L’Empire des tsars et les Russes/Tome 2/Livre 4/Chapitre 2


CHAPITRE II


Justice corporative — Tribunaux des paysans ou de volost. — Leur raison d’être. — Droit coutumier et droit écrit. — Composition et compétence de ces tribunaux rustiques. — De l’emploi des verges dans les campagnes. — Une audience de cette justice villageoise. — Ses défauts et ses avantages. — Autres tribunaux corporatifs. — Cours ecclésiastiques.


Un des principes fondamentaux de la réforme judiciaire est l’égalité de tous les sujets du tsar devant la justice. Les nouveaux tribunaux sont communs à tous les habitants de l’empire, sans distinction d’origine ou de profession[1]. À cette règle, il y a une exception qui intéresse la portion la plus considérable du peuple. Au-dessous de la double série de tribunaux institués par les statuts judiciaires, persiste une justice antérieure qui conserve le caractère corporatif. Ce sont les tribunaux de bailliage ou de volost (volostnye soudy)[2], érigés par l’acte d’émancipation, et particuliers aux paysans, qui en sont les seuls juges comme les seuls justiciables.

D’où vient cette anomalie qui paraît soustraire au droit commun plus des trois quarts de la nation ? Pourquoi laisser à la classe la plus nombreuse et la moins instruite une justice spéciale et indépendante ? À cela il y a plusieurs raisons ; c’est d’abord la grandeur des distances, dont il faut toujours tenir compte en Russie, et qui, pour des affaires d’une minime valeur, ne permettrait pas toujours au villageois d’aller chercher le juge de paix ; c’est ensuite et plus encore, que le paysan a de temps immémorial des habitudes, des coutumes locales, qui règlent toute la vie du village et y possèdent l’autorité de la loi. Ces coutumes traditionnelles, sur lesquelles sont fondées toutes les relations des paysans entre eux, la plupart des gens d’une autre classe les ignorent, et le moujik, peu cultivé, souvent timide ou défiant, serait très embarrassé de les expliquer à des hommes étrangers à ses mœurs.

Si le paysan garde des tribunaux particuliers, c’est que, dans ses coutumes, il conserve une législation particulière, pour lui plus compréhensible et plus respectable que la loi écrite. Chez le moujik, au fond même de la nation, le pouvoir suprême ne rencontre plus la même table rase qu’à la surface. Dans ces couches inférieures et longtemps oubliées se retrouvent des empreintes profondes et persistantes des mœurs, des traditions séculaires que toutes les révolutions opérées à la surface du pays n’ont encore pu oblitérer. « La coutume est plus ancienne que la loi », dit un dicton populaire, et un autre : « Une coutume n’est pas une cage, vous ne pouvez la décrocher ». Chez le peuple, en effet, la coutume n’est pas seulement un legs plus ou moins révéré du passé, elle est intimement liée aux conditions mêmes de l’existence du moujik, à la commune rurale, au mir, au mode de propriété, en sorte que, pour enlever toute force à la coutume, il faudrait supprimer le mir et la propriété collective[3].

Chez les Russes, comme chez la plupart des Slaves, il y a fréquemment discordance entre le droit écrit, plus ou moins inspiré de l’étranger, et le droit coutumier, hérité des ancêtres. Cette contradiction entre la législation officielle et les coutumes nationales diminue singulièrement, dans les populations rurales, l’autorité de la loi. Selon la remarque d’un éminent juriste slave[4], un code qui blesse l’instinct populaire et les notions traditionnelles de la justice risque de détruire l’idée même du droit. L’homme du peuple ne se soumet qu’avec répugnance à des lois qu’il n’aime ni ne comprend, et cherche par tous les moyens à se soustraire à leur joug. N’auraient-ils d’autre avantage que de laisser à la coutume un refuge légal et un interprète autorisé, les tribunaux de bailliage, loin d’être inutiles, rendraient d’importants services au bien-être et à la moralité des paysans. Puis, conformément à leurs habitudes et à leurs notions de justice, la coutume, au lieu d’être inflexible et réduite en formules fixes comme la loi, permet aux juges une certaine latitude : elle les autorise à tenir compte, dans les affaires d’héritage et de partage de famille, de même que dans les partages communaux, de la variété des circonstances individuelles.

L’émancipation a, dans le dernier quart de siècle, tourné l’attention du gouvernement et du public vers ces coutumes villageoises, presque entièrement dédaignées au temps du servage. C’était, au cœur même de la Russie, tout un monde inconnu et original qui s’ouvrait aux découvertes des patriotes et des curieux, des juristes et des ethnographes. Les explorateurs ne lui ont pas manqué, les recherches ont été encouragées par le gouvernement et par les sociétés savantes, surtout la société russe de géographie[5]. Des missions spéciales ont été envoyées en diverses régions, de patientes monographies ont été consacrées aux coutumes des diverses provinces, de vastes questionnaires, successivement étendus, ont, par une minutieuse enquête sur les usages juridiques des différents gouvernements, préparé un recueil complet du droit coutumier national. À tous ces travaux, les tribunaux de bailliage ont fourni une base solide avec des renseignements authentiques ; pour connaître les idées juridiques du peuple russe, il n’y a guère qu’à collectionner les décisions de ces cours villageoises[6].

De ces matériaux, divers écrivains ont tiré de curieuses études sur les mœurs populaires et les idées du paysan touchant la justice, la propriété, la famille, le mariage[7]. Les sentences de ces humbles tribunaux de village nous révèlent, dans leur vérité et leur simplicité, toutes les notions juridiques et, par suite, les notions morales du moujik. À travers les variétés provinciales, il y a dans le droit coutumier de la Grande-Russie, comme dans la nation russe elle-même, une incontestable homogénéité. Les régions qui présentent les particularités les plus différentes et les usages les plus originaux sont d’ordinaire les contrées où les populations d’origine étrangère, les allogènes, finnois et autres, ont laissé le plus de traces dans les mœurs et la vie locale[8].

Au-dessus des questions ethnologiques ou historiques que soulèvent les coutumes populaires, se pose la question juridique. Quelle place le droit coutumier peut-il revendiquer dans les tribunaux ? C’est là, pour le législateur, un problème des plus importants et aussi des plus ardus ; c’est un de ceux dont se sont occupés les premiers congrès de juristes russes. Le gouvernement n’en avait pas méconnu la gravité. Un article de l’acte d’émancipation stipulait déjà expressément que, pour l’ordre de succession et les héritages, les paysans étaient autorisés à suivre les usages locaux[9]. Le temps n’est plus où l’on considérait le droit coutumier comme un empiétement sur le pouvoir du législateur. La loi de 1864, qui a consacré la nouvelle organisation judiciaire, enjoint aux juges de paix de ne pas froisser les coutumes en vigueur ; mais, le législateur n’ayant pas pourvu aux cas de conflit entre le droit écrit et le droit coutumier, ce dernier est d’ordinaire sacrifié, ou n’est admis qu’en l’absence de loi écrite. La commission chargée par l’empereur Alexandre III de la rédaction d’un projet de code civil a bien reçu pour instructions de tenir compte du droit coutumier ; mais ce nouveau code est loin d’être promulgué, et le désir d’y faire place aux coutumes populaires est une des choses qui en retarderont l’achèvement[10]. Les tribunaux de bailliage restent les seuls où la coutume règne en souveraine, et où les affaires des paysans soient jugées conformément à leurs notions juridiques. Or la compétence de ces tribunaux de volost est limitée aux affaires d’une valeur inférieure à 100 roubles, et leur intégrité ou leur impartialité n’offrent pas assez de garanties pour étendre leur juridiction[11]. Au-dessus de 100 roubles, la propriété des paysans semble donc être soustraite au droit coutumier pour passer sous l’empire de la loi écrite. Dans la pratique il est cependant loin d’en être toujours ainsi.

La plupart des affaires des villageois, celles qui ne sont portées devant aucun tribunal, sont réglées selon l’usage local ; puis, pour les affaires litigieuses même, quand elles viennent devant les tribunaux ordinaires, il est parfois difficile aux juges de leur appliquer le texte de la loi. Là surtout où règne la propriété collective, les droits des familles d’un même village et les droits des membres d’une même famille sont souvent trop mal définis, trop mal établis juridiquement, pour servir de base à une action civile ou se prêter à l’application de la loi ordinaire. Enfin, si le législateur ne défère aux tribunaux de volost que les contestations dont l’objet a une valeur moindre de 100 roubles, le consentement des deux parties suffit pour que des causes plus importantes soient portées devant ces modestes tribunaux et légalement tranchées par leur arrêt. Le domaine du droit coutumier et de la justice villageoise est ainsi moins étroitement circonscrit qu’il ne le semble au premier abord.

La compétence des tribunaux de volost n’est pas bornée aux affaires civiles ; elle s’étend à certaines affaires criminelles, ou mieux correctionnelles, comme nous dirions en France. Les tribunaux de bailliage prononcent sur tous les délits de peu de gravité commis dans l’enceinte de la volost par des paysans sur des gens de même condition[12]. Parmi les délits soumis à ces assises villageoises figurent tous les actes contraires à une bonne police, tels que les disputes, les rixes, les désordres de toute sorte, Tivrognerie, la mendicité. Ensuite viennent les délits contre la propriété, escroqueries, abus de confiance et tout vol simple d’une valeur inférieure à trente roubles, puis les offenses aux personnes, injures, menaces, coups ou blessures légères. À côté de ces délits se rangent les infractions aux lois ou usages des paysans, sur le partage des terres communales ou les partages de famille, sur le domicile et les changements de résidence. Cette justice patriarcale se trouve ainsi chargée de maintenir l’obéissance à l’autorité traditionnelle de la commune, en même temps que le respect dû à ses fonctionnaires, aux anciens de volost ou de village, aux parents, aux vieillards et, selon le texte de la loi, « à toutes les personnes dignes d’une considération particulière ». À ce rustique tribunal revient le soin d’assurer l’autorité domestique aussi bien que l’autorité du mir, de faire régner l’ordre et la paix dans le ménage, comme dans la commune, du moujik. Il ne se borne pas toujours à ce rôle : il exerce parfois une véritable censure sur les mœurs, et va jusqu’à punir les infractions aux préceptes religieux, cela peut-être en vertu de l’antique notion de solidarité, de peur que la communauté ne soit châtiée pour les fautes d’un de ses membres.

Les tribunaux de volost ont à protéger la liberté et la sécurité de la femme et des enfants, aussi bien que l’autorité du chef de famille. La loi leur confère le droit de punir les maris qui maltraitent leurs femmes, ou les parents qui abusent de leurs enfants. Le père a-t-il une mauvaise conduite, les juges autorisent le fils à le quitter. Un frère aîné, chef de maison, s’est-il fait le tyran de ses sœurs, elles trouvent protection près des juges. Un chef de famille administre-t-il mal ses affaires, les juges lui enlèvent la direction du ménage et, dans l’intérêt de ses enfants, transmettent ses pouvoirs à sa femme. La brutalité maritale, vieux reste des mœurs du servage, étant un des principaux vices du moujik, les juges de volost rendraient à la famille du paysan un service inappréciable, s’ils y relevaient la dignité de la mère et de l’épouse[13]. Les procès domestiques » devant cette justice primitive, donnent parfois lieu à de singulières sentences. Dans un village de notre connaissance on avait à juger un mari qui avait battu sa femme, et une femme qui ne voulait plus vivre avec son mari. Ne voulant donner gain de cause ni à l’un ni à l’autre, les juges les condamnèrent tous deux à quelques jours d’emprisonnement, et, comme il n’y avait pour toute prison qu’une seule salle, les deux coupables furent enfermés ensemble.

D’ordinaire, les juges sont naturellement peu sévères pour les abus de l’autorité masculine, et, quand il est condamné par le tribunal, le mari prend parfois à la maison sa revanche sur la femme. Les procès ne font ainsi souvent qu’envenimer les rapports des époux, et, pour échapper à la tyrannie conjugale, la femme finit trop fréquemment par recourir à la fuite ou au meurtre[14]. Afin de ne pas réduire les paysannes à de telles extrémités, il a été question d’accorder aux juges de volost la faculté de prononcer la séparation des deux époux, en cas de mauvais traitements de la part de l’un d’eux. C’est là un droit qui semble exorbitant pour de pareils tribunaux, mais ce droit pourrait leur être conféré d’une manière détournée, en leur attribuant simplement la faculté de faire délivrer à la femme maltraitée par son mari un passeport qui lui permit de quitter le domicile et la commune de son époux. Les mœurs des campagnes sont trop favorables à l’autorité maritale pour que les tribunaux de village abusent de leurs pouvoirs contre le mari, et rompent les chaînes de la femme, à moins que le poids n’en soit manifestement intolérable[15].

Les peines que peuvent infliger les tribunaux de volost sont de diverses sortes. Le législateur s’est gardé de les abandonner à l’arbitraire des juges, il a pris soin de les déterminer et d’en marquer les limites. La loi en fixe le maximum à trois roubles d’amende, à sept jours d’arrêts ou à six journées de corvée au profit de la commune, et enfin à vingt coups de verge. Cette dernière peine place les tribunaux de volost en dehors du droit commun, en dehors de la législation qui a supprimé les châtiments corporels. D’où vient cette étrange et, pour nous, choquante anomalie ? Elle vient de la nature spéciale de cette justice rustique. Avec les verges, c’est la coutume et la tradition qui, chez le paysan, triomphent dans la justice criminelle et le droit pénal, aussi bien que dans le droit civil. L’ancien serf, battu et fustigé pendant des siècles, est fait au bâton et aux corrections patriarcales, il n’en sent guère l’ignominie, il leur offre son dos sans honte. Il a l’esprit encore trop réaliste et positif pour n’en pas apercevoir les avantages pratiques, et il apprécie le fouet sans préjugé. Les verges ne coûtent ni argent ni temps : « après le fouet, on travaille mieux, on dort mieux », assure un vieux dicton.

C’est la coutume qui maintient encore les verges dans la justice villageoise, et c’est la coutume qui peu à peu les supprimera. Un des avantages du droit coutumier sur le droit écrit, c’est qu’en effet le premier se modifie et s’améliore insensiblement avec les mœurs et les idées dont il suit les progrès. Aussi le législateur a-t-il été bien inspiré en ne faisant point violence aux habitudes et aux traditions rurales, en se contentant d’abroger cette peine humiliante pour les classes relevant uniquement du droit écrit. Le jour où le paysan sentira toute l’indignité, toute l’abjection de ce châtiment, légalement supprimé pour toutes les autres conditions, les tribunaux de volost auront bientôt cessé d’y condamner le moujik. Les verges tomberont d’elles-mêmes des mains du juge, et, en en prohibant définitivement l’emploi, la loi ne fera que sanctionner le progrès des mœurs. La réforme se fera peu à peu toute seule. Déjà les verges commencent à perdre de leur vogue ; dans nombre de communes, les paysans tendent à leur substituer l’amende ou les arrêts[16].

La loi, du reste, ne tolère l’usage de cette peine rustique qu’en le restreignant ; elle exempte du fouet ceux des paysans qui en souffriraient le plus dans leurs membres ou dans leurs sentiments, les femmes de tout âge, les vieillards au-dessus de soixante ans, les hommes ayant obtenu un diplôme d’instruction dans les écoles de district, sans compter les fonctionnaires de la commune et tous ceux qui tiennent à l’administration locale, à l’enseignement ou au culte, en sorte que, dans les villages mêmes où elle reste tolérée, la verge ne doit plus atteindre que la minorité des habitants. Il est vrai que ces prescriptions légales ne sont pas toujours respectées. Les juges de village ne se gênent pas à l’occasion pour faire fustiger les femmes ; parfois même les maris s’adressent au tribunal de volost pour faire administrer une correction à leurs compagnes. La police, de son côté, s’arroge encore à l’occasion le droit de fouetter le paysan[17].

La complication des lois russes n’est pas étrangère à ces illégalités. Sur ce point, comme sur bien d’autres, la législation est loin d’être toujours d’accord avec elle-même. L’oukaze impérial d’avril 1863 a bien exempté les femmes des peines corporelles ; mais l’acte d’émancipation de 1861, lequel règle spécialement les droits des paysans, autorise les tribunaux de volost à faire fouetter les femmes âgées de moins de cinquante ans. Or le statut d’émancipation, qui est la véritable charte rurale, est d’ordinaire le seul texte de loi à la portée des paysans. Chose singulière et qui montre bien le peu d’unité de la législation russe, la dernière édition des lois de l’Empire enregistre comme également en vigueur ces deux dispositions contraires[18].

À des tribunaux uniquement chargés d’appliquer les coutumes locales, il est oiseux de demander aucune instruction juridique ; aussi les juges de bailliage sont-ils de simples paysans choisis par leurs égaux. Jusqu’à la réforme de l’empereur Alexandre III qui a placé les communes sous la tutelle des chefs de canton, l’élection des juges de bailliage était abandonnée au conseil de volost, nommé lui-même par les assemblées de village. Depuis l’oukaze du 12 juillet 1889, les villages de la volost désignent seulement huit candidats entre lesquels le chef de canton choisit quatre juges : les quatre autres candidats servent de suppléants. Pour être éligible, il faut avoir 35 ans et, autant que possible (cela ne saurait toujours être exigé), savoir lire et écrire. Les juges doivent tenir audience au moins tous les quinze jours, de préférence les dimanches et fêtes. Le président de ce rustique tribunal est désigné par l’assemblée des chefs de canton à laquelle reviennent aussi, dans cette justice villageoise, les fonctions de Cour d’appel. Autrefois les anciens de village, le starchine et les starostes étaient exclus de cette magistrature ; ils ne pouvaient ni se mêler à la procédure, ni même assister à l’audience. Jusqu’au sein de ces humbles tribunaux on avait interdit l’ingérence de l’administration dans la justice et proclamé le principe de la séparation des pouvoirs. Depuis la loi de 1889, les anciens de volost peuvent être choisis comme présidents du tribunal. Au village, la séparation des pouvoirs avait toujours été plus apparente que réelle ; si le maire ou starchine ne pouvait siéger parmi les juges, il faisait élire ses amis ou ses créatures, et tenait les élus dans sa dépendance. Il ne faut pas oublier du reste que sous le régime de la propriété collective, l’assemblée de village, le mir, source de tous les pouvoirs locaux, tranche souverainement toutes les questions touchant au partage des terres ou à la répartition de l’impôt, et possède sur ses membres une sorte de pouvoir disciplinaire qui s’étend jusqu’au bannissement et à la déportation en Sibérie[19].

On ne saurait exiger des juges de volost une instruction supérieure à celle de la moyenne des paysans. La plupart sont entièrement illettrés : sur cinq ou six, il n’y en a guère qu’un ou deux qui sachent lire et écrire[20]. Le plus grand nombre se contentent de tracer une croix au-dessous des actes rédigés par le pisar ou greffier communal. La loi permet aux communes de voter à leurs juges une indemnité, mais d’ordinaire ils restent sans rétribution. Pour les paysans, ces fonctions semblent ainsi le plus souvent une charge sans compensation, en sorte que d’habitude elles sont loin d’être recherchées. Beaucoup regardent cette magistrature gratuite comme une fastidieuse corvée ; dans plusieurs volostes on y appelle à tour de rôle tous les chefs de famille. De là des abus, de là le manque d’indépendance du tribunal, l’ascendant excessif de l’ancien (starchine) et surtout du greffier qui, dressant les actes, dicte fréquemment les sentences, et fait parfois trafic de son influence. À l’inverse de ce qui se voit en certains cantons suisses, pour des tribunaux plus ou moins analogues[21], l’autorité du scribe ou greffier, seul dépositaire de la science ou mieux des formules juridiques, loin de s’exercer au profit de la justice, tourne en faveur de l’intrigue et de la mauvaise foi, d’autant que, avec ses notions superficielles de droit, le scribe cherche souvent à substituer les principes de la loi écrite à ceux de la coutume, et introduit par là dans les tribunaux de bailliage une cause de confusion. Sous le couvert de ce pisar, la corruption bureaucratique se glisse dans la justice comme dans l’administration villageoise. La vénalité, presque entièrement expulsée des tribunaux ordinaires, a ainsi trouvé un refuge dans l’obscure justice rurale.

J’ai assisté, dans un des gouvernements du centre de la Russie, à l’audience d’un de ces tribunaux de paysans. Les juges siégeaient dans une maison de bois pareille à l’izba des moujiks. La salle était petite et basse, un portrait de l’empereur décorait la muraille, et, comme partout en Russie, dans l’un des angles étaient suspendues les saintes images. Trois juges à longue barbe et en long caftan étaient assis sur un banc ; à leur gauche, derrière une petite table, se tenait le pisar ou scribe, qui, seul de l’assislance, était rasé et vêtu à l’européenne. Comme d’habitude, c’était un dimanche, un jour de chômage, et, au dehors, la foule des paysans causait de ses affaires à la porte de l’humble maison commune. La salle, les juges et le public avaient un air de dignité simple, à la fois sérieuse et naïve, qui ne manquait point d’une majesté rustique. Je vis juger deux affaires, l’une civile, l’autre correctionnelle. À leur entrée, les parties et les témoins s’inclinaient profondément, selon l’usage, du côté des saintes images en faisant un grand signe de croix. Parmi les juges, on ne distinguait point de président : ils parlaient et interrogeaient tour à tour, ou tous à la fois, chacun exprimant tout haut son opinion. Le greffier écrivait, et de temps à autre intervenait, lui aussi, dans les débats[22]. J’admirai la patiente persévérance avec laquelle les juges cherchaient à mettre d’accord les parties.

L’une des deux affaires présenta quelques incidents fort caractéristiques. Il s’agissait d’une femme, grande et vigoureuse gaillarde, qui se plaignait d’avoir été battue par un homme. Cette fois le brutal n’était pas le mari, ce qui, pour le tribunal, eût été sans doute une excuse ou une circonstance atténuante. Le moujik se défendait en soutenant que la femme lui avait porté les premiers coups. La plaignante et l’accusé se tenaient tous deux debout devant les juges, plaidant chacun leur cause avec volubilité, s’interpellant vivement l’un l’autre et en appelant également à leurs témoins, rangés à côté d’eux. « Varvara Petrova, dit un des témoins de la partie adverse, a déclaré qu’avec un vedro d’eau-de-vie elle était sûre de son procès[23]. » À cette révélation, le tribunal ne parut ni bien surpris ni bien scandalisé ; les juges hochèrent honnêtement la tête sans témoigner une indignation exagérée, et continuèrent l’interrogatoire après une brève réprimande à l’indiscret témoin. « Accordez-vous, entendez-vous », ne cessaient-ils de répéter en cherchant les termes d’un compromis et s’évertuant à faire dicter la sentence par les deux parties, au lieu de la leur imposer. « Enfin, Varvara Petrova, dit l’un des juges à la femme, combien demandes-tu d’indemnité ? — Trois roubles, répondit la paysanne. — Oh ! trois roubles, c’est trop, tu ne les auras pas », murmura le juge, et s’adressant à l’accusé : « Et toi, combien veux-tu lui donner ? — Moi, rien, répondit le moujik. — Ohl reprit le juge, rien, ce n’est pas assez. Combien lui donnes-tu ? — Eh bien, un rouble, fit le prévenu. — Un rouble et un chtof ? interrompit la femme[24]. — On ne parle pas de chtof ni d’eau-de-vie ici », répliqua un des juges, rendu peut-être plus austère par notre présence. « Dehors tu boiras autant que tu voudras, mais on ne fait pas entrer cela dans les jugements. » Là-dessus la femme se résigna, le greffier lut la sentence condamnant le moujik à un rouble de dommages-intérêts, les deux parties s’inclinèrent en signe d’assentiment et, après un salut aux images, se retirèrent avec leurs parents et amis.

En dépit des protestations du tribunal, l’eau-de-vie, la pâle vodka, semble jouer un grand rôle dans cette justice villageoise, comme dans toute la vie rurale. Beaucoup de procès ont leur dénouement au kabak (cabaret) ; juges, greffier et parties boivent et s’enivrent de compagnie. L’alcool figure tantôt comme pot-de-vin, tantôt comme amende. Parfois même, dit-on, le tribunal ne se donne point la peine de changer de local ; la sentence rendue, le condamné, on pourrait dire le perdant, fait apporter un vedro sur la table des juges, et, séance tenante, le prétoire de la justice se transforme en cabaret. Il arrive aussi qu’au lieu de passer par l’ennuyeuse formalité d’un jugement, le paysan en droit de se plaindre d’un autre s’arrange à l’amiable avec lui pour un vedro d’eau-de-vie. La vodka sert de monnaie habituelle dans toutes ces compositions judiciaires. Le mir en use comme les tribunaux de volost En certains villages du gouvernement de Kalouga, par exemple, les mangeurs du mir (miroiédy), pour la plupart cabaretiers, avaient naguère fait défendre, sous peine d’une amende d’un demi-vedro, de commencer aucun travail sans l’autorisation de l’assemblée communale[25]. Je ne sais rien de plus étonnant pour nous, à cet égard, que ce qui se passait, il y a quelques années, au centre de l’empire, dans le gouvernement de Penza, où, sous l’inspiration de philanthropes de parade et de fonctionnaires trop zélés, de nombreuses communes de paysans s’étaient résolues tout à coup à mettre par un vote le cabaret en interdit. Or, dans plusieurs de ces communes, qui faisaient officiellement profession de tempérance et paraissaient avoir embrassé les rigides doctrines du teetotalism, il a été prouvé qu’au lieu d’être soldées en argent, les amendes imposées aux contrevenants par le tribunal de volost étaient acquittées en eau-de-vie et consommées par les juges et fonctionnaires communaux[26].

Après de tels faits, on comprendra que les tribunaux de volost soient l’objet de vives criliques et d’attaques passionnées. On les accuse de ne reconnaître, en fait de coutumes, d’autre droit que le pot-de-vin et la vodka. On leur reproche l’ignorance des juges et l’influence excessive de l’ancien ou du greffier, on les taxe tantôt de vénalité, tantôt de partialité. Il est clair, en effet, que de pareils tribunaux ne sauraient être exempts de tout blâme ; mais, pour un œil impartial, la plupart des défauts de ces juges de volost découlent des défauts mêmes du paysan, ils disparaîtront ou s’atténueront avec le progrès de l’instruction et des mœurs. Toutes ces imperfections n’enlèvent point à cette humble justice l’avanlage d’être la plus rapide, la moins chère et la mieux comprise du moujik. Si, parmi les propriétaires des campagnes ou les écrivains des villes, beaucoup en réclament la suppression, la plupart des paysans qui s’en plaignent en demandent eux-mêmes le maintien. Sur quatre cents témoignages recueillis par la commission d’enquête, soixante-dix seulement s’étaient prononcés pour l’abrogation de cette justice corporative. Il est bon, du reste, de remarquer qu’en plus d’un cas les paysans qui n’ont pas confiance dans l’intégrité ou dans les lumières des tribunaux de volost restent libres de se soustraire à leur juridiction. De même qu’ils peuvent d’un commun accord soumettre aux tribunaux de bailliage des affaires dévolues par la loi aux tribunaux ordinaires, les plaideurs sont maîtres de confier aux juges de paix des affaires qui rentrent dans la compétence des juges de volost. Un assez grand nombre de paysans usent de cette dernière faculté. D’autres s’adressent pour régler leurs différends au stanovoï et aux employés de la police. En outre, les causes civiles, quelle que soit la valeur de l’objet en litige, peuvent toujours, du consentement des deux parties, être abandonnées à la décision d’un ou plusieurs arbitres, désignés par les intéressés. Dans ce cas, la loi donne sa sanction au jugement de ce tribunal arbitral (treteiski soud) et en déclare les arrêts irréformables. On voit que les paysans ont le choix entre divers modes de justice, qu’en matière civile au moins, la juridiction des tribunaux de volost n’est guère que facultative, ce qui diminue singulièrement l’importance des abus signalés dans cette justice patriarcale.

Quand le droit coutumier, sur lequel repose toute la vie des campagnes, n’exigerait point un organe spécial et légalement autorisé, les tribunaux des paysans n’en resteraient pas moins le complément naturel du mir et de la propriété collective des terres. Tant que le mir retiendra ses formes antiques, tant que la commune rurale conservera son cadre corporatif, il sera malaisé ou inopportun de supprimer les tribunaux de bailliage, ou de les dépouiller de leur forme corporative. Aussi, après avoir étudié cette justice spéciale dans une vingtaine de provinces, la commission d’enquête instituée par le gouvernement s’est-elle uniquement préoccupée des moyens d’en améliorer le fonctionnement. Dans l’état actuel des mœurs, c’est là, par malheur, une difficile entreprise. Pour relever les fonctions et le niveau des juges, la loi de 1889 a décidé de leur allouer un traitement, ce qui risque d’enlever à cette justice populaire un de ses avantages, le bon marché. Ces modestes magistrats doivent recevoir une indemnité prélevée sur les revenus de la volost ; le taux en doit être fixé par les assemblées des chefs de canton ; il ne doit pas dépasser cent roubles pour le président, soixante pour chacun des juges. En revanche, ces fonctions ne pourront plus être refusées.

La réforme de l’administration locale effectuée par l’empereur Alexandre III, tout en subordonnant les tribunaux des paysans, ainsi que les communes elles-mêmes, aux nouveaux chefs de canton, a étendu et non restreint la compétence de la justice villageoise.

Devant ces tribunaux de volost doivent être portés, d’après la loi nouvelle, la plupart des procès concernant l’avoir des paysans, en particulier les contestations touchant les terres communales, les héritages et les partages de famille entre les membres du mir. Les voleurs, quand il s’agit de sommes inférieures à 50 roubles, les ivrognes et les prodigues qui désorganisent l’exploitation rurale, les paysans qui, après avoir loué leurs bras, ne remplissent pas leurs engagements sont tous justiciables de ce tribunal. On sait qu’une des difficultés de la vie rurale en Russie, c’est la fréquente infidélité du moujik aux engagements pris par lui vis-à-vis des propriétaires du voisinage. Désormais, le paysan qui se refusera à l’exécution d’un contrat pourra être poursuivi, par le propriétaire ou par l’entrepreneur, devant le tribunal de volost, aussi bien que devant les autres tribunaux.

Une innovation de la réforme entreprise sous l’empereur Alexandre III, c’est la création d’une instance d’appel. D’après l’acte d’émancipation, les décisions des juges de volost, dans les affaires pénales, comme au civil, étaient définitives. Leurs sentences ne pouvaient être annulées que si le tribunal avait dépassé les limites de sa compétence, ou bien s’il avait négligé le peu de formalités prescrites par la loi, telles que la citation des parties ou l’audition des témoins. Aussi n’y avait-il point, pour la justice des paysans, de cour d’appel, mais simplement une cour de cassation. Le soin de contrôler la légalité des décisions des tribunaux de bailliage avait été confié d’abord à l’assemblée des arbitres de paix (mirovye posredniki), magistrats créés par l’acte d’émancipation pour régler les litiges entre les paysans et les propriétaires. Le nombre des pourvois près des arbitres de paix n’était que de 7 pour 100 en matière pénale, de 4 pour 100 dans les affaires civiles, ce qui ferait croire que les juges commettaient peu d’abus de pouvoir, ou que la majorité des justiciables acceptaient sans répugnance leurs décisions. Après la suppression des arbitres de paix, les fonctions de cour de cassation vis-à-vis des tribunaux de volost avaient été transférées, non à une cour de justice, mais à un conseil administratif spécialement chargé du contrôle des communes rurales, « le comité de district pour les affaires des paysans »[27]. Aujourd’hui, cette fonction est dévolue à l’assemblée des juges de cantons ruraux, qui sert à la fois de cour d’appel et de cour de cassation[28]. Elle approuve les jugements qui lui sont déférés, ou bien elle en rend elle-même un nouveau, à moins qu’elle ne préfère transmettre l’alfaire à un autre tribunal de bailliage. En matière civile, l’appel n’est admis que pour les affaires dont la valeur dépasse 30 roubles, tandis que les intéressés peuvent en appeler de toute condamnation à l’emprisonnement ou à une peine corporelle, aussi bien que des amendes supérieures à 5 roubles[29]. Avec de pareilles précautions les abus de pouvoir de ces modestes tribunaux ne semblent plus guère à redouter.


Avant d’aborder l’étude de la double série de tribunaux institués par la réforme judiciaire, il nous reste à jeter un coup d’œil sur une autre justice exceptionnelle, qui, elle aussi, a conservé ses formes corporatives, et qui possède en propre non seulement ses tribunaux de première instance et ses cours d’appel, mais aussi sa cour de cassation. C’est la justice ecclésiastique. Presque seule dans le monde chrétien, l’Église russe a gardé sur ses membres ou ses clercs ce droit de justice, ce for ecclésiastique, aujourd’hui encore si vivement regretté de l’Église latine. Dans chaque diocèse ou éparchie siège un consistoire éparchial (éparkhialnaïa konsistoria) dont les membres, appartenant tous au clergé, sont nommés par le saint synode, sur la présentation de l’évêque[30]. C’est là le tribunal de première instance pour les causes encore ressortissantes à cette justice spéciale. Près de chacun de ces consistoires diocésains est placé un secrétaire qui, nommé parle saint synode, sur la présentation de son haut-procureur, reste sous les ordres immédiats de ce fonctionnaire. Les secrétaires des consistoires ont, sur la marche des affaires et sur les décisions des procès, une influence qui a donné lieu à de regrettables abus et ouvert la justice de l’Église aux vices qui déshonoraient la justice civile. Au-dessus des consistoires et des évêques s’élève le saint synode, vrai sénat ecclésiastique, qui juge en dernier ressort, tantôt comme cour d’appel, tantôt comme cour de cassation.

On s’étonnera peut-être que, suivant l’exemple de la plupart des États de l’Occident, la Russie n’ait pas encore partout substitué à la justice ecclésiastique la justice laïque. C’est que le gouvernement du tsar n’a pas voulu dépouiller l’Église nationale d’un droit séculaire ; il s’est seulement proposé de modifier la procédure de la justice consistoriale, d’en refondre les tribunaux, d’en limiter la compétence. Les bases de cette triple réforme, lentement élaborée par une commission spéciale, étaient arrêtées dès avant la mort d’Alexandre II : mais d’autres soucis ont distrait de cette tâche le gouvernement impérial.

Aujourd’hui la justice ecclésiastique souffre des défauts de l’ancienne justice russe : on voulait la réordonner selon les principes qui ont dirigé la réforme des tribunaux ordinaires. Les pouvoirs judiciaires et administratifs sont confondus dans les consistoires de diocèse comme dans le saint synode ; on désirait donner à la justice des organes indépendants et soustraire ses décisions à l’autorité des évéques diocésains. La procédure est écrite et secrète, elle devait être publique et orale. Comme les tribunaux ordinaires, les cours ecclésiastiques devaient s’ouvrir aux débats contradictoires, les accusés n’y être plus condamnés sans être entendus, le prévenu y être assisté d’un défenseur. Si les projets des commissions gouvernementales sont jamais appliqués, ce sera une chose singulière que l’introduction de ces maximes du droit moderne dans une justice archaïque.

D’après la réforme projetée sous Alexandre II, l’organisation des nouveaux tribunaux d’Église serait presque calquée sur celle des tribunaux ordinaires. Il y aurait dans chaque diocèse un ou plusieurs juges ecclésiastiques, élus parmi les membres du clergé séculier et nommés par le clergé lui-même, avec le concours de représentants laïques des paroisses. Ces juges auraient, vis-à-vis des membres du clergé, une juridiction analogue à celle des juges de paix vis-à-vis des laïques ; ils connaîtraient de tous les petits délits commis par un ecclésiastique contre les lois et les règlements de l’Église. Au-dessus de ces juges seraient placés des tribunaux d’arrondissement, embrassant chacun plusieurs diocèses. Les membres en seraient également des prêtres, et le président, nommé par l’empereur sur la présentation du saint synode, serait un dignitaire ecclésiastique, ayant rang d’archiprêtre ou même d’évêque. Ces tribunaux d’arrondissement jugeraient en appel les affaires soumises aux juges inférieurs, et en première instance les affaires plus graves. Les arrêts ne pourraient être attaqués que devant le saint synode, qui continuerait à faire fonction de cour de cassation. Des procureurs laïques, placés sous les ordres du haut procureur du saint synode, formeraient le parquet de cette magistrature cléricale. Pour appliquer au saint synode même le principe de la séparation des pouvoirs, on a proposé d’y établir une section dont les membres n’auraient d’autres attributions que celles de juges, et seraient désignés par l’empereur parmi les prêtres ou archiprêtres. Cette section jouerait le rôle de cour d’appel par rapport aux tribunaux d’arrondissement, tandis que l’assemblée générale du saint synode servirait de cour de cassation.

La juridiction de ces tribunaux d’Église s’étend aujourd’hui sur toute une classe, le clergé, et leur compétence embrasse tout un groupe d’affaires, les causes matrimoniales, les causes de divorce ou mieux d’annulation de mariage. La réforme devait, spécialement pour les procès de divorce, restreindre cette justice anormale, afin de ne lui laisser que ce que les mœurs et le culte national ne permettent point de lui soustraire. Quant aux causes particulières au clergé, il n’a jamais été question de les enlever à ses tribunaux.

Prêtres et moines doivent rester soumis à la juridiction ecclésiastique, non seulement pour les fautes disciplinaires commises dans l’exercice de leurs fonctions, pour les contraventions aux règlements de l’Église, non prévues dans le code pénal, mais aussi pour certaines contestations entre les membres du clergé et même, d’après le texte assez vague des projets de réforme, pour certains délits qui, tout en étant poursuivis par les lois ordinaires, sont avant tout une désobéissance aux préceptes de l’Église[31]. La justice ecclésiastique perdrait tout caractère de privilège si elle était réduite à ne juger que les infractions des membres du clergé aux devoirs de leur profession et aux ordres de leurs supérieurs ; si, au lieu d’offrir aux prêtres une sorte d’abri contre les revendications des laïques, ces tribunaux, restreints à un rôle purement disciplinaire, n’avaient d’autres fonctions que d’assurer dans le clergé l’observation des lois ecclésiastiques, tout en donnant au prêtre orthodoxe ce qui, dans la plupart des États modernes, fait défaut au prêtre catholique, un juge entre ses supérieurs et lui, un recours contre l’arbitraire épiscopal.

Plus heureuse que l’Église latine, l’Église russe est demeurée en possession de prononcer légalement sur la validité ou la nullité du mariage. Certaines causes de ce genre, telles que les cas de bigamie ou de mariage par contrainte, sont aujourd’hui soumises à une double procédure, devant être portées à la fois devant les tribunaux laïques et devant les tribunaux ecclésiastiques. D’autres, telles que les procès en annulation de mariage, pour infidélité de l’un des deux conjoints, restent jusqu’ici exclusivement réservées aux juges d’Église[32]. Les intérêts les plus chers et les droits les plus sacrés de la famille sont ainsi abandonnés à une justice qui, en dépit du mariage des prêtres, présente aussi peu de compétence morale que de garanties juridiques. La procédure, près de ces cours ecclésiastiques, est si lente et relativement si dispendieuse, que le divorce n’a jamais été accessible qu’aux riches.

Dans un pays qui, pour les chrétiens orthodoxes du moins, ne connaît d’autre mariage que l’union bénie par le prêtre, il est malaisé d’exclure entièrement le clergé du règlement des causes matrimoniales. Le mariage, comme sacrement, ne saurait être cassé ou annulé que par l’autorité qui l’a consacré ; la loi civile ne saurait délier un nœud qu’elle n’a point noué. Aussi tout ce que pouvait se proposer le gouvernement, c’était d’enlever aux tribunaux ecclésiastiques non seulement l’instruction, mais la connaissance de ces causes scabreuses dont les détails domestiques et intimes sont d’ordinaire difficiles à aborder, dans des débats publics, devant un tribunal de prêtres ou de moines. D’après les dispositions du projet de la commission, l’Église ne fût intervenue dans ces procès qu’à leur début, pour essayer de les arrêter, et à leur conclusion, pour confirmer la sentence rendue par d’autres juges. Le clergé fût resté chargé d’exhorter à la concorde les époux aspirant au divorce ; mais c’eût été aux tribunaux civils d’apprécier la validité des motifs invoqués par les époux. L’autorité ecclésiastique aurait ainsi conservé le droit de prononcer le divorce ou la nullité du mariage ; mais elle l’eût fait désormais en se fondant sur le jugement des tribunaux ordinaires, elle n’eût eu qu’à accepter et à consacrer le verdict de juges laïques. De cette façon, on transférait le jugement des causes matrimoniales aux tribunaux civils, tout en laissant ostensiblement à l’Église la sentence sacramentelle qu’elle seule peut rendre. En fait, sous le couvert de ce partage d’attributions, on n’eût laissé au clergé que le droit d’enregistrer ou de contresigner les arrêts rendus en dehors de lui.

Une telle réforme était une diminution manifeste des droits de juridiction de l’Église : c’est là sans doute un des motifs pour lesquels l’exécution en a été ajournée. Malgré la dépendance, malgré l’esprit de soumission du clergé orthodoxe, l’Église et l’épiscopat ont su jusqu’ici faire triompher leurs répugnances contre de tels projets. La réforme de la justice ecclésiastique a été mise à l’étude vers 1870 ; trois ans plus tard, en 1873, le saint synode était invité à examiner les conclusions de la commission nommée par le souverain, et, en 1886, sous Alexandre III, les principales dispositions de cette réforme n’avaient pas encore été mises à exécution. La Russie, il est vrai, a eu au dedans comme au dehors de quoi la distraire des tribunaux ecclésiastiques ; mais, sans les résistances ou les regrets du clergé, le gouvernement n’en eût pas moins trouvé le moyen d’appliquer une réforme longuement préparée.

C’est dans ce domaine religieux, dont à l’étranger on le croit maître absolu, que le gouvernement impérial se sent encore le moins libre, le moins omnipotent. Sur ce terrain, il ne peut, comme dans le domaine de l’État, tout abroger ou réformer à son gré, tout changer d’un coup ou tout créer à neuf, sans se préoccuper de ce qui existe. Devant l’Église, l’autorité impériale n’est plus en présence d’une table rase. Quelque influence qu’il possède sur le saint synode et le clergé, le pouvoir civil n’aime pas d’ordinaire à faire violence à leurs scrupules ou à brusquer leurs préjugés. Or l’Église russe, l’Église orientale, dont la force est dans la tradition et l’immobilité, redoute tout changement, toute altération même apparente à sa constitution et à ses usages. Cette répulsion pour les nouveautés croît naturellement quand ses privilèges sont en question, et l’on ne saurait dissimuler que dans la composition de ses tribunaux, comme dans leur procédure ou leur compétence, ce qu’on réclame de la justice ecclésiastique, c’est une rénovation plus conforme aux idées laïques de droit et de liberté qu’aux notions ecclésiastiques de soumission et d’autorité.

Voilà ce qui a retardé, ce qui retardera peut-être longtemps encore, sous Alexandre III comme sous son père, l’exécution d’une réforme réclamée par le progrès des mœurs et l’esprit de la Russie moderne. Ce n’est pas là, du reste, la seule raison du maintien de la juridiction ecclésiastique ; une autre chose milite en sa faveur : les défauts mêmes de ses tribunaux et de sa procédure. En Russie, plus d’une institution est soutenue par les abus qui sembleraient devoir la détruire. À ces abus les familles influentes, les gens en place et la police trouvent leur compte. Les classes riches, qui seules aujourd’hui recourent au divorce, préfèrent voir leur mariage cassé sans débats publics, sans plaidoiries retentissantes ni gênantes enquêtes, par un tribunal discret et ennemi du bruit, près duquel la faveur et l’argent ont facilement accès et qui ne fait souvent que consacrer légalement de petits arrangements de famille. Les convenances mondaines concourent ainsi avec les préventions religieuses à la conservation de tribunaux d’ordinaire complaisants aux faiblesses humaines.

La réforme de cette commode justice paternelle n’est toutefois qu’une question de temps et de mesure. Si les tribunaux d’Église ne sont pas supprimés, ils devront se plier aux maximes et aux règles qui prévalent dans les cours laïques. La Russie ne peut plus tolérer de juridictions corporatives qu’à une condition, c’est qu’elles se conforment aux grands principes de droit et d’équité que le dix-neuvième siècle a fait pénétrer dans les tribunaux militaires, aussi bien que dans les tritmnaux civils.

Le gouvernement de l’empereur Alexandre II avait porté l’esprit de réforme jusque dans l’enceinte des conseils de guerre, dont les attentats nihilistes lui ont, depuis, fait étendre démesurément la juridiction. Dans la justice militaire on a introduit la publicité des débats ; on a restitué au prévenu quelques-uns des droits qui lui faisaient défaut, en même temps qu’on créait, pour les officiers, une académie de droit, spécialement destinée à doter l’armée de juges et de procureurs instruits. Il s’en faut cependant que les cours martiales présentent encore toutes les garanties aujourd’hui réclamées des tribunaux dans les pays civilisés. La défense et l’accusation sont loin d’y avoir des droits égaux ; de plus, l’office d’accusaleur n’y est pas toujours nettement séparé des fonctions de juge. Depuis qu’on a imaginé de leur déférer les crimes contre les fonctionnaires, la procédure des conseils de guerre est souvent redevenue secrète. Le droit de défense a été réduit à quelques courtes et insignifiantes observations ; s’il n’a pas été entièrement supprimé, comme il en avait été question en 1881, il est trop fréquemment devenu illusoire. En même temps, des oukazes impériaux ont, dans les cas les plus graves, enlevé à l’accusé le droit d’appeler du verdict qui le condamne. L’extension donnée à la justice militaire par Alexandre II et Alexandre III rend de pareils défauts d’autant plus regrettables qu’ils diminuent l’autorité de ses sentences. On ne saurait, du reste, s’étonner de cet abandon des formalités protectrices de la justice, à une heure où les tribunaux civils eux-mêmes ont été dépouillés d’une part de leurs garanties légales.



  1. Autrefois il n’en était pas ainsi. Dans les causes criminelles, par exemple, à côté du président et d’un conseiller nommés par le gouvernement, siégeaient des délégués de la classe à laquelle appartenait le prévenu. En certaines provinces, en Sibérie notamment, les municipalités ont continué, jusqu’en 1885, à élire des délégués pour prendre part au jugement des marchands ou des bourgeois.
  2. Le mot volost, traduit par canton ou bailliage, désigne soit une grande commune rurale, soit plus souvent une agglomération de plusieurs petites communautés de villages, réunies administrativement. Voyez liv. I, ch. i.
  3. Comme le mir et la commune, la famille, telle qu’elle est constituée chez le paysan, ne saurait subsister qu’avec le droit coutumier. Nous avons (tome I ; liv. VIII, ch. ii) indiqué quelques-uns des traits essentiels des coutumes villageoises, quant à la famille et à la propriété. Sur bien des points ; les usages populaires sont en opposition avec la loi écrite et sont, beaucoup mieux que cette dernière, appropriés à la vie rurale. Ainsi, tandis que, d’après la loi, la fortune du mari et celle de la femme demeurent distinctes, la coutume fait vivre les époux sous le régime de la communauté, aussi longtemps du moins qu’ils habitent ensemble.
  4. M. Bogisic, dans ses études sur le droit coutumier des Slaves du sud.
  5. Voyez : Zapiski impér. roussk. géograf. obchtch. po otdel, etnografii, spécialement le tome VIII, rédigé sous la direction de M. Matvéief.
  6. C’est ce qui a été fait par la commission d’enquête sur les tribunaux des paysans, laquelle, en 1874, a publié en six volumes le résultat de ses recherches, sous le titre de : Troudy kommissii po préobrazovaniou volostnykh soudof. Comme il arrive souvent, ces travaux de la commission d’enquéte fournissent des arguments aux adversaires comme aux partisans des tribunaux de volost. MM. Tchoubinsky et Hiltebrandt ont aussi donné une collection des décisions de cette justice rurale dans la Petite-Russie : Narodnye iouridit. obytch. po réchéniam volostn, soudof ; tome VI° des Travaux de l’enquête ethnographico-statistique dans la Russie occidentale ; section du sud-ouest.
  7. Nous citerons entre autres les travaux de MM. Tchoubinsky, Kistiakovsky, Efimenko, Matvéief, Iakouchkine, Pachmann. Ce dernier a résumé le droit coutumier civil, dans une sorte de manuel en deux volumes, Obytchnoé grajdanskoé pravo v Rossii, 1877-79.
  8. Les gouvernements d’Olonets, de Viatka, de Kazao, de Penza, de Samara, par exemple. Il n’est pas question ici des indigènes du Caucase ou de Sibérie ; lesquels ont été également l’objet de nombreux travaux.
  9. Article 38 de l’acte d’émancipation.
  10. Certains juristes avaient déjà réclamé la codification des coutumes villageoises, sous forme de code rural spécial (selskii soudebnyi oustav). Ce serait, a dit M. le sénateur Kalatchof, un moyen de faire rentrer les coutumes populaires dans la loi, et d’en étendre au besoin l’application à d’autres classes que les paysans. Ce projet rencontre malheureusement un grand obstacle dans la variété des coutumes locales, variété motivée par les différences du sol, du climat, des populations, des mœurs. Voyez M. Kalatchof : Ob otnochénii iouriditcheskikh obytchaef k zakonodatelsvou, (Mémoires de la Soc. Imp. de Géogr., sect. ethnogr., tome VIII.)
  11. Encore ne s’agit-il que des procès concernant les biens mobiliers ou l’allocation communale. Les affaires touchant les immeubles acquis en dehors de cette allocation sont de la compétence des tribunaux ordinaires.
  12. Les habitants des autres classes, les propriétaires et les gens à leur service, ne relèvent point des tribunaux de volost, pas plus que de l’autorité de l’ancien du village. Certains membres de la noblesse ont voulu s’autoriser de cette exemption pour réclamer, en faveur des grands propriétaires, un droit de justice ou de police sur leurs terres, disant qu’aujourd’hui d’immenses domaines, de plusieurs centaines de verstes carrées, restent sans police. Voyez, par exemple, M. Dmitrief, Revolutsionny conservatizm. On parlait en 1886 d’étendre la juridiction du tribunal de volost à tous les habitants du canton, en dehors des classes privilégiées.
  13. Voyez tome I, livre VIII, chap. ii.
  14. D’après les statistiques criminelles, le nombre des femmes du peuple qui se débarrassent de leur mari par le fer ou le poison est relativement considérable, et ces crimes, qui ont pour motif la brutalité de l’homme, trouvent pour la plupart grâce devant le jury.
  15. De fait, ces tribunaux infimes, ou rassemblée du village elle-même, s’arrogent parfois le droit de prononcer la séparation ou mieux le divorce des époux mal assortis. En voici un exemple, emprunté à un district du gouvernement de Toula, en 1880. Un paysan du nom de Kouzmitchef avait déposé une plainte contre sa femme, qui l’avait quitté et refusait de rentrer chez lui. Le mir enjoignit au père de la jeune femme de la renvoyer à son mari. Le père répondit que c’était impossible, vu que le mari, non content de la maltraiter, la laissait mourir de faim et avait contracté une liaison avec une autre paysanne. Le mir, ou le tribunal de volost, après avoir entendu les témoins, prononça la séparation des époux, fit rendre à la jeune femme tous ses effets personnels, et déclara qu’elle pouvait, se considérer comme libre. Le prêtre du pays ne put rien changer à cette décision.
  16. Il résulte de travaux spéciaux que, tout en étant loin d’être encore en désuétude, la peine des verges devient d’une application moins fréquente. Voici, par exemple, un tableau publié, en 1884 ou 1885, dans le Recueil du zemstvo de Vladimir par un investigateur local, M. A. Smirnof. C’est la statistique pénale des tribunaux de bailliage de cette province. Nous donnons le chiffre total des condamnations prononcées par périodes triennales, et, en regard, le nombre des cas où l’on a eu recours aux châtiments corporels.
    — — — — Condam
    nations.  
      Verges.
    1866-68   5 452 2 063
    1869-71   8 404 2 441
    1872-74 10 884 4 396
    1875-77 11 150 2 994
    1878-80 11 624 2 308



      On voit d’après ce tableau que, si les paysans de Vladimir employaient encore volontiers les verges, la proportion des châtiments corporels avait, sauf une courte période, été toujours en décroissant.
      Depuis la création des chefs de canton ruraux, la peine des verges ne peut être appliquée qu’avec l’autorisation de ces fonctionnaires.

  17. Un des cas où les tribunaux de volost étaient le plus tentés d’abuser des châtiments corporels, c’était envers les contribuables en retard. Grâce à la solidarité communale (voy. tome I, liv. VIII, chap. v), les juges pouvaient, en effet, être intéressés à l’exacte rentrée des impôts. Aussi les verges sont-elles encore parfois employées pour accélérer le versement des taxes.
  18. Édition de 1876, article 2178 du tome II et article 102 da statut des paysans, annexe du tome IX.
  19. Voyez liv. I, chap. iii.
  20. Un seul d’après la commission d’enquête.
  21. Voyez M. G. Picot, la Réforme judiciaire (1881).
  22. Toute la procédure est orale, mais on doit tenir registre des affaires et des sentences des juges. De là la nécessité d’un greffier.
  23. Vedro ou sceau, mesure valant, si je ne me trompe, 12 litres.
  24. Le chtof, autre mesure de liquide, valant la huitième partie du vedro.
  25. Enquête agricole, t. II.
  26. Ces détails, que je tiens de témoins oculaires, ont été confirmés par une des revues de Saint-Pétersbourg, le Messager de l’Europe (Vestnik Evropy) (juillet et sept. 1876). Les contradictions de ce genre, encore trop fréquentes en Russie, ne sont qu’une conséquence de la manie d’ostentation qui pousse tant de fonctionnaires ou de particuliers à se faire les promoteurs de réforoies d’apparat et parfois de pure apparence, pour s’en faire un titre aux yeux du gouvernement ou du public. C’est ainsi, par exemple, qu’un des principaux instigateurs de cette ligue de tempérance du gouvernement de Penza avouait avoir établi sur ses terres un grand nombre de cabarets.
  27. Sur ce rouage administratif, auquel on est en train de substituer peu à peu les nouveaux chefs de canton, voyez les deux premières éditions de cet ouvrage, t. II, p. 50, 51.
  28. Pour la composition et le fonctionnement de cette assemblée, voyez ci-dessous, chapitre iii.
  29. Voici, d’après le nouveau statut, les peines que peuvent infliger les tribunaux de volost :
    1o  Une réprimande en pleine audience.
    2o  Une amende de 25 kopecks à 30 roubles.
    3o  La prison ; 15 jours au plus (en quelques cas 30 jours) ; cet emprisonnement peut être ordinaire ou sévère, c’est-à-dire au pain et à l’eau.
    4o  Les verges (jusqu’à 30 coups de verges) ; mais seulement en cas de récidive, pour des faits graves, et après autorisation du chef de canton qui a le droit de commuer la peine.
  30. Pour toute cette organisation, je dois renvoyer à notre III* volume, spécialement consacré aux matières religieuses.
  31. Comme la plupart des délits qui conduisent les autres Russes devant les juges de paix sont une violation des lois religieuses aussi bien que des lois civiles, le prêtre pourrait s’autoriser de semblables formules pour n’être le plus souvent traduit que devant ses propres tribunaux, c’est-à-dire devant des supérieurs dont l’esprit de corps ferait pour lui autant des protecteurs que des juges. De même que le militaire ne relève que des tribunaux militaires, le prêtre serait jugé par les tribunaux ecclésiastiques, qui, dans ses différends avec des hommes d’une autre classe, pourraient parfois lui témoigner une indulgence partiale. Il y aurait là une fâcheuse atteinte au principe de l’égalité devant la loi.
  32. L’Église orientale, on le sait, admet, d’après l’Évangile (saint Mathieu, v, 32), que l’adultère de l’un des deux époux autorise l’autre à s’en séparer. Dans ce cas, les canons de l’Église permettent à l’époux injurié de contracter une nouvelle union, ils interdisent les secondes noces à l’homme ou à la femme qui n’a pas tenu les promesses des premières. Il est vrai que, en fait, on s’écarte parfois de ce sévère principe.