Le Parnasse contemporain/1866/L’Auberge
L’AUBERGE
L’auberge était sinistre, isolée ; à la voir
On eût dit une tombe au fond d’un cimetière ;
Pareille au croque-mort qui recouvre une bière,
La nuit l’enveloppait de son grand manteau noir.
Voyageur attardé, je couchais dans l’auberge
Ce soir-là. Sur mon lit étendu, triste et seul,
Mon drap glaçait mon corps ainsi qu’un froid linceul,
Et le flambeau prenait les tons blafards du cierge.
La glace reflétait une étrange pâleur,
La pâleur effrayante, humide du suaire ;
Mes dents claquaient d’horreur : tels en un ossuaire
Frémissent de remords les os verts d’un voleur.
Comme des spectres noirs errant dans les ténèbres
D’un sombre et transparent miroir vénitien,
Dans mon esprit terni d’un souvenir ancien
Passaient et repassaient mille histoires funèbres.
Je sentais comme un gnome accroupi sur mon sein.
Monotone comme une obsession, la pluie
Tombait ; dans le foyer, ses gouttes sur la suie
Bruissaient comme un pas étouffé d’assassin.
La tempête hurlait par l’espace sans bornes,
Battant dans sa fureur les larges contrevents,
Et puis on entendait, apportés par les vents,
Les hululements sourds des loups dans les bois mornes.