L’Empire chinois/Volume 1 - Chapitre VI

Gaume (Tome Ip. 243-288).
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Volume I


CHAPITRE VI


Mauvaise et dangereuse route. — Leang-chan, ville de troisième ordre. — Contestations entre nos conducteurs et les mandarins de Leangchan. — Un jour de repos. — Nombreuses visites de chrétiens. — Un mandarin militaire de l’escorte se compromet. — Il est exclu de notre table. — Grand jugement présidé par les missionnaires. — Détails de ce singulier jugement. — Acquittement d’un chrétien et condamnation d’un mandarin. — Sortie triomphale de Leang-chan. — Servitude et abjection des femmes en Chine. — Leur réhabilitation par le christianisme. — Maître Ting prétend que les femmes n’ont pas d’âme. — Influence des femmes dans la conversion des peuples. — Arrivée à Yao-tchang. — Hôtel des Béatitudes. — Logement sur un théâtre. — Navigation sur le fleuve Bleu. — La comédie et les comédiens en Chine.


En quittant Tchang-tcheou-hien, nous remarquâmes que les porteurs de palanquins étaient plus grands, plus vigoureux et plus agiles que d’ordinaire ; ils nous emportaient avec une rapidité et une aisance qui tenaient du prodige. Maître Ting nous dit, en passant à côté de nous, qu’on avait fait un choix parmi les porteurs de la ville parce que la route devait être pénible et dangereuse.

Nous ne tardâmes pas, en effet, à entrer dans un pays montagneux, coupé de profonds ravins, où les chemins n’étaient souvent que d’étroits sentiers en talus, formés de terre glaise, et détrempés par une pluie abondante qui n’avait pas cessé de tomber durant la nuit précédente. Nous eussions bien désiré aller à pied, mais il nous eût été impossible de garder longtemps l’équilibre sur ce terrain glissant. On nous assura qu’il y avait encore moins de danger à rester dans les palanquins. Les porteurs, ayant l’habitude de ces misérables chemins, nous prièrent de nous confier en la solidité de leurs jambes. Nous comptâmes donc un peu sur eux et beaucoup sur la Providence.

Ces pauvres porteurs avançaient, en s’appuyant comme ils pouvaient sur un bâton ferré qu’ils piquaient de temps en temps dans la vase. Quoique cette manœuvre fût de nature à ralentir leur marche, ils allaient cependant avec tant de vitesse que nous en avions le vertige. Il leur arrivait parfois de faire involontairement quelques entrechats ; alors le palanquin se balançait à droite et à gauche avec indécision et semblait vouloir s’échapper de dessus leurs épaules. La position était, en ces moments-là, peu rassurante, car il ne s’agissait de rien moins que d’aller rouler au fond d’un ravin et de se fracasser les membres contre d’énormes cailloux.

Nous ne quittâmes ces horribles sentiers que pour gravir de rapides collines, dont le sol, également glissant, offrait de grandes difficultés, soit pour monter, soit pour descendre. Dans ces circonstances, pourtant, le danger n’était pas très-sérieux ; les chutes ne pouvaient avoir que le désagrément de retarder la marche. Pour obvier à cet inconvénient, on attachait devant le palanquin deux longues cordes auxquelles on attelait une douzaine d’individus qui faisaient ainsi avancer la machine. Quand il fallait descendre, on plaçait les cordes en sens inverse pour modérer l’impétuosité des porteurs.

Cet étrange attelage était recruté le long de la route d’une façon un peu tyrannique, mais conforme aux habitudes du pays. Quand on apercevait des cultivateurs aux champs ou des bûcherons dans les forêts, les satellites de l’escorte couraient après, et, s’ils pouvaient les atteindre, ils les requéraient au nom de la loi, de venir traîner le convoi l’espace de cinq lis[1]. C’était un bizarre spectacle que de voir les stratagèmes mis en usage dans cette chasse d’un genre tout à fait nouveau pour nous. Quand les fuyards se trouvaient cernés par les évolutions savantes et agiles des gens des mandarins, ils se rendaient à discrétion, et venaient, en riant, se soumettre à cette malencontreuse corvée. Nous fûmes d’abord peinés de voir ces pauvres villageois, arrachés à l’improviste à leurs travaux, pour nous apporter gratuitement le secours de leurs bras et de leurs jambes ; mais nous dûmes laisser aller les choses conformément aux usages du pays, car nous n’étions nullement chargés de réformer, chemin faisant, les abus que nous pourrions rencontrer dans le Céleste Empire.

Avec l’assistance de Dieu, nous nous tirâmes heureusement de tous les mauvais pas de la route. Nous arrivâmes à Leang-chan-hien accablés de fatigue ; nous avions eu, il est vrai, bien moins de peines physiques à endurer que nos porteurs ; mais, au moral, nous avions beaucoup plus souffert qu’eux. Nous sentions même tous nos membres comme brisés de lassitude, quoique nous n’eussions fait à pied, tout au plus, qu’une centaine de pas. La gêne et la contrainte que nous avions été obligés de nous imposer pour garder une parfaite immobilité dans nos palanquins et leur éviter la moindre secousse, nous avaient, en quelque sorte, produit l’effet d’une marche forcée. Aussi, dès que nous fûmes arrivés au palais communal, nous nous hâtâmes de prendre un peu de repos, en laissant, toutefois, maître Ting chargé de dire aux visiteurs que nous n’y étions pas.

Nos mandarins et les gens de l’escorte qui, sans doute, ne se trouvaient pas aussi fatigués que nous, ne discontinuèrent pas de faire un vacarme affreux avec les gardiens du palais communal. Durant la nuit tout entière, nous eûmes le déplaisir de les entendre se quereller sur des affaires dont nous ne pouvions parvenir à saisir le fil. Nous comprenions seulement qu’il était question de gain et de perte, de ruse et de fraude. Quand le jour parut, notre domestique vint nous raconter tous les détails de cette chinoiserie. Nos conducteurs, poussés par l’instigation du nouveau mandarin militaire que nous avions pris à Tchoung-king, voulaient exiger des tribunaux de Leang-chan un viatique plus considérable que celui dont il avait été convenu. Afin d’appuyer leurs prétentions d’une manière plus efficace, ils n’avaient pas craint de falsifier la feuille de route signée par le vice-roi ; mais, malheureusement, les mandarins de Leang-chan en ayant une copie, il leur avait été facile de vérifier la fraude. De là des querelles interminables ; la nuit n’avait pas suffi pour en venir à bout, et le jour trouva encore nos gens se disputant avec le même acharnement. Maître Ting essaya de nous faire intervenir ; il nous avait dépeints aux mandarins du pays comme des hommes terribles, et il comptait beaucoup qu’ils en passeraient par tout ce que nous voudrions. Cette affaire ne nous concernant pas, nous n’eûmes garde de nous en mêler. Nous les avertîmes seulement de s’accorder, comme ils le pourraient, le plus promptement possible, parce que nous n’entendions pas nous mettre en route au plus fort de la chaleur.

Quand on eut épuisé de part et d’autre toutes les ruses et tous les stratagèmes de la polémique chinoise, la paix fut conclue, sans que nous ayons pu savoir à quelles conditions ; du reste, peu nous importait. Vers onze heures on vint nous avertir, d’un air de triomphe, qu’enfin nous allions partir. — Il est trop tard, répondîmes-nous, on ne partira que demain. Nous n’avons assurément aucun droit de vous empêcher de vous quereller, mais nous ne vous reconnaissons pas non plus celui de nous faire partir au moment le plus chaud de la journée ; nous ne pouvons pas être les victimes de vos contestations. — Les gens de notre escorte comprirent tout de suite qu’il n’y avait rien à faire, et que nous ne reviendrions pas de notre résolution. Il n’en fut pas ainsi des fonctionnaires de Leang-chan ; ils ne purent en prendre leur parti qu’après avoir épuisé toutes leurs ressources diplomatiques. Le commandant militaire de la ville essaya de nous séduire avec une belle jarre de vin vieux, qu’il accompagna des exhortations les plus touchantes et les plus fraternelles. Nous goûtâmes le vin, que nous trouvâmes délicieux, et, après mille actions de grâces, il fut décidé que nulle part nous ne pourrions le boire en aussi bonne compagnie qu’à Leang-chan.

Aussitôt qu’il fut bien constaté que nous ne partirions pas, le palais communal fut envahi par une foule de petits marchands, qui venaient nous offrir des curiosités de leur pays. Ce que nous trouvâmes de plus remarquable parmi ces nombreux étalages de marchandises chinoises, c’étaient des stores dont on se sert, dans les pays chauds, pour garnir le devant des portes et des fenêtres. Ils sont fabriqués avec de petites baguettes de bambou, habilement jointes ensemble par des cordons de soie, et ornés de peintures représentant des fleurs, des oiseaux et une foule de dessins de fantaisie. Le beau vernis qui les recouvre rehausse la vivacité des couleurs et donne à ces légers treillis une fraîcheur et un éclat ravissants. On trouve encore dans cette ville des colliers odorants d’une grande variété.

Les chrétiens sont assez nombreux à Leang-chan, et nous étions étonnés qu’il ne s’en fût encore présenté aucun. Sans crainte de porter un jugement téméraire, nous pensâmes que les mandarins du lieu avaient défendu de les laisser entrer, afin de nous punir de notre indocilité. En nous promenant dans la première cour, nous aperçûmes, parmi la foule qui stationnait devant la porte, un homme qui fit à dessein le signe de la croix pour être reconnu. Nous allâmes droit à lui et nous l’invitâmes à nous suivre dans la salle de réception. Le long mandarin militaire qui nous accompagnait depuis Tchoung-king essaya de le faire rétrograder ; mais il fut immédiatement prié, de l’œil, du geste et de la voix, de vouloir bien modérer un zèle si intempestif et si peu de notre goût. Après avoir écouté avec le plus vif intérêt les détails que le chrétien nous donna sur l’état de la mission, nous lui dîmes d’avertir ses frères de se présenter avec un billet de visite et en habit de cérémonie, et que l’entrée ne serait refusée à personne. Nous allâmes nous-mêmes donner la consigne au concierge, et la nouvelle s’étant répandue avec rapidité dans toute la chrétienté, les visites nous arrivèrent bientôt par nombreux détachements. Comment exprimer les ineffables jouissances que nous goûtâmes dans ces réunions ? Ces hommes nous étaient tous inconnus, mais ils étaient pour nous des amis et des frères. Nous sentions qu’un courant de fraternité, une sorte de magnétisme chrétien, passait d’eux à nous et de nous à eux. Nous nous aimions sans nous être jamais vus, parce que nous avions une même foi et une même espérance. Depuis si longtemps nous étions errants parmi des peuples indifférents ou ennemis que la sympathie dont nous étions entourés, bien qu’elle fût un peu chinoise, dilatait nos cœurs et les remplissait de douces émotions. Il nous semblait, en nous entretenant avec des chrétiens, que nous étions seulement à un pas de la France. Les mandarins étaient tout surpris de ces intimités spontanées et de ces relations qui semblaient dater de fort loin. Ils en paraissaient inquiets, préoccupés, et on voyait qu’ils étaient obligés de faire des efforts pour ne pas manifester ouvertement leur mauvaise humeur. Un accident de nulle importance, une bagatelle, vint faire éclater leur colère et faillit donner naissance à une grosse affaire.

Avant la tombée de la nuit, nous récitions notre bréviaire en nous promenant dans une allée de la cour intérieure, pendant que nos trois mandarins de l’escorte, assis sous un grand laurier-rose, fumaient leur longue pipe et savouraient la délicieuse fraîcheur du soir. Notre domestique traversa la cour avec un petit paquet et une lettre, et se dirigea vers notre chambre : le mandarin militaire que nous avions pris à Tchoung-king l’y suivit. Quoiqu’il eût bien choisi son temps pour ne pas être aperçu, nous remarquâmes sa démarche, et aussitôt que nous fûmes libres, nous courûmes à notre chambre pour y inspecter notre audacieux surveillant. Nous le trouvâmes en flagrant délit, lisant la lettre et fouillant le paquet qui étaient à notre adresse. Dès qu’il nous aperçut, il voulut s’esquiver avec les objets dont il venait de s’emparer ; mais nous lui barrâmes le passage, et, après l’avoir refoulé au fond de la chambre, nous fermâmes la porte et nous nous élançâmes sur lui en criant : Au voleur ! Lorsqu’il vit que nous saisissions une grosse corde pour le lier, il appela au secours, et alors tout ce qu’il y avait de monde dans le palais communal se précipita en tumulte vers notre chambre.

Ailleurs, nous eussions ri volontiers de cette singulière aventure ; mais, en Chine, il fallait en cette circonstance, éclater en colère et en indignation ; nous n’y manquâmes pas. Le paquet étant à notre disposition, il fut ouvert, et nous y trouvâmes des fruits secs et quelques colliers odorants qu’une famille chrétienne avait eu l’aimable attention de nous offrir. La lettre n’était pas plus compromettante : elle était ainsi conçue :

« L’humble famille des Tchao se prosterne jusqu’à terre devant les Pères spirituels originaires du grand royaume de France, et les prie de faire descendre sur eux la bénédiction du ciel. C’est par la volonté miséricordieuse de Dieu que nous avons obtenu votre précieuse présence dans notre pauvre et obscure contrée. Bientôt nous serons séparés par les fleuves et les montagnes ; mais les sentiments du cœur parcourent en un moment des distances infinies. Le jour et la nuit, nous penserons aux Pères spirituels.

« A Leang-chan, tous les Amis[2] de la religion se réuniront, afin d’adresser des prières au Seigneur du ciel, et de demander une paix inaltérable pour l’âme et pour le corps. Nous élevons vers vous quelques fruits du pays ; daignez abaisser votre main pour les recevoir. Cette petite offrande est celle de notre cœur.

« Ces caractères sont tracés par les hommes pécheurs et les femmes pécheresses de la famille Tchao. »

Le zélé mandarin militaire, confus de n’avoir découvert aucune trace de complot, tremblait de tous ses membres aux accents de notre colère factice. Le préfet de la ville arriva, avec tout son état-major, pour organiser la paix ; mais il s’y prit si mal, qu’il obtint un résultat précisément tout opposé à celui qu’il se promettait. Il eut la maladresse de nous annoncer, tout d’abord, qu’il venait de faire arrêter et mettre en prison le chef de la famille Tchao, comme étant le principe et la source de cette malencontreuse affaire. — Un jugement ! nous écriâmes-nous, il faut un jugement ! Si le chef de la famille Tchao a péché, qu’il soit puni selon les lois, pour l’exemple du peuple… Si le chef de la famille Tchao est innocent, alors c’est le mandarin militaire de Tchoung-king qui est coupable, et il doit être châtié. La paix a été troublée dans le palais communal ; nous qui voyageons sous la sauvegarde de l’empereur, nous avons été insultés par un fonctionnaire ; il faut que l’ordre soit rétabli par un jugement, et que chacun soit mis à sa place, bonne ou mauvaise, suivant sa conduite…

Le préfet de Leang-chan, qui ne voyait pas bien clairement où nous voulions en venir, essaya de nous persuader que cette affaire devait être considérée comme terminée, qu’il n’en devait plus être question ; que le chef de la famille Tchao allait être gracié et mis en liberté, et que, par conséquent, toutes les émotions de l’âme devaient cesser. A toutes ses exhortations et à celles de ses nombreux collègues, nous répondions toujours par le même mot : Un jugement ! Si le chef de la famille Tchao est innocent, il n’a pas besoin de grâce ; sa conduite doit être examinée attentivement ; il a été maltraité aux yeux de tout le monde. Notre honneur et celui de tous les chrétiens se trouvent engagés dans cette affaire. Il faut un jugement public, afin qu’on puisse expliquer au peuple, avec clarté et méthode, les véritables principes du droit… Ceux qui nous connaissent, dîmes-nous au préfet, savent que nous ne sommes pas des hommes à paroles légères et à résolutions flottantes ; ainsi, nous déclarons ici, en présence de tout le monde, avec droiture et sans ambiguïté, que nous ne quitterons Leang-chan qu’après un jugement public, auquel nous assisterons. Il est déjà tard, et on peut donner immédiatement les ordres de faire, au tribunal, les préparatifs nécessaires… Nous adressant ensuite à maître Ting, nous lui dîmes que, l’heure du souper étant arrivée, il fallait se mettre à table ; et, afin de ne pas prolonger davantage la discussion par notre présence, et pour inviter chacun à se rendre à ses affaires, nous fîmes au préfet de la ville et à son état-major une belle révérence ; et nous allâmes nous promener dans un petit jardin solitaire qui se trouvait derrière notre chambre.

Quelques minutes après, tous les curieux que l’aventure des fruits secs avait attirés au palais communal ayant disparu, on vint nous avertir que le vin chaud était sur la table. En entrant dans la salle où était servi le souper, nous remarquâmes que le mandarin de Tchoung-king était à son poste parmi nos commensaux ordinaires. Nous lui fîmes signe de sortir, en lui déclarant que, désormais, il nous était impossible de prendre nos repas avec lui. Il s’avisa d’abord de trouver la chose un peu plaisante ; mais notre attitude ne tarda pas à lui faire comprendre que nous parlions très-sérieusement ; et ses collègues l’ayant engagé à s’exécuter, il sortit d’assez mauvaise grâce, et s’en alla manger son riz ailleurs.

Notre souper, comme on peut aisément se l’imaginer, ne fut pas d’une gaieté bien folle. On piquait dans les plats à droite et à gauche, machinalement et en silence. Les bâtonnets saisissaient et laissaient retomber souvent le même morceau avant de l’emporter. On avalait, par manière de distraction, de nombreux petits verres de vin chaud ; on se regardait du coin de l’œil, et sans rien dire ; chacun pensait au fameux jugement. Il nous semblait parfois que nous nous étions avancés peut-être avec trop de hardiesse, et, s’il se fût trouvé à Leang-chan un préfet d’un caractère tant soit peu énergique, il eût été prudent de songer à faire une retraite honorable ; mais nous avions affaire à un homme peureux, d’une nature molle, et que nous étions assurés de faire plier. Il nous importait donc de marcher résolument jusqu’au bout ; nous étions, d’ailleurs, bien aises de profiter d’une occasion un peu imposante pour relever, s’il était possible, le moral des chrétiens grandement abattu par toutes ces promesses illusoires de liberté religieuse. La conversation ayant pris très-peu de temps, nous nous trouvâmes vite à la fin du repas. On apporta le thé et les pipes, et, pour lors, il fallut bien renoncer au mutisme, car les occupations n’ayant plus le même degré d’activité et d’importance, il n’y avait plus de prétexte à garder le silence. On en vint immédiatement, et sans préambule, à ce dont tout le monde était préoccupé, c’est-à-dire à la question du jugement. Nous fûmes les premiers à prendre la parole. Nous pensons, dîmes nous, que tout est déjà préparé au tribunal pour le jugement qui doit avoir lieu ce soir ; l’heure a-t-elle été fixée ? — Oui, certainement, répondit maître Ting, tout se fera selon vos désirs. Le préfet s’en est chargé ; il est très-renommé pour son habileté à discuter les points les plus difficiles du droit. Tout ira bien ; vous pouvez être tranquilles. Seulement vous ne pourrez pas assister au jugement, les lois de l’empire s’y opposent ; mais peu importe. — Il importe, au contraire, beaucoup que nous y soyons ; tenez-vous bien pour averti que, si le jugement se fait sans nous, ça ne comptera pas. Après de longues et chaleureuses discussions, nous en fûmes toujours au même point. Les émissaires du tribunal allaient et venaient sans cesse, sans apporter jamais de solution. Cependant, comme nous n’avions nullement envie de passer la nuit à parlementer, nous dîmes à maître Ting de se charger de négocier sur les bases suivantes : Si, à dix heures du soir, le jugement ne commençait pas, nous irions nous coucher, et alors il faudrait le faire le lendemain, et demeurer encore un jour à Leang-chan ; si, le lendemain, on n’était pas décidé, nous resterions indéfiniment, car notre résolution irrévocable était de ne partir qu’après le jugement. Maître Ting, muni de nos instructions, se rendit au tribunal. Dix heures étant arrivées sans qu’il eût reparu, nous allâmes nous coucher et nous nous endormîmes profondément, quoique nous fussions à la veille d’une grande bataille.

Vers minuit, une députation du premier magistrat vint nous tirer de notre sommeil, et nous avertir que, tout ayant été réglé et disposé pour le jugement, on nous attendait au tribunal. L’heure ne nous paraissait pas extrêmement convenable ; cependant, considérant que, pour en venir là, les mandarins avaient dû passer pardessus bien des répugnances, nous crûmes que, de notre côté, nous pouvions aussi faire quelques concessions. Nous nous levâmes promptement, et, après nous être costumés le plus pompeusement possible, nous nous rendîmes au tribunal en palanquin, et escortés de nombreux satellites qui portaient à leurs mains des torches de bois résineux. Nous savions ce qu’était un jugement chinois ; ceux que nous avions subis à Lha-ssa et à Tching-tou-fou nous avaient mis un peu au courant des règles de la procédure. Nous nous étions tracé d’avance, d’après nos souvenirs, un beau petit plan ; il ne s’agissait plus que de l’exécuter avec beaucoup d’aplomb.

Nous fûmes introduits dans la salle d’audience, qui était splendidement éclairée par de grosses lanternes en papier de diverses couleurs. Une multitude de curieux, parmi lesquels devaient se trouver un grand nombre de chrétiens, encombrait le fond de la salle. Les principaux mandarins de la ville, et nos trois conducteurs, se trouvaient, à la partie supérieure, sur une estrade élevée, où on avait disposé plusieurs siéges devant une longue table. Aussitôt que nous fûmes arrivés dans ce sanctuaire de la justice, les magistrats nous firent l’accueil le plus gracieux, et le préfet nous dit qu’il fallait prendre place aussitôt, pour commencer vite le jugement. La situation était critique. Comment allait-on se placer ? Personne ne paraissait bien fixé sur ce point, et notre présence semblait donner au préfet lui-même des doutes sérieux au sujet de ses prérogatives ; il avait bien sur le devant de sa tunique de soie violette un dragon impérial richement brodé en relief ; mais nous portions, nous, une belle ceinture rouge. Le préfet avait un globule bleu, et nous autres, nous étions coiffés d’un bonnet jaune. Après quelques instants d’hésitation, nous nous sentîmes une telle surabondance d’énergie, que nous éprouvâmes le besoin de diriger nous-mêmes les débats. Nous allâmes donc nous installer fièrement sur le siége du président, et nous assignâmes à nos assesseurs la place qu’ils devaient occuper à droite et à gauche, chacun suivant le degré de sa dignité. ll y eut dans l’auditoire un petit mouvement d’hilarité et de surprise qui n’avait pourtant aucun caractère d’opposition. Les mandarins se trouvèrent, du coup, complétement désorientés, et se placèrent, comme des machines, selon qu’il leur avait été dit.

La séance était ouverte. Nous plaçâmes devant nous, sur la table, le corps du délit, c’est-à-dire la lettre et le petit paquet. Après avoir lu et commenté la lettre, nous la fîmes passer au mandarin militaire de Tchoung-king qui se trouvait à la dernière place à droite, et nous lui demandâmes si c’était bien là la lettre qu’il avait décachetée, s’il la reconnaissait. La réponse fut affirmative. Nous lui fîmes ensuite passer le paquet qui renfermait des fruits secs et quelques colliers parfumés au girofle et au sandal. Son identité ayant été constatée, nous chargeâmes une sorte d’huissier, coiffé d’un bonnet de feutre noir en forme de pain de sucre et orné de longues plumes de faisan, de présenter la lettre et le paquet à chacun des juges, afin que le tribunal pût bien former sa conscience et se prononcer en parfaite connaissance de cause.

Ces préliminaires étant terminés, l’ordre fut donné d’aller chercher l’accusé et de l’introduire à la barre. Bientôt nous vîmes s’avancer, entre quatre satellites de mauvaise mine, un Chinois aux manières élégantes et d’une physionomie pleine d’intelligence. Un chapelet, au bout duquel brillait une grande croix de cuivre, était passé à son cou en guise de collier. En voyant l’accusé, nous espérâmes que le procès marcherait avec succès. On comprend combien il eût été embarrassant et peu agréable d’avoir affaire à un homme timide, borné, incapable, en un mot, de nous soutenir dans la position singulière où nous nous trouvions ; mais il était impossible de mieux rencontrer. Le chef de la famille Tchao nous parut taillé tout exprès pour la circonstance.

Dès qu’il fut arrivé au bas de l’estrade, il jeta sur la cour un regard rapide, mais suffisant pour lui faire remarquer que celui qui allait le juger n’était pas un mandarin du Céleste Empire. Il se prosterna en souriant, et après avoir salué le président, en frappant la terre trois fois du front, il se releva pour adresser à chaque juge une profonde inclination. Lorsqu’il eut parcouru de la meilleure grâce du monde sa série de salutations, il se mit à genoux, car, d’après la loi chinoise, c’est dans cette posture que doivent être les accusés devant leur juge. Nous l’invitâmes à se relever, en lui disant que nous serions peinés de le voir à genoux devant nous, parce que cela n’était pas conforme aux usages de notre pays. — Oui, dit le préfet, tiens-toi debout puisqu’on te le permet. Maintenant, ajouta-t-il, comme les hommes de ces lointaines contrées n’entendent pas, sans doute, facilement ton langage, je vais moi-même faire l’interrogatoire. — Non, cela ne se peut pas. Votre crainte est sans fondement ; vous allez voir que nous pouvons très-bien nous entendre avec cet homme. — Oui, dit l’accusé, ce langage est pour moi blancheur et clarté ; je le comprends sans hésitation. — Puisque la chose est ainsi, dit le préfet, un peu déconcerté, tu vas répondre avec droiture et simplicité de cœur aux questions qui te seront adressées.

Nous procédâmes donc à l’interrogatoire dans la forme suivante : — Comment t’appelles-tu ? — Le Tout Petit[3] porte le nom vil et méprisable de Tchao ; le nom que j’ai reçu au baptême est Simon. — Quel âge as-tu ? d’où es-tu ? — Il y a trente-huit ans que le Tout Petit endure les misères de la vie dans le pauvre pays de Leang-chan. — Es-tu chrétien ? — Moi, homme pécheur, j’ai obtenu la grâce de connaître et d’adorer le Seigneur du ciel. — Voilà une lettre ; la reconnais-tu ? par qui a-t-elle été écrite ? — Je la reconnais ; c’est le Tout Petit qui en a tracé les caractères peu gracieux avec son pinceau dépourvu d’habileté. — Examine ce paquet ; le reconnais-tu ? — Je le reconnais. — A qui as-tu adressé ce paquet et la lettre ? — Aux Pères spirituels du grand royaume de France. — Quel était ton but en nous envoyant ces objets ? — L’humble famille Tchao voulait témoigner aux Pères spirituels ses sentiments de piété filiale. — Comment cela se peut-il ? nous ne sommes pas connus de vous et nous ne vous avons jamais vus. — C’est vrai, mais ceux qui ont la même religion ne sont pas étrangers les uns aux autres ; ils ne font qu’une seule famille, et, quand des chrétiens se rencontrent, leurs cœurs se comprennent facilement. — Vous voyez, dîmes-nous au préfet, que cet homme comprend parfaitement notre langage ; il répond avec lucidité à toutes nos questions. Vous savez aussi, maintenant, que les chrétiens ne forment ensemble qu’une seule famille ; il est écrit dans vos livres et vous répétez souvent vous-mêmes que tous les hommes sont frères. Cela veut dire que tous les hommes ont une même origine ; qu’ils viennent du Nord ou du Midi, de l’Orient ou de l’Occident, ils sont tous issus du même père et de la même mère ; la racine est une, quoique les rejetons soient innombrables. Voilà ce qu’on doit entendre quand on dit que tous les hommes sont frères ; cela signifie encore qu’il n’y a qu’un seul souverain Seigneur qui a créé et qui gouverne toutes choses. Il est le grand Père et Mère de dix mille peuples qui sont sur la terre. Comme les chrétiens seuls adorent ce souverain Seigneur, ce grand Père et Mère, voilà pourquoi il est dit qu’ils forment entre eux une seule famille. Ceux qui ne sont pas chrétiens appartiennent bien aussi, par l’origine, à la même famille, mais ils vivent séparés, ils oublient les principes de l’autorité paternelle et de la piété filiale. — Tout cela est fondé en raison, dirent les juges chinois, voilà la vraie doctrine dans toute sa pureté.

Après cette courte digression théologique, nous revînmes au procès. — Nous autres, dîmes-nous à l’accusé, nous sommes étrangers à l’empire du Milieu, nous y avons vécu un assez grand nombre d’années pour connaître la plupart de vos lois ; cependant il en est, sans doute, beaucoup qui ont dû nous échapper, ainsi réponds-nous suivant ta conscience. En nous envoyant une lettre et un paquet de fruits secs, penses-tu avoir agi contrairement aux lois ? — Je ne le pense pas ; je crois, au contraire, avoir fait une bonne action, et nos lois ne le défendent pas. — Comme tu es un homme du peuple, tu pourrais te tromper et ne pas bien comprendre les lois de l’empire. Nous adressant alors aux magistrats qui siégeaient avec nous, nous leur demandâmes si cet homme avait commis une action répréhensible. Tous répondirent unanimement que sa conduite était digne d’éloges ; et vous, dîmes-nous au nommé Lu, mandarin de Tchoung-king, quelle est votre opinion ? — Il ne peut y avoir aucun doute, l’action de la famille Tchao est vertueuse et sainte. Qui serait assez insensé pour dire le contraire et soutenir qu’elle est répréhensible ? — Voilà maintenant qui est clair, dîmes-nous à l’accusé, la vérité a été séparée de l’erreur soigneusement. D’après le témoignage des mandarins supérieurs et inférieurs, tu avais le droit de suivre les sentiments de ton cœur et de nous faire cette offrande. Dans ce cas, nous l’acceptons ici ouvertement et en présence de tout le monde, nous conserverons ta lettre avec le plus grand soin et comme une chose précieuse.

Le procès était terminé, nous eussions pu prononcer aussitôt un verdict de non-culpabilité et renvoyer l’accusé triomphalement au sein de sa famille. Cependant, comme nous avions pris goût aux fonctions de mandarin, nous prolongeâmes encore la séance. Nous demandâmes à l’honorable Tchao des détails sur la chrétienté de Leang-chan. Son langage fut plein de courage et de convenance, il entra dans une foule de particularités très intéressantes pour nous, mais auxquelles probablement les autres juges ne devaient pas comprendre grand’chose. Enfin nous nous hasardâmes à lui adresser cette question : — Les chrétiens de Leang-chan sont-ils fidèles observateurs des lois ? Donnent-ils le bon exemple au peuple ? — Nous autres chrétiens, répondit Tchao, nous sommes faibles et pécheurs comme les autres hommes ; nous faisons, pourtant, des efforts pour pratiquer la vertu. — Oui, faites des efforts pour être des hommes vertueux, travaillez à conformer votre conduite à la pureté et à la sainteté de la doctrine du Seigneur du ciel, et vous verrez que, dans tout l’empire, les mandarins et le peuple finiront par vous rendre justice. Déjà l’empereur a reconnu dans un édit que la religion chrétienne avait pour but de porter les hommes à la pratique du bien et à la fuite du mal, et, en conséquence, il a défendu aux grands et aux petits tribunaux des dix-huit provinces de poursuivre les chrétiens. Cet édit n’a pas été promulgué dans toutes les localités ; mais son existence est authentique, vous pouvez l’annoncer à tous les amis de la religion ; il vous est donc permis de réciter les prières et d’observer les rites chrétiens sans peur et en toute liberté. Qui serait assez audacieux pour vous tourmenter et encourir la colère de l’empereur ?

Après cette petite allocution, nous demandâmes au préfet si on pouvait renvoyer chez lui le chef de la famille Tchao. — Puisqu’il est manifeste, dit-il, que la conduite du nommé Tehaoa été vertueuse en tous points, on doit le lâcher pour qu’il aille porter la consolation de sa présence à ses parents et à ses amis. On allait lever la séance ; mais nous étendîmes le bras, et nous demandâmes à exprimer encore une pensée. — Puisque, dîmes-nous, l’action du chef de la famille Tchao était conforme aux lois et irréprochable, il est évident que la conduite du mandarin Lu a été coupable. Il s’est introduit furtivement dans notre chambre et s’est couvert la face de honte en décachetant une lettre qui nous était adressée. Le mandarin Lu avait été nommé pour nous escorter militairement, depuis la ville de Tchoung-king jusqu’aux frontières de la province ; mais, comme on voit clairement qu’il n’a pas reçu une bonne éducation et que son ignorance des rites peut le conduire aux plus grandes fautes, nous déclarons ici que nous ne voulons plus de lui ; notre déclaration sera écrite et envoyée aux autorités supérieures de Tchoung-king. À ces mots, nous nous levâmes, et la séance fut close. Notre admirable chrétien vint à nous, se mit à genoux et nous demanda la bénédiction en présence de tous les assistants. Le chef de la famille Tchao reçut des félicitations de la part des mandarins qui avaient siégé à cette étrange procédure, et il les méritait bien. Il nous sembla que, par son attitude si digne et par son langage si courageux, et en même temps si plein de convenance, il avait relevé le nom chrétien aux yeux de tout le monde. Cependant l’avenir nous préoccupait, et certains sentiments de défiance venaient mêler un peu de trouble à la joie de notre petit triomphe. Nous craignîmes qu’après notre départ le tribunal de Leang-chan ne cherchât à prendre sa revanche contre les chrétiens. Nous recommandâmes à Simon Tchao la plus grande prudence, de peur de donner prise à la malveillance des mandarins, et nous l’invitâmes à nous faire parvenir de ses nouvelles. Un an après, nous reçûmes une lettre à Macao de Leang-chan, nous annonçant que, depuis notre départ, la chrétienté avait joui d’une paix inaltérable et que personne n’avait osé persécuter les adorateurs du Seigneur du ciel.

Quand nous rentrâmes au palais communal, la nuit était presque finie ; cependant nous allâmes nous coucher, non pas pour dormir, la chose eût été difficile, mais pour nous reposer un peu, reprendre notre équilibre et nous préparer à partir dans quelques heures. Nous éprouvions le besoin de nous recueillir et de rentrer dans le cercle de nos idées habituelles, dont nous étions sortis quelques instants d’une manière si brusque et si inattendue. Nous quittions à peine le tribunal, et tout ce qui s’y était passé nous paraissait fabuleux. Nous ne pouvions concevoir comment nous d’abord, puis les mandarins et le peuple, tout le monde s’était laissé aller à prendre au sérieux ce jugement si extraordinaire. Ce rôle de président, joué à l’improviste par un missionnaire français, dans une ville chinoise, en présence de magistrats chinois, et cela sans obstacle, le plus naturellement du monde… Deux étrangers, deux barbares, si l’on veut, maîtrisant pour un instant tous les vieux préjugés d’un peuple jaloux et dédaigneux à l’excès, au point de s’arroger impunément l’autorité de juge et de l’exercer officiellement… Tous ces faits prouvent combien le principe d’autorité est ordinairement respecté par ce peuple. Notre ceinture rouge était notre plus grand prestige ; on aimait à y voir, sans trop s’en rendre compte, comme une communication de la puissance impériale.

La crainte de se compromettre est, d’ailleurs, en Chine, un sentiment presque universel, et qu’on peut exploiter avec beaucoup de facilité. Chacun cherche d’abord à se mettre à l’abri, et puis advienne que pourra. Une certaine prudence, qu’il serait mieux, peut-être, d’appeler pusillanimité, est une des grandes qualités des Chinois. Ils ont une expression dont ils se servent à tout propos et qui caractérise très-bien ce sentiment. Au milieu des difficultés et des embarras, les Chinois se disent toujours siao-sin, c’est-à-dire rapetisse ton cœur. Ceux qui aiment à étudier le caractère des peuples dans leurs langues pourraient faire une curieuse comparaison entre la poltronnerie chinoise et la bravoure française. A l’approche d’un danger, pendant que le Chinois se dira, en tremblant, siao-sin, rapetisse ton cœur, le Français, au contraire, se redressera en s’écriant : Prends garde ; il se servira d’une expression qui ne peut convenir qu’à une race guerrière qui, en présence d’un ennemi, prend instinctivement la garde de son épée.

A notre départ de Leang-chan, nous fûmes l’objet d’une magnifique ovation. La nouvelle de cette fameuse séance nocturne au premier tribunal, sous la présidence d’un diable de l’Occident, s’était répandue partout, et les riches imaginations de la localité n’avaient pas manqué, sans doute, de charger leurs récits d’une foule de merveilleux épisodes. Aussi, dès que le soleil parut, tous les habitants de la ville se portèrent avec empressement vers les endroits par où nous devions passer. Tous les mandarins, en costume de cérémonie, s’étaient réunis au palais communal, pour nous faire leurs adieux. Après nous avoir accablés des formules les plus élogieuses et les plus extravagantes, ils nous accompagnèrent jusqu’à la rue, et ne voulurent rentrer que lorsqu’ils eurent bien installé dans les palanquins leurs collègues de la nuit précédente. Partout, sur notre passage, la foule était immense, bruyante et d’une avidité fiévreuse pour jeter un coup d’œil sur notre personne, ou, du moins, sur notre bonnet jaune. Les chrétiens étaient réunis par groupes, de distance en distance, et nous vîmes avec bonheur qu’ils étaient capables d’une manifestation un peu courageuse. Tous portaient leur chapelet pendu au cou, et, quand nous arrivions vers eux, ils se jetaient à genoux, faisaient un grand signe de croix et nous demandaient en chœur la bénédiction. Nous ne remarquâmes pas que cet acte religieux excitait chez les païens le plus petit mouvement d’hostilité ou de raillerie. Ils gardaient un silence respectueux, ou se contentaient de dire : Voilà les chrétiens qui demandent aux maîtres de la religion de faire descendre du ciel la félicité.

Dans la dernière rue, avant de sortir de la ville, nous aperçûmes une longue rangée de femmes, qui paraissaient attendre, elles aussi, le passage des hommes à ceinture rouge et à bonnet jaune. Quand nos palanquins furent devant elles, après avoir chancelé quelques instants sur leurs petits pieds de chèvre, elles finirent par se mettre à genoux et par faire aussi le signe de la croix. C’étaient les femmes chrétiennes de Leang-chan qui, en cette circonstance, avaient jugé à propos de ne pas rapetisser leur cœur et de secouer au moins une fois la dure servitude que les préjugés chinois imposent à leur sexe. Les gens de notre escorte parurent un peu surpris de cette audacieuse manifestation ; nous n’entendîmes cependant aucune réflexion déplacée. Un satellite s’écria, en les voyant à genoux : Il y a des hommes chrétiens, c’est connu depuis longtemps ; mais il paraît qu’il y a aussi des femmes chrétiennes, c’est ce que je ne savais pas. Un autre lui répondit : Tout le monde est convaincu que tu ne sais pas grand’chose.

Enfin nous sortîmes de Leang-chan, ville de troisième ordre, qui tiendra toujours une place à part dans les nombreux souvenirs de nos longues pérégrinations. Nous avons oublié de dire, en quittant le palais communal, que nous n’avions plus au nombre de nos conducteurs le mandarin de Tchoung-king. Depuis que nous l’avions cassé de ses fonctions, en terminant la séance judiciaire, nous ne le revîmes plus, et personne ne nous en parla. Seulement, au moment du départ, le préfet nous avertit qu’il avait été remplacé par un jeune mandarin militaire qu’il nous présenta, et qui, bien loin de se mettre dans le cas de se faire juger, fut toujours, à notre égard, plein de prévenance et d’amabilité.

Une des choses qui nous ont le plus frappés, dans la province du Sse-tchouen, et qui, à nos yeux, est peut-être plus étonnante que le jugement dont nous venons de parler, c’est la conduite des chrétiennes de Leang-chan. Que des femmes se réunissent paisiblement dans une rue, pour voir passer deux personnages réputés curieux et extraordinaires, sous prétexte qu’ils sont nés en Europe et qu’ils ont parcouru la Tartarie, le Thibet et la Chine, il n’y a là rien que de fort naturel. Si ces femmes sont chrétiennes, qu’elles fassent le signe de la croix et se mettent à genoux pour demander la bénédiction à un ministre de la religion, tout cela est très-simple, du moins en Europe ; mais, en Chine, c’est prodigieux ; c’est heurter de front tous les usages, c’est aller contre les idées et les principes admis de tout le monde. Un semblable préjugé vient du lamentable état d’oppression et d’esclavage auquel ont toujours été réduites les femmes chez les peuples dont les sentiments n’ont pas été régénérés et ennoblis par le christianisme.

La condition de la femme chinoise fait pitié ; les souffrances, les privations, le mépris, toutes les misères et toutes les abjections la saisissent au berceau et l’accompagnent impitoyablement jusqu’à la tombe. D’abord sa naissance est, en général, regardée comme une humiliation et un déshonneur pour la famille ; c’est une preuve évidente de la malédiction du ciel. Si elle n’est pas immédiatement étouffée, selon un usage atroce dont nous parlerons plus loin, elle est considérée et traitée comme un être d’une condition radicalement méprisable et appartenant à peine à l’espèce humaine. Cette idée paraît si incontestable, que Pan-houi-pan, femme célèbre parmi les écrivains chinois, s’applique, dans ses ouvrages, à humilier son sexe, en lui rappelant sans cesse le rang inférieur qu’il occupe dans la création : Quand un fils est né, dit-elle, il dort sur un lit, il est vêtu de robes et joue avec des perles ; chacun obéit à ses cris de prince. Mais, quand une fille est née, elle dort sur la terre, couverte d’un simple drap ; elle joue avec une tuile ; elle est incapable ou de bien ou de mal ; elle ne doit songer qu’à préparer le vin et la nourriture, et à ne point chagriner ses parents. »

Dans les temps anciens, au lieu de se réjouir quand naissait une enfant du sexe inférieur, on la laissait pendant trois jours entiers par terre, sur quelque pauvre tas de chiffons, et la famille ne témoignait, en aucune façon, qu’elle prît la moindre part à cet événement insignifiant. Ce temps expiré, on accomplissait à peine quelques cérémonies futiles, qui contrastaient avec les réjouissances solennelles auxquelles donne lieu la naissance d’un enfant mâle. Pan-houi-pan, qui rappelle cette ancienne coutume, en vante la sagesse et la convenance, parce qu’elle prépare la femme au juste sentiment de son infériorité.

La servitude publique et privée des femmes, servitude que l’opinion, la législation et les mœurs ont scellée de leur triple sceau, est devenue, en quelque sorte, la pierre angulaire de la société chinoise. La jeune fille vit enfermée dans sa maison, occupée exclusivement des soins du ménage, traitée par tout le monde, et surtout par ses frères, comme une servante dont on a droit d’exiger les services les plus bas et les plus pénibles. Les plaisirs et les distractions de son âge lui sont inconnus ; toute son instruction consiste à savoir manier l’aiguille ; elle ne doit apprendre ni à lire, ni à écrire ; il n’y a pour elle ni école, ni maison d’éducation ; elle est condamnée à végéter dans l’ignorance la plus absolue et dans l’isolement le plus complet, jusqu’à ce qu’on songe à la marier ; alors seulement on s’occupe d’elle ; mais l’idée de sa nullité est poussée si loin, qu’elle n’entre pour rien dans les négociations de cet acte, le plus grave et le plus décisif dans la vie d’une femme ; la consulter, lui faire connaître son futur époux, lui en dire même le nom, serait considéré comme une ridicule superfluité. La jeune fille est comme un objet de trafic, un article de marchandise ; on la vend au plus offrant, sans qu’elle ait le droit de faire la moindre question sur la qualité ou le mérite de l’acquéreur. Le jour des noces, on est plein de sollicitude pour la parer et l’embellir ; elle est couverte de splendides vêtements de soie étincelants d’or et de broderies ; ses belles nattes de noirs cheveux sont diaprées de fleurs et de pierreries ; on vient la chercher en grande pompe ; les musiciens entourent le brillant palanquin où elle siège comme une reine sur son trône. Le bonheur va donc enfin commencer pour elle ; on pourrait le penser, en voyant cet air de fête et ces réjouissances. Mais, hélas ! une jeune mariée n’est, le plus souvent, qu’une victime parée pour le sacrifice ; elle quitte une maison où elle vivait, il est vrai, dans le délaissement et l’abandon, mais enfin avec des parents auxquels elle était accoutumée depuis sa naissance. La voilà jetée maintenant, faible et sans expérience, chez des inconnus, au milieu des privations, entourée de mépris, et à la merci de son acheteur. Dans sa nouvelle famille, elle doit obéissance à tous, sans exception. Selon l’expression d’un ancien auteur chinois, « la nouvelle mariée ne doit être, dans la maison, qu’une pure ombre et un simple écho. » Elle n’a pas le droit de prendre les repas avec son mari, pas même avec ses enfants mâles ; son devoir est de les servir à table, debout et en silence, de leur verser à boire et de leur allumer la pipe. Elle doit manger seule, après les autres, et à l’écart. Sa nourriture est grossière et peu abondante ; elle n’oserait toucher aux restes de ses fils.

On trouvera, peut-être, que cela s’accorde peu avec le fameux principe de la piété filiale ; mais il ne faut pas oublier qu’en Chine la femme ne compte pas. La loi la laisse de côté, ou ne s’en occupe que pour la charger d’entraves, constater sa servitude et son incapacité légale. Son mari, ou plutôt son seigneur et maître, peut impunément la frapper, la faire mourir de faim, la revendre, ou, qui pis est, la louer pour un temps plus ou moins long, comme cela se pratique dans la province de Tche-kiang.

La polygamie, qui est permise aux Chinois, vient encore augmenter les infortunes et les misères de la femme mariée. Quand elle a cessé d’être jeune, quand elle est stérile ou n’a pas donné d’enfant mâle au chef de famille, celui-ci prend une seconde épouse, dont la première devient, en quelque sorte, la servante. Une guerre perpétuelle règne alors dans le ménage ; on n’y voit plus que jalousies, animosités, querelles et souvent batailles. Au moins, quand elles sont seules, il leur est permis quelquefois de dévorer en paix leurs chagrins et de pleurer à l’écart sur les malheurs incurables de leur pitoyable destinée.

Cet état perpétuel d’abjection et de misère auquel les femmes sont réduites les pousse parfois à d’épouvantables extrémités. Les fastes judiciaires de la Chine sont remplis d’événements qui atteignent les dernières limites du tragique. Le nombre des femmes qui se pendent ou se suicident de diverses manières est très-considérable. Quand cet événement se produit dans quelque famille, le mari est, comme de juste, dans la désolation ; car, au bout du compte, il vient d’éprouver subitement une perte assez considérable, et le voilà dans la nécessité d’acheter une autre femme.

On comprend que la dure condition des pauvres femmes chinoises doit se trouver de beaucoup améliorée dans les familles chrétiennes. Comme le fait remarquer monseigneur Gerbet[4], « le christianisme, qui attaque radicalement l’esclavage, par sa doctrine sur la fraternité divine de tous les hommes, combattit d’une manière spéciale l’esclavage des femmes par son dogme de la maternité divine de Marie. Comment les filles d’Ève auraient-elles pu rester esclaves de l’Adam déchu, depuis que l’Ève réhabilitée, la nouvelle Mère des vivants, était devenue la Reine des anges ? Lorsque nous entrons dans ces chapelles de la Vierge, auxquelles la dévotion a donné une célébrité particulière, nous remarquons, avec un pieux intérêt, les ex-voto qu’y suspend la main d’une mère dont l’enfant a été guéri, ou celle du pauvre matelot sauvé du naufrage par la patronne des mariniers. Mais, aux yeux de la raison et de l’histoire, qui voient dans le culte de Marie comme un temple idéal que le catholicisme a construit pour tous les temps et pour tous les lieux, un ex-voto d’une signification plus haute, social, universel, y est attaché. L’homme avait fait peser un sceptre brutal sur la tête de sa compagne pendant quarante siècles ; il le déposa le jour où il s’agenouilla devant l’autel de Marie ; il l’y déposa avec reconnaissance ; car l’oppression de la femme était sa propre dégradation à lui-même ; il fut délivré de sa propre tyrannie. »

La réhabilitation des femmes s’opère, en Chine, avec lenteur, il est vrai, mais d’une manière frappante et efficace. D’abord on comprend que, dans les familles chrétiennes, la petite fille qui vient au monde ne peut pas être sacrifiée comme chez les païens. La religion est là qui veille à sa naissance, la prend avec amour dans ses bras et dit, en la montrant à ses parents : Voilà une enfant créée à l’image de Dieu et prédestinée comme vous à l’immortalité. Remerciez le Père céleste de vous l’avoir donnée, et que la Reine des anges soit sa patronne… Il n’est pas permis à la jeune fille chrétienne de croupir dans l’ignorance ; elle ne végète pas abandonnée de tout le monde dans un recoin de la maison paternelle ; car, puisqu’elle doit apprendre ses prières et étudier la doctrine chrétienne, on renoncera, en sa faveur, aux usages les plus invétérés de la nation ; on passera par-dessus tous les préjugés, et on fondera pour elle des écoles, où elle pourra aller développer son intelligence, apprendre à connaître, dans les livres de religion, ces caractères mystérieux qui sont pour les autres femmes une énigme indéchiffrable. Enfin elle sera avec de nombreuses compagnes de son âge, et, en même temps que son esprit s’élargira et que son cœur se formera à la vertu, elle apprendra un peu en quoi consiste la vie de ce monde.

C’est surtout par le mariage contracté chrétiennement que la femme chinoise secoue l’affreuse servitude des mœurs païennes et entre avec ses droits et ses priviléges dans la grande famille humaine. Quoique la force des préjugés et de l’habitude ne lui permette pas encore de manifester toujours ouvertement ses inclinations et de choisir elle-même celui qui devra, dans cette vie, partager ses joies et ses douleurs ; cependant sa volonté est comptée pour quelque chose, et, plus d’une fois, nous avons vu des jeunes filles forcer, par une énergique résistance, leurs parents à rompre des engagements contractés sans leur participation. Des faits semblables seraient réputés absurdes et impossibles parmi les païens. Toujours est-il que les femmes chrétiennes possèdent dans leurs familles l’influence et les prérogatives d’épouses et de mères. On peut remarquer aussi qu’elles jouissent au dehors d’une plus grande liberté. L’usage de se réunir les dimanches et les jours de fête dans les chapelles et les oratoires, pour prier en commun et assister aux offices divins, les met souvent en rapport et entretient parmi elles des relations d’intimité. Ainsi elles sortent plus souvent pour se visiter et former de temps en temps de ces petites réunions si bonnes pour dissiper les chagrins de l’âme et aider à porter le fardeau des misères de la vie.

Les femmes païennes ne connaissent pas ces douceurs et ces agréments ; elles sont presque toujours recluses, et on se met bien peu en peine qu’elles se consument, seules, chez elles, d’ennui et de langueur. Maître Ting, en nous parlant de la manifestation de Leang-chan, nous dit une énormité bien capable de faire comprendre quelle est la valeur des femmes aux yeux des Chinois. — En sortant de Leang-chan, dit maître Ting, quand nous traversâmes cette rue où des femmes se trouvaient réunies en si grand nombre, j’ai entendu dire que c’étaient des femmes chrétiennes. Est-ce que ce n’est pas là une parole creuse ? — Non certainement, elle est, au contraire, pleine de vérité ; ces femmes étaient réellement chrétiennes… Maître Ting nous regarda stupéfait ; les bras lui tombèrent d’étonnement. — Je ne comprends pas, dit-il ; je vous ai souvent ouï dire qu’on se faisait chrétien pour sauver son âme, est-ce bien cela ? — Oui, c’est là le but qu’on se propose. — Et alors pourquoi les femmes se font-elles chrétiennes ? — Pour sauver leur âme, tout comme les hommes. — Mais elles n’ont pas d’âme ! s’écria-t-il en reculant d’un pas et en croisant les bras sur sa poitrine, les femmes n’ont pas d’âme ! Vous ne pouvez pas en faire des chrétiennes… Nous essayâmes de lever les scrupules de maître Ting et de lui donner des idées un peu plus saines sur la question des âmes des femmes ; mais nous ne sommes pas bien sûr d’avoir parfaitement réussi. La seule pensée qu’une femme pouvait avoir une âme le faisait rire de toutes ses forces. Cependant il nous dit, après avoir entendu notre dissertation : Je me souviendrai de la doctrine que vous venez de développer. Quand je serai de retour dans ma famille, je dirai à ma femme qu’elle a une âme ; elle en sera peut-être bien étonnée.

Les chrétiennes chinoises sentent profondément combien elles doivent à une religion qui est venue les retirer de ce dur esclavage où elles gémissaient, et qui, tout en les conduisant à un bonheur éternel, leur procure, même durant cette vie, des joies et des consolations qui semblaient n’être pas faites pour elles. Aussi se montrent-elles reconnaissantes ; elles sont pleines de ferveur et de zèle, et on peut dire que c’est principalement à elles que sont dus les progrès de la propagation de la foi dans le Céleste Empire. Elles maintiennent la régularité et l’exactitude à la prière dans la chrétienté ; on les voit, bravant les préjugés de l’opinion publique, pratiquer avec dévouement les œuvres de la charité chrétienne, même envers les païens ; soigner les malades, recueillir et adopter les enfants abandonnés par leurs mères. Dans les temps de persécution, ce sont elles qui, en présence des mandarins, confessent la foi avec le plus de courage et de persévérance. Du reste, ce zèle des femmes pour la religion est de tous les temps et de tous les pays.

« L’histoire remarque que, lorsque l’Évangile est annoncé à un peuple, les femmes montrent toujours une sympathie particulière pour la parole de vie, et qu’elles devancent habituellement les hommes par leur empressement divin à la recevoir et à la propager. On dirait que la docile réponse de Marie à l’ange : Voici la servante du Seigneur, trouve dans leur âme un écho plus retentissant. Ceci fut préfiguré, dès l’origine du christianisme, dans la personne des saintes amies de la Vierge, qui, ayant devancé au tombeau du Sauveur le disciple bien-aimé lui-même, furent les premières à connaître la résurrection et l’annoncèrent aux apôtres. La mission des femmes a toujours été haute dans la prédication du christianisme. Au commencement de toutes les grandes époques religieuses, on voit planer une forme mystérieuse, céleste, sous la figure d’une sainte. Quand le christianisme sortit des catacombes, la mère de Constantin, Hélène, donna à l’ancien monde romain la croix retrouvée, que Clotilde érigea bientôt sur le berceau français du monde moderne. L’Église doit, en partie, les plus beaux triomphes de saint Jérôme à l’hospitalité que lui offrit sainte Paula dans sa paisible retraite de Palestine, où elle institua une académie chrétienne de dames romaines. Monique enfanta par ses prières le véritable Augustin. Dans le moyen âge, sainte Hildegarde, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse conservèrent, bien mieux que la plupart des docteurs de leur temps, la tradition d’une philosophie mystique, si bonne au cœur et si vivifiante, que, dans notre siècle, plus d’une âme desséchée par le doute vient se retremper à cette source et essaye de rentrer dans la vérité par l’amour[5]. »

Après la nuit triomphante de Leang-chan, nous eûmes une magnifique journée avec une belle route à travers des campagnes ravissantes. Nous trouvâmes seulement que les rayons du soleil étaient un peu trop piquants ; mais nous commencions déjà à nous faire à cette chaude température, comme nous nous étions habitués à la neige et au froid de la Tartarie.

Vers la fin du jour nous nous arrêtâmes à un certain endroit nommé Yao-tchang ; quoique assez considérable, ce gros bourg n’était pas entouré de remparts. Nous n’y trouvâmes pas de mandarin en résidence fixe ; il n’y avait pas non plus de palais communal, par conséquent, nous fûmes obligés de nous industrier pour nous loger le moins mal possible. D’abord nous essayâmes d’une auberge antique qui s’appelait, sur son enseigne, Hôtel des Béatitudes ; le chef de ce vénérable établissement nous conduisit, avec de grandes cérémonies, dans ce qu’il nommait la chambre d’honneur. Elle était située au-dessus de la cuisine ; il était bien possible que cet appartement fût, à plusieurs titres, très-honorable : nous n’avions aucune raison pour penser le contraire. Cependant des voyageurs expérimentés ne doivent pas trop s’arrêter à la vaine gloire, et nous trouvâmes que cette chambre d’honneur, où l’air et le jour n’arrivaient que par une étroite lucarne, ne nous allait pas extrêmement ; c’était un atroce repaire de légions de moustiques qui, à notre arrivée, sortant pleins de colère de tous les recoins, se mirent à tourbillonner, à bourdonner, et à nous faire une guerre implacable ; il s’exhalait, d’ailleurs, de ce sombre réduit, une telle odeur de vétusté et de moisi, que la seule idée d’y passer la nuit suffisait pour nous soulever le cœur. On nous avait assuré que c’était la meilleure hôtellerie de Yao-tchang, et nous étions assez portés à le croire d’après l’aspect général de la localité. Il fallait donc se résigner, et nous en étions à tirer nos plans pour nous installer tant bien que mal, lorsque la fumée de la cuisine, après avoir grimpé lentement à travers les marches d’un noir et étroit escalier, se mit à envahir notre chambre d’honneur ; pour lors, il n’y eut plus moyen d’y tenir. L’âcreté de cette fumée nous dévorait les yeux ; nous descendîmes en pleurant, et nous allâmes vers maître Ting qui, déjà blotti dans un étroit réduit à côté de la cuisine, savourait avec passion les abrutissantes vapeurs de l’opium. Aussitôt qu’il nous aperçut, il souleva un peu la tête de dessus son oreiller de bambou pour nous demander si nous étions bien là-haut. — Très-mal, nous ne pouvons pas y rester ; cette chambre n’est pas faite pour loger des hommes, on y est suffoqué par la puanteur de l’air, dévoré par les moustiques et aveuglé par la fumée. — Ces trois choses sont, en effet, très-mauvaises, dit maître Ting en déposant sa pipe et en achevant de se soulever pour s’asseoir ; mais quel parti prendre ? Il n’y a pas ici de palais communal, et les autres auberges sont pires que celle-ci. Le cas me paraît difficile. — Non, pas très-difficile ; ce qu’il nous faut, à nous, c’est un air pur et un peu de fraîcheur. Nous allons dans la campagne, et nous logerons sous un arbre ; dans les contrées du nord nons étions accoutumés à dormir ainsi en plein air. — Oui, on dit que cet usage existe chez les Mongols, dans la Terre des Herbes ; mais dans le Royaume Central, il n’est pas reçu que les hommes de qualité passent la nuit dans les champs avec les oiseaux et les insectes ; les rites s’y opposent. Attendez un instant, je pense à un bon endroit, je vais le visiter. Notre cher mandarin éteignit sa petite lampe de fumeur, se leva, prit son éventail, et partit.

Nous allâmes l’attendre sur la porte de l’auberge ; peu de temps après nous le vîmes revenir, allongeant le pas de toutes ses forces, et nous adressant de loin, avec ses deux bras, des signes télégraphiques qui, à raison de leur multiplicité et de leur extrême complication, ne nous furent pas parfaitement intelligibles. Cependant tout nous portait à croire que maître Ting venait de faire une découverte. Aussitôt qu’il put se faire entendre : Partons vite, nous cria-t-il de sa voix grêle et nasillarde, déménageons au plus tôt, allons loger au théâtre, la position est excellente pour la vue et pour la respiration. Sans demander d’autres explications, nous rentrâmes ; des portefaix s’emparèrent immédiatement de nos bagages, et dans un clin d’œil nous eûmes vidé l’Hôtel des Béatitudes pour devenir locataires du théâtre de Yao-tchang.

Ce théâtre faisait partie d’une grande bonzerie ; il était situé dans une vaste cour, en face de la principale pagode : sa construction était assez remarquable en comparaison des nombreux édifices de ce genre qu’on rencontre en Chine. Douze grandes colonnes de granit soutenaient une vaste plate-forme carrée, surmontée d’un pavillon richement orné, et appuyé sur des péristyles en bois vernissé. Un large escalier en pierre, situé derrière l’édifice, conduisait à la plate-forme, où l’on trouvait d’abord, dans une sorte de foyer destiné aux acteurs, deux portes latérales qui conduisaient sur la scène ; l’une servait pour les entrées et l’autre pour les sorties.

On avait apporté sur cette plate-forme une table et quelques chaises. C’est là que nous soupâmes à la clarté de la lune, des étoiles, et d’une foule de lanternes que les directeurs du théâtre avaient fait allumer en notre honneur ; c’était vraiment un charmant spectacle auquel on ne s’attendait guère. Si nous n’avions eu soin de faire fermer la grande porte de la bonzerie, toute la population de Yao-tchang aurait envahi la cour immense destinée à servir de parterre quand il y a représentation. Il est certain que les habitants de la contrée n’avaient jamais vu, dans leurs scènes théâtrales, deux personnages aussi curieux que nous. Nous entendîmes au dehors le tumulte de la multitude qui accourait, et demandait à grands cris qu’on leur laissât voir souper les deux hommes des mers occidentales ; on s’imaginait, assurément que nous devions avoir une manière incroyable de manger. Plusieurs réussirent à pénétrer sur la toiture de la bonzerie, et quelques-uns, ayant franchi les murs de la clôture, avaient grimpé sur les arbres les plus rapprochés du théâtre, où on les apercevait se mouvoir, parmi le feuillage, comme de gros singes. Ces intrépides curieux devaient être bien surpris de nous voir avaler le riz à l’aide des bâtonnets, et strictement selon la méthode chinoise.

La soirée était d’une beauté ravissante, et la fraîcheur que nous goûtions sur cette plate-forme était si délicieuse, que nous priâmes notre domestique d’y établir nos lits comme il pourrait, parce que nous désirions y passer la nuit. Tout était prêt, et nous étions sur le point de nous coucher, que les curieux, toujours à leur poste, sur le toit et parmi les arbres, paraissaient fort peu disposés à descendre. Nous fûmes obligés de faire éteindre toutes les lanternes pour les décider à retourner chez eux. En abandonnant leurs observatoires, ils se disaient les uns aux autres : Ces hommes sont comme nous. — Pas tout à fait, s’écria l’un d’eux, le diable de petite taille a les yeux très-gros, et le grand a un nez très-pointu : j’ai remarqué cette différence.

Le lendemain maître Ting arriva sur le théâtre qu’il était à peine jour. Il se mit en devoir de nous réveiller en exécutant des roulements sur un énorme tambour placé à un angle de la scène, et qui servait dans la musique des pièces de théâtre. Après avoir bien tambouriné, il s’avisa de nous donner une petite représentation à sa façon ; il se plaça au milieu de la scène, prit une pose dramatique, et, après avoir chanté un morceau avec grand accompagnement de gestes, il entreprit, à lui tout seul, un dialogue très-animé, pendant lequel il changeait de voix et de place chaque fois qu’arrivait le tour de son interlocuteur. Quand le dialogue fut terminé, il voulut se passer la fantaisie de faire le saltimbanque. — Maintenant, nous dit-il, regardez bien, je vais exécuter des tours de souplesse ; et aussitôt le voilà sautant, gambadant, pirouettant et cabriolant avec fureur. Pendant qu’il était au plus fort de ses évolutions, il entendit s’ouvrir une porte de la bonzerie ; il s’arrêta tout court, et se sauva dans les coulisses, en nous disant qu’il y aurait de l’inconvénient à ce que le peuple aperçût un mandarin contrefaisant les comédiens.

Nous profitâmes de ce moment pour nous lever. Bientôt tous les gens de l’escorte qui, la veille, avaient dû se disperser et chercher un gîte pour passer la nuit, se trouvèrent réunis ; les porteurs de palanquins et les portefaix arrivèrent aussi, et on se disposa au départ. Le gros bourg de Yao-tchang est bâti sur les bords du fleuve Bleu, dont nous pouvions apercevoir le cours majestueux et tranquille du haut du théâtre de la bonzerie. Quoique nous eussions déjà protesté une fois contre la navigation, nous voulûmes faire encore une tentative, et voir s’il n’y aurait pas possibilité d’aller par eau un peu plus commodément et agréablement que la première fois. Dans un long voyage il n’est rien d’insupportable comme d’aller toujours de la même manière, cette uniformité finit par devenir accablante ; le palanquin a, sans doute, ses agréments qui ne sont pas à dédaigner ; mais tous les jours se trouver enfermé dans une cage, et se balancer sur les épaules de quatre malheureux qu’on voit suer de fatigue et souffler d’épuisement, est une chose à laquelle il nous était difficile de nous accoutumer.

Nous proposâmes donc à nos conducteurs de faire l’étape par eau. L’idée fut accueillie avec enthousiasme, et, de peur d’un contre-ordre, tout le monde courut vite au port pour s’occuper au plus tôt de l’embarquement. Comme on savait que nous avions en horreur les tergiversations et les retards, on y mit une merveilleuse activité. Selon notre recommandation, on loua deux bateaux, un pour nous et les trois mandarins, un autre pour les soldats, les satellites et les porteurs de palanquins. Aussitôt que nous fûmes dans la barque, on leva l’ancre sans perdre une minute, et nous partîmes. La beauté du temps et l’allure paisible du fleuve nous donnèrent l’espoir d’une heureuse traversée. L’appartement que nous occupions était spacieux, assez bien aéré, et d’une propreté qui pouvait bien laisser quelque chose à désirer, mais qui, à la rigueur, était suffisante.

Nous n’avions pas encore eu le temps d’adresser nos félicitations à maître Ting sur ses brillantes qualités de comédien. Dès que nous fûmes installés et bien orientés, nous nous empressâmes de lui exprimer combien nous étions heureux d’avoir eu l’occasion d’admirer un talent que nous étions loin de lui soupçonner. Cette petite flatterie fut d’un effet magique. Après nous avoir répondu avec beaucoup de modestie qu’il n’y entendait rien du tout, il nous proposa de nous donner immédiatement, là, dans la chambre du bateau, une jolie représentation ; les deux mandarins militaires s’offrirent aussi à jouer leur rôle. Il ne fut pas besoin de longs préparatifs ; la proposition à peine émise, nos trois fonctionnaires étaient déjà en train de jouer la comédie, si toutefois on peut appeler ainsi des conversations bouffonnes avec un grand accompagnement de grimaces et de contorsions. Leur répertoire était inépuisable, et nous eûmes toutes les peines du monde à leur faire reprendre des manières et un langage plus en harmonie avec leur dignité.

Pour dire vrai, il ne manquait à nos trois mandarins qu’une mémoire plus sûre et un peu d’habitude pour faire d’excellents comédiens ; il n’est pas de peuple au monde qui pousse aussi loin que les Chinois le goût et la passion des représentations théâtrales. Nous avons dit plus haut qu’ils étaient une nation de cuisiniers, nous serions tenté d’affirmer aussi que c’est un peuple de comédiens. Ces hommes ont l’esprit et le corps doués de tant de souplesse et d’élasticité, qu’ils peuvent se transformer à volonté, et exprimer tour à tour les passions les plus opposées ; il y a du singe dans leur nature, et, quand on a vécu quelque temps parmi eux, on est forcé de se demander comment on a pu se persuader en Europe que la Chine était comme une vaste académie remplie de sages et de philosophes ; leur gravité et leur sagesse, à part quelques circonstances officielles, ne se trouvent guère que dans leurs livres classiques. Le Céleste Empire ressemble bien mieux à une immense foire, où, parmi un flux et un reflux perpétuels de vendeurs, de brocanteurs, de flâneurs et de voleurs, on rencontre de tous côtés des tréteaux et des saltimbanques, des farceurs et des comédiens, travaillant sans interruption à amuser le public.

Sur toute la surface de l’empire, dans les dix-huit provinces, dans les villes de premier, de second et de troisième ordre, dans les bourgs et dans les villages, les riches, les pauvres, les mandarins et le peuple, tous les Chinois sans exception sont passionnés pour ces sortes de représentations. Il y a des théâtres partout ; les grandes villes en sont remplies, et les comédiens jouent nuit et jour. Il n’est pas de petit village qui n’ait aussi le sien ; il est ordinairement placé en face de la pagode, quelquefois même il en fait partie. Dans certaines circonstances où ces théâtres permanents ne suffisent pas, on en construit de provisoires en bambou avec une merveilleuse facilité. Le théâtre chinois est toujours d’une grande simplicité, et ses dispositions sont telles, qu’elles excluent toute idée d’illusion scénique. Les décorations sont fixes et ne changent pas tant que dure la pièce. On ne saurait jamais où on se trouve, si les acteurs n’avaient le soin d’en avertir le public et de corriger cette immobilité par des explications verbales. Le seul arrangement qu’on a su faire en vue de l’illusion scénique est une espèce de trappe placée sur le devant de la scène, et qui sert à introduire les personnages surnaturels ; on la nomme la porte des démons.

Les collections théâtrales sont, dit-on, fort étendues ; la plus riche est celle de la dynastie mongole dite des Yuen. C’est de ce répertoire qu’ont été extraites diverses pièces traduites par des savants européens. Pour ce qui est de leur valeur littéraire, nous citerons le jugement qu’en a porté M. Edouard Biot : L’intrigue de toutes ces pièces, dit le savant sinologue, est fort simple ; les acteurs annoncent eux-mêmes le personnage qu’ils représentent ; les scènes ordinairement ne sont liées par aucune transition, et souvent des détails burlesques[6] sont mêlés aux sujets graves. En général, il ne nous semble pas que ces pièces soient au-dessus de nos anciennes parades, et nous pouvons croire que l’art dramatique, en Chine, est encore actuellement dans l’enfance, si nous nous en rapportons aux récits des voyageurs qui ont pu assister à des représentations théâtrales à Canton et même à Péking. Peut-être cette imperfection tient-elle, en grande partie, à la condition dégradée des acteurs chinois, qui ne sont à peu près que des valets aux gages d’un entrepreneur, et qui doivent presque toujours s’adresser à une multitude ignorante pour gagner leur misérable vie. Mais, si nous trouvons peu d’intérêt, comme étude du théâtre, dans les chefs-d’œuvre chinois qui ont été présentés aux lecteurs européens, leur lecture ne peut qu’être très-curieuse comme étude de mœurs, et, sous ce rapport, nous ne pouvons que remercier sincèrement les savants qui nous les ont fait connaître. »

Les troupes des comédiens chinois ne sont attachées à aucun théâtre en particulier ; elles sont toujours mobiles et ambulantes ; elles vont partout où on les appelle, voyageant avec leur énorme attirail de costumes et de décorations. La tenue et l’allure de ces caravanes a une physionomie toute particulière et qui rappelle les pittoresques descriptions de nos troupes de bohémiens. On en rencontre souvent le long des fleuves, qu’ils choisissent de préférence pour voyager, afin d’économiser sur les frais de la route. Ces bandes errantes sont louées pour un certain nombre de jours, quelquefois par des mandarins ou de riches particuliers, mais le plus souvent par des associations formées dans les divers quartiers des villes et dans les villages.

Les prétextes pour faire jouer la comédie ne manquent jamais. La promotion d’un mandarin, une bonne récolte, un commerce lucratif, un danger à conjurer, la cessation de la pluie ou de la sécheresse, enfin un événement quelconque, heureux ou malheureux, doit nécessairement entraîner des représentations théâtrales. Les chefs de district se rassemblent, décrètent tant de jours de comédie, et chacun est tenu de contribuer aux frais en proportion de sa fortune. Quelquefois le théâtre est organisé et défrayé par un simple particulier, qui veut se donner le plaisir de régaler ses concitoyens et acquérir le renom d’un homme généreux. Dans les transactions commerciales de grande importance, on a toujours soin de stipuler, par-dessus le marché, un certain nombre de comédies. Elles naissent aussi quelquefois des disputes et des contestations. Celui qui est convaincu d’avoir tort est condamné, par les arbitres, à payer une ou deux représentations.

Le peuple est toujours admis à voir gratuitement la comédie, et il ne se fait jamais faute de profiter de ce privilège. A toute heure du jour et de la nuit, il peut trouver dans les grandes villes quelque théâtre en fonction. Les villages sont moins favorisés ; comme ils ont peu de contribuables, ils ne peuvent appeler les acteurs qu’à certaines époques de l’année. S’ils apprennent, cependant, qu’il y a comédie dans le voisinage, ils ne regrettent pas, après leurs travaux de la journée, de faire jusqu’à une ou deux lieues de marche pour y assister.

Les spectateurs sont toujours en plein air, et l’endroit qui leur est assigné n’a pas de limites. Chacun s’arrange comme il peut, sur les places, dans les rues, au haut des arbres et des toits. On conçoit quel désordre et quelle confusion il doit régner dans ces nombreuses assemblées. Personne ne se gêne pour y causer, boire, manger et fumer. Les petits marchands de comestibles ne cessent de circuler parmi la foule, et, pendant que les acteurs déploient tout leur talent pour faire revivre devant tout ce public les événements tragiques et émouvants de son histoire nationale, les marchands s’égosillent à crier aux consommateurs qu’ils tiennent boutique de graines de citrouilles, de morceaux de cannes à sucre et de friture de patates douces. Les sifflets et les applaudissements ne sont pas à la mode.

Il est interdit aux femmes de paraître sur le théâtre. Leur rôle est joué par des jeunes gens qui savent si bien s’attifer et imiter la voix féminine, que la ressemblance est parfaite. L’usage leur permet pourtant de danser sur la corde et de donner des représentations à cheval. Elles montrent, surtout dans les provinces du nord, une habileté prodigieuse pour ce genre d’exercices. On ne comprend pas comment, avec leurs petits pieds, elles peuvent voltiger sur une corde tendue, se tenir debout sur un cheval et exécuter des évolutions et des tours de force si difficiles.

Comme nous avons eu occasion de le remarquer, les Chinois réussissent merveilleusement dans tout ce qui dépend de l’adresse et de la souplesse. Les escamoteurs sont très-nombreux, et on en rencontre parfois dont l’habileté étonnerait nos prestidigitateurs les plus célèbres. Notre navigation sur le fleuve Bleu fut charmante et d’une grande rapidité. Nous arrivâmes à Fou-ki-hien dans l’après-midi, n’ayant mis que quatre heures et demie pour faire cent cinquante lis, ou environ quinze lieues.

  1. Une demi-lieue.
  2. Kiao-you, c’est ainsi que les chrétiens chinois se nomment entre eux.
  3. C’est ainsi que doivent se qualifier les Chinois en présence des mandarins.
  4. Keepsake religieux, article Marie, par Monseigneur Gerbet.
  5. Monseigneur Gerbet, Keepsake religieux.
  6. On peut ajouter aussi que les pièces chinoises sont remplies de bouffonneries très-équivoques et souvent d’obscénités révoltantes.