L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Poème de Vafthrudner

anonyme
Traduction par Mlle  Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 146-157).


III

LE

POÈME DE VAFTHRUDNER




odin.

1. Frigga, donne-moi un avis. J’ai le désir de voyager et d’aller trouver Vafthrudner. J’ai une envie extrême de causer de la sagesse antique avec ce géant si savant.

frigg.

2. Je conseille au père des armées de rester dans son palais divin ; car je ne me souviens d’aucun géant dont la force puisse être comparée à celle de Vafthrudner.

ODIN.

3. J’ai beaucoup voyagé, j’ai essayé d’un grand nombre de choses, j’ai mis bien des intelligences à l’épreuve, maintenant je désire connaître les usages établis dans les salles de Vafthrudner.

FRIGG.

4. Honneur à ton départ, honneur à ton retour ! Honneur à toi quand les Asesses te salueront de nouveau ! Sois puissant en esprit, notre père et celui de l’univers, lorsque tu vas échanger des paroles avec le géant.

5. Odin partit donc pour mettre à l’épreuve l’habileté du savant Vafthrudner, et arriva dans la salle qui avait appartenu au père d’Ymer.

ODIN.

6. Honneur à toi, Vafthrudner ! Me voici dans ta salle, où je viens te voir en personne. Je désire savoir d’abord si tu es en effet le plus savant des géants.

VAFTHRUDNER.

7. Quel est cet homme qui vient dans ma salle pour m’adresser la parole ? Tu ne sortiras jamais d’ici, à moins que tu ne sois plus savant que moi.

ODIN.

8. Je me nomme Gôngrôder. J’arrive de voyage et suis altéré ; une invitation hospitalière de séjourner chez toi me ferait plaisir, car j’ai fait une longue course, géant.

VAFTHRUDNER.

9. Pourquoi Gôngrôder me parle-t-il debout ? Assieds-toi dans la salle ; nous lutterons ensuite à qui est le plus instruit de nous deux.

GÔNGRÔDER.

10. Quand l’homme pauvre vient chez les riches, il ne doit dire que les paroles nécessaires ou se taire ; beaucoup parler nuit au voyageur récemment arrivé chez l’homme dont le côté est froid.

VAFTHRUDNER.

11. Dis-moi, Gôngrôder (puisque tu veux tenter la fortune debout), comment nomme-t-on le cheval qui amène, tous les matins, le jour qui luit sur les enfants des hommes ?

GÔNGRÔDER.

12. Skinfaxe est le nom du cheval qui amène, tous les matins, le jour sur les enfants des hommes. C’est, dit-on, le meilleur de tous les chevaux, et sa crinière sera éternellement lumineuse.

VAFTHRUDNER.

13. Dis-moi, Gôngrôder (puisque tu veux tenter la fortune debout), comment on nomme le cheval qui tire la nuit de l’Orient et l’étend sur les dieux propices ?

GÔNGRÔDER.

14. Hrimfaxe est le nom du cheval qui tire la nuit de l’Orient et l’étend sur les dieux propices ; tous les matins l’écume tombe de son mors et se transforme en rosée dans les vallons.

VAFTHRUDNER.

15. Dis-moi, Gôngrôder (puisque tu veux tenter la fortune debout), quel nom on donne à la rivière qui sépare le pays des fils des géants de celui des fils des dieux ?

GÔNGRÔDER.

16. Ilfing est le nom de la rivière qui sépare le pays des fils des géants de celui des fils des dieux ; rien ne suspendra son cours tant que dureront les jours du monde, et jamais elle ne sera gelée.

VAFTHRUDNER.

17. Dis-moi, Gôngrôder (puisque tu veux tenter la fortune debout), quel nom donne-t-on à la plaine où les dieux cléments et Surtur se rencontreront pour le dernier combat ?

GÔNGRÔDER.

18. Vigrid est le nom de la plaine où les dieux cléments et Surtur se rencontreront pour combattre ; cette plaine a été faite à leur intention ; il y a cent haltes de chaque côté.

VAFTHRUDNER.

19. Tu es savant, ô étranger ! Viens sur les bancs du géant et parlons ensemble assis. Par notre tête,étranger, nous nous livrerons, dans la salle, des combats d’esprit.

GÔNGRÔDER.

20. Dis-moi, Vafthrudner, savant géant, si tu le sais et si ton esprit a quelque valeur, d’où viennent la terre et le ciel élevé ?

VAFTHRUDNER.

21. La terre fut créée avec le corps d’Ymer ; les montagnes se formèrent de ses os. On fit le ciel avec le crâne, couvert de frimas, de ce géant ; mais l’Océan a été fait avec son sang.

GÔNGRÔDER.

22. Dis-moi, Vafthrudner, si tu le sais et si ton esprit a quelque valeur, d’où proviennent la lune, qui passe sur le monde, et le soleil ?

VAFTHRUDNER.

23. Mundilfœre est le père de la lune, il l’est également du soleil ; ils sont obligés de parcourir avec rapidité le ciel en un jour, afin de compter les années des fils des hommes.

GÔNGRÔDER.

24. Dis-moi, Vafthrudner, si tu le sais et si ton esprit a quelque valeur, d’où proviennent la lumière qui passe tous les jours sur le monde, et la nuit avec ses ténèbres ?

VAFTHRUDNER.

25. Le père du jour est Delling ; mais la nuit a été portée par Nœrve. Les dieux propices créèrent les différentes phases de la lune afin de compter les années des hommes.

GÔNGRÔDER.

26. Dis-moi, Vafthrudner, etc., d’où proviennent l’hiver et l’été ?

VAFTHRUDNER.

27. Vindsval est le père de l’hiver, et Svasad celui de l’été ; ils marcheront continuellement jusqu’au jour où les puissances célestes seront dissoutes.

GÔNGRÔDER.

28. Dis-moi, Vafthrudner, etc., lequel des Ases ou des géants existait au commencement du temps ?

VAFTHRUDNER.

29. Durant une suite d’hivers avant la formation de la terre, naquit Bergelmer ; Thrudgelmer était son père, mais Œrgelmer fut l’auteur de leur race.

GÔNGRÔDER.

30. Dis-moi, Vafthrudner, etc., quelle est l’origine d’Œrgelmer, le premier géant ?

VAFTHRUDNER.

31. Les gouttes de venin lancées par les ondes d’Elivôger grandirent et devinrent un géant ; mais les étincelles s’élancèrent de la demeure du sud et donnèrent la vie aux frimas.

GÔNGRÔDER.

32. Dis-moi, Vafthrudner, etc., comment le puissant Œrgelmer eut des enfants, puisqu’il n’avait pas encore goûté le plaisir que donne la possession d’une femme ?

VAFTHRUDNER.

33. On dit qu’en dessous de l’épaule d’Œrgelmer poussèrent en même temps un fils et une fille ; l’un de ses pieds procréa avec l’autre un fils indépendant.

GÔNGRÔDER.

34. Dis-moi, Vafthrudner, etc., quel est ton plus ancien souvenir ou la première chose que tu as apprise ? Tu es bien savant, ô géant !

VAFTHRUDNER.

35. Durant une suite d’hivers avant la formation de la terre, naquit Bergelmer ; voilà ce que j’ai appris en premier. Cet habile géant fut sauvé dans une barque.

GÔNGRÔDER.

36. Dis-moi, Vafthrudner, etc., d’où vient le vent qui passe sur la vague ? pas un homme ne l’a vu.

VAFTHRUDNER.

37. Le géant qui est assis à l’extrémité du ciel,sous la forme d’un aigle, se nomme Hrœsvelger ; ses ailes, dit-on, envoient le vent dans toutes les parties de l’univers.

GÔNGRÔDER.

38. Dis-moi, Vafthrudner, etc., quelle est l’origine des dieux ; d’où vient Njœrd ? On lui a consacré beaucoup de temples et de saints lieux, et cependant il n’a point été élevé parmi les Ases.

VAFTHRUDNER.

39. De sages puissances le créèrent dans Vanahem, et le donnèrent aux dieux comme otage ; mais lorsque viendra le soir de l’univers, il retournera chez les Vanes, ce peuple savant.

GÔNGRÔDER.

40. Dis-moi, Vafthrudner, etc., quelle est l’origine des dieux ? que feront les Einhærjars dans les salles du père des armées, jusqu’au moment où les puissances seront dissoutes ?

VAFTHRUDNER.

41. Tous les Einhærjars combattent chaque jour dans les cours d’Odin ; ils font ensuite des élections, et reviennent à cheval du combat. Ils boivent la bière forte avec les Ases, mangent Sæhrimmer, et sont assis ensemble en bonne intelligence.

GÔNGRÔDER.

42. Dis-moi, Vafthrudner, etc., quelle est l’origine des dieux. Parle en toute vérité sur les runes des géants et sur celles des dieux, puisque tu es censé savoir toutes choses.

VAFTHRUDNER.

43. Je puis dire la vérité sur les runes des géants et sur celles des dieux, car j’ai parcouru tous les mondes. Je suis allé dans dix mondes en dessous de Niflhem ; là meurent les hommes qui sortent de l’habitation de Hel.

GÔNGRÔDER.

44. J’ai beaucoup voyagé, beaucoup appris, j’ai mis à l’épreuve bien des intelligences. Quels hommes auront survécu, quand l’hiver de Fimbul, chanté par les skalds, sera fini ?

VAFTHRUDNER.

45. Ce sont Lif et Lifthraser ; mais ils se cacheront dans les montagnes sauvages de Hoddmimer, et s’y nourriront de la rosée. La nouvelle race naîtra d’eux.

GÔNGRÔDER.

46. J’ai beaucoup voyagé, beaucoup appris, j’ai mis à l’épreuve bien des intelligences. D’où viendra le nouveau soleil dans le ciel uni, lorsque le loup aura avalé celui que nous voyons ?

VAFTHRUDNER.

47. Le soleil, avant d’être anéanti par le loup, donnera le jour à une fille ; quand les dieux disparaîtront, elle suivra la même route que sa mère.

GÔNGRÔDER.

48. J’ai beaucoup voyagé, beaucoup appris, j’ai mis à l’épreuve bien des intelligences. Quelles sont les vierges qui passent sur l’océan des races humaines, avec des cœurs si sages ?

VAFTHRUDNER.

49. Il y a trois bandes de vierges de Mœgthraser. Elles planent au-dessus des mondes, et sont bienveillantes pour les habitants de la terre, quoique élevées parmi les géants.

GÔNGRÔDER.

50. J’ai beaucoup voyagé, beaucoup appris, j’ai mis à l’épreuve bien des intelligences. Quels sont les Ases qui dirigeront le royaume des dieux, quand la flamme de Surtur s’éteindra ?

VAFTHRUDNER.

51. Vidarr et Vale construiront le nouveau sanctuaire lorsque la flamme de Surtur s’éteindra : Mode et Magne posséderont Mjœllner, et mettront fin au combat.

GÔNGRÔDER.

52. J’ai beaucoup voyagé, beaucoup appris, j’ai mis à l’épreuve bien des intelligences. Comment finira Odin lorsque les puissances seront dissoutes ?

VAFTHRUDNER.

53. Le loup doit avaler le Père du monde. Vidarr vengera son père, et fendra les joues glacées, lorsqu’il ira combattre le loup.

GÔNGRÔDER.

54. J’ai beaucoup voyagé, beaucoup appris, j’ai mis à l’épreuve bien des intelligences. Qu’a dit Odin à l’oreille de son fils, lorsque celui-ci est monté sur le bûcher ?

VAFTHRUDNER.

55. Personne ne sait ce que tu as dit, dans le commencement des temps, à ton fils. Mes lèvres réprouvées ont parlé de la plus haute antiquité, de l’origine des dieux. Maintenant que ma science a été mise à l’épreuve par Odin, tu seras éternellement le plus savant des savants.