L’Empire des tsars et les Russes/Tome 2/Livre 6/Chapitre 4


CHAPITRE IV


De la forme des libertés politiques. — La Russie peut-elle à cet égard avoir des institutions nationales. — Difficultés de l’imitation et difficultés de l’originalité. — Les données du problème et les principales solutions mises en avant — La consulte d’Alexandre II. — Dangers croissants du statu quo. — Conclusion générale.


Il est une prétention presque aussi présomptueuse et non moins décevante pour les peuples que pour les individus, c’est celle de tirer tout de leur propre fonds, d’être en tout et partout original. Nulle part ce penchant n’est plus prononcé qu’en Russie. En aucun pays on n’a autant prêché que hors des voies nationales il n’y avait pas de salut. De même qu’à Stamboul et à Yldiz Kiosk on se plaît à proclamer que la régénération de la Turquie est dans le retour à ses traditions et aux principes de l’islam, à Moscou et à Gattchina nombre de patriotes soutiennent que, pour être grande et prospère, la Russie doit évincer « Teuropéisme cosmopolite » ; comme si entre le nouveau panislamisme et le panslavisme ou le néo-slavophilisme, quelque injurieux que puisse sembler un tel rapprochement, il y avait sous ce rapport une secrète parenté. Ces idées, on le sait, ne sont pas sans échos près de l’impérial élève de H. Pobêdonotsef, si bien qu’on a pu dire qu’Alexandre III s’imposerait la tâche de « rerussifier » la Russie[1]. Or, quoi de plus russe, de plus national que l’autocratie ? quoi de plus étranger que la liberté politique ?

Toute question d’amour-propre mise à part, en dehors de toute théorie slavophile, il n’y a de vivant, il n’y a de fécond et d’efficace, dit-on, que les institutions qui sortent des entrailles mêmes du pays, qui germent spontanément dans le sol national. Or, toute espèce de constitution politique ne serait en Russie qu’un emprunt plus ou moins déguisé, qu’une œuvre artificielle, sans force, sans durée, sans vertu. — C’est encore là une objection qui n’est pas sans valeur, mais devant laquelle on ne saurait s’arrêter. Les peuples savent fort bien, au besoin, s’approprier des usages et des lois du dehors. La Russie même en est, malgré elle, une preuve éclatante. Des institutions transplantées de l’étranger peuvent avec le temps prendre racine dans le sol qui ne les a pas portées ; pour qu’elles s’y acclimatent, il suffit que la terre soit préparée à les recevoir. Là est toute la question. Quel est le peuple moderne, en dehors peut-être de l’Angleterre et des colonies anglaises, dont les institutions soient toutes spontanées et nationales ? Assurément, ce n’est pas la Russie. Depuis Pierre le Grand, elle a emprunté, de toutes mains, à tout le monde. Aucun État n’a aussi souvent copié autrui ; à ce point de vue même, j’oserai dire qu’elle a déjà trop imité l’Occident pour ne point pousser plus loin l’imitation. La liberté politique est le terme naturel et inévitable de tous ces emprunts séculaires. La Russie n’est pas libre de s’arrêter dans cette voie, elle est condamnée à aller jusqu’au bout. Si elle ne peut continuer sa route légalement, elle se verra précipitée violemment dans le chemin où elle n’ose s’engager.

Certes, il vaudrait mieux pour elle avoir des traditions, avoir les fondements d’institutions libres sur lesquels on n’eût qu’à bâtir. Par malheur, de telles traditions lui manquent ; si elle en possédait jadis, elles ont été détruites à ras de terre, les fondations même en ont disparu, et, loin qu’on puisse rien construire sur elles, on a peine à en retrouver la trace sous les décombres du passé. Des slavophiles peuvent seuls se faire illusion à cet égard. L’ancienne Moscovie, en dehors même du vetché de la Russie primitive, a bien eu des assemblées plus ou moins analogues à nos États généraux. Dans le zemskii sobor, le « concile du pays », siégeaient, à côté des boïars et des dignitaires du clergé, les représentants des villes. En convoquant une assemblée de délégués des diverses classes de la nation, le tsar ne ferait que reprendre une ancienne tradition moscovite, qu’imiter un exemple donné plusieurs fois par ses pères avant Pierre le Grand. Ce zemskii sobor des seizième et dix-septième siècles, irrégulièrement convoqué aux époques de crise ou de calamités publiques, aux heures de discordes civiles ou religieuses, toujours intermittent et sans droits ni prérogatives définis, saurait moins fournir à la Russie contemporaine un modèle qu’un exemple ou un précédent. Aux peuples modernes, ces assemblées moscovites, tout comme nos États généraux, n’offrent guère de leçons. Il serait difficile de leur emprunter beaucoup plus qu’un nom, mais, pour les peuples et l’amour-propre national, un nom est parfois quelque chose.

Jusqu’aux recherches historiques contemporaines et à la naissance de l’école slavophile, ce ne sont pas ces souvenirs du zemskii sobor et de l’ancienne Moscovie qui éveillaient chez certains Russes des velléités constitutionnelles ; c’était le plus souvent le contact de l’Europe et les enseignements de l’étranger. De pareilles aspirations sont en effet loin d’être nouvelles en Russie. Le dix-neuvième et le dix-huitième siècle comptent plus d’une tentative de borner l’autocratie ; mais longtemps tous les projets de ce genre, inspirés à quelques boïars par l’exemple de la Suède, de la Pologne, de l’Angleterre, ont été formés sur des modèles aristocratiques qui répugnaient aux coutumes et au génie russes. De là, en partie, l’échec de tous ces rêves ambitieux, depuis la constitution oligarchique imposée à Anna Ivanovna par les Dolgorouki ot les Galitzino, jusqu’à l’insurrection militaire de décembre 1825, à l’avènement de Nicolas.

En dehors du moyen âge et des souvenirs moscovites, on peut découvrir dans la Russie moderne un secret courant de libéralisme qui, borné d’abord à quelques privilégiés, mal dirigé et présumant de ses forces, a grossi peu à peu, d’année en année, et deviendra tôt ou tard assez puissant pour emporter tout ce qui lui fait obstacle. Le fond du peuple est sans doute encore loin d’éprouver de pareilles aspirations, il aura même d’abord de la peine à s’y associer. Pour lui, le nom exotique de constitution (konstitoutsia) résonne comme un mot étranger, comme une inintelligible énigme ; de même qu’en décembre 1825, bien des Russes seraient capables de demander : Quelle femme est-ce là[2] ? Peu importe, cette ignorance se dissipe tous les jours ; les idées de liberté pénètrent peu à peu et, en Russie comme ailleurs, elles ne peuvent que croître avec le progrès des lumières, de la richesse, du bien-être. À cet égard, les abus de l’administration et la propagande révolutionnaire travaillent dans le même sens. Grâce à cette active coopération, ce qui était une chimère en 1815 et en 1825, ce qui était encore prématuré vers 1860, ne l’est déjà plus au déclin du dix-neuvième siècle. Au vingtième siècle il serait peut-être trop tard.

Presque tout le monde en Russie serait d’accord sur l’opportunité d’un changement de régime, si l’on savait comment remplacer l’état de choses actuel sans se jeter dans des imitations redoutées des uns et répugnant aux autres. S’ils souhaitent des libertés publiques, la plupart des Russes voudraient qu’en cela leur patrie pût être originale, et de quelle façon l’être ? Un peuple qui en pareille matière sentirait bien sa propre originalité se préoccuperait moins sans doute d’en faire preuve. J’ai rencontré plus d’une fois des Russes d’opinions diverses qui me disaient, avec une sorte d’ingénuité : « Nous ne pouvons, il est vrai, longtemps nous passer de libertés politiques, mais il nous faudrait autre chose que tout ce qui se rencontre au dehors. Vos chartes ou vos statuts, vos constitutions aristocratiques ou bourgeoises, déjà à demi démodées en Occident, sont trop compliquées, trop formalistes, trop étriquées pour nous ; un tel habit n’irait pas à notre taille, il se déchirerait à chacun de nos mouvements. Nous avons besoin de quelque chose de plus large, de plus ample, de plus simple, et de plus populaire en même temps. » Et quand je les poussais à sortir du vague, à préciser leurs vues, ils ne trouvaient d’ordinaire rien de plus défini ; ils se bornaient à répéter avec conviction : « Assez d’emprunts, assez d’imitations ; il nous faut quelque chose de national, d’indigène, de russe, de slave. »

En fait de constitution et de droits politiques, malheureusement, le plus sûr moyen de rester original, d’être toujours russe, ce serait de n’avoir ni constitution ni liberté. Beaucoup de Russes, en effet, voudraient découvrir pour leur immense patrie de nouveaux procédés de self-government, une nouvelle manière d’être libre ; plusieurs seraient humiliés de l’être à la façon des petits peuples d’un Occident pourri et décrépit, à la façon des Anglais ou des Belges par exemple. Sur ce point, leur patriotisme peut se rassurer ; ils n’ont de longtemps rien de pareil à redouter.

Ce dédain des sentiers battus et ce désir d’arriver au but par des voies non frayées, cette sorte de honte de paraître imiter des nations visiblement plus âgées, plus mûres, plus cultivées, cette propension à rêver de combinaisons politiques innomées dont les contours indistincts ne peuvent surtir de la vaporeuse région des songes, toute cette présomption et cet orgueil national, jusqu’ici stériles, ne sauraient étonner chez un peuple jeune, dans un pays fier de sa grandeur, où des patriotes d’opinions fort différentes font chaque jour le procès de la civilisation occidentale et de notre maigre culture bourgeoise, où des écrivains éloquents et érudits se demandent solennellement si la terre russe ne porte pas en germe les semences d’une autre civilisation, d’une autre société, d’un autre état politique. Ne peut-on, en matière gouvernementale, dans l’agencement des divers rouages de l’État, dans les relations du peuple et de l’autorité héréditaire, concevoir un type plus parlait et plus harmonieux que tout ce qu’on a vu fonctionner jusqu’ici ? Un gouvernement, par exemple, dégagé des luttes de classes et de partis, des antagonismes sociaux et politiques, de l’esprit de négation et de révolte qui, chez les peuples de culture germano-latine, corrompent dans son principe l’État comme la société ? — tel est en effet l’idéal plus ou moins vague, plus ou moins conscient et raisonné des Russes qui, selon le mot d’Aksakof, ne veulent pas revêtir les haillons du constitutionnalisme européen[3]. Pour arriver à la liberté, ils ont la prétention de n’avoir besoin ni de constitution, ni de parlement, ni de droits politiques d’aucune sorte.

Laissant de côté ce que, pour nous Occidentaux, ces rêveries ont de manifestement utopiste, y a-t-il, chez le Russe et chez le Slave en général, le rudiment d’un état politique nouveau, d’un mode de self-government différent par les formes ou par l’esprit de tout ce qui se rencontre dans l’histoire ? Est-il vrai que les Slaves portent en eux-mêmes, dans les éléments de leur culture ou dans les traits encore indécis de leur caractère national, l’embryon d’un type politique inconnu et original ? Jusqu’à quel point est-il possible à ces derniers venus de la civilisation chrétienne de chercher la liberté dans d’autres voies que leurs aînés d’Occident, de faire du neuf et du slave, et en faisant autrement, de faire mieux ?

Cette prétention, fort naturelle et rationnelle, si elle se borne à des nécessités d’adaptation ou même au moule des institutions et à leur empreinte nationale, est insoutenable si elle s’étend au fond des choses et à l’essence même de l’État. Quelles formes de gouvernement non encore découvertes et quelles secrètes inventions politiques, quelles profondes conceptions de la liberté et quels nouveaux moyens de la réaliser se peuvent rencontrer chez des peuples qui n’ont ni institutions ni traditions politiques d’aucune espèce ? Les institutions doivent, dit-on, sortir du sol national, mais où en prendre chez les Slaves les racines ou la semence ? Si, en Russie et ailleurs, ils en ont jadis possédé le germe dans leurs vetchés ou leurs doumas, la graine en a été flétrie et desséchée par les siècles ; loin d’avoir encore la force de lever, elle a depuis longtemps perdu toute vertu germinative. Où sont les institutions slaves qui peuvent servir à la Russie de type ou de modèle ? Les faut-il chercher dans le passé, en Russie même, dans le sobor ou la zemskaia douma des seizième et dix-septième siècles ? Mais ces assemblées moscovites ne conviendraient guère mieux à la Russie contemporaine que nos États généraux, composés de trois ordres, ne siéraient à la France aujourd’hui[4]. Le tsar convoquerait le zemskii sobor, qu’ainsi que nos États généraux de 1789, l’antique assemblée moscovite ne saurait longtemps siéger sans se transformer en une chambre ou un parlement à la moderne. Cette originalité slave, faut-il l’aller chercher dans le présent, à l’étranger, chez les petits peuples du Balkan congénères de la Russie, dans la skouptchtina et la constitution serbe, ou bien dans le statut bulgare jadis élaboré à Saint-Pétersbourg par la chancellerie russe, et bientôt après suspendu parle coup d’État du prince Alexandre ; aux applaudissements de la presse nationale de Moscou ?

Ce statut bulgare, défiguré par les notables de Tirnovô jusqu’à en être devenu méconnaissable, a pour nous l’intérêt d’avoir été rédigé, sur l’ordre du tsar, par un homme d’État russe, pour un peuple slave. On est naturellement tenté de se demander si c’est sur le même patron que serait taillée une constitution russe, le jour où, pour les mettre politiquement sur le même pied que leurs protégés du Balkan, le tsar se résoudrait à octroyer une charte à ses cent millions de sujets.

En ce cas, où serait l’originalité slave et l’empreinte nationale ? Serait-ce dans une chambre unique comme en Serbie ou en Bulgarie ? Veut-on, dans ces constitutions iougo-slaves ou dans les obscures traditions slavonnes, découvrir quelque caractère national, ce ne peut guère être ailleurs.

Et en effet, à tort ou à raison, une assemblée unique serait généralement regardée comme plus slave, plus russe qu’un parlement avec deux chambres distinctes et indépendantes, comme en ont aujourd’hui la plupart des peuples civilisés d’Europe et d’Amérique. Si, au fond, cela n’est pas plus slave qu’autre chose, — car, en dehors de nos grandes assemblées de la Révolution, la Grèce en Europe et Costa-Rica en Amérique n’ont encore aujourd’hui qu’une seule chambre, — cela paraît plus conforme aux goûts et aux préjugés, si ce n’est aux traditions et aux besoins des Slaves modernes. Pour ces nouveaux venus à la vie politique comme pour l’amour-propre russe, une assemblée unique a le grand mérite d’être quelque chose de moins commun, de moins banal ; outre un faux air de nouveauté, elle a une certaine saveur démocratique dont Russes, Serbes ou Bulgares, la plupart des Slaves se montrent très friands. Aux yeux du gouvernement de Pétersbourg qui, dans son projet de statut bulgare, s’était également arrêté à une seule chambre, ce mode de représentation avait peut-être l’avantage de moins ressembler à l’appareil habituel du régime parlementaire. Aussi n’y aurait-il pas lieu de s’étonner si, en se décidant à faire à ses sujets le même présent qu’à ses protégés du Balkan, le gouvernement du tsar recourait, lui aussi, à une assemblée unique, sauf peut-être à se repentir plus tard de n’avoir pas tenu plus de compte des leçons de l’histoire et de l’expérience d’autrui.

Une chose pour nous certaine, c’est que, appelés à l’instar des notables bulgares à voter une constitution, les Russes ne seraient guère plus favorables à l’érection de deux chambres que les constituants de Tirnovo. À Moscou comme à Tirnovo, les Occidentaux ou les parlementaires seraient, sur ce point, à peu près sûrs d’une défaite.

Au peu de goût des Russes pour le régime de deux assemblées, il y a, outre le désir assez général de se singulariser, deux raisons au fond du même ordre. Qu’est-ce après tout, disent certains patriotes, que cet ingénieux mécanisme de deux chambres, que tout ce système compliqué de poids, de contrepoids et d’équilibre parlementaire ? Qu’est-ce en réalité, si ce n’est un signe et une conséquence de l’antagonisme des forces et des pouvoirs, antagonisme qui en Occident se retrouve partout, dans le présent et dans l’histoire, dans l’État et dans la société ? Chez nous, où entre les différentes classes, où entre le peuple et le souverain, il n’y a jamais eu ni les mêmes défiances ni les mêmes luttes, chez nous où il n’y a ni les mêmes chocs ni les mêmes frottements, à quoi bon tout ce lourd appareil de freins et de tampons qui ne ferait qu’embarrasser et paralyser le libre jeu des institutions ?

Cette prévention s’appuie d’ordinaire sur un préjugé d’un ordre analogue. À la plupart des Russes, en cela d’accord avec les Slaves du sud, une chambre haute fait toujours plus ou moins l’effet d’une assemblée de privilégiés ; ils lui trouvent quelque chose d’aristocratique qui leur rappelle les distinctions de classes[5]. Pour eux, un sénat ou une chambre des pairs n’est à sa place que dans les pays à traditions féodales ou à oligarchie bourgeoise. À leurs yeux, le peuple russe, étant un dans son histoire et dans sa conscience, doit être représenté dans son unité par une assemblée unique. Peuple et tsar doivent être placés en face l’un de l’autre, en contact direct, sans intermédiaire d’aucune sorte pour les séparer et les empêcher de s’entendre.

Mettons de côté toutes ces prétentions et préventions à demi slavophiles, à demi démocratiques ; il reste vrai que la Russie ne semble pas posséder les éléments d’une chambre haute indépendante, d’une chambre héréditaire surtout, comme celle des lords de la Grande-Bretagne ou celle des seigneurs en Prusse. La noblesse russe, tout entière issue du service, n’a jamais eu assez de pouvoir malériel, assez d’autorité morale, assez d’individualité pour qu’on en puisse tirer une chambre autonome, influente et respectée[6]. En revanche, rien ne serait plus conforme aux habitudes et aux traditions russes, si ce n’est aux instincts slaves, qu’une assemblée composée de hauts fonctionnaires civils ou militaires et de personnages désignés par le souverain. La Russie déjà possède quelque chose de semblable dans le Conseil de l’empire, dont les attributions et le recrutement n’auraient qu’à être légèrement modifiés pour en faire une sorte de sénat bureaucratique.

Dans le curieux canevas de constitution, en cent cinquante articles, expédié en 1878 de Pétersbourg à Tirnovo, la chambre unique, instituée pour les Bulgares, était composée à peu près par moitié de députés élus par la nation et de hauts fonctionnaires désignés par le pouvoir, de sorte que le gouvernement et l’administration eussent eu, dans cette sobranié, à peu près autant de représentants que le peuple. Pour les rédacteurs du projet pétersbourgeois, c’était peut-être là une manière de symboliser l’union, tant vantée des slavophiles, entre le prince et la nation[7]. Les notables de Tirnovo ont eu beau expulser de leur assemblée nationale les délégués du pouvoir, il serait loisible de trouver à ce système le caractère slave, si prisé de certains patriotes. Cette partie du projet russe, en effet, semble avoir été un emprunt à une principauté voisine, à la Serbie, alors le seul État slave qui possédât un gouvernement représentatif. Dans la skoupchtina serbe, qui paraît avoir servi de modèle au Sieyès russe, un quart environ des membres sont désignés par le souverain. Sur ce point l’originalité slave consisterait donc à réunir dans une même assemblée les élus de la nation et les délégués du gouvernement, à confondre dans une même enceinte deux éléments d’origine diverse, ailleurs répartis en deux chambres différentes.

En tout cas, rien ne serait plus facile que d’appliquer à la Russie un tel procédé ; il n’y aurait guère qu’à adjoindre au conseil de l’empire (gosoudarisvenny sovêt), avec quelques hauts dignitaires civils, militaires ou ecclésiastiques, des représentants élus de la nation, par exemple des délégués des états provinciaux (zemstvos). Il sortirait de cet amalgame une assemblée de nature mixte, fort peu inquiétante pour le pouvoir. On sait que dans les dernières années il a plusieurs fois été parlé de quelque mesure de ce genre.

C’eût été là du régime représentatif à petite dose, à dose homéopathique pour ainsi dire. Un pareil statut aurait assurément quelque chose de neuf, quelque chose de russe et de national. Si peu que cela semble, cela eût pu être à son heure un grand pas. Une assemblée à demi bureaucratique, du genre de celle proposée naguère aux Bulgares, eût pu servir de transition et comme de pont entre le système autocratique actuel et un système vraiment constitutionnel, sauf plus tard, avec le progrès de l’éducation politique, à dédoubler une pareille assemblée, mettant dans une chambre les mandataires directs de la nation, dans l’autre les hauts dignitaires avec les membres désignés par la couronne.

Il a été, sur la fin du règne d’Alexandre II, question d’une autre combinaison dont la mort inopinée de ce prince a seule empêché la mise à exécution. Il ne s’agissait de rien moins que de la convocation d’une assemblée entièrement élue par les états provinciaux et les doumas des grandes villes. On était au commencement de 1881, sous le ministère de Loris-Mélikof. Le général et plusieurs de ses collègues sentaient la nécessité d’obtenir l’appui efficace de la nation et comprenaient qu’ils ne pourraient l’obtenir qu’en réunissant les représentants du pays. Une telle idée était difficile à faire accepter d’Alexandre II, qui personnellement tenait peu au pouvoir absolu, mais ne se croyait point appelé à inaugurer l’ère constitutionnelle. Pour ménager ses scrupules et ses préventions, autant que pour aplanir le passage de l’ancien ordre de choses au nouveau, ses ministres n’avaient osé lui recommander qu’une assemblée consultative. De même qu’aujourd’hui le conseil de l’empire, le nouveau sobor russe n’eût fait qu’étudier les lois dont le projet lui aurait été soumis. La décision fût toujours restée au souverain. On représentait à l’empereur que de cette façon le pouvoir autocratique resterait intact. Alexandre II semble avoir senti que les faits pourraient ne pas répondre à la théorie, et qu’une fois engagé dans cette voie, on n’était pas certain du point où l’on s’arrêterait. « Messieurs, dit-il dans un conseil, ce qu’on nous propose, c’est l’assemblée des notables de Louis XVI. Il ne faut pas oublier ce qui suivit. Si pourtant vous jugez cela utile au pays, je ne m’y oppose point[8]. »

La proposition fut discutée dans un conseil où assistaient plusieurs grands-ducs, notamment le tsarévitch ; depuis Alexandre III. Après une longue délibération, le projet, vivement soutenu par le général Loris-Mélikof, par M. Abaza, par le comte Valouief, avait été adopté en principe. Une commission avait été chargée d’en étudier les détails et d’en formuler les bases. Elle s’était réunie au palais Anichkof, chez le grand-duc héritier, dont on tenait naturellement à avoir l’approbation. Ce prince, du reste, avait été de prime abord sondé par le général Loris-Mélikof, auquel il n’avait point refusé ses encouragements.

Au mois de février 1881, la Russie était de cette façon à la veille de nommer une assemblée représentative, ce qui eût été le point de départ d’une transformation dont rien ne marquait le terme. La décision était prise, la nouvelle charte rédigée avec l’approbation du souverain et de son héritier. Une sorte de fatalité en arrêta la promulgation et rejeta, pour longtemps peut-être, la Russie dans l’inconnu.

D’un caractère enclin à la procrastination, absorbé à cette époque par les tardives joies de son récent mariage morganatique, Alexandre II remit à quelques semaines, après le carême, après les fêtes, la publication de l’acte dont dépendait l’avenir de l’empire et sa propre existence. Il avait oublié que le lendemain n’est à personne. Ce n’était point, semble-t-il, qu’il fût incertain et voulût revenir sur sa résolution. Chose tragique, et qui montre à quoi tient parfois le sort des princes et des empires, le jour de sa mort, le matin du dimanche 1er (13) mars 1881, avant de partir pour la « parade » d’où il ne devait revenir qu’expirant, Alexandre II, qui, la veille, avait appris l’arrestation de Jéliabof et la découverte d’un nouveau complot, envoya au ministère de l’Intérieur l’ordre de faire annoncer le lendemain lundi, dans le Messager officiel, l’importante réforme accordée à ses sujets. Un jour de retard dans les préparatifs de Sophie Pérovsky et de Kibaltchich, et la Russie était engagée dans la voie des libertés politiques. Si imparfaites que pussent sembler cette sorte de consulte et cette charte embryonnaire, peut-être sa publication eût-elle arrêté le bras de fanatiques égarés, peut-être un grand deuil eût-il été épargné à la Russie et de grands dangers à la dynastie et au pays.

Quelques instants avant de quitter le palais d’hiver, Alexandre II disait à sa nouvelle épouse, la princesse Iourievski : « Je viens de signer un papier qui, je l’espère, fera une bonne impression et apprendra à la Russie que je lui accorde tout ce qui est possible ». Et, selon son habitude dans les circonstances solennelles, il faisait le signe de la croix, ajoutant : « Demain, ce sera publié, j’en ai donné l’ordre[9] ».

L’ordre en effet était expédié, le texte officiel envoyé à l’imprimerie : on était en train de le composer à l’heure où expirait le Isar. Dans la confusion qui suivit l’attentat, au milieu même du désordre du palais en deuil, le général Loris-Mélikof, s’approchant du nouveau souverain, lui apprit l’ordre donné le matin et lui demanda s’il devait s’y conformer. « Ne change rien aux ordres de mon père, répondit Alexandre III, ce sera son testament. » Que n’a-t-il persisté dans celle opinion et respecté la dernière volonlé de son prédécesseur ! En acceptant ce legs signé du sang encore humide du « tsar martyr », Alexandre III eût échappé à bien des perplexités et à bien des dangers. Le nouveau règne n’eût pas été expose à de périlleuses tentations de réaction, ni à d’énervantes incertitudes. En agissant sans retard, au nom de l’empereur assassiné, le nouvel empereur eût couru au-devant des vœux de l’opinion, sans paraître céder aux injonctions de l’émeute ; il eût à la fois glorifié la mémoire paternelle et relevé le prestige de la couronne. On imagine quels eussent été le sentiment du pays et la confusion des conspirateurs si la Russie et l’Europe eussent appris en même temps la mort violente du tsar et la convocation par cette main refroidie d’une assemblée représentative. Cette modeste charte posthume eût emprunté à des circonstances aussi dramatiques une sorte de consécration.

À cette date, le soir du 1er-13 mars, l’occasion qu’avait laissé échapper Alexandre II pouvait être ressaisie par Alexandre III. On était à un de ces moments critiques où une heure fugitive peut décider de l’avenir d’un règne. Alexandre III ne le comprit point. Sous l’impulsion de certains conseillers, l’impérial élève de M. Pobédonotsef revint sur sa première inspiration. Le ministre de l’Intérieur reçut contre-ordre au milieu de la nuit. Le projet sanctionné par Alexandre II, déjà sous presse à l’imprimerie, ne parut pas le lendemain au Messager officiel. La nouvelle mesure, disait-on au jeune souverain, n’avait pas été assez étudiée ; avant de faire un pareil pas, il fallait en peser toutes les conséquences. Quelques jours plus tard, un conseil extraordinaire, où l’on invitait plusieurs des survivants du règne de Nicolas et des apologistes déclarés du statu quo, examinait de nouveau l’affaire en présence de l’empereur. Cette fois la politique de stagnation l’emportait. La convocation d’une assemblée était déclarée imprudente ou prématurée. La question était ajournée, c’est-à-dire indéfiniment écartée. Des témoins oculaires m’ont affirmé qu’à la fin de ce conseil, l’empereur avait été pris d’une sorte de malaise et de faiblesse, comme si, en se ralliant à ce parti ; il en avait pressenti la gravité.

C’est ainsi que par deux et trois fois, en un court espace de temps, sous Alexandre II dans ses derniers jours, sous Alexandre III au début de son règne, l’autocratie a, faute de résolution, laissé passer l’heure propice. Jamais peut-être ne retrouvera-t-elle un moment aussi favorable[10].

Mais, de ce qu’en 1881 on a laissé envoler l’occasion, est-ce une raison pour s’en tenir indéfiniment au régime qui a engendré le « nihilisme » et la plus horrible série d’attentats dont l’histoire fasse mention ? Est-ce un motif pour ramener la Russie au règne de Nicolas et, par une aveugle obstination, justifier aux yeux d’une grande partie du pays l’infatigable opiniâtreté des conspirateurs ? Alors même que les influences antilibérales cesseraient de prévaloir à la cour, le problème est déjà plus compliqué qu’à l’aurore du nouveau règne. L’espèce de consulte, suggérée au libérateur des serfs, eût sans doute été accueillie avec enthousiasme au lendemain du tsaricide ; après des années de désenchantement, l’impression ne saurait plus être la même. Si naturelle qu’elle puisse sembler, ne fût-ce que comme procédé de transition, une assemblée purement consultative ne serait pas du reste sans inconvénients. Elle risquerait d’être trop ou trop peu, selon qu’elle dépasserait ses attributions légales ou qu’elle s’y enfermerait scrupuleusement. Dans le pays même de l’autocratie, il serait de nos jours malaisé de rencontrer une assemblée représentative toujours disposée à dire, comme l’ancien sobor moscovite : « Voici notre manière de voir, mais tout, ô souverain, dépend de ta volonté, fais ce qu’il te plaira ». Les mœurs ne sont plus pour cela assez patriarcales. Puis, ce dont le pays et le gouvernement ont avant tout besoin, c’est moins d’avis que de contrôle. Enlever ce droit de contrôle à une assemblée, ce serait la priver d’avance de sa principale raison d’être.

Une chambre, consulte ou autre, à laquelle on ne soumettrait pas le budget de l’État, semblerait, à ses propres membres comme au pays, de peu d’utilité ; et comment soumettre les finances de la Russie à ses représentants, pour ne leur laisser d’autre soin que celui de vérifier les comptes ou de solliciter de platoniques économies ? Le contrôle de la fortune publique sera toujours et partout le premier souci des délégués de la nation, et, ce contrôle une fois admis, il est difficile de leur contester longtemps le vote de l’impôt, lequel seul entraîne tôt ou tard une participation à l’exercice de la souveraineté.

Ce serait une illusion de croire qu’on puisse longtemps réunir une grande assemblée représentative sans lui accorder aucun pouvoir effectif. Chez nous aussi, au dix-huitième siècle, on avait fait un pareil rêve. Turgot conseillait à Louis XVI, en 1775, de convoquer chaque année une assemblée qui se serait occupée d’administration et jamais de gouvernement, qui aurait eu plutôt des avis à donner que des volontés à exprimer et eût été chargée de discourir sur les lois, sans les faire[11]. « De cette façon, disait Turgot, le pouvoir royal serait éclairé et non gêné, et l’opinion publique satisfaite sans péril. » Qui ne sent aujourd’hui l’utopie d’une telle combinaison ? Si, douze ou quinze ans avant 1789, Louis XVI eût obéi à l’avis de Turgot, il eût eu bien des chances d’écarter la révolution ; mais l’assemblée par lui convoquée ne fût pas restée des années purement consultative. Une représentation nationale est comme le flux de la mer, il est difficile de lui dire : tu n’iras pas plus loin.

« De toutes les assemblées politiques, me confiaît à Pétersbourg, en 1880, un haut personnage[12], une assemblée consuHative ou « sobor », comme en préconisent certains néo-slavophiles, serait peut-être la plus incommode. Avec elle nous serions exposés à des embarras inverses de ceux que donnent les Chambres législatives. Au lieu d’être obligés de dissoudre les députés en cas de désaccord, nous courrions le risque d’avoir du mal à les faire siéger. Les représentants du pays pourraient se piquer de voir leurs avis méconnus, et se retirer, se mettre en grève. « Vous ne voulez point nous écouter, répondraient-ils aux ministres, inutile de nous réunir », et le pays serait jeté dans des crises constitutionnelles dont le gouvernement ne sortirait qu’humilié et déconsidéré. »

De telles appréhensions n’étaient peut-être pas sans fondement. Ce qui fait en réalité la puissance d’une assemblée et d’une représentation populaire, ce sont bien moins ses prérogatives légales que son autorité morale, mise en balance avec l’ascendant du pouvoir qui la convoque. L’autocratie eût su prévenir les besoins du pays et devancer les injonctions révolutionnaires, Alexandre II eût réuni les représentants de la nation vers 1875, quand le prestige de la couronne était encore intact, une assemblée russe, de quelque prérogative qu’il eût plu au tsar de la doter, n’aurait guère été en réalité qu’une grande consulte. Aujourd’hui il est douteux qu’il en fût ainsi ; toute représentation nationale prendrait sa mission au sérieux et travaillerait à étendre ses droits.

Aussi, pour échapper aux luttes partout inhérentes aux assemblées politiques, cherchera-t-on peut-être longtemps encore à s’en passer, sauf à leur substituer un jour quelque autre procédé plus inoilensif, tel que des assemblées provinciales à compétence étendue, ou de grandes commissions intermittentes, plus ou moins analogues à celles du général Ignatief en 1881[13]. Le premier système aurait beau constituer un manifeste progrès, il ne saurait guère plus longtemps suffire à la Russie que pareille combinaison n’a suffi, chez nous, à la France de Louis XVI. Le second expédient aurait, je l’avoue, l’avantage de parer à l’un des défauts reprochés au constitutionnalisme occidental, le manque de spécialité des parlements. Il aurait de plus le mérite d’être nouveau, de n’être pas une copie du dehors ; mais ce double avantage n’en saurait balancer les inconvénients. Avec de pareilles commissions facultatives, non seulement il ne saurait y avoir de législation homogène, mais, ce qui importe avant tout au pays, il ne saurait y avoir de contrôle effectif des gouvernés sur les gouvernants.

En résumé, la Russie nous paraît contrainte d’entrer à plus ou moins longue échéance dans la voie des libertés modernes. Par quelle porte y doit-elle entrer ? Ce n’est pas à nous de le lui indiquer ni de tracer aux événements leur cours. De la part d’un étranger, ce serait là de l’outrecuidance. Ce que nous savons, c’est qu’il est grand temps pour elle de se mettre en marche, que la route sera longue et pénible, que les raccourcis abrupts, qui ont pu réussir à d’autres, lui seraient périlleux, car elle est trop massive et pesante pour escalader les sentiers escarpés par où de plus petits et de plus agiles ont pu passer impunément.

Plusieurs Russes m’ont fait l’honneur de m’engager à leur envoyer un projet de constitution. Je m’en suis toujours bien gardé. D’autres fois, on m’a interrogé sur les modèles qu’offrait l’étranger. « Quel serait à votre avis ce qui nous conviendrait le mieux ? me demandait dans un salon une femme politique, comme la Russie en possède plusieurs ; ne serait-ce point la constitution de l’an VIII ou encore votre constitution de 185S ? » À semblable question on ne peut faire qu’une réponse : si en pareille matière il est puéril de se piquer d’originalité, il ne serait guère plus raisonnable d’aller copier de toutes pièces l’étranger. Le pays gagnerait peu à voir l’antique autocratie se travestir en césarisme à la Napoléon. D’un autre côté, le parlementarisme bureaucratique, tel qu’il est pratiqué en certains États de l’Occident, n’est assurément pas fait pour être érigé en modèle. Dans la Russie à peine émancipée du servage, le parlementarisme du reste risquerait fort de n’être qu’une utopie ou un trompe-l’œil. Les éléments même en paraissent faire défaut. Avec la séparation morale et l’isolement réciproque des diverses classes qui encore aujourd’hui ont besoin d’un arbitre commun, placé au-dessus de leurs préjugés et de leurs intérêts particuliers, avec les habitudes patriarcales des masses, il ne saurait guère être question de gouvernement des partis et des majorités. Sur ce point les adversaires des réformes politiques peuvent avoir raison ; c’est en ce sens que, tout en entrant dans le cercle des États constitutionnels, la Russie doit se garder de se modeler de but en blanc sur les États les plus avancés, se garder de rompre brusquement avec la tradition nationale ou l’instinct populaire[14].

Transférer soudainement le pouvoir des conseillers de la couronne aux chefs de partis ou aux leaders des majorités, déclarer tout d’un coup irresponsable l’héritier de quatre ou cinq siècles d’autocratie, ne serait probablement qu’une vaine et dangereuse fiction. En politique comme en architecture, l’édifice le mieux conçu est celui dont l’extérieur répond le mieux au dedans, dont la façade et les profils indiquent le mieux la disposition. Pour la Russie, la meilleure constitution sera celle qui, tout en faisant à la nation une part effective dans l’étude et la direction de ses propres affaires, reconnaîtrait au pouvoir des prérogatives dont ni oukaze ni charte ne sauraient de longtemps le dépouiller. Rien ne serait plus regrettable que de chercher à en imposer au pays ou à l’Europe par des dehors menteurs et des façades de pure décoration. Quelles que soient les formes adoptées, deux choses à nos yeux restent certaines : l’une, c’est que, pour faire quelque chose d’efficace, le pouvoir ne devra pas procéder d’une main trop parcimonieuse, mais aller du premier coup au bout des concessions qu’il croira pouvoir faire ; la seconde, c’est que plus tard le trône admettra la nation à participer au gouvernement, plus grande il devra lui faire la place.

Il y a en histoire naturelle deux théories rivales dont je ne veux pas apprécier la vérité, mais que je crois pouvoir appliquer à la politique et aux libertés constitutionnelles. Selon l’une, la plus ancienne et la plus vulgaire, c’est l’organisme qui crée la fonction ; selon les novateurs, c’est plutôt la fonction et le besoin qui engendrent l’organe. On peut en dire autant de la politique ; là surtout, c’est au besoin à créer l’organe, c’est à l’exercice de l’approprier au milieu ; mais là aussi l’organe, à son tour, réagit singulièrement sur la fonction et stimule le besoin dont il est né. Le meilleur moyen de mettre un pays en état de se gouverner lui-même, c’est de lui en fournir l’occasion. Une fois pourvue d’organes de self-government, la Russie, comme tout autre peuple vivant, les adaptera peu à peu à ses instincts et à son génie.

Longtemps les Russes les plus éclairés ont été peu enclins à hâter de leurs vœux l’heure où la nation serait mise en possession de droits politiques. L’exemple d’autres pays dotés prématurément d’institutions libres, de parlement et de ministres responsables, l’exemple de l’Espagne, le nôtre même, leur paraissaient peu encourageants. Quelques mois avant la dernière guerre de Bulgarie, un Russe intelligent et libéral me répondait à ce sujet : « La constitution, ce sera pour le prochain règne ; mieux vaut pour la Russie que cela vienne quinze ans trop tard que quinze ans trop tôt ». Ces paroles semblaient d’un sage, et moi-même, je l’avoue, j’en admirais la prudence et en admettais la justesse. Sommes-nous sûrs aujourd’hui de la vérité d’une telle maxime ? Les événements m’en ont depuis fait douter. L’agitation tumultueuse de la jeunesse, l’irritabilité nerveuse toujours croissante de la société, l’impossibilité manifeste de demeurer toujours dans le statu quo, et la difficulté d’en sortir sous la pression des menaces révolutionnaires, font qu’on se demande malgré soi si, au lieu d’attendre que l’heure des réformes politiques eût bruyamment sonné, il n’eût pas mieux valu la devancer.

Avec l’ascendant traditionnel que possédait le pouvoir impérial, avec le prestige dont restait entouré, avant la double déception de Plevna et de Berlin, le libérateur des serfs, il y eût eu, pour le présent comme pour l’avenir, moins d’inconvénients pratiques à prévenir les vœux du pays.

Les excitations et les désillusions de la guerre de Bulgarie, l’implacable campagne des terroristes, le désarroi d’un gouvernement sans direction, condamné à user stérilement l’un après l’autre tous les conseillers, ont singulièrement mûri la question, si ce n’est la nation. Les classes cultivées, la société et l’intelligence peuvent arriver à ce point, où, pour tromper leur appétit de réformes et de liberté, le gouvernement impérial n’aura d’autres ressources que des diversions extérieures, d’héroïques aventures pour lesquelles la Russie n’est prête ni diplomatiquement, ni financièrement, ni militairement. Comme nos éphémères empires français, ce gouvernement dix fois séculaire risque d’être obligé de choisir entre les réformes du dedans et les campagnes du dehors, entre la liberté et la gloire. À défaut de l’une, il lui faudra donner l’autre. Cette alternative, chez nous ancienne, menace de s’imposer à la Russie, et la guerre de 1877-1878 lui a enseigné combien risqué et incertain est un pareil jeu même avec des victoires. Il y a là en effet une sorte de cercle vicieux ; souvent la guerre met rudement à nu les plaies d’un pays, elle rend palpables les vices d’un gouvernement et la nécessité d’un contrôle.

C’est ce qu’ont fait, à vingt ans de distance, les deux dernières guerres d’Orient. L’invasion de la Crimée a été le point de départ de l’émancipation des serfs et des grandes lois d’Alexandre II ; la double campagne de Bulgarie, n’ayant été suivie d’aucune large réforme, n’ayant pas été le signal de l’émancipation politique, a été celui du terrorisme révolutionnaire et des tsaricides. À la lutte contre l’étranger a succédé une guerre intérieure plus longue, plus acharnée et, malgré le petit nombre des soldats en ligne, non moins coûteuse pour le pays et le pouvoir. Cette guerre contre un ennemi invisible et toujours renaissant, Alexandre III n’a pas su la terminer par un traité de paix. C’était l’âme de son peuple et de la jeunesse russe qu’il devait pacifier, et cela il ne pouvait le faire qu’en réconciliant son gouvernement avec l’esprit du siècle, sans se laisser arrêter par les menaces des uns ou les appréhensions des autres.

Tout en Russie bénéficierait d’un changement de régime : la force matérielle et l’autorité morale du grand empire n’y sont guère moins intéressées que l’ordre intérieur et une bonne administration.

À qui profiterait le contrôle des représentants du pays ? Serait-ce uniquement à l’administration centrale et locale, à la police, à la justice, aux services civils ? Nullement, ce serait tout autant à l’administration et à l’instruction militaires, ce serait aux finances, à l’enseignement, aussi bien qu’à l’armée et à la diplomatie. La seule discussion publique du budget dans une assemblée libre aurait, pour la fortune de l’État, des résultats inappréciables. Alors seulement le lourd colosse pourrait avoir une vigueur réelle en proportion de ses ressources naturelles.

Les hommes d’État russes ne se rendent pas assez compte que, si l’anarchie est une incurable faiblesse, la liberté est une force que rien ne remplace. Un étranger a le droit de le leur assurer ; des institutions libérales peuvent seules rendre à la Russie la considération des gouvernements et les sympathies des peuples. Une évolution dans ce sens lui aurait procuré un prestige et un crédit que tous ses régiments et ses diplomates ne lui sauraient donner. C’est le seul moyen pour elle de dissiper les méfiances et les préventions invétérées qui s’attachent à sa politique. En Orient, vis-à-vis des Slaves du sud, vis-à-vis des chrétiens d’Europe et d’Asie, elle retrouverait un ascendant que ni ses services ni sa puissance matérielle ne sauraient lui valoir. La liberté est le seul aimant qui puisse lui attirer et lui conserver l’affection des petits peuples émancipés par ses armes ; la liberté seule peut les empêcher de détourner les yeux de leur grand patron du nord pour chercher ailleurs des leçons et des modèles. En Occident, le bénéfice ne serait pas moindre ; une Russie libérale (quand sera-t-il permis d’accoler ces deux mots ?) reconquerrait une influence et une place en Europe qui feront toujours défaut à la Russie absolutiste. Avec le vieux régime autoritaire, elle est condamnée à l’isolement ; dans notre siècle, en effet, les États ont une autre manière de s’isoler que la révolution ; c’est l’extrême opposé. Tant qu’elle persistera à demeurer à l’écart de toutes les réformes politiques accomplies partout ailleurs, la défiance et la répulsion contre son système de gouvernement détourneront d’elle et de son alliance les peuples qui naturellement y seraient le plus portés.

À quelque point de vue que nous nous placions, de quelque côté que nous nous tournions, une évolution libérale nous paraît la meilleure, ou mieux la seule issue possible. L’œil a beau chercher, il n’en découvre pas d’autre. Est-ce à dire que tout serait fini par là ? Nullement ; un changement de régime serait moins une solution qu’un nouveau point de départ, ce serait un commencement plus encore qu’une fin.

Il en est de la liberté et des constitutions politiques comme du mariage qui, dans le roman ou les comédies, est souvent un dénoûment et qui, dans la réalité, ne fait qu’inaugurer une autre vie avec ses luttes, ses labeurs et ses épreuves.

La Russie a tout à gagner à une initiative libérale, tout à risquer dans les lenteurs et les atermoiements du statu quo, même avec retour à un ordre régulier ; mais cela ne veut pas dire qu’une charte ou un appel à la nation calmerait comme un mot magique toutes les passions qui fermentent chez elle. Non assurément ; il faut se garder de pareilles illusions : chaque forme de gouvernement a ses difficultés, et la liberté a les siennes, au début surtout. Les routes qui y conduisent sont loin d’être unies, droites et faciles ; elles ont leurs montées et leurs tournants, elles semblent souvent dures et tirantes, tant surtout qu’elles sont neuves et n’ont pas été aplanies par les siècles et les générations.

Aussi n’hésiterons-nous pas à dire toute notre pensée. Si grands que nous semblent, pour le pouvoir comme pour la nation, les avantages d’un changement de régime, tous deux feront bien de n’en pas trop attendre, sous peine de nouvelles et plus graves déceptions. Les machines politiques les plus ingénieuses, si bien combinées, si bien appropriées et dirigées qu’on les imagine, ne sauraient marcher sans frottements, sans arrêts ni accidents. Il ne faut surtout pas jouer avec elles. Ce sont des engins dangereux qu’un gouvernement doit manier avec prudence ; il y aurait témérité à se faire prendre la main dans leur engrenage.

il y a quelques années, les Russes pouvaient encore se flatter d’effectuer sans secousses violentes le redoutable passage du pouvoir absolu au gouvernement libre. Beaucoup espéraient voir les libertés politiques croître chez eux peu à peu, à l’ombre d’un pouvoir assez fort pour les préserver de la licence et des querelles stériles. Un tel espoir n’est déjà plus de saison ; peut-être du reste n’a-t-il jamais été qu’un songe. Pour nous servir d’une métaphore vulgaire, la liberté politique n’est pas une plante aisée à cultiver en serre ; elle ne pousse guère qu’au grand air, en plein vent, et ne s’enracine que lorsque les branches et le tronc en ont été secoués par l’orage jusqu’à en être parfois brisés.

Sur ce point, pas d’équivoque. En rentrant dans la voie des réformes, la Russie aurait certainement ses difficultés, ses embarras, ses périls si l’on veut ; mais ce seraient les embarras et les périls des gouvernements modernes. Ce changement seul serait un gain pour elle. Ses luttes, ses erreurs, ses désenchantements même, lui pourraient profiter. Avec le statu quo au contraire, rien à gagner. Il y a des dangers qu’il faut savoir courir, ne serait-ce que pour ne pas les accroître, et des cas où le parti le plus sûr est le plus brave, où il y a plus à risquer à ne pas risquer. Telle est la situation de l’héritier d’Alexandre II.

Que de fois s’est-on demandé en France à quel moment la révolution eût pu être arrêtée sur la pente de l’anarchie et de la terreur ! Ce moment, personne n’a jamais pu l’indiquer avec certitude. À nos yeux, il était déjà dépassé lors de la convocation des États généraux. Le seul moyen d’arrêter la révolution eût été de la prévenir. La Russie d’Alexandre III a beau différer singulièrement de la France de Louis XVI, j’en dirai autant d’elle. Le plus sûr moyen d’empêcher la révolution, c’est de la devancer, c’est d’en donner l’initiative au pouvoir. Réformes d’en haut ou révolution d’en bas, disait Alexandre II au début de son règne.

Après cela, il y a des changements si profonds, qu’on se demande avec anxiété s’ils peuvent s’effectuer pacifiquement, sans troubles ni révolutions. Ainsi en était-il en France de la chute de l’ancien régime. En sera-t-il de même de la transformation politique de la Russie ? Cela dépendra beaucoup de l’habileté et du bonheur de la dynastie.

Les peuples et les sociétés ont pour ainsi dire des mues, des métamorphoses qui semblent ne pouvoir se faire sans crises ni souffrances, souvent même sans une sorte de dépérissement extérieur et comme de mort apparente. Mais qu’on ne s’y trompe point, quand la Russie devrait un jour passer par de semblables épreuves, et en sortir temporairement affaiblie ou diminuée, ce serait pour elle, de même que pour la France de 1789, une crise de croissance et non les convulsions de l’agonie ou les défaillances de la décrépitude.

Et si, dans la Russie de la fin du dix-neuvième siècle ou du commencement du vingtième, comme dans la France de la fin du dix-huitième siècle, une révolution devenait inévitable, quels en seraient les résultats pour la Russie et l’Europe ? quel ordre de choses nouveau sortirait-il de ce chaos ? C’est là une question que nous serions mal venus à prétendre trancher, nous Français qui, après un siècle entier, ne sommes pas encore sûrs d’avoir achevé notre révolution ou d’en avoir atteint le terme.

À bien des égards, une révolution russe (si elle était autre chose qu’un confus et passager interrègne) aurait un caractère d’originalité, de nouveauté, qu’on ne saurait rencontrer chez aucun peuple du continent L’Occident a eu sa révolution dans la révolution française, dont les peuples germano-latins ont tous plus ou moins subi l’esprit, emprunté les doctrines, goûté les bienfaits et les maux. Notre révolution a été en quelque sorte la rédemption de la vieille Europe féodale ; mais ou pourrait dire que l’Europe patriarcale de l’Est, que le monde slave orthodoxe attend encore sa révolution ou ce qui doit lui en tenir lieu ; et d’où à cet égard lui viendrait l’initiative, si ce n’est de la Russie ? Ainsi envisagée, une révolution russe pourrait être le plus grand événement de l’histoire depuis la révolution française dont, à un siècle de distance, elle serait en quelque sorte le pendant.

La prétention de créer un nouveau type de société, que font valoir pour leur pays les conservateurs slavophiles, se retrouve, sous une autre forme, avec non moins d’assurance, chez beaucoup de révolutionnaires du Nord. Ils se flattent qu’une révolution russe laisserait singulièrement en arrière nos révolutions, moins plébéiennes que bourgeoises et toutes jusqu’ici franchement individualistes ; qu’elle apporterait à l’Europe un évangile vraiment populaire, plutôt social que politique, approprié au monde slave oriental, tout en offrant un principe de rénovation à l’Occident.

Et de fait, une révolution russe, devant presque fatalement aboutir à une espèce de socialisme agraire, ne saurait manquer de différer de tout ce que nous avons vu ailleurs. C’est assurément dans la révolution que la Russie aurait le moins de peine à se montrer originale, à faire du neuf et du slave, mais cela à quel prix ? avec quels sacrifices pour la science et la civilisation ? En tout cas, quelques titres que réclament d’avance pour elle ses ardents pionniers, quelque vaste champ qu’ait devant elle, en Europe ou en Asie, une révolution russe, la révolution française gardera toujours, sur le terrain même des idées révolutionnaires, la supériorité d’avoir été la première en date et l’initiatrice d’autrui. Cet avantage, la révolution de 1789 ne le doit pas seulement à sa priorité, mais surtout à sa logique abstraite, à la nature spéculative de ses principes, qui lui ont donné un caractère d’universalité sans analogue dans l’histoire, si bien qu’en Russie ou ailleurs les écoles qui aspirent à la dépasser en dérivent[15].

La primauté de la révolution est, du reste, un genre de primato trop cher et trop périlleux pour que nous le souhaitions à la Russie. Mieux vaut pour elle ne pas avoir d’aussi décevantes ambitions, marcher par des voies plus modestes et plus sûres, d’autant qu’en pareil cas le temps, en apparence gagné, est souvent bientôt reperdu, et la route la plus courte se trouve la plus longue.

Et maintenant, puisque nous sommes ramenés à la France et à l’Occident, je terminerai ce volume par un retour sur nous-mêmes. Si l’avenir de la Russie semble obscur, quel est le peuple de l’Europe dont l’horizon n’est pas couvert ? Quel est celui qui voit au loin devant lui et se croit sûr de son chemin ? Nous vivons à une époque de transformation politique, religieuse, sociale, dont le dernier terme échappe aux yeux les plus perçants. Nul ne découvre encore la côte inconnue vers laquelle nous poussent les vents du large. À cet égard, Pétersbourg et Moscou appartiennent bien à l’Europe moderne. Ce n’est point la Russie seule qui traverse une crise, c’est toute notre civilisation chrétienne. Au rebours des préjugés opposés des nationaux et des étrangers, on pourrait dire qu’à regarder les choses de haut, la Russie n’est ni beaucoup plus saine, ni beaucoup plus malade que la plupart des peuples du continent. À travers toutes ses difficultés, elle garde un avantage qui manque à d’autres. Dans cette marche incertaine vers un but indistinct et perdu dans le lointain, les peuples qui ont le plus de chances d’éviter les chutes semblent encore ceux qui peuvent donner carrière aux aspirations du présent sans briser avec toutes les traditions du passé. Or il dépend de ses maîtres que la Russie soit de ce nombre.



  1. « Re-Russianize Russia », expression de O. K. (Olga Kiréief), Mme de Novikof, dans un article du Fraser’s Magazine.
  2. On raconte que lors de l’insurrection de décembre 1825, faite au nom de Constantin, frère aîné de Nicolas, quelques officiers ayant crié : Vive la constitution ! les soldats crurent que c’était la femme du grand-duc.
  3. Discours à la Société slave de bienfaisance, 22 mars 1881.
  4. Un savant russe, M. Serguéiévitch, a fort bien montré que le sobor moscovite n’avait rien de réellement original, rien qui le distinguât essentiellement de nos États généraux, par exemple. Voyez le Recueil des sciences politiques de M. V. Bezobrazof (Sobranié gosoud, snanii), années 1875 et 1880. Le grand historien Kostomarof, qui semblait soutenir la thèse contraire, a reconnu, dans une polémique avec le 'Novoé Vrémia (mai 1880), que le sobor russe ne différait guère des assemblées contemporaines de l’Occident que par l’esprit, par sa docilité et son humilité vis-à-vis du tsar.
  5. Cette idée se retrouve jusque chez les Slaves, Serbes ou Bulgares, sortis de nos écoles. « Le dualisme dans le Parlement, affirme par exemple un écrivain bulgare, M. G. Drandar, est une importation anglaise, française, germanique ; mais ne saurait convenir aux Slaves. » Cinq ans de règne ; le prince Alexandre de Bulgarie (Dentu, 1884).
  6. Voyez t. I, liv. VI, chap. iv.
  7. La moitié des évêques, la moitié du haut personnel judiciaire et la plupart des hauts fonctionnaires devaient être membres de droit de l’assemblée nationale bulgare ; en outre, d’après l’article 79, un tiers des membres devaient être nommés parle prince. En se refusant à subir ce projet, les Bulgares, comme nous l’avions trop bien prévu, se sont exposés à la suspension de leur jeune constitution. Voy. la Revue des Deux Mondes du 15 juin 1880, page 819.
  8. Je tiens ces détails et ceux qui suivent de source sûre, notamment de l’un des ministres de cette époque. J’avais déjà, au lendemain de la mort d’Alexandre II ; annonce que ce prince était sur le point de réunir une assemblée nationale ; mais je ne savais pas alors exactement dans quelles conditions. (Voy. la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1881, p. 666.)
  9. Ce propos, qui confirme notre récit, est emprunté à un petit volume attribué à la princesse Iourievski (Alexandre II, détails inédits sur sa vie intime et sa mort, par V. Laferté : Georg. Bâle-Genève, 1882). Ce volume ne révèle pas la nature du document en question, mais pour nous cela ne saurait faire doute. Sur les vues et les plans du général Loris-Mélikof à cette époque, on trouve de curieux renseignements dans les Mémoires de Kochelet (1885). Cf. le vicomte de Vogüé ; Spectacles contemporains : Le général Loris-Mélikof (1891).
  10. Nous devons dire que, un peu plus tard, avant de quitter le ministère, le général Ignatief passe pour avoir à son tour, sur les conseils d’Iv. Aksakof, engagé Alexandre III à convoquer le sobor.
  11. Tocqueville : Ancien régime, liv. III, chap. i.
  12. Le comte P. Schouvalof, l’ancien chef de la IIe section.
  13. C’est ce que semblait conseiller entre autres l’auteur anonyme d’un article de la Nouvelle Revue, 15 fév. 1882. D’après cet article, attribué à un haut fonctionnaire, le baron Jomini, quel devrait être le principe fondamental des institutions à établir ? Ce serait « de faire participer les intéressés à la confection des lois qui les intéressent ». L’auteur oubliait que les lois les plus importantes, administratives, financières, militaires on commerciales, intéressent tout le monde ; qu’en ne consultant que ceux de ses sujets qu’une loi paraît le plus directement toucher, l’État légiférerait fatalement dans un intérêt particulier. Qu’on imagine, par exemple, des tarifs douaniers rédigés exclusivement par les représentants de chaque industrie.
  14. Voilà ce que me semblent avoir trop perdu de vue la plupart des projets de constitution imaginés par les Russes, entre autres l’ingénieux programme publié en 1882 par le groupe de l’Union des zemstvos : Politicheskaïa programma obchlchestva : semskii soious.
  15. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1882, notre étude sur les caractères de la révolution, à propos de l’ouvrage de M. Taine.