges, sentit un nuage rose monter à son front qu’avait déjà effleuré l’aile de la mort.

Blanche fut tout aussitôt rassurée par ces couleurs éphémères. Et sans s’occuper de la portée de ses paroles :

— Que m’annonciez-vous, Jacques, dit-elle, qu’elle était très mal ? Allons donc, mais elle va beaucoup mieux qu’avant-hier ; avec un teint pareil, on guérit !

— Misérable ! murmura Jacques entre ses dents !

Marguerite eut un sourire indulgent.

— Ne venez pas vous fatiguer ici ma mère, murmura-t-elle ; j’ai besoin de beaucoup de calme moi-même : ma nourrice et Jacques ne me quitteront pas.

— Vous pouvez descendre, Blanche, insista M. Larroche, je vais demeurer également auprès de votre fille.

La mourante retrouva des forces.

— Non, dit-elle plus sombre que jamais, je ne vous veux pas, vous !

Une expression de douleur poignante altéra les traits de Georges. Il sortit avec sa femme.

Vers le milieu de la journée, Jacques, qui voulait demeurer auprès de Marguerite la nuit suivante, alla se reposer quelques instants dans une chambre voisine.

Madame Larroche, à l’affût dans son appartement, s’aperçut de l’absence de Jacques.

Tout aussitôt elle remonta auprès de la mourante.

Elle s’assit au chevet du lit, à la place même que l’avocat venait d’abandonner, et s’emparant de la main brûlante de sa fille :

— Allons, mon pauvre chat, fit-elle de sa voix câline, d’où souffres-tu ? dis-le, que je te guérisse.

Marguerite eut un mouvement de répulsion involontaire que sa mère ne remarqua pas.

— Le cœur m’étouffe, murmura-t-elle, laissez-moi.

Mais Blanche ne se décourageait pas si facilement, lorsqu’elle avait un but.

— Moi te laisser, ma fille chérie, oh ! n’aie pas crainte ; ma place est ici, je ne te quitterai pas.

La malade se laissa faire.

Une heure durant, madame Larroche l’enveloppa des chatteries qu’elle savait si bien prodiguer à tous venants.

Au milieu des caresses dont elle couvrait sa fille, la petite mourante crut deviner une préoccupation sérieuse et étrangère à son mal.

— Êtes-vous fatiguée, ma mère ? lui demanda Marguerite.

— Pas du tout, mon pauvre chat, au contraire, je suis tout heureuse de cette sorte de permission qu’on m’accorde de demeurer près de toi. Mais…, m’en voudrais-tu si je te parlais de choses graves ?

L’œil de Marguerite brilla.

— Tout est grave pour moi maintenant, murmura-t-elle.

— Non, non, ce que tu as n’est rien qu’une crise passagère. Seulement j’ai peur de te lasser, ou bien que la faiblesse ne t’empêche de me répondre.

La jeune fille se recueillit.

— Parlez, ma mère, je vous écoute, dit-elle.

Blanche hésita.

— C’est très délicat, balbutia-t-elle ; mais tu as du cœur, et il te sera facile, je l’espère du moins, de ne pas méconnaître le sentiment qui me fait agir. Jacques t’a-t-il poussée à arranger tes affaires ?

— Mes affaires ? répéta Marguerite toute surprise ; mais je ne sais pas ce que vous voulez dire. Je ne me suis jamais mêlée d’aucune. C’est Jacques qui se charge de tout cela. N’est-ce pas son rôle, du reste, je crois ?

— Évidemment ; mais tu as dix-huit ans passés, et à cet âge tu as aussi le droit…

Les paroles parurent ne plus vouloir sortir de sa gorge.

— De quoi donc, ma mère, expliquez-vous.

Blanche tourmenta ses bagues avec impatience.

— Tu es mauvaise, dit-elle, tu ne veux pas me comprendre.

— Vous vous trompez, je vous assure que je ne comprends réellement pas.

— Eh bien ! voilà. Ma fortune personnelle a été très fortement entamée par les dettes de Georges que j’ai dû payer lors de notre mariage.

La jeune fille ne put réprimer un mouvement de surprise.

— Oui, oui, continua négligemment madame Larroche, je n’en ai pas fait mystère, du reste. J’ai dû, même avant notre départ pour Cauterets, garantir pour lui certaines créances à MM. Sandos et Savary, les banquiers ; je les ai payées plus tard. Si tu étais une fille de cœur, tu me rendrais tout cela. Ce serait, d’ailleurs, une manière de prouver ton affection à Georges, ajouta-t-elle avec un cynisme épouvantable.

Marguerite tressaillit, blessée dans tout ce que ses délicatesses et ses pudeurs pouvaient avoir de plus intime.

Blanche ne vit pas son mouvement, elle reprit :

— Et puis, Jacques ne m’aime pas, tu le sais ; nous avons, toi et moi, certains intérêts communs, pourquoi n’arrangerais-tu pas tes affaires de façon que si… un accident t’arrivait, il lui devienne impossible de me tourmenter.

— Un accident ! lequel ?

Les yeux de la mourante s’agrandirent.

La mère n’eut pas pitié, elle poursuivit :

— Allons, voyons, ne t’effraie pas ; il ne peut rien t’arriver, c’est certain. Mais un testament ne tue pas, on le sait bien. Et une bonne fille doit vouloir que ce qui lui appartient reste à sa mère !

Marguerite se renversa sur son lit sanglotante et désespérée.

— Est-ce possible ! miséricorde ! s’écria-t-elle, est-ce possible !

Cadette, assoupie par la fatigue des nuits et des jours précédents, se réveilla au bruit des pleurs de Marguerite.

— Qu’as-tu, ma mignonne chérie ? demanda-t-elle.

— Rien, dit la mourante.

— Que lui avez-vous fait ? interrogea la nourrice en se retournant vers Blanche. Que signifient ces larmes et ce chagrin ?

— Je ne le comprends absolument pas, répondit madame Larroche.

Marguerite s’était soulevée.

— Laisse-nous un instant, ordonna-t-elle à Cadette.

Celle-ci obéit.

— Ô ma mère ! c’est tout ce que vous trouvez à dire devant mon lit de mort, fit-elle la voix entrecoupée ! Vous ne m’avez donc jamais aimée, même après le mal que vous m’avez fait ?

Puis d’un accent plus ferme :

— Tout ce que j’ai appartient à Marianne, dit-elle, il me semble que si mon pauvre père vivait, il me conseillerait de lui tout donner, c’est un devoir !

Comme elle finissait ces mots, on entendit dans le corridor le pas net et accentué de Jacques ; il venait reprendre son poste.

— Je tâcherai d’oublier ce que vous m’avez demandé, ma mère, dit Marguerite ; pas un mot devant lui, je vous en supplie.

Et elle retomba mourante sur ses oreillers.

Vers le soir seulement, elle s’endormit d’un sommeil lourd, plein de rêves étranges, de rougeurs subites, effacées par des pâleurs de plus en plus livides.

Madame Larroche l’avait quittée depuis longtemps.

Elle parlait dans son assoupissement et semblait de temps à autre répondre à un être visible pour elle seule : c’était son père. On le devinait à ses paroles :

— Je vais te rejoindre, disait-elle, je vais te revoir… Je n’ai pas fermé tes yeux… Jacques fermera les miens !… il a été tout pour moi : mon soutien, mon ami, mon père, mon frère !… Le fiancé que tu m’avais choisi, elle me l’a volé… elle !… qui m’as tuée comme elle t’a tué !… Oh ! pardonne-lui… pardonne-lui !…

Et d’ardentes supplications succédaient à des soupirs de désespoir ; et Jacques sentait sa main qui serrait celle de la mourante toute mouillée par une sueur froide.

C’était l’agonie de Marguerite, de cette enfant qu’il aimait comme si elle eût été sa fille.

Quel supplice !…

On était allé chercher M. Delorme ; Marguerite ne voulut pas qu’il mît les pieds dans sa chambre.

Il devait cependant, pour calmer les craintes de madame Larroche, veiller la malade. Oui, il l’avait promis !…

Mais, qu’on se rassure, M. Delorme appelle veiller un malade s’enfermer à double tour dans la chambre la plus reculée de la maison, se pelotonner dans un lit bien chauffé, dormir à poings fermés et refuser, sous aucun prétexte, de se lever ou d’ouvrir lorsque la famille alarmée le fait prier de venir voir s’il ne survient pas de complications.

La pauvre petite agonisante ne pouvait donc pas être contrariée de veillée de M. Delorme. Au dehors, depuis deux jours, le temps s’était refroidi. Le vent d’hiver envoyait ses rafales dans le grand vestibule et les longs corridors de l’hôtel.

Cadette pleurait toutes ses larmes devant l’agonie de l’enfant qu’elle avait nourrie de son lait.

Vers minuit, Marguerite se réveilla.

— Ma mère ! cria-t-elle ; je veux voir ma mère !…

La nourrice se précipita dans l’escalier.

Au bout d’un instant elle revint les traits contractés ; elle fit signe à Jacques de s’approcher dans un coin reculé de la chambre.

— La misérable ! dit-elle au jeune homme les dents serrées, elle ne veut pas se lever elle prétend que sa présence impressionnerait cette pauvre petite !

Elle avait parlé bas ; mais les mourants ont l’oreille extrêmement sensible.

— Elle a peur de me voir mourir, balbutia Marguerite, c’est juste !… Mais j’attendrai qu’elle vienne…, j’ai à lui parler.

Et elle retomba dans une sorte de léthargie inconsciente et pénible.

— Quelle femme est-ce donc que cette Blanche ? s’écria Jacques éperdu ; elle n’a rien aimé sur terre, pas même sa fille !

— Oh ! monsieur, reprit Cadette ne contenant plus son indignation, vous ne savez pas à quel point vous dites vrai ! C’est monstrueux, mais c’est ainsi. Quand sa mère est morte, elle a également refusé de se lever et de venir à son appel.

— Sa mère ! elle n’a pas voulu voir sa mère mourante ?

— Oui !… ah ! je m’en souviens bien, hélas ! j’y étais !… Trois fois madame d’Auvray a demandé sa fille, trois fois madame de Sauvetat a refusé de se lever. Lorsqu’elle a daigné monter, vers midi, sa mère était froide ; elle était morte à cinq heures du matin !

— Oh ! l’infâme, murmurait Jacques accablé ; l’infâme !

Avec le jour naissant, Marguerite eut une crise plus forte. Madame Drieux arriva, accourant au bruit qui se répandait en ville des derniers moments de la jeune fille.

Malgré sa faiblesse, la mourante, en possession de toute sa volonté, ne voulait que personne vînt auprès d’elle, excepté Jacques et Cadette.

— Je veux ma mère. Jacques, tout de suite… murmura-t-elle d’une voix à peine distincte.

Celui-ci ne fit qu’un bond jusqu’au premier étage, où il enfonça presque la porte de la pièce qu’occupait madame de Sauvetat.

— Vous lèverez-vous, tonnerre ?… cria-t-il à la jeune femme endormie ; et n’est-ce pas assez de l’avoir tuée ? refuserez-vous encore de la voir mourir ?

Et comme elle hésitait :

— Plus vite ! ordonna-t-il, ou je vous y porte toute nue, vive ou morte, tant pis.

Blanche se hâta ; elle connaissait Jacques : il était dans un de ces moments de souffrance et de folie où il pouvait la tuer.

Elle passa un peignoir à la hâte et marcha devant le jeune homme.

Au moment de franchir le seuil de cette chambre où était encore visible la trace des scellés apposés par M. Drieux, elle chancela.

Quelque chose, qu’elle sentait tout près, et qui n’était cependant ni le remords ni le désespoir, lui étreignait le cœur, ce quelque chose d’inconnu, de mystérieux, de consolant ou d’effrayant, devant lequel tout s’incline, et qui s’appelle la mort !…

Elle étendit les bras en avant :

— J’ai peur ! murmura-t-elle.

Jacques la poussa brutalement.

— Entrez donc ! fit-il avec hauteur et dégoût.

Elle obéit.

— Ma mère ! s’écria Marguerite dès qu’elle la vit, je meurs !…

Elle était plus blanche que les dentelles de l’oreiller sur lequel sa tête agonisante s’appuyait.

Madame Larroche vint tomber au pied du lit.

Marguerite étendit la main :

— Je vous pardonne, ma mère, dit-elle ; mais mon père est inflexible, il ne vous pardonne pas ! Prenez garde !…

Blanche, affolée, se leva tout d’une pièce en balbutiant :

— Que raconte-t-elle ?… Miséricorde !… Mais elle a le délire !…

Marguerite s’en allait. Elle eut cependant la force de reprendre, d’une voix entrecoupée par les hoquets de la dernière heure :

— Je vous assure que mon père ne m’a pas quittée de toute la nuit !… Je l’ai bien prié pour vous !… il ne veut pas vous pardonner !… Non, il ne veut pas !…

Tout à coup, elle poussa un cri ; elle se souleva sur son séant, ses yeux s’agrandirent, et, regardant vers la porte :

— Jacques, dit-elle au jeune homme, le voilà !… voilà mon père !… Le vois-tu ? Il me fait signe de le suivre. Ah ! je ne peux pas !… Que dit-il ? Le secret, le secret… Jacques, il est en bas, mais je ne comprends pas où !… Ah ! oui ! Marianne est innocente !… Tu n’avais pas besoin de me le dire, cher père bien-aimé ! Je le savais !

Et sa voix, qui s’était graduellement affaiblie, se perdit dans ces derniers mots à peine murmurés :

Elle !… C’est elle qui nous a tués tous deux !… Pardonne ! pardonne !…

Elle retomba sur son lit ; une écume rosée frangea ses lèvres ; sa main redevint inerte ; la nuance fugitive qui avait monté à son front s’éteignit dans une lividité de marbre, comme ces beaux nuages de la nuit que le vent du matin dissipe doucement ; ses grands yeux restèrent fixes, ouverts, regardant droit devant eux, avec cette effrayante immobilité que donne seule la mort.

Blanche se mit à sangloter bruyamment.

— Ma fille ! ma fille ! criait-elle au milieu de ses larmes. Ah ! je ne veux pas la quitter ! Rendez-la moi !…

Jacques la prit par le bras :

— Respectez au moins la mort, madame, dit-il sévèrement ; je vous engage à sortir d’ici, vous n’avez plus rien à y faire !… Votre présence souille ce sanctuaire ; faut-il vous le faire mieux comprendre encore ?

Elle obéit, n’osant résister au jeune homme dont la figure pâle et menaçante l’inquiétait.

Celui-ci, resté seul, fit ouvrir les portes toutes grandes.

Les domestiques de la maison et la plupart des voisins entrèrent.

— Marguerite de Sauvetat est allée rejoindre son père, dit-il d’une voix que les larmes étouffaient ; elle s’est endormie dans sa grâce et son innocence. Plaignez ceux qui l’aimaient !

Tous s’agenouillèrent, pendant que lui, d’une main tremblante, fermait religieusement ses beaux yeux et accomplissait ainsi un des derniers désirs de cette belle petite morte qu’il avait tant aimée.

Le lendemain, à dix heures, toute la ville était sur pied.

Les cloches sonnaient à grande volée, les rues étaient toutes jonchées de buis et de branches de cyprès ; le cercueil, recouvert du drap d’argent, était porté par les jeunes filles de Roqueberre, vêtues de blanc et voilées jusqu’à terre.

Georges n’assistait pas à l’enterrement ; madame Larroche, appuyée sur ses deux amies, madame Drieux et madame Sembres, avait voulu, malgré les instances de son mari, accompagner sa fille.

La foule était impressionnée, silencieuse ; presque tout le monde pleurait. Jacques, le premier derrière le cercueil, aussi pâle que la morte couchée dans sa bière, n’avait de vivant que ses yeux, qui brillaient comme des charbons.

De temps à autre, un sanglot soulevait sa poitrine ; Orphée Labarthe, qui marchait, découvert, à ses côtés, essayait alors de le calmer et de le contenir.

Le service à l’église fut très long. Enfin on se dirigea vers le cimetière.

Devant le monument de la famille de Sauvetat, un homme était agenouillé sur la dalle humide, plus livide encore que Jacques, et ne songeant pas plus que le jeune homme à essuyer les larmes qui inondaient sa figure : c’était M. de Boutin.

En voyant arriver le cercueil et les prêtres, il se recula légèrement ; son émotion était si grande, qu’il fut obligé de s’appuyer contre la grille de fer.

À ce moment, son regard rencontra celui de l’avocat, et de ses yeux voilés de larmes s’échappa un éclair.

Aussi longtemps que durèrent les prières liturgiques, il demeura incliné et immobile ; il garda cette même attitude brisée et désespérée pendant que les hommes jetaient, suivant l’usage du Midi, une pincée de terre sur la tombe entr’ouverte. Mais, lorsque le tour des femmes arriva, il se rapprocha soudain ; et, à l’instant où Blanche essayait de se précipiter sur la fosse béante en appelant sa fille, il se releva tout droit devant elle, solennel, sévère, effrayant :

— Jacques, dit-il à haute voix au jeune homme qui était à ses côtés, ce ne sont plus des larmes et des prières qu’il leur faut aujourd’hui à ces pauvres martyrs ! Venez, j’ai enfin de quoi les venger !…

À ces mots, Blanche jeta un cri, ses yeux se dilatèrent affreusement, elle voulut fuir ; mais ses forces la trahirent, et elle tomba sans connaissance, pendant que M. de Boutin et Jacques, impassibles comme deux vengeurs, quittaient le cimetière.

Quelques minutes après, on emportait madame Larroche toujours évanouie, et la foule lentement se dispersait, moins impressionnée par ce dernier incident que par un fait étrange, que nul ne pouvait expliquer.

Avant la cérémonie funèbre, sur la tombe du père et de la fille, une main inconnue avait déposé deux couronnes d’épines.

Étroitement enlacées l’une à l’autre, elles étaient retenues par le même ruban de crêpe. On aurait dit qu’elles rappelaient les mêmes douleurs, les mêmes tourments ; plusieurs de ceux qui étaient là, frappés d’une intuition soudaine, ajoutèrent presque inconscients :

— Le même crime !…