L’Avaleur de sabres/Partie 2/Chapitre 09

Laffont (p. 397-404).


IX

La chanson de l’avaleur


Monsieur le marquis de Rosenthal ayant prononcé ces paroles remarquables prit un siège et vint se placer en face du divan où étaient Comayrol et le bon Jaffret.

— Messieurs, poursuivit-il d’un ton décent et plein de modestie, vous êtes une association illustre et moi je ne suis qu’un simple paltoquet, c’est pourquoi il était bien naturel que je fisse toilette pour avoir l’honneur de me présenter devant vous : toilette de corps, toilette d’esprit, toilette de situation. Je ne m’habille pas comme cela tous les jours ; je suis préparé comme un candidat qui va passer son examen, et j’ai choisi pour la circonstance le plus joli de tous mes noms. Vous aurez, je l’espère, quelque indulgence en faveur d’un néophyte qui vous veut le plus grand bien, mais qui ne peut pas pousser la courtoisie jusqu’à vous dire hypocritement que, selon lui, sa jeunesse ne vaut pas votre décrépitude.

— Vayadioux ! s’écria Comayrol, nous ne détestons pas la plaisanterie, monsieur Saladin, mais nous avons autre chose à faire ici que de vous voir avaler des sabres !

Le Prince et le Dr Samuel s’étaient rapprochés ; le vicomte Gioja se tenait à l’écart d’un air superbe.

— Je suis flatté, dit Saladin en mordillant le bec de son stick, que vous ayez pris la peine de rassembler quelques informations sur ma personne. J’en vaux la peine, soit dit sans fausse modestie, et j’espère vous le prouver bientôt abondamment. Vous végétez depuis bien des années déjà, mes chers messieurs, vous n’avez pas de chef. Je pense vous en avoir trouvé un.

— Il a du talent comme orateur, dit le fils de Louis XVII à demi-voix.

— Où veut en venir ce garçon ? demanda Gioja de l’autre bout de la chambre.

— Je crois, dit Saladin, en se retournant vers lui poliment, que j’ai l’avantage de parler au valet de cœur de monsieur le duc de Chaves ?

— Tiens ! tiens ! murmura Comayrol qui dressa l’oreille.

— Mon petit monsieur !… commença Gioja avec hauteur.

— Chut ! fit Saladin doucement ; nous reviendrons tout à l’heure au rôle honorable que vous jouez auprès de monsieur le duc et qui pourrait éventuellement gêner les affaires de l’association. C’est vous qui avez le Scapulaire ?

Gioja ne répondit pas. Les autres membres du club se regardaient d’un air véritablement étonné.

— J’ai fréquenté les bureaux de la préfecture, dit le marquis de Rosenthal entre parenthèses, en amateur et pour perfectionner mon éducation ; je suis un peu docteur en toutes facultés et sais parfaitement vos petites histoires.

— Vous n’êtes pas venu ici pour nous menacer, dites donc ? prononça Comayrol dont la joue sanguine prit une nuance rouge plus foncée.

Jaffret lui toucha le bras et murmura :

— Il m’intéresse.

— Mon cher monsieur, répondit Saladin en s’adressant à Comayrol, je suis une nature indépendante et je désire faire mon chemin en dehors de l’administration. Seulement, il me plaît de vous faire savoir tout de suite que je suis gardé à carreau. Vous me voyez seul, vous êtes cinq, il est bon que la liberté de la discussion soit entre nous pleinement assurée.

— Eh bien ! dit Comayrol avec une rudesse contenue, entamons la discussion, je vous prie, et rondement !

— De tout cœur, répondit Saladin… seulement encore on n’a pas répondu à la question que j’ai faite. Est-ce le vicomte Annibal Gioja qui est maître du Scapulaire ?

— C’est ici le secret même de notre confrérie, fit observer le Dr Samuel qui n’avait pas encore parlé.

Saladin le salua.

— Messieurs, reprit-il, le Scapulaire est votre sceptre, je connais cela et bien d’autres choses. Quoique je ne voie ici aucune de ces grandes physionomies qui ont illustré l’histoire ancienne de votre ordre, j’aurais quelque répugnance à poser ma candidature en face de personnages tels que messieurs Jaffret, Comayrol et Samuel, qui sont à tout le moins très capables et très expérimentés.

— Vous êtes bien bon, grommela l’ancien clerc de notaire.

— Je parle comme je pense… mais s’il ne s’agit que de détrôner ce faquin, les choses changent, et je vous dis franchement qu’une société comme la vôtre ne doit pas avoir pour gérant un homme de paille.

Annibal Gioja jeta le journal qu’il tenait à la main et fit un pas vers Saladin. Le bon Jaffret l’arrêta du geste en disant :

— Mon cher bon enfant, laissez parler l’orateur.

— D’autant mieux, reprit Saladin en se tournant vers Gioja, que l’orateur causera avec vous en tête à tête quand ce sera votre bon plaisir.

Le bon Jaffret prit encore la parole.

— Mon cher monsieur, dit-il, je vous ferai observer qu’ici nos réunions sont toujours paisibles.

— Il faut, mon cher monsieur, interrompit Saladin, que vos réunions redeviennent fructueuses comme elles l’étaient autrefois. Je compte apporter ici, il faut bien vous le dire, un peu de ce sang jeune et actif qui coule dans mes veines. Mon intention, pourquoi vous le cacherais-je ? est de restaurer la grande famille des Habits Noirs.

Il y eut un mouvement, comme on dit dans le compte rendu des séances parlementaires, et le fils de Louis XVII s’écria malgré lui :

— Écoutez, morbleu ! Écoutez !

— J’ai beau écouter, gronda Comayrol, le fils de ce coquin de Similor est aussi bavard que son père. Il a beaucoup parlé, mais, que je sache, il n’a encore rien dit.

— Le fait est que c’est bien vague, murmura le bon Jaffret, bien vague, bien vague…

— Je vais préciser, reprit Saladin, soyez tranquilles. Mais avant d’entrer en matière, il serait bon de balayer le terrain. Tenez-vous au Gioja, oui ou non ?

— Non, répondirent à la fois tous les membres présents, excepté Gioja lui-même.

— Donneriez-vous le Scapulaire, continua Saladin, à un jeune homme de courage et d’espérance qui vous apporterait, comme prime de joyeux avènement, une affaire toute faite de quinze cent mille francs comptant sans escompte ni retenues ?

Il y eut un moment d’hésitation, puis Comayrol répondit :

— C’est selon.

— C’est selon, répéta paternellement le bon Jaffret, selon, selon, selon.

Le Prince et le docteur approuvèrent du bonnet.

— Vous comprenez, reprit Comayrol, qu’il y a des épreuves… des garanties…

— Il ne suffit pas ici, ajouta le vicomte Annibal avec un amer mépris, de savoir avaler les sabres !

Saladin sauta sur cette interruption comme sur une proie.

— Messieurs, s’écria-t-il en se levant et en passant sa main dans l’entournure de son gilet, dans notre ordre social, depuis le plus infime degré de l’échelle jusqu’au plus élevé, permettez-moi de vous le dire, je ne vois partout qu’avaleurs de sabres. Le monarque prussien attirant l’Autriche dans la guerre contre le Danemark…

— Écoutez ! fit le Prince, vivement intéressé.

Au contraire, Comayrol s’écria :

— Mon bon, nous ne nous occupons pas ici de politique, hé !

Et Jaffret ajouta d’un accent plaintif :

— Le cher jeune homme avait préparé une tirade… gare !

— Le candidat électoral faisant sa profession de foi, voulut poursuivre Saladin, le ministre équilibrant le budget, les rois gênés qui enfilent des tirages comme des perles autour de leurs emprunts…

— Et les philanthropes qui vous forcent à vous assurer sur la vie, déclama Comayrol en imitant son accent. Hé donc ! Pécaire ! Et les apôtres qui arrachent les dents avec un pistolet…

— Et les bons cœurs, privés de capitaux, qui déclament contre l’usure… insinua le bon Jaffret.

— Et les anciens de Clichy qui ont mis la lance en arrêt contre la contrainte par corps…, glissa le Dr Samuel.

— Avaleurs de sabres ! s’écria le Prince, enchanté, avaleurs de sabres !

Tout le monde répéta triomphalement en regardant Saladin :

— Avaleurs de Sabres !

Monsieur le marquis de Rosenthal avait été d’abord légèrement déconcerté, mais, à la fin de la manifestation, il avait repris son sourire vainqueur ; il frappa l’un contre l’autre ses gants sang-de-bœuf, et dit :

— Bravo, mes chers seigneurs ! vous êtes moins vieux que je ne croyais, je vous dois cette justice, et vous avez sabré ma chanson avec infiniment d’esprit. Bravo ! encore, et tant mieux ! Entre gens d’esprit on a moins de peine à se comprendre. Venons donc au fait. Demain monsieur le duc de Chaves, déjà nommé, aura, dans son hôtel du faubourg Saint-Honoré, une somme ronde de quinze cent mille francs.

— Vous vous trompez, mon petit monsieur, s’empressa de dire Annibal Gioja, la somme ronde est de deux millions.

Saladin se tourna vers lui avec lenteur :

— Ah ! fit-il.

Puis son regard revint vers le groupe qui lui faisait face, comme pour lui demander : est-ce vrai ?

Comayrol lui adressa un petit signe de tête moqueur que le bon Jaffret traduisit ainsi :

— Cher jeune homme, vous avez personnellement toutes mes sympathies ; mais vous arrivez un peu trop tard.

Saladin resta un instant pensif, puis il se demanda tout haut à lui-même :

— Y aurait-il donc à l’hôtel de Chaves trois millions cinq cent mille francs ?

— C’est cent mille piastres que vous vouliez glisser dans votre poche, dit Annibal Gioja qui n’avait pas entendu sa dernière observation.

— Comment ! s’écria au contraire Comayrol, trois millions cinq cent mille francs ! Où prenez-vous ce calcul ?

— Je suis sûr du chiffre de quinze cent mille francs, répliqua Saladin ; vous paraissez être sûrs du chiffre de deux millions. Les deux sommes doivent être distinctes, évidemment.

Jaffret dressa l’oreille comme un bon cheval de bataille qui entend le son de la trompette.

— Il a du talent ! répéta-t-il. Tirons la chose au clair. D’où viennent vos quinze cent mille francs, jeune homme ?

— Du Brésil, répondit Saladin, sans hésiter. Et maintenant que j’y songe, vos deux millions doivent venir de Paris.

« J’ai deviné ! ajouta-t-il, interprétant comme une réponse le jeu des physionomies qui l’entouraient. Avez-vous les moyens de vous appliquer les deux millions ?

Comayrol eut un geste noble.

— Nous ne sommes pas tout à fait des manchots, monsieur le marquis, répondit-il.

— Je précise, insista Saladin ; nous ne plaisantons plus, mes maîtres. Pouvez-vous regarder les deux millions comme étant dès à présent à votre avoir ?… Vous hésitez ! donc vous cherchez encore… Ne cherchez plus ! Quand je dis : j’apporte une affaire, c’est que j’apporte l’affaire.

Il appuya sur ce dernier mot et ses yeux ronds firent le tour de l’assistance, piquant chacun d’un regard perçant et froid.

Jaffret, Comayrol et le docteur avaient l’air étonné. Gioja baissa les yeux ; le Prince se frotta les mains et cria tout seul :

— Très bien ! ça me va !

— Qu’il y ait quinze cent mille francs, comme je l’ai cru, ou trois millions cinq cent mille francs, comme c’est désormais l’apparence, continua Saladin, je dis que l’affaire est faite, puisque à partir de demain je puis introduire à l’hôtel de Chaves autant d’hommes que vous le voudrez, à l’heure de jour ou de nuit que vous choisirez.

— Peste ! fit le bon Jaffret, c’est bien gentil de votre part cela, mon cher enfant.

— Quel est votre moyen ? demanda Comayrol.

— Je sollicite la permission, repartit Saladin, de le garder pour moi, jusqu’au moment où nous aurons conclu notre arrangement.

— Pour conclure un arrangement, il faut savoir, que diable !

— Ne tombons pas dans un cercle vicieux, dit Saladin, dont la voix reprit une autorité véritable. D’ailleurs, nous n’avons pas achevé les préliminaires. En qualité de Maître, de Père, puisque c’est votre mot, je prétends avoir la part du lion, et je ne travaillerai que si je suis Maître.

— C’est carré, dit Comayrol.

— Il est franc comme l’or, appuya le bon Jaffret.

— Qu’entendez-vous par la part du lion ? demanda le Dr Samuel.

— S’il s’était agi seulement de mes quinze cent mille francs, répondit Saladin, j’aurais exigé moitié.

— À la bonne heure ! s’écria l’assistance en chœur, moitié ! ne nous gênons pas !

— Mais, poursuivit Saladin, puisqu’il y a en outre les deux millions, chacun de nous gardera sa part : vous aurez, vous, les deux millions et j’aurai, moi, les quinze cent mille francs.

Le bon Jaffret souffla dans ses joues.

— Diable ! dit le Prince.

— Vous êtes fou, mon bon, décida Comayrol.

Gioja riait dans sa barbe teinte.

— C’est comme cela, dit tranquillement Saladin, à prendre ou à laisser.

— Avec quinze cent mille francs, fit observer Samuel, on achèterait toute la serrurerie de Paris.

— Vous n’y êtes pas ! riposta Comayrol en riant, notre nouveau Maître veut nous faire payer ainsi le jeune et joli sang qu’il va infuser dans nos vieilles veines.

— Juste ! fit Saladin. Je ne vous défends pas de trouver cela cher, mais c’est mon prix.

— Et si ce n’est pas le nôtre ? dit Comayrol en le regardant fixement.

Ses joues étaient écarlates jusqu’aux oreilles.

Saladin soutint son regard et répondit froidement :

— Ce serait fâcheux, monsieur Comayrol ; j’ai mis dans ma tête que vous en passeriez ce soir par mon caprice, sinon je vous abandonne.

Les membres du club essayèrent de rire, mais Saladin répéta en scandant les mots :

— Je vous abandonne… d’abord ; et puis je me fais une carrière dans l’administration en découvrant votre pot aux roses.

Il était assis, comme nous l’avons dit, vis-à-vis d’un groupe formé par le docteur, Jaffret, Comayrol et le Prince. En face de lui, au-dessus du divan qui servait de siège à ces messieurs, il y avait une grande glace.

Derrière lui, touchant le dossier de sa chaise, se trouvait une table qui soutenait un flambeau.

Au-delà de la table, se tenait Annibal Gioja tantôt immobile, tantôt se promenant de long en large.

Aux dernières paroles prononcées par Saladin, celui-ci vit les yeux de ses quatre interlocuteurs se fixer simultanément sur Gioja.

Saladin savait où était Gioja. La glace, fumeuse et tachée, lui renvoyait confusément l’image de l’Italien qu’il ne perdait pas un seul instant de vue.

Quelque chose brilla dans la main droite de ce dernier qui fit un pas vers la table. Les yeux des quatre membres du Club des Bonnets de soie noire se baissèrent en même temps, et le bon Jaffret eut un tout petit frisson.

— Tiens ! dit Saladin, le vicomte Annibal n’a pas perdu l’habitude du stylet napolitain.

Il tourna la tête négligemment.

L’Italien qui marchait sur lui s’arrêta court.

Mais quand Saladin reprit sa position vis-à-vis de ses quatre interlocuteurs, la scène avait changé complètement.

Chacun d’eux, même le bon Jaffret, avait le couteau à la main.

— Et que dirait monsieur Massenet ? demanda Saladin en riant.

— Massenet ne dira rien, répondit Comayrol qui se mit sur ses pieds, il en mange. Tu es frit, mon petit !

Sans se retourner, Saladin prit sur la table le flambeau, qui était à portée de sa main, et l’éleva au-dessus de sa tête.

Au même instant trois petits coups furent frappés aux carreaux de la fenêtre qui donnait sur la ruelle.

Les couteaux disparurent comme par enchantement.

Et tout se tut, même le bruit des respirations.

— Les volets ne sont donc pas fermés aujourd’hui ! dit tout bas Comayrol, au bout de quelques secondes, en ponctuant sa phrase avec un juron du Midi.

— Comment ne sont-ils pas fermés ! ajouta le bon Jaffret.

— Ils étaient fermés, répondit Saladin, bien fermés, mais j’ai fait mon tour, avant d’entrer, avec papa. On a quelques bons amis ici près.

— Bonjour les vieux ! cria une voix au-dehors, dans la ruelle, ça va-t-il comme vous voulez ?

Comayrol se précipita à la fenêtre et l’ouvrit.

— Qui est là ? demanda-t-il.

Personne ne répondit.

Son regard interrogea la ruelle sombre qui semblait déserte.

Pendant cela, de cette main qui naguère tenait le couteau, le bon Jaffret prit les doigts de Saladin et les serra affectueusement en disant tout bas :

— Toute cette petite machinette est remarquablement intelligente, et je vous donne ma voix de tout mon cœur, mon biribi.

Le Prince, qui avait fait le tour de la table, vint toucher l’épaule du Dr Samuel :

— Vous demandiez un homme, dit-il, en voici un.

— On ne sait pas, répondit le docteur. On va voir.

Saladin répondit au bon Jaffret :

— Ça n’était pas malaisé à exécuter, vous êtes des bandits âgés et mûrs pour la retraite. Je m’y serais pris autrement, si vous aviez eu vingt ans de moins. Fermez voir la fenêtre, papa Comayrol, ajouta-t-il ; vous êtes encore le plus vert de la bande, et, en cherchant bien, on vous retrouvera du nerf sous la peau. Mais, parole d’honneur, vous aviez besoin d’être remontés ; vos cinq couteaux étaient si drôles ! je me suis cru au salon de cire.

Comayrol restait auprès de la fenêtre et ne cachait point sa mauvaise humeur.

— Tu dis vrai, petit, prononça-t-il, entre ses dents : voilà quinze ans, tu n’aurais pas eu le temps de lever la chandelle !

Saladin lui envoya un baiser.

— Mon bon, dit-il, nous ferons une paire d’amis, nous deux, quand tu m’auras juré obéissance. Voyons ! ne nous endormons pas. Faites semblant de délibérer un petit peu, mes vénérables, pendant que je vais faire semblant de ne pas écouter, et puis vous me donnerez votre réponse officielle.

Il s’éloigna du divan et alla prendre Le Journal des villes et campagnes à l’autre bout de la chambre.

Les membres du Club des Bonnets de soie noire se formèrent en groupe, et le bon Jaffret dit de sa voix la plus caressante :

— Annibal Gioja, respecté Maître, je vous demande la parole. Vous me l’accordez, merci. Vous êtes dégommé, mon garçon, et il n’y a pas grand mal.

Gioja répondit à voix basse quelque chose que Saladin ne put saisir.

La délibération dura juste deux minutes, après quoi l’éloquent Comayrol, rendu à toute sa belle humeur, s’avança vers lui à la tête du club et lui dit :

— Maître, le Scapulaire est à vous.

Gioja fit mine d’entrouvrir sa redingote.

— Garde, garde, mon garçon, lui dit Saladin, ce sont des formalités surannées. Nous ne détruirons rien de vos vieux usages, destinés à frapper l’imagination grossière de la populace, mais quant à nous autres, nous sommes au-dessus de tout cela. Est-il bien entendu que vous me nommez Père-à-tous et Habit-Noir en chef à l’unanimité ? Levez la main !

Toutes les mains s’étendirent, même celle de Gioja.

— Bien ! dit Saladin qui se redressa et les enveloppa d’un regard dur. Vous n’aimez pas les discours, je supprime le sabre que j’avais compté avaler pour ma bienvenue. C’est fini de rire. Asseyez-vous, nous allons causer.