L’Avaleur de sabres/Partie 2/Chapitre 21

Laffont (p. 480-486).
Deuxième partie


XXI

Un vieux lion qui s’éveille


Tout cela n’avait pas pris cinq minutes. La duchesse et Saphir, seules de nouveau, étaient assises l’une auprès de l’autre sur le canapé où, l’avant-veille, mademoiselle Guite avait ronflé.

Madame de Chaves voulait savoir par quel miracle Saphir était en ce lieu, à cette heure, mais elle voulait savoir tant d’autres choses ! Chaque fois que la jeune fille commençait son récit une pluie de baisers l’interrompait.

La duchesse était guérie, la duchesse était folle de joie ; elle comparait avec triomphe les transports croissants de sa tendresse, aux hésitations qui l’avaient prise si vite en présence de l’autre.

Elle parlait de l’autre à Saphir qui ne pouvait pas la comprendre, puisqu’elle ignorait toute l’histoire de mademoiselle Guite.

La duchesse interrogeait, elle coupait les réponses, elle remerciait Dieu, elle riait, elle pleurait, elle faisait envie et pitié. Sa beauté avait des rayons. On n’eût point su dire laquelle de Saphir ou d’elle était belle le plus admirablement.

— Je ne t’empêcherai jamais de les voir, ces braves gens, disait-elle. Ce n’est pas assez, cela ; ils demeureront avec nous, ils seront toujours ton père et ta mère… et figure-toi que j’étais allée avant-hier soir avec Hector pour te voir danser. Quelle providence qu’Hector ait pu te rencontrer, t’aimer !

Et comme une larme, à ce nom, venait aux yeux de la jeune fille, madame de Chaves la sécha à force de baisers.

— Ne crains rien, ne crains rien ! dit-elle ; Dieu est avec nous maintenant ! il ne voudrait pas mettre une douleur parmi tant de joie. Nous allons retrouver Hector… l’aimes-tu bien ?

Ceci fut murmuré d’une voix jalouse déjà.

Elle sentit les lèvres froides de Saphir sur son front et la serra passionnément contre sa poitrine.

— Tu l’aimes bien ! tu l’aimes bien ! dit-elle. Tant mieux ! si tu savais comme il t’aime, lui ! J’étais sa confidente, et je le grondais d’adorer comme cela une… oh ! je puis bien dire le mot, maintenant : une saltimbanque. Il me semble que je t’aime plus profondément à cause de cela… je ne t’aurais jamais vu danser, moi, car tu ne danseras plus… Mais tu l’aimeras mieux que moi, n’est-ce pas ? il faut se résigner à cela.

— Ma mère ! ma mère, murmurait Saphir, qui l’écoutait avec ravissement.

Je ne puis mieux exprimer la vérité qu’à l’aide de cette parole : Saphir écoutait madame de Chaves comme les mères écoutent le babil désordonné des chers petits enfants.

Les rôles étaient retournés. Madame de Chaves était l’enfant ; il y avait en elle, à cette heure, l’allégresse turbulente du premier âge. Elle ne se possédait plus.

— Je vais être bien jalouse de lui, dit-elle, c’est certain. Heureusement qu’il était comme mon fils avant cela, je tâcherai de ne point vous séparer dans mon amour.

— Mais, s’interrompit-elle joyeusement, tu as donc été jalouse aussi, chérie ? jalouse de moi, ce jour où nous nous rencontrâmes sur la route de Maintenon ?

— Je vous avais vue si belle, ma mère !… commença la jeune fille.

— Tu me trouves donc belle ! interrompit encore la duchesse. Moi je ne saurais pas dire comment je te trouve. Tu ressembles…

Elle allait dire : « à ton père », mais n’acheva pas et un voile de pâleur descendit sur son visage.

— Écoute, fit-elle mystérieusement, tout à l’heure, dans cette lettre qui me parlait de toi, je croyais reconnaître son écriture. Mais, se reprit-elle, que vais-je dire là ? Je perds la tête tout à fait. Comment me comprendrais-tu, puisque tu avais un an à peine. Tiens, regarde, te voilà !

Elle s’était levée plus pétulante qu’une vierge de seize ans et avait été chercher dans son livre d’heures la photographie envoyée par Médor.

Elle l’apporta, disant avec le rire franc des heureuses :

— Regarde, regarde ! te reconnais-tu ?

Saphir était émue et toute sérieuse.

— Je ne reconnais que vous, ma mère, dit-elle en portant le portrait à ses lèvres. Mais il y a en moi un trouble étrange, une fatigue que je ne saurais définir : c’est comme si ma mémoire comprimée allait éclater. Il me semble que je me souviens… mais non ! J’ai beau faire, je ne me souviens pas. Aujourd’hui comme autrefois je suis ce nuage bercé entre vos bras bien-aimés.

Madame de Chaves l’attira doucement contre son cœur et, baissant la voix jusqu’au murmure, elle dit :

— Tu avais autrefois…

Elle s’arrêta, presque confuse, et Saphir rougit dans un délicieux sourire.

— Comment donc l’autre avait-elle fait ? pensa tout haut madame de Chaves qui ajouta :

« Tu sais bien de quoi je parle, le signe ?

— Ma cerise… dit tout bas Saphir, dont les cils de soie se baissèrent.

Elles riaient toutes deux avec un trouble où il y avait une ineffable pudeur.

— Je suis juge, dit madame de Chaves gaiement, et j’examine ton acte de naissance. C’est un interrogatoire, mademoiselle… de quel côté ?

— Ici, répliqua Saphir en posant le bout de son doigt rose entre son épaule droite et son sein.

Madame de Chaves effleura ce doigt d’un baiser, et dit si bas que Saphir eut peine à l’entendre :

— Je veux voir.

— Et je veux que tu voies, répondit la jeune fille, qui la tutoyait pour la première fois.

Ce furent encore des baisers.

Puis Saphir s’assit et la duchesse, agenouillée devant elle, commença d’une main qui tremblait à détacher les agrafes de la robe.

Elle n’acheva pas ce travail charmant, parce que Saphir lui saisit les deux mains en poussant un cri d’épouvante.

La duchesse se leva, effrayée à son tour, et regarda en arrière, suivant le doigt tendu de Saphir qui montrait la baie drapée de portières par où elle était entrée.

Il y avait là deux noirs visages éclairés par des yeux blancs qui semblaient étinceler.

— Que faites-vous là ? balbutia la duchesse, bégayant de colère en même temps que de frayeur.

Entre les deux faces d’ébène de Saturne et de Jupiter, une troisième figure se montrait : celle-ci plus haute et d’un bronze rougeâtre.

Monsieur le duc de Chaves était ivre, mais non point tant qu’il avait coutume de l’être en rentrant à ces heures de nuit. Il n’avait perdu que la raison ; l’aplomb et la force du corps restaient : on était venu l’interrompre avant la fin de son orgie quotidienne.

— Cette belle enfant est à moi, dit-il, parlant le français aussi péniblement que jadis, pourquoi m’a-t-on forcé de la venir chercher jusqu’ici ?

— C’est ma fille, répondit madame de Chaves d’une voix que l’angoisse étranglait dans sa gorge.

Le duc se prit à rire et fit un geste ; les deux noirs s’ébranlèrent.

— Vous mentez, dit-il, votre fille est dans le pavillon.

— C’est ma fille ! répéta madame de Chaves qui fit un pas à la rencontre des deux Noirs.

Ceux-ci reculèrent, interdits.

Monsieur le duc avait une cravache qui siffla deux fois, le sang jaillit de l’épaule gauche de Saturne et de l’épaule droite de Jupiter.

— Combien donc avez-vous de filles ? demanda-t-il brutalement, en verrons-nous une chaque semaine ? Diabo me cogo ! moi qui perds toujours, j’ai eu du bonheur ce soir ! Celle-ci est achetée et payée.

Son rire énervé continuait. Il plongea ses deux mains dans ses poches et des poignées d’or roulèrent en s’éparpillant sur le tapis.

— Voyez plutôt ! ajouta-t-il, je la paierai deux fois si l’on veut.

Puis, s’adressant aux Noirs :

— Apporte ! Pe de cabra !

La cravache siffla de nouveau.

Les deux nègres se précipitèrent et, malgré les efforts désespérés de madame de Chaves, ils s’emparèrent de Saphir qui restait pétrifiée par l’horreur.

— Allez ! ordonna le duc.

Les deux Noirs enlevèrent Saphir et il s’apprêta à les suivre.

— C’est ma fille ! c’est ma fille ! c’est ma fille ! cria la malheureuse femme avec démence en s’accrochant à ses vêtements.

Il se débarrassa d’elle d’un geste violent et ne se détourna même pas pour la voir tomber évanouie.


Nous avons entendu rentrer monsieur le duc, au moment où Annibal Gioja et ses compagnons prenaient l’escalier de service pour gagner, par le jardin, les bureaux de la Compagnie brésilienne.

Monsieur le duc avait reçu le message d’Annibal au beau milieu d’une veine inusitée qui amoncelait devant lui des tas d’or.

Il n’avait pas même hésité, tant sa fantaisie était grande.

En arrivant il s’était fort étonné de ne trouver ni Annibal ni la danseuse de corde.

Saturne et Jupiter, effrayés par la colère terrible qui lui montait au cerveau, s’étaient mis à chercher. Saphir avait laissé entrouverte la porte des appartements de la duchesse, et les deux Noirs, guidés par le bruit des voix, n’eurent pas de peine à retrouver sa piste.

Le lecteur sait le reste.

Au milieu de la chambre de monsieur le duc, il y avait sur la table une bouteille de rhum débouchée et un verre à demi plein.

Saphir fut déposée sur le lit où déjà une fois on l’avait étendue.

Les deux Noirs, remerciés par un dernier coup de cravache, furent mis dehors, et le duc poussa la porte sur eux, après quoi, il vint vider son verre de rhum.

Il avait toujours ce rire hébété des gens ivres. En allant de la table au lit, il grommela quelques mots portugais, entremêlés de jurons.

Puis il se planta devant Saphir qui le regardait avec ses grands yeux épouvantés, et se dit à lui-même :

Raios ! Annibal avait raison, voici une belle créature !

Et, sans autre préambule, ses deux bras voulurent enlacer la taille de Saphir.

Mais à quelque chose malheur est bon, dit le proverbe, et les dures traverses de l’adolescence de Justine l’avaient faite du moins forte comme un homme.

C’était un de ces grands lits carrés qui n’ont pas de ruelle. Saphir raidit sa taille souple et, se débarrassant de l’étreinte du sauvage, elle le repoussa pour sauter d’un bond de l’autre côté du lit.

Le duc n’en rit que plus fort.

Apre ! dit-il, j’aime cela ; elles sont ainsi dans mon pays, les macacas de Diabo ! Ah ! ah ! il va falloir se battre, battons-nous, ma belle, je ne déteste pas les griffes de panthères ni les dents de tigresses.

Il se versa un verre de rhum, et l’avala d’un trait, puis il fit le tour du lit.

De ce côté, Justine n’avait pas d’issue. Elle essaya de bondir une seconde fois par-dessus la couverture, et ce lui était chose aisée, mais monsieur de Chaves la ressaisit par sa robe qui craqua sans se déchirer. Seulement les dernières agrafes de son corsage, arrachées toutes à la fois, découvrirent son fichu, tandis que ses cheveux dénoués inondaient ses épaules.

Elle tomba sur le lit dans une pose qui la faisait splendide à voir.

Le duc poussa un râle de faune.

— Sur mon salut éternel, dit Justine dont les deux mains étaient déjà prisonnières, je suis la fille de votre femme !

— Tu mens, répondit le duc en poursuivant sa victoire, c’est l’autre qui a le signe. Ah ! ah ! bestiaga ! l’autre n’est pas si méchante que toi. Justine parvint à dégager une de ses mains et d’un geste désespéré, elle arracha elle-même le fichu, dernier voile qui défendît sa poitrine.

Le duc recula ; il ne pouvait plus douter, mais ses yeux avides s’injectèrent de sang et un rauquement gronda dans sa gorge.

Burra ! dit-il, que me fait cela ? tu es trop belle !

Ce qui aurait dû arrêter sa brutale passion l’exalta jusqu’au délire. Il se rua sur la jeune fille et, dans la lutte horrible qui suivit, tous deux franchirent la largeur du lit pour retomber de l’autre côté.

Là, Justine resta sans mouvement et la bête fauve victorieuse gronda :

Os raios m’escartejâo ! je suis le maître !

Mais à ce cri de barbare triomphe une voix froide et tranchante comme l’acier répondit :

— Relevez-vous, monsieur le duc, je ne voudrais pas vous tuer à terre.

Monsieur de Chaves crut d’abord avoir mal entendu. Il redressa la tête sans se retourner.

Mais la voix répéta d’un accent plus impérieux.

— Monsieur le duc, relevez-vous !

Il se retourna enfin et vit sur le seuil un homme qu’il ne connaissait pas. C’était un personnage de haute taille, maigre et vêtu de noir de la tête aux pieds. Il avait un grand visage pâle avec des yeux fiers mais mornes et voilés par une sorte de brume. Sa barbe était grise, ses cheveux étaient blancs.

Monsieur de Chaves s’était relevé tout étourdi, mais l’aspect de cet inconnu fouetta sa double ivresse et lui rendit une partie de son sang-froid.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il avec hauteur.

L’inconnu ouvrit sa large redingote et en retira deux épées, dont il jeta l’une sur le parquet aux pieds de monsieur le duc.

— Mon nom importe peu, dit-il. Voici bientôt quinze ans, vous m’avez pris ma femme au moyen d’une lâche tromperie. Dès ce temps-là vous auriez pu lui rendre son enfant qui est le mien. Vous l’avez épousée par un mensonge après vous être fait veuf par un assassinat : vous voyez que je sais votre histoire. Et maintenant, je vous surprends luttant contre cette même enfant, devenue jeune fille, non pas comme un homme, mais comme une bête féroce. Comme une bête féroce j’aurais pu vous abattre, moi surtout qui ai oublié bien longtemps d’où je sors. Mais en touchant une épée, je me suis souvenu de ma qualité de gentilhomme. Défendez-vous !

Le duc l’avait écouté sans l’interrompre. En l’écoutant, loin de relever l’épée, il s’était rapproché d’une console placée entre les deux fenêtres et dont la tablette supportait diverses armes.

Il y prit un revolver et l’arma.

— Je vais me défendre, dit-il, mais contre un visiteur de nuit qui refuse de dire son nom, je pense avoir le choix des armes.

Il visa. Un premier coup partit. L’étranger eut un tressaillement.

Monsieur le duc fit virer froidement son revolver, arma et visa de nouveau.

L’étranger avait fait un pas vers lui.

Monsieur le duc tira ; mais à peine le coup eut-il retenti que le revolver s’échappa de sa main fouettée par l’épée.

L’étranger avait encore tressailli.

Le duc voulut saisir une machette sur la console ; un second coup de plat d’épée lui fit lâcher prise.

Il bondit avec un cri de rage jusqu’à l’autre extrémité de la chambre, où pendait une carabine de chasse. L’étranger ramassa l’épée qui était à terre ; il rejoignit le duc au moment où celui-ci armait vivement la carabine et, lui plaçant la pointe de son arme au nœud de la gorge, il lui dit :

— Lâchez cela et prenez ceci, ou vous êtes mort !

Il lui tendait la garde de la seconde épée.

Le duc obéit enfin, faute de pouvoir faire autrement et, sans prendre posture, il lança un coup à bras raccourci dans le ventre de l’étranger qui para sur place et dit encore :

— Mettez-vous en garde.

Le duc se mit en garde et son dernier juron fut coupé en deux par un coup droit qui lui traversa la poitrine.

La porte se rouvrit en ce moment et la duchesse de Chaves entra. Elle s’était traînée à genoux tout le long du corridor. Justine qui reprenait ses sens parcourut la chambre d’un regard égaré.

Il y avait un homme mort : le duc de Chaves, et un autre homme qui se tenait debout immobile auprès de lui, serrant encore son épée sanglante dans sa main.

— Justin ! dit madame de Chaves en un grand cri.

Puis elle ajouta :

— Ma fille ! ton père ! ton père !

Elle aida Justine à se relever, et toutes deux revinrent à l’étranger qui souriait doucement, mais semblait avoir peine à se soutenir.

— Justin ! répéta la duchesse, Dieu t’a envoyé…

— Mon père ! c’est mon père qui m’a sauvée !

Justin souriait toujours et les contemplait en extase. Il chancela, puis s’affaissa dans leurs bras aussitôt qu’elles l’eurent touché.

Monsieur le duc était un tireur habile. Les deux balles de son revolver avaient porté.


Le lendemain, l’hôtel de Chaves était une maison déserte. À l’extérieur, au contraire, soit dans le faubourg Saint-Honoré, doit dans l’avenue Gabrielle, tous les badauds du quartier semblaient s’être donné rendez-vous.

Il y avait, Dieu merci, matière à chroniques et à bavardages. Le corps de monsieur le duc avait été retrouvé percé d’un coup d’épée au milieu de sa chambre à coucher. Le lit était défait, quoiqu’on n’y eût point couché, les meubles étaient dérangés, et un revolver tombé à terre avait tiré deux de ses coups.

Les Noirs et les autres domestiques interrogés avaient répondu que certains bruits s’étaient fait entendre dans la nuit, mais qu’à l’hôtel de Chaves, quand monsieur le duc rentrait ivre vers le matin, on était habitué à entendre toutes sortes de bruits.

Ce n’était pas tout, cependant. Le caissier et le sous-caissier de la Compagnie brésilienne s’étaient éveillés fort tard au milieu d’un véritable ravage. La caisse était forcée, et il y manquait une somme considérable.

Ce n’était pas tout encore. Dans le pavillon en retour sur le jardin, une pauvre jeune femme, madame la marquise de Rosenthal, attaquée sans doute par les malfaiteurs, avait passé la nuit garrottée et bâillonnée.

Enfin, sous les bosquets des Champs-Élysées, en face du jardin de l’hôtel, une large trace de sang restait, malgré la pluie, et indiquait un ou plusieurs meurtres. Mais, ici, on avait cherché en vain le corps du délit.

Les badauds se racontaient les uns aux autres ces divers détails tragiques et passaient, en somme, une agréable journée.

La justice informait.


Dans l’appartement du jeune comte Hector de Sabran, assez bien remis du coup de canne plombée qui l’avait terrassé la veille, sous les arbres du quai d’Orsay, nous eussions rencontré tous les personnages de notre drame, rassemblés autour du lit de Justin de Vibray.

Le chirurgien venait d’extraire la seconde balle et répondait désormais de l’existence du blessé.

C’était Médor qui avait servi d’aide pendant l’opération.

Toute la matinée on avait craint que Justin ne survécût point à l’extraction des balles ; aussi, à tout événement avait-il voulu mettre d’avance la main de mademoiselle Justine de Vibray, sa fille, dans celle d’Hector de Sabran.

Maintenant il dormait paisiblement, tandis que Lily et Justine, les yeux mouillés de larmes heureuses, penchaient leurs sourires au-dessus de son sommeil.

Échalot et madame Canada regardaient cela, et la célèbre Amandine, parlant au nom de la communauté, disait avec fierté mais la larme à l’œil :

— On sait se tenir à sa place. Nous n’appartenons pas à la même catégorie dans les castes de la société moderne, par conséquence on fera en sorte de ne point se rendre à charge à des personnes qui n’oseraient pas nous dire : fichez-nous le camp, par suite des sentiments de leurs cœurs généreux.

— Mais néanmoins, ajouta Échalot dont la pauvre voix tremblait, on sollicite la permission d’assister dans un coin au mariage d’abord et puis au baptême… en plus, de venir tous les ans voir un peu comment se porte notre ancienne fille.


Post-scriptum. Quant à monsieur le marquis Saladin de Rosenthal, nous verrons quelque jour peut-être comment il employa l’argent de la Compagnie brésilienne, et sur quel noble théâtre il eut l’honneur de s’étrangler en avalant son dernier sabre.