Le Parnasse contemporain/1866/Nuit d’hiver

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]I. 1866 (p. 207-208).
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NUIT D’HIVER


L’air était âpre et froid ; par les champs la gelée
Étreignait fortement contre ses reins roidis
La terre par les vents du nord toute pelée.
La lune blêmissait dans les cieux engourdis.

Au loin la grande mer se brisant sur ses grèves
Roulait en gémissant de lugubres sanglots ;
Un funèbre concert de pleurs, de plaintes brèves
S’élevait de la terre et répondait aux flots.

Un vent rauque et glacé courait sur les bruyères,
Pareil au chant des morts dans les temples chrétiens ;
Comme des moines noirs marmottant leurs prières,
Les corbeaux échangeaient de mornes entretiens.


Point de nuage au ciel, et pourtant des tons sombres
Sur la terre ; un air peu diaphane et laiteux
Que les dolmens noircis traversaient de leurs ombres
Lourdes, où grelottaient les arbres souffreteux.

Triste, silencieux sous son linceul de givre,
L’univers, immobile en son manteau de deuil,
Gisait comme un géant près de cesser de vivre
Et qu’attendant les ais lugubres du cercueil.

— Ah ! comme toi, nature, en ces heures funèbres,
J’ai senti se roidir tout mon être épuisé,
Les frissons de l’horreur parcourir mes vertèbres
Et la morne douleur tordre mon cœur brisé.

Toi, tu reverdiras, ô terre ! et ton écorce
Craquera fécondant les germes recélés,
Et tu reproduiras, éternelle en ta force,
Les saints embrassements des êtres accouplés.

Pour nous, jeunes encor, mais que nos pâles mères
Engendrèrent un soir de ces temps ténébreux,
Quand l’amour décevant, de ses lèvres amères,
A tari l’idéal de nos rêves fiévreux,

Nous ne renaissons pas, et, roulant par la vie
Comme un soleil éteint dans les déserts des cieux,
Notre cœur sans pitié, sans espoir, sans envie
S’avance vers la mort froid et silencieux.


HENRY WINTER.