L’Empoisonneuse/2/Épilogue

G. Charpentier (p. 437-441).



ÉPILOGUE


M. Dufour-Lafeuillade, qui a pris à cœur les intérêts de la généreuse et sublime prisonnière de Cadillac, n’a négligé pour elle ni voyages, ni démarches, ni influences.

Il a obtenu sa réhabilitation pleine et entière.

C’est à son bras qu’elle a quitté la maison centrale où elle avait dû revenir après la mort de madame Larroche, pour attendre sa grâce.

Le mariage de Jacques Descat et de Marianne de Sauvetat a eu lieu quelques mois après à Roqueberre.

Les fiancés n’avaient invité que leurs amis des mauvais jours ; mais on peut dire que le pays entier assistait au mariage, tant était grande l’affluence de la foule qui se pressait ce jour-là à Roqueberre.

Il y eut peu de personnes qui purent retenir leurs larmes lorsqu’on vit la jeune fille traverser les rues de la ville, suivant l’usage du Midi, dans ses blancs vêtements de mariée ; elle n’avait jamais été si belle. Les pleurs qui couvraient ses joues au souvenir de ceux qu’elle avait perdus, la rendaient encore plus touchante.

Toutes les sympathies, tous les cœurs volaient vers elle.

Elle s’appuyait sur une jeune femme de son âge environ, aux yeux bleus, à la distinction souveraine. Sa longue robe de soie noire balayait, mate et superbe, les branches de buis et les feuilles de roses blanches qu’on avait jetées à profusion sous les pas de Marianne.

En ville on ne l’avait jamais vue ; Marianne et Jacques avaient refusé de dire son nom.

— Penseras-tu à moi dans ton bonheur ? demandait-elle tout bas à la fiancée de Jacques.

— Notre amitié, Aimée, répondait celle-ci, n’est pas de celles que l’absence ou le temps détruit.

— Viendras-tu me voir ?

— Souvent. Mais pourquoi ne demeurerais-tu pas avec nous ?… Les étroitesses de cette vie claustrale ne vont guère à ta nature généreuse et intelligente.

— Je ne les subis pas, et je fais du bien ; j’accomplis simplement un des vœux de celui que je pleurerai toujours.

La mystérieuse compagne de Marianne était, en effet, madame de Ferreuse, qui avait voulu assister au bonheur de son amie.

Quelques jours avant le mariage, Aimée, d’accord avec Jacques, avait doté toutes les détenues libérées cette année-là.

Le jeune homme, par son entremise, leur avait donné à chacune une petite fortune.

On parla beaucoup à Roqueberre de cette pâle et belle inconnue, qu’on nomma la duchesse.

On remarqua surtout que, tout le temps de la cérémonie, elle pleura à chaudes larmes, comme l’aurait fait une mère ou une sœur qui se sépare d’une compagne bien-aimée.

Les témoins de Marianne étaient M. de Boutin et M. Rivière, le médecin de Cadillac ; ceux de Jacques, M. Dufour-Lafeuillade et M. Orphée Labarthe.

M. Drieux, à quelque temps de là, fut nommé président dans le plus petit tribunal de tout le Midi… Il n’en sortira pas. Il le sait.

— Ma carrière est brisée, dit-il quelquefois avec un soupir de désespoir !… L’ambition et les honneurs m’échappent ; mais… les écus du beau-père me restent.

On a conduit Georges Larroche dans la maison centrale de fous, à Auch.

Il se croit toujours M. de Sauvetat, il le répète, il parle sans cesse de son honneur outragé.

Mais ses forces déclinent, et une sorte de somnolence, chaque jour plus profonde, a remplacé l’exaltation factice qui avait succédé à la mort de sa femme.

M. de Boutin a remplacé M. Drieux comme président au tribunal de Roqueberre.

Il aime Jacques et Marianne comme s’ils étaient vraiment ses enfants. Il parle de transmettre ses biens et son nom à leur second fils.

Il le fera.

Jacques, après les premiers jours de son bonheur, a repris sa tâche d’intelligence et de dévouement.

Plus que jamais il veut consacrer ses forces et sa vie à la cause de sa jeunesse : il veut soutenir les droits du peuple, l’instruire, le régénérer, ou le défendre, suivant l’occasion.

Sa femme le pousse dans cette voie et l’affermit dans ces idées, qu’elle comprend et qu’elle partage.

La belle madame Descat, du reste, est très recherchée et très invitée partout.

Les visites abondent dans sa maison.

Elle reçoit tous ceux qui viennent chez elle avec la grâce triste et un peu hautaine qu’elle a toujours eue pour les indifférents.

On a voulu la mettre à la tête de toutes les œuvres pieuses de Roqueberre.

Elle a décliné ces honneurs et a très peu répondu aux nombreuses avances dont elle a été l’objet. Elle sort peu et ne se prodigue pas.

En revanche, tous les pauvres, tous les malheureux de Roqueberre se sont aperçus de son retour et la bénissent.

Souvent, le soir, assise au coin du foyer, à côté de Jacques et de M. de Boutin, ces amis fidèles dont l’affection confiante et inébranlable ne lui a jamais fait défaut, elle soupire et prononce deux noms :

— Lucien ! Marguerite !

Le président serre sa main et lui montre un berceau tout blanc qui est depuis quelques jours à l’endroit le plus apparent du petit salon où se passent les soirées de famille.

Jacques s’agenouille à ses pieds.

Il n’est pas jaloux de ce souvenir fidèle, que les bonheurs d’un amour partagé et les joies d’une maternité prochaine ne peuvent pas affaiblir.

Il sait que dans ce cœur rempli des sentiments les plus exquis sa place est toujours la première.

Il sait surtout quelle mère sera pour ses enfants l’ancienne recluse de Cadillac.

Aussi, pensant à sa pauvre petite pupille, il essuie les pleurs que son souvenir fait couler, et il montre le berceau à Marianne, comme M. de Boutin le lui a montré :

— C’était ta fille aînée ! murmure-t-il tout bas.

Attendrie, elle refoule ses larmes et sourit en regardant ce doux nid de dentelles ou bientôt dormira l’ange qu’elle attend, le sang de ses veines, l’amour de son cœur, la récompense et l’oubli de son martyre, le fils de Jacques !



FIN