L’Avare (Molière)/Édition Louandre, 1910/Acte I

Œuvres complètes de Molière, Texte établi par Charles LouandreCharpentiertome III (p. 6-29).
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ACTE PREMIER


Scène I

VALÈRE, ÈLISE.
Valère

Hé quoi ! charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi ? Je vous vois soupirer, hélas ! au milieu de ma joie ! Est-ce du regret, dites-moi, de m’avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ?

Élise

Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous. Je m’y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n’ai pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, à vous dire vrai, le succès me donne de l’inquiétude ; et je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrais.

Valère

Eh ! que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez pour moi ?

Élise

Hélas ! cent choses à la fois : l’emportement d’un père, les reproches d’une famille, les censures du monde ; mais plus que tout, Valère, le changement de votre cœur, et cette froideur criminelle dont ceux de votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d’un innocent amour.

Valère

Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres ! Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que je vous dois. Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous durera autant que ma vie.

Élise

Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours ! Tous les hommes sont semblables par les paroles ; et ce n’est que les actions qui les découvrent différents.

Valère

Puisque les seules actions font connaître ce que nous sommes, attendez donc, au moins, à juger de mon cœur par elles, et ne me cherchez point des crimes dans les injustes craintes d’une fâcheuse prévoyance. Ne m’assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d’un soupçon outrageux ; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et mille preuves, de l’honnêteté de mes feux.

Élise.

Hélas ! qu’avec facilité on se laisse persuader par les personnes que l’on aime ! Oui, Valère, je tiens votre cœur incapable de m’abuser. Je crois que vous m’aimez d’un véritable amour, et que vous me serez fidèle : je n’en veux point du tout douter, et je retranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu’on pourra me donner.

Valère

Mais pourquoi cette inquiétude ?

Élise

Je n’aurais rien à craindre si tout le monde vous voyait des yeux dont je vous vois ; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux choses que je fais pour vous. Mon cœur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d’une reconnaissance où le ciel m’engage envers vous. Je me représente à toute heure ce péril étonnant qui commença de nous offrir aux regards l’un de l’autre ; cette générosité surprenante qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse que vous me fîtes éclater après m’avoir tirée de l’eau, et les hommages assidus de cet ardent amour que ni le temps ni les difficultés n’ont rebuté, et qui, vous faisant négliger et parents et patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l’emploi de domestique de mon père. Tout cela fait chez moi, sans doute, un merveilleux effet ; et c’en est assez, à mes yeux, pour me justifier l’engagement où j’ai pu consentir ; mais ce n’est pas assez peut-être pour le justifier aux autres, et je ne suis pas sûre qu’on entre dans mes sentiments.

Valère

De tout ce que vous avez dit, ce n’est que par mon seul amour que je prétends auprès de vous mériter quelque chose ; et quant aux scrupules que vous avez, votre père lui-même ne prend que trop de soin de vous justifier à tout le monde, et l’excès de son avarice, et la manière austère dont il vit avec ses enfants, pourraient autoriser des choses plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Élise, si j’en parle ainsi devant vous. Vous savez que, sur ce chapitre, on n’en peut pas dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l’espère, retrouver mes parents, nous n’aurons pas beaucoup de peine à nous les rendre favorables. J’en attends des nouvelles avec impatience, et j’en irai chercher moi-même, si elles tardent à venir.

Élise

Ah ! Valère, ne bougez d’ici, je vous prie, et songez seulement à vous bien mettre dans l’esprit de mon père.

Valère

Vous voyez comme je m’y prends, et les adroites complaisances qu’il m’a fallu mettre en usage pour m’introduire à son service ; sous quel masque de sympathie et de rapports de sentiments je me déguise pour lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin d’acquérir sa tendresse. J’y fais des progrès admirables ; et j’éprouve que, pour gagner les hommes, il n’est point de meilleure voie que de se parer à leurs yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu’ils font. On n’a que faire d’avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière dont on les joue a beau être visible, les plus fins toujours sont de grandes dupes du côté de la flatterie, et il n’y a rien de si impertinent et de si ridicule qu’on ne fasse avaler, lorsqu’on l’assaisonne en louanges. La sincérité souffre un peu au métier que je fais ; mais, quand on a besoin des hommes, il faut bien s’ajuster à eux, et puisqu’on ne saurait les gagner que par là, ce n’est pas la faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés.

Élise

Mais que ne tâchez-vous aussi de gagner l’appui de mon frère, en cas que la servante s’avisât de révéler notre secret ?

Valère

On ne peut pas ménager l’un et l’autre ; et l’esprit du père et celui du fils sont des choses si opposées, qu’il est difficile d’accommoder ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez auprès de votre frère, et servez-vous de l’amitié qui est entre vous deux pour le jeter dans nos intérêts. Il vient. Je me retire. Prenez ce temps pour lui parler, et ne lui découvrez de notre affaire que ce que vous jugerez à propos.

Élise

Je ne sais si j’aurai la force de lui faire cette confidence.



Scène II

CLÉANTE, ÉLISE.
Cléante

Je suis bien aise de vous trouver seule, ma sœur ; et je brûlais de vous parler, pour m’ouvrir à vous d’un secret.

Élise

Me voilà prête à vous ouïr, mon frère. Qu’avez-vous à me dire ?

Cléante

Bien des choses, ma sœur, enveloppées dans un mot. J’aime.

Élise

Vous aimez ?

Cléante

Oui, j’aime. Mais, avant que d’aller plus loin, je sais que je dépends d’un père, et que le nom de fils me soumet à ses volontés ; que nous ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont nous tenons le jour ; que le ciel les a faits les maîtres de nos vœux, et qu’il nous est enjoint de n’en disposer que par leur conduite ; que, n’étant prévenus d’aucune folle ardeur, ils sont en état de se tromper bien moins que nous et de voir beaucoup mieux ce qui nous est propre ; qu’il en faut plutôt croire les lumières de leur prudence que l’aveuglement de notre passion ; et que l’emportement de la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices fâcheux. Je vous dis tout cela, ma sœur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire ; car enfin mon amour ne veut rien écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances.

Élise

Vous êtes-vous engagé, mon frère, avec celle que vous aimez ?

Cléante
Non ; mais j’y suis résolu, et je vous conjure encore une fois de ne me point apporter de raisons pour m’en dissuader.
Élise

Suis-je, mon frère, une si étrange personne ?

Cléante

Non, ma sœur ; mais vous n’aimez pas ; vous ignorez la douce violence qu’un tendre amour fait sur nos cœurs, et j’appréhende votre sagesse.

Élise

Hélas ! mon frère, ne parlons point de ma sagesse : il n’est personne qui n’en manque, du moins une fois en sa vie ; et, si je vous ouvre mon cœur, peut-être serai-je à vos yeux bien moins sage que vous.

Cléante

Ah ! plût au ciel que votre âme, comme la mienne… !

Élise

Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous aimez.

Cléante

Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble être faite pour donner de l’amour à tous ceux qui la voient. La nature, ma sœur, n’a rien formé de plus aimable ; et je me sentis transporté dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane et vit sous la conduite d’une bonne femme de mère qui est presque toujours malade, et pour qui cette aimable fille a des sentiments d’amitié qui ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint et la console avec une tendresse qui vous toucherait l’âme. Elle se prend d’un air le plus charmant du monde aux choses qu’elle fait ; et l’on voit briller mille grâces en toutes ses actions, une douceur pleine d’attraits, une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une… Ah ! ma sœur, je voudrais que vous l’eussiez vue.[1]

Élise
J’en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites ; et, pour comprendre ce qu’elle est, il me suffit que vous l’aimez.
Cléante

J’ai découvert sous main qu’elles ne sont pas fort accommodées[2], et que leur discrète conduite a de la peine à étendre à tous leurs besoins le bien qu’elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma sœur, quelle joie ce peut être que de relever la fortune d’une personne que l’on aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes nécessités d’une vertueuse famille ; et concevez quel déplaisir ce m’est de voir que, par l’avarice d’un père, je sois dans l’impuissance de goûter cette joie, et de faire éclater à cette belle aucun témoignage de mon amour.

Élise

Oui, je conçois assez, mon frère, quel doit être votre chagrin.

Cléante

Ah ! ma sœur, il est plus grand qu’on ne peut croire. Car, enfin, peut-on rien voir de plus cruel que cette rigoureuse épargne qu’on exerce sur nous, que cette sécheresse étrange où l’on nous fait languir ? Hé ! que nous servira d’avoir du bien, s’il ne nous vient que dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d’en jouir, et si, pour m’entretenir même, il faut que maintenant je m’engage de tous côtés ; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours le secours des marchands, pour avoir moyen de porter des habits raisonnables ? Enfin, j’ai voulu vous parler pour m’aider à sonder mon père sur les sentiments où je suis ; et, si je l’y trouve contraire, j’ai résolu d’aller en d’autres lieux, avec cette aimable personne, jouir de la fortune que le ciel voudra nous offrir. Je fais chercher partout pour ce dessein de l’argent à emprunter ; et, si vos affaires, ma sœur, sont semblables aux miennes, et qu’il faille que notre père s’oppose à nos désirs, nous le quitterons là tous deux, et nous affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son avarice insupportable.

Élise

Il est bien vrai que tous les jours il nous donne de plus en plus sujet de regretter la mort de notre mère, et que…

Cléante

J’entends sa voix ; éloignons-nous un peu pour achever notre confidence ; et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de son humeur.


Scène III

HARPAGON, LA FLÈCHE.
Harpagon[3]

Hors d’ici tout à l’heure, et qu’on ne réplique pas. Allons, que l’on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence !

La Flèche, à part.

Je n’ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je pense, sauf correction, qu’il a le diable au corps.

Harpagon

Tu murmures entre tes dents ?

La Flèche

Pourquoi me chassez-vous ?

Harpagon

C’est bien à toi, pendard, à me demander des raisons ! Sors vite, que je ne t’assomme[4].

La Flèche

Qu’est-ce que je vous ai fait ?

Harpagon

Tu m’as fait que je veux que tu sortes.

La Flèche

Mon maître, votre fils, m’a donné ordre de l’attendre.

Harpagon

Va-t’en l’attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires, un traître dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furètent de tous côtés pour voir s’il n’y a rien à voler[5].

La Flèche

Comment diantre voulez-vous qu’on fasse pour vous voler ? Êtes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit ?

Harpagon

Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu’on fait ? (Bas, à part.) Je tremble qu’il n’ait soupçonné quelque chose de mon argent. (Haut.) Ne serois-tu point homme à[6] aller faire courir le bruit que j’ai chez moi de l’argent caché ?

La Flèche

Vous avez de l’argent caché ?

Harpagon

Non, coquin, je ne dis pas cela. (Bas.) J’enrage ! (Haut.) Je demande si, malicieusement, tu n’irois point faire courir le bruit que j’en ai.

La Flèche

Hé ! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n’en ayez pas, si c’est pour nous la même chose ?

Harpagon, levant la main pour donner un soufflet à la Flèche.

Tu fais le raisonneur ! Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. Sors d’ici, encore une fois.

La Flèche

Eh bien ! je sors.

Harpagon

Attends : ne m’emportes-tu rien ?

La Flèche Que vous emporterois-je ?

Harpagon

Tiens, viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains[7].

La Flèche
Les voilà.
Harpagon

Les autres[8].

La Flèche

Les autres ?

Harpagon

Oui.

La Flèche

Les voilà.

Harpagon, montrant les hauts-de-chausses de la Flèche.

N’as-tu rien mis ici dedans[9] ?

La Flèche

Voyez vous-même.

Harpagon, tâtant le bas des hauts-de-chausses de la Flèche.

Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recéleurs des choses qu’on dérobe ; et je voudrais qu’on en eût fait pendre quelqu’un.

La Flèche, à part.

Ah ! qu’un homme comme cela mériterait bien ce qu’il craint ! Et que j’aurais de joie à le voler !

Harpagon

Euh ?

La Flèche

Quoi ?

Harpagon

Qu’est-ce que tu parles de voler ?

La Flèche

Je vous dis que vous fouillez bien partout, pour voir si je vous ai volé.

Harpagon

C’est ce que je veux faire.

Harpagon fouille dans les poches de La Flèche.
La Flèche, à part.

La peste soit de l’avarice et des avaricieux !

Harpagon

Comment ? que dis-tu ?

La Flèche

Ce que je dis ?

Harpagon

Oui ; qu’est-ce que tu dis d’avarice et d’avaricieux ?

La Flèche

Je dis que la peste soit de l’avarice et des avaricieux.

Harpagon

De qui veux-tu parler ?

La Flèche

Des avaricieux.

Harpagon

Et qui sont-ils, ces avaricieux ?

La Flèche

Des vilains et des ladres.

Harpagon

Mais qui est-ce que tu entends par là ?

La Flèche

De quoi vous mettez-vous en peine ?

Harpagon

Je me mets en peine de ce qu’il faut.

La Flèche

Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous ?

Harpagon

Je crois ce que je crois ; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela.

La Flèche
Je parle… je parle à mon bonnet.
16
L’AVARE.
Harpagon

Et moi, je pourrois bien parler à ta barrette[10].

La Flèche

M’empêcherez-vous de maudire les avaricieux ?

Harpagon

Non ; mais je t’empêcherai de jaser et d’être insolent. Tais-toi.

La Flèche

Je ne nomme personne.

Harpagon

Je te rosserai si tu parles.

La Flèche

Qui se sent morveux, qu’il se mouche.

Harpagon

Te tairas-tu ?

La Flèche

Oui, malgré moi.

Harpagon

Ah ! ah !

La Flèche, montrant à Harpagon une poche de son justaucorps.

Tenez, voilà encore une poche : êtes-vous satisfait ?

Harpagon

Allons, rends-le-moi sans te fouiller[11].

La Flèche

Quoi ?

Harpagon

Ce que tu m’as pris.

La Flèche

Je ne vous ai rien pris du tout.

Harpagon

Assurément ?

La Flèche

Assurément.

Harpagon

Adieu. Va-t-en à tous les diables !

La Flèche, à part
Me voilà fort bien congédié[12].
Harpagon

Je te mets sur ta conscience, au moins.



Scène IV

HARPAGON, seul.

Voilà un pendard de valet qui m’incommode fort ; et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n’est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d’argent ; et bienheureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement que ce qu’il faut pour sa dépense ! On n’est pas peu embarrassé à inventer, dans toute une maison, une cache fidèle ; car pour moi, les coffres-forts me sont suspects et je ne veux jamais m’y fier. Je les tiens justement une franche amorce à voleurs, et c’est toujours la première chose que l’on va attaquer.


Scène V

HARPAGON, ÉLISE et CLÉANTE, parlant ensemble, et restant dans le fond du théâtre.
Harpagon, se croyant seul.

Cependant, je ne sais si j’aurai bien fait d’avoir enterré dans mon jardin dix mille écus qu’on me rendit hier. Dix mille écus en or, chez soi, est une somme assez… (À part, apercevant Élise et Cléante.) Ô ciel ! je me serai trahi moi-même ! la chaleur m’aura emporté, et je crois que j’ai parlé haut en raisonnant tout seul. (À Cléante et Élise.) Qu’est-ce ?

Cléante

Rien, mon père.

Harpagon

Y a-t-il longtemps que vous êtes là ?

Élise

Nous ne venons que d’arriver.

Harpagon

Vous avez entendu…

Cléante

Quoi, mon père ?

Harpagon

Là…

Élise
Quoi ?
Harpagon

Ce que je viens de dire ?

Cléante

Non.

Harpagon

Si fait, si fait.

Élise

Pardonnez-moi.

Harpagon

Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C’est que je m’entretenois en moi-même de la peine qu’il y a aujourd’hui à trouver de l’argent, et je disais qu’il est bien heureux qui peut avoir dix mille écus chez soi.

Cléante

Nous feignions[13] à vous aborder, de peur de vous interrompre.

Harpagon

Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n’alliez pas prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c’est moi qui ai dix mille écus[14].

Cléante

Nous n’entrons point dans vos affaires.

Harpagon

Plût à Dieu que je les eusse, dix mille écus !

Cléante

Je ne crois pas…

Harpagon
Ce serait une bonne affaire pour moi.
Élise.

Ces sont des choses…

Harpagon

J’en aurois bon besoin.

Cléante

Je pense que…

Harpagon

Cela m’accommoderait fort.

Élise

Vous êtes…

Harpagon

Et je ne me plaindrais pas, comme je le fais, que le temps est misérable#1.

Cléante

Mon Dieu ! mon père, vous n’avez pas lieu de vous plaindre et l’on sait que vous avez assez de bien.

Harpagon

Comment, j’ai assez de bien ! Ceux qui le disent en ont menti. Il n’y a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces bruits-là.

Élise

Ne vous mettez point en colère.

Harpagon

Cela est étrange, que mes propres enfants me trahissent, et deviennent mes ennemis.

Cléante

Est-ce être votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?

Harpagon

Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu’un de ces jours on me viendra chez moi me couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles.

Cléante
Quelle grande dépense est-ce que je fais ?[15]
Harpagon

Quelle ? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que vous promenez par la ville ? Je querellois hier votre sœur ; mais c’est encore pis. Voilà qui crie vengeance au ciel ; et, à vous prendre depuis les pieds jusqu’à la tête, il y auroit là de quoi faire une bonne constitution. Je vous l’ai dit vingt fois, mon fils, toutes vos manières me déplaisent fort ; vous donnez furieusement dans le marquis ; et, pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.

Cléante

Hé ! comment vous dérober ?

Harpagon

Que sais-je, moi[16] ? Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l’état que vous portez ?

Cléante

Moi, mon père ? C’est que je joue ; et, comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l’argent que je gagne.

Harpagon

C’est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez profiter, et mettre à honnête intérêt l’argent que vous gagnez, afin de le trouver un jour. Je voudrois bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds jusqu’à la tête, et si une demi-douzaine d’aiguillettes ne suffit pas pour attacher un haut-de-chausses. Il est bien nécessaire d’employer de l’argent à des perruques, lorsque l’on peut porter des cheveux de son cru, qui ne coûtent rien ! Je vais gager qu’en perruques et rubans il y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par année dix-huit livres six sols huit deniers, à ne les placer qu’au denier douze[17].

Cléante

Vous avez raison.

Harpagon
Laissons cela, et parlons d’autre affaire. Euh ? (Apercevant Cléante et Élise qui se font des signes.) Hé ! (Bas, à part.) Je crois qu’ils se font signe l’un à l’autre de me voler ma bourse. (Haut.) Que veulent dire ces gestes-là ?
Élise

Nous marchandons, mon frère et moi, à qui parlera le premier ; et nous avons tous deux quelque chose à vous dire.

Harpagon

Et moi, j’ai quelque chose aussi à vous dire à tous deux.

Cléante

C’est de mariage, mon père, que nous désirons vous parler.

Harpagon

Et c’est de mariage aussi que je veux vous entretenir.

Élise

Ah ! mon père !

Harpagon

Pourquoi ce cri ? Est-ce le mot, ma fille, ou la chose, qui vous fait peur ?

Cléante

Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous pouvez l’entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas d’accord avec votre choix.

Harpagon

Un peu de patience ; ne vous alarmez point. Je sais ce qu’il faut à tous deux, et vous n’aurez, ni l’un ni l’autre, aucun lieu de vous plaindre de tout ce que je prétends faire ; et, pour commencer par un bout, (À Cléante.) avez-vous vu, dites-moi, une jeune personne appelée Mariane, qui ne loge pas loin d’ici ?

Cléante

Oui, mon père.

Harpagon

Et vous ?

Élise

J’en ai ouï parler.

Harpagon

Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille ?

Cléante

Une fort charmante personne.

Harpagon

Sa physionomie ?

Cléante

Tout honnête et pleine d’esprit.

Harpagon
Son air et sa manière ?
Cléante

Admirables, sans doute.

Harpagon

Ne croyez-vous pas qu’une fille comme cela mériteroit assez que l’on songeât à elle ?

Cléante

Oui, mon père.

Harpagon

Que ce serait un parti souhaitable ?

Cléante

Très souhaitable.

Harpagon

Qu’elle a toute la mine de faire un bon ménage ?

Cléante

Sans doute.

Harpagon

Et qu’un mari auroit satisfaction avec elle ?

Cléante

Assurément.

Harpagon

Il y a une petite difficulté : c’est que j’ai peur qu’il n’y ait pas, avec elle, tout le bien qu’on pourrait prétendre.

Cléante

Ah ! mon père, le bien n’est pas considérable, lorsqu’il est question d’épouser une honnête personne.

Harpagon

Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu’il y a à dire, c’est que, si l’on n’y trouve pas tout le bien qu’on souhaite, on peut tâcher de regagner cela sur autre chose.

Cléante

Cela s’entend.

Harpagon

Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments ; car son maintien honnête et sa douceur m’ont gagné l’âme, et je suis résolu de l’épouser, pourvu que j’y trouve quelque bien.

Cléante

Euh ?

Harpagon
Comment ?
Cléante

Vous êtes résolu, dites-vous… ?

Harpagon

D’épouser Mariane.

Cléante

Qui ? Vous, vous ?

Harpagon

Oui, moi, moi, moi. Que veut dire cela ?

Cléante

Il m’a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d’ici.

Harpagon

Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la cuisine un grand verre d’eau claire[18].


Scène VI.

HARPAGON, ÉLISE.
Harpagon

Voilà de mes damoiseaux flouets[19], qui n’ont non plus de vigueur que des poules. C’est là, ma fille, ce que j’ai résolu pour moi. Quant à ton frère, je lui destine une certaine veuve dont, ce matin, on m’est venu parler ; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme.

Élise

Au seigneur Anselme ?

Harpagon

Oui, Un homme mûr, prudent et sage, qui n’a pas plus de cinquante ans, et dont on vante les grands biens.

Élise, faisant une révérence.

Je ne veux point me marier, mon père, s’il vous plaît.

Harpagon, contrefaisant Élise.

Et moi, ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous mariiez, s’il vous plaît.

Élise, faisant encore la révérence.

Je vous demande pardon, mon père.

Harpagon, contrefaisant Élise.

Je vous demande pardon, ma fille.

Élise

Je suis très humble servante au seigneur Anselme ; mais (Faisant encore la révérence.) avec votre permission, je ne l’épouserai point[20].

Harpagon

Je suis votre très humble valet ; mais, (Contrefaisant Élise.) avec votre permission, vous l’épouserez dès ce soir.

Élise

Dès ce soir ?

Harpagon

Dès ce soir.

Élise, faisant encore la révérence.

Cela ne sera pas, mon père.

Harpagon, contrefaisant encore Élise.

Cela sera, ma fille.

Élise

Non.

Harpagon

Si.

Élise

Non, vous dis-je.

Harpagon

Si, vous dis-je.

Élise

C’est une chose où vous ne me réduirez point.

Harpagon

C’est une chose où je te réduirai.

Élise

Je me tuerai plutôt que d’épouser un tel mari.

Harpagon

Tu ne te tueras point, et tu l’épouseras. Mais voyez quelle audace ! A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte à son père ?

Élise

Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la sorte ?

Harpagon
C’est un parti où il n’y a rien à redire ; et je gage que tout le monde approuvera mon choix.
Élise

Et moi, je gage qu’il ne sauroit être approuvé d’aucune personne raisonnable.

Harpagon, apercevant Valère de loin.

Voilà Valère. Veux-tu qu’entre nous deux nous le fassions juge de cette affaire ?

Élise

J’y consens.

Harpagon

Te rendras-tu à son jugement ?

Élise

Oui. J’en passerai par ce qu’il dira.

Harpagon

Voilà qui est fait.


Scène VII.

VALÈRE, HARPAGON, ÉLISE.
Harpagon

Ici, Valère. Nous t’avons élu pour nous dire qui a raison de ma fille ou de moi.

Valère

C’est vous, monsieur, sans contredit.

Harpagon

Sais-tu bien de quoi nous parlons ?

Valère

Non ; mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison.

Harpagon

Je veux ce soir lui donner pour époux un homme aussi riche que sage ; et la coquine me dit au nez qu’elle se moque de le prendre. Que dis-tu de cela ?

Valère

Ce que j’en dis ?

Harpagon

Oui.

Valère

Hé ! hé !

Harpagon

Quoi !

Valère

Je dis que, dans le fond, je suis de votre sentiment ; et vous ne pouvez pas que vous n’ayez raison[21]. Mais aussi n’a-t-elle pas tort tout à fait, et…

Harpagon

Comment ? Le seigneur Anselme est un parti considérable ; c’est un gentilhomme qui est noble[22], doux, posé, sage et fort accommodé, et auquel il ne reste aucun enfant de son premier mariage. Sauroit-elle mieux rencontrer ?

Valère

Cela est vrai. Mais elle pourroit vous dire que c’est un peu précipiter les choses, et qu’il faudrait au moins quelque temps pour voir si son inclination pourra s’accommoder avec.

Harpagon

C’est une occasion qu’il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici un avantage qu’ailleurs je ne trouverois pas ; et il s’engage à la prendre sans dot.

Valère

Sans dot ?

Harpagon

Oui.

Valère

Ah ! je ne dis plus rien. Voyez-vous ? voilà une raison tout à fait convaincante ; il se faut rendre à cela.

Harpagon

C’est pour moi une épargne considérable.

Valère

Assurément ; cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que votre fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande affaire qu’on ne peut croire ; qu’il y va d’être heureux ou malheureux toute sa vie ; et qu’un engagement qui doit durer jusqu’à la mort ne se doit jamais faire qu’avec de grandes précautions.

Harpagon
Sans dot !
Valère

Vous avez raison : voilà qui décide tout ; cela s’entend. Il y a des gens qui pourraient vous dire qu’en de telles occasions l’inclination d’une fille est une chose, sans doute, où l’on doit avoir de l’égard ; et que cette grande inégalité d’âge, d’humeur et de sentiments, rend un mariage sujet à des accidents fâcheux.

Harpagon

Sans dot !

Valère

Ah ! il n’y a pas de réplique à cela ; on le sait bien ! Qui diantre peut aller là contre ? Ce n’est pas qu’il n’y ait quantité de pères qui aimeroient mieux ménager la satisfaction de leurs filles, que l’argent qu’ils pourroient donner ; qui ne les voudroient point sacrifier à l’intérêt, et chercheroient, plus que toute autre chose, à mettre dans un mariage cette douce conformité qui, sans cesse, y maintient l’honneur, la tranquillité et la joie ; et que…

Harpagon

Sans dot[23] !

Valère

Il est vrai ; cela ferme la bouche à tout. Sans dot ! Le moyen de résister à une raison comme celle-là ?

Harpagon, à part, regardant du côté le jardin.

Ouais ! Il me semble que j’entends un chien qui aboie. N’est-ce point qu’on en voudroit à mon argent ? (À Valère.) Ne bougez ; je reviens tout à l’heure.



Scène VIII.

ÉLISE, VALÈRE.
Élise

Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites ?

Valère

C’est pour ne point l’aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter de front ses sentiments est le moyen de tout gater ; et il y a de certains esprits qu’il ne faut prendre qu’en biaisant ; des tempéraments ennemis de toute résistance ; des naturels rétifs, que la vérité fait cabrer, qui toujours se roidissent contre le droit chemin de la raison, et qu’on ne mène qu’en tournant où l’on veut les conduire. Faites semblant de consentir à ce qu’il veut, vous en viendrez mieux à vos fins ; et…

Élise

Mais ce mariage, Valère !

Valère

On cherchera des biais pour le rompre.

Élise

Mais quelle invention trouver, s’il se doit conclure ce soir ?

Valère

Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie.

Élise

Mais on découvrira la feinte, si l’on appelle des médecins.

Valère

Vous moquez-vous ? Y connoissent-ils quelque chose ? Allez, allez, vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira, ils vous trouveront des raisons pour vous dire d’où cela vient.


Scène IX.

HARPAGON, VALÈRE, ÉLISE.
Harpagon, à part, dans le fond du théâtre.

Ce n’est rien, Dieu merci.

Valère, sans voir Harpagon.

Enfin notre dernier recours, c’est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout ; et, si votre amour, belle Élise, est capable d’une fermeté… (Apercevant Harpagon.) Oui, il faut qu’une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu’elle regarde comme un mari est fait ; et lorsque la grande raison de sans dot s’y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu’on lui donne.

Harpagon

Bon : voilà bien parlé, cela !

Valère

Monsieur, je vous demande pardon si je m’emporte un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais.

Harpagon

Comment ! j’en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu. (À Élise.) Oui, tu as beau fuir, je lui donne l’autorité que le ciel me donne sur toi, et j’entends que tu fasses tout ce qu’il te dira.

Valère, à Élise.

Après cela, résistez à mes remontrances.


Scène X.

HARPAGON, VALÈRE.
Valère

Monsieur, je vais la suivre, pour continuer les leçons que je lui faisois.

Harpagon

Oui, tu m’obligeras. Certes…

Valère

Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.

Harpagon

Cela est vrai. Il faut…

Valère

Ne vous mettez pas en peine, je crois que j’en viendrai à bout.

Harpagon

Fais, fais. Je m’en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout à l’heure.

Valère, adressant la parole à Élise, en s’en allant du côté par où elle est sortie.

Oui, l’argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre grâce au ciel, de l’honnête homme de père qu’il vous a donné. Il sait ce que c’est que de vivre. Lorsqu’on s’offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans ; et sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d’honneur, de sagesse, et de probité.

Harpagon

Ah ! le brave garçon ! Voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut avoir un domestique de la sorte !

FIN DU PREMIER ACTE.

  1. Molière, toujours attentif à rendre ses amants intéressants, ne fonde pas uniquement l’amour de Cléante pour Mariane sur les charmes dont cette jeune personne est ornée, il y ajoute l’attrait non moins puissant et plus universel, de la vertu, de la bonté. C’est ainsi que dans les Fourberies de Scapin, suivant les traces de Térence, il rend Octave amoureux d’Hyacinthe, à la seule vue des larmes si touchantes que lui fait verser la mort de sa mère. (Auger.)
  2. Pour à l’aise, opulentes. Voir F. Génin, Lexique, aux mots Accommodé et Incommodé.
  3. Le personnage de l’avare, chez Plaute, s’appelle Euclio. C’est le supplément de cette pièce, par Codrus Urceus, qui a fourni à Molière le nom d’Harpagon. Les maitres de ce temps-ci sont avares, dit Strobile, scène ii de l’acte V ; nous les appelons des Harpagons, des Harpies :
    Tenaces nimium dominos nostra ætas tulit,
    Quos Harpagones, Harpigias et Tautalos
    Vocare soleo (Bret.)
  4. « Sors d’ici, sors, te dis-je ; oui, tu sortiras, avec ces regards curieux qui cherchent tout autour de toi. — Pourquoi me chassez-vous de la maison ? — C’est bien à toi à me demander des raisons ! Quitte à l’instant le seuil de cette porte ; va-t-en ! Mais voyez si elle bougera !… Tu murmures entre tes dents, etc. » (Plaute)
  5. Dans Plaute, l’Avare dit à une vieille esclave,
    Circomspectarix cum oculis emissitiis ?
  6. Var. Ne serois-tu point homme à aller faire courir le bruit, etc.
  7. Var. Tiens, viens ça, que je voie, etc.
  8. Cette scène est imitée de la scène iv de l'acte IV l’Aululaire. Ici Molière n’a pas été plus heureux que l’auteur latin, qui fait demander la troisième main : Ostende etiam tertiam. Harpagon, qui demande les autres, blesse également la vérité du dialogue. Chappuzeau, dans sa comédie du Riche vilain, imprimée en 1663, avoit trouvé un tempérament ingénieux à ce trait de Plaute, en ne demandant que l’autre, parceque le Riche vilain peut avoir oublié qu’il a déjà vu la main qu’il veut revoir. Voici la scène : Crispin soupçonne philipin, valet de son neveu, de lui avoir dérobé quelque chose.
    Crispin.

    Ça, montre ta main.

    Philipin.

    Tenez.

    Crispin.

    Tenez.L’autre.

    Philipin.

    Tenez. L’autreTenez ; voyez jusqu’à demain.

    Crispin.

    L’autre.

    Philipin.
    L’autre.Allez la chercher. En ai-je une douzaine ?

    Il faut bien convenir que Chappuzeau a mieux fait que Plaute et que Molière.

  9. Dans Plaute : Euclion. Allons, secoue ton manteau. — Strobile. J’y consens. — Eucl. N’as-tu rien sous ta tunique ? — Stro. Cherchez partout où il vous plaira. (Aululaire, acte IV, scène iv.)
  10. Dans le moyen âge, on appelait barrette le devant du chaperon à cause des pansements dont il était orné, et qui y formaient des barres ; parler à la barrette, en langage vulgaire, signifie laver la tête à quelqu’un, et même le frapper.
  11. Dans Plaute : Je ne veux pas te fouiller davantage, rends-le-moi.
  12. Dans Plaute, Strobile est congédié de la même manière : « Va-t-en où tu voudras, et que Jupiter et tous les dieux puissent te confondre ! ‑ Il me remercie bien poliment. »
  13. Feindre dans le sens d’hésiter.
  14. On trouve dans une facétie du quinzième siècle une tirade qui offre quelque analogie avec la scène ci-dessus :
    « Premier tu te mets en danger
    » De perdre le boire et manger,
    » D’avarice qui te tiendra ;
    » Puis le grand diable viendra
    » Qui te dira qu’on te dérobe…
    » Un rische a toujours doubte et tremble
    » De paour qu’on lui emble le sien ;
    » Mais un poure homme qui n’a rien
    » Jamais il ne craint le deschet ;
    » Car qui n’a rien, rien ne lui chet. »
    Voyez le Dialogue beau et afable, et à toutes gens moult delectable d’un sage et d’un fol, etc. Paris (sans date).
  15. Dans Plaute, Euclion répète sans cesse qu’il est pauvre, ce qui est fort bien ; mais Harpagon dit la même chose, ce qui est encore mieux, parce qu’on sait le contraire. Euclion est pauvre, et est à peu près dans le cas du savetier de La Fontaine, à qui ses cent écus tournent la tête : il a trouvé dans sa maison un trésor dans un pot de terre que son grand-père avait enfoui. Dans l’Avare de Molière, ce trésor n’a pas été trouvé ; il a été amassé, ce qui vaut beaucoup mieux ; de plus, Harpagon est riche et connu pour tel, ce qui rend son avarice plus odieuse et moins excusable. (La Harpe.)
  16. Var. Que sais-je ? Où pouvez-vous donc, etc.
  17. Un denier d’intérêt pour douze prêtés, c’est-à-dire un peu plus de huit pour cent.
  18. Var. Allez vite boire dans la cuisine un verre d’eau claire.
  19. Fluet
  20. Dans presque toutes les comédies de Molières il y a une jeune fille qu’on veut marier contre son gré. Le talent du poëte est d’avoir varié cette situation uniforme par le seul effet du caractère et du ton des personnages. Élise n’a point appris à respecter son père. Ce seul trait suffit pour donner de la nouveauté à une situation qui est cependant la même que celle de Mariane dans le Tartufe, et d’Henriette dans les Femmes Savantes. (Aimé Martin.)
  21. Vous ne pouvez pas que, latinisme non possum quid. Boileau a dit aussi, dans la Satire sur les femmes :
    Je ne puis cette fois que je ne les excuse !
  22. Ce gentilhomme qui est noble est certainement un trait de satire contre les faux nobles, dont le nombre étoit fort considérable. Molière y revient plus loin, acte V, scène v : « Le monde aujourd’hui n’est plein que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent avantage de leur obscurité, et s’habillent insolemment du premier nom illustre qu’ils s’avisent de prendre. (Auger.)
  23. Dans la pièce latine, Mégadore fait ses propositions de mariage : Euclion y consent, mais à une condition : Je veux bien, dit-il que cet Hymen s’accomplisse ; mais n’oubliez pas que vous vous êtes engagé à prendre ma fille sans dot.

       ……… Faxint ; illud facito ut memineris
    Convenisse ut ne quid dotis mea ad te afferret filia.
     (Petitot.)