L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Poème sur Helge, le vainqueur de Hunding

anonyme
Traduction par Mlle Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 295-304).

III

LE POÈME SUR HELGE

LE VAINQUEUR DE HUNDING




1. Dans le commencement des temps, lorsque les saintes eaux tombaient des montagnes du ciel, les oiseaux chantaient. Alors naquit de Borghild, à Brôlund, Helge-le-Courageux.

2. Il faisait nuit dans le château ; les Nornes, qui avaient filé la vie de ce jeune noble, arrivèrent : elles l’invitèrent à devenir le plus célèbre des princes, et dirent qu’il serait vénéré comtne le meilleur des rois.

3. Elles filèrent avec force le fil du destin, et tout le château trembla dans Brôlund. Elles déroulèrent la ganse d’or et la fixèrent en dessous de la salle de la lune.

4. Elles en attachèrent les bouts à l’est et à l’ouest ; le roi possédait les pays qui se trouvaient entre ces deux points. Alors la sœur de Nere lança un fil au nord, en lui ordonnant de durer éternellement.

5. Un chagrin fut placé devant le fils d’Ylfing et de la jeune fille qui devait faire sa félicité. Le corbeau chanta contre le corbeau ; ils étaient perchés sur la branche élevée, et je sais qu’ils mangèrent d’une chose sans vie.

6. « Il y a sous la cotte de mailles un fils de Sigmund ; il est vieux d’un jour ; maintenant que le soleil est levé, ses yeux brillent comme ceux d’un guerrier. Il est l’ami du loup, réjouissons-nous ! »

7. Le peuple trouva qu’il avait un aspect royal. « Grim, disait-il, est revenu parmi les hommes. » Le roi lui-même s’éloigna du fracas de la bataille pour porter des lis au jeune prince.

8. Il lui donna le nom de Helge, puis Hringstad, Solfjœll, Snæfjæll et le rempart de Sigar ; il donna Hringstad, Hôtun et Himingvanger, et le glaive d’or au frère de Sinfjœtle.

9. Le nouveau-né commença à croître parmi ses amis, au centre du bonheur. Il récompensait les guerriers, leur donnait de l’or, et le roi ne cessait de teindre son glaive dans le sang.

10. Le roi, lorsqu’il eut atteint quinze hivers, ne resta pas éloigné des batailles. Le vigoureux Hunding, qui avait longtemps opprimé le pays et les hommes, tomba devant lui.

11. Les fils de Hunding réclamèrent du fils de Sigmund des terres et des anneaux, car ils avaient à se venger sur la personne du roi d’un butin considérable en argent, et de la mort de leur père.

12. Le roi ne fit pas compter de l’argent et ne donna point de composition à la famille de Hunding : « Vous avez de grandes tempêtes à attendre, dit-il, de la part des javelots gris et de la colère d’Odin. »

13. Les guerriers viennent au rendez-vous qu’ils ont donné aux glaives près des montagnes de Loga. La paix de Frode est rompue, et les chiens de Vidrer[1], affamés de cadavres, courent dans l’île.

14. Le chef, après avoir battu Alf et Eyœlf, s’assit, et sous le rocher de l’aigle étaient Hjœrvard et Havard, les fils de Hunding. Helge avait exterminé toute la race de Geir-mimer.

15. Une lumière jaillit alors de la montagne de feu, de cette lumière sortaient des feux follets ; une armée couverte de casques se trouva à Himinvanger. Les cottes de mailles étaient tachées de sang, mais les javelots lançaient des rayons.

16. Le roi demanda de bonne heure aux filles du Sud, en frappant sur le bouclier, si elles voulaient, cette nuit, accompagner les guerriers ; le vent sifflait dans les arcs.

17. Mais la fille de Hœgne (elle était à cheval) obéit au fracas des boucliers, et répondit au roi : « Nous avons autre chose à faire que de boire l’hydromel avec celui qui brise les bracelets.

18. « Mon père a-t-il promis sa fille au sombre fils de Grapmar ? J’ai déclaré que Hœdbrodd était un roi aussi intrépide que le fils de Katt.

19. Ce guerrier pourrait venir au bout de quelques nuits, si tu ne le défies point sur un champ de bataille, ou si tu n’enlèves pas la fiancée de ce prince clément.

helge.

20. Ne redoute pas la mort d’Isung ; on entendra le bruit du combat, si je ne meurs point auparavant !

21. Le roi absolu envoya des messagers à travers les eaux et les airs pour demander du secours et offrir abondamment la récompense du combat aux hommes et à leurs fils.

22. « Priez-les de s’embarquer promptement, et de se tenir prêts à partir de l’île de Brand ; c’est là que le roi attendra l’arrivée de quelques centaines d’hommes de l’île de Hedin. »

23. Et, le long du promontoire, l’armée des navires bardés d’or s’éloigne du rivage ; alors Helge demanda à Hœrleif : « Sais-tu le nombre de ces vaillants hommes ? »

24. Mais le jeune prince répondit : « Il faudrait du temps pour compter les longs navires qui se sont éloignés du rivage dans le détroit d’Œrval.

25. « Ils sont douze cents hommes sur lesquels on peut compter ; mais il y a dans Hôtun moitié plus de guerriers appartenant au roi ; nous avons l’espoir de la victoire. »

26. Alors le pilote abaissa la tente de l’avant, de sorte que les généraux et leurs nombreux guerriers virent, en s’éveillant, le point du jour, et les chefs serrèrent la voile contre le mât dans la baie de Varin.

27. On y entendit le bruit des rames et des javelots ;le bouclier se brisa contre le bouclier, et les pirates ramèrent. La flotte du roi s’éloigna de terre, sous les ordres des chefs, en sifflant.

28. C’est le son que rendent les vagues quand les longues carènes les brisent et les font ressembler à des montagnes ou à des rochers.

29. Helge ordonna de hisser davantage la voile ; une vague ne manquait pas de succéder rapidement à l’autre, quand ces redoutables filles d’Ægir voulaient engloutir la flotte.

30. Mais Sigrun, vaillante dans les combats, maintenait les navires à la surface ; elle arracha avec puissance, des mains de Ran, les oiseaux du roi près des bosquets de Gnipa.

31. C’est là que la flotte bien équipée était à l’ancre dans la paisible baie ; mais les chefs de l’ennemi étaient sur la colline de Svarin. L’esprit animé par la vengeance, ils épiaient l’armée.

32. Gudmund, le fils des dieux, demanda : « Quel est ce chef qui dirige la flotte et conduit la foule innombrable vers le rivage ? »

33. Sinfjœtle chanta en appuyant sur la borne son resplendissant bouclier, dont le cercle était d’or. Il se trouvait là un poste des côtes, qui pouvait répondre et échanger des paroles avec les princes.

34. « Ce soir, quand tu donneras à manger aux pourceaux, et que tes chiennes appelleront, annonce que les descendants d’Ylfing sont arrivés par l’Orient ; ils attendent le combat qui viendra des bosquets de Gnipa.

35. « C’est là que Hœdbrodd trouvera, au milieu de sa flotte, Helge, ce roi lent à fuir ; souvent il a donné de la pâture aux aigles tandis que tu embrassais les femmès esclaves dans le moulin. »

gudmund chanta.

36. Tu es peu versé dans les sagas de l’antiquité, capitaine ! puisque tu me reproches des choses fausses. Tu as mangé des mets de loups, et tu es devenu le meurtrier de ton frère. Tu as souvent sucé les blessures avec des lèvres froides, et tu t’es constamment mis à l’écart dans les buissons.

sinfjœtle chanta.

37. Tu étais une sorcière dans l’île de Varin, femme aussi rusée qu’un renard, et tu y amassais des mensonges. Sinfjœtle fut le seul homme qui se montra disposé à marcher.

38. Tu étais un démon corrupteur et cruel parmi les valkyries, tu es puissante auprès du père des mondes. Tous les Einhærjars auraient pu se battre à cause de toi, femme artificieuse. Nous donnâmes le jour à neuf loups sur le promontoire de Saga… mais je fus seul leur père.

gudmund chanta.

39. Tu ne fus pas le père de Fenris, l’aîné de ces loups. Depuis lors les filles des géants ont fait de toi un eunuque dans les bosquets de Gnipa sur le promontoire de Thor.

40. Beau-fils de Sigger, tu as habité dans la terre, où tu étais accoutumé aux hurlements des loups dans la forêt. Toute espèce de méfaits te réussirent lorsque tu eus ouvert la poitrine de ton frère ; tes crimes t’ont rendu célèbre.

sinfjœtle chanta.

41. Tu as été la fiancée de Granne à Brôvallen ; tu avais un mors en or, et tu étais prête à courir. Je t’ai affamée, épuisée sous ta selle ; tu as fait bien des courses, sorcière, du haut en bas de la montagne.

42. On t’aurait prise pour un jeune homme sans mœurs, lorsque tu étais occupée à traire les chèvres de Gallner ; mais une autre fois tu étais une fille de géant, une mendiante en haillons… Veux-tu continuer cette querelle ?

gudmund chanta.

43. J’aimerais mieux rassasier avec tes membres les corbeaux de la pierre de Freka, appeler les chiens pour leur donner à manger, ou donner la nourriture aux porcs. Que le démon se dispute avec toi !

helge chanta.

44. Il serait plus convenable pour toi, Sinfjœtle, de combattre et de réjouir les aigles, au lieu de livrer une bataille de paroles inutiles, en écoutant la haine interne que les chefs se portent.

45. Les fils de Gramnar ne me paraissent pas bons ; cependant, les rois doivent dire la vérité ; ils ont montré dans la bruyère de Moin qu’ils savaient tirer le glaive du fourreau.

46. Ils ont dépouillé Svipud et Svegjod de leur royaume, et leur ont fait prendre la fuite vers les demeures du soleil. Partout où ces hommes forts passaient, le cheval de Mista s’élançait par-dessus les vallées remplies de rosée et les vallons obscurs.

47. Ils rencontrèrent le roi sous la porte du château et lui annoncèrent l’arrivée du prince ennemi. Hœdbrodd était dehors sans casque ; il entendit le pas des chevaux de ses fils. « D’où vient que la couleur du dépit s’est étendue sur le visage de mes héros ?

48. « Des carènes agiles, des cerfs mâtés, de longues vergues, grand nombre de boucliers, des rames luisantes, une armée royale magnifique, des chefs joyeux se dirigent vers la terre.

49. « Quinze bandes ont débarqué ; mais il y a dans le vallon là-bas sept mille hommes. Dans le port qui baigne le pied du bosquet de Gnipa, il y a des vaisseaux bleus à plaques d’or. La plus grande partie de la flotte se trouve en cet endroit ; Helge ne tardera point à combattre.

50. « Maintenant, des animaux bridés courent se réunir en bandes nombreuses. Spor-vitner se rend dans la bruyère de Sparin ; Melner et Mylner vont à Myrkved : tout homme qui peut lancer un glaive doit sortir du logis.

51. « Appelez les fils de Hœgne et de Hring, Atle, Yngvé et Alf-le-Vieux ; ils sont disposés à combattre. Que les enfants de Vœl trouvent de la résistance. »

52. Un signe suffit, et les lames bleues se joignirent près de la pierre de Freka. Helge, le vainqueur de Hunding, était toujours en avant de la bande où combattaient des héros. Vif dans le combat, excessivement lent à fuir, ce prince possédait un cœur ferme et courageux.

53. La Valkyrie descend du ciel ; le fracas de la lutte augmente ainsi que le nombre de ceux qui viennent au secours du roi ; et Sigrun, accoutumé à planer au-dessus des récifs où combattent les héros, chanta sur l’arbre de Hugen[2] :

54. « Roi, descendant d’Yngvé, tu régneras avec bonheur sur le peuple, et la vie te réjouira quand tu auras tué le prince lent à fuir, ce prince qui causa la mort du géant Isung : les anneaux rouges et la jeune fille riche te conviendront également.

55. « Prince, tu jouiras avec bonheur de la fille de Hœgne et de Hrinstad, de la victoire et des pays conquis. Alors la lutte sera terminée. »


  1. Odin. (Tr.)
  2. Les nuages. (Tr.)