L’Au delà et les forces inconnues/La suggestion et le mystère

Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 314-322).


LA SUGGESTION ET LE MYSTÈRE


(Dr LIÉBEAULT)


La suggestion, première clef de la magie et du spiritisme. — La cause des phénomènes psychiques est dans l’homme. — Il y aura toujours des mystères.


La plus grande part des phénomènes psychiques relèvent de la suggestion. La puissance de la suggestion hypnotique n’a été enregistrée et admise par les académies qu’assez tard. Elle n’est pas seulement un puissant agent de guérison contre les maladies nerveuses, — quoiqu’elle présente comme tout remède ses dangers, — elle est encore là clef de la plupart sinon de tous les phénomènes appelés autrefois magiques et aujourd’hui spiritiques.

Pour ma part, j’ai refait dans les cliniques d’hypnotisme moderne, par la seule efficacité de la suggestion, toutes les opérations des occultistes du moyen âge (envoûtements, sorts, évocations du diable ou d’autres esprits, visions du sabbat).

Le sujet hypnotique ou médium, sous l’empire de la volonté, subit si puissamment ses visions, réelles pour lui seul, qu’il peut non seulement les décrire, mais dialoguer avec les personnages apparus dans ses rêves et qui lui répondent comme la table répond à ceux qui la font parler. Il ne s’agit là, pourtant, que de pensées et de souvenirs appartenant au sujet et qu’il croit, dans les illusions de l’hypnotisme, extérieures à lui.

Qu’est-ce que le médium ? — Le plus souvent un sujet hypnotique, victime de ses propres suggestions et de la suggestion ambiante, consciente ou non, des assistants, pendant les séances. La plupart des ce esprits » ne sont que des suggestions reçues par le médium ; les réponses des tables, même les plus sincères, sont d’ordinaire suggérées. La télépathie elle-même peut être assimilée à une suggestion à distance.

Tout le monde est suggestible à des degrés différents, même et quelquefois surtout les intelligents. L’éloquence, l’éducation, le journalisme sont de puissants moyens de suggestion, qui n’ont pas attendu, pour agir, les médecins hypnotiseurs.

Ainsi tous pouvons-nous par nous-mêmes nous forger une idée rudimentaire de ce que sont les médiums ; ils poussent à l’excès, jusqu’à l’illusion du rêve éveillé, cette puissance de suggestibilité que l’homme équilibré possède à la dose normale.

Si nous devons l’hypnotisme à Charcot principalement, la théorie et la pratique rituelle de la suggestion nous viennent d’un homme de génie, peut-être aussi grand, en tout cas plus modeste et plus humanitaire, le docteur Liebeault.

C’est lui le chef de cette fameuse Ecole de Nancy, dont les enseignements et les prodiges bataillèrent contre les enseignements et les prodiges de la Salpêtrière.

Charcot ne voyait qu’un phénomène corporel « somatique », dans le sommeil provoqué ; le docteur Liebeault y voit un phénomène psychique, l’influence de l’idée sur l’organe, et, pour parler plus clairement, la puissance de l’âme sur le corps. Ainsi par la volonté seule peut-on guérir bien des maux physiques ou mentaux…

Aujourd’hui le docteur Liebeault est un vieillard complètement retiré de la lutte, parce qu’il a triomphé. L’école nouvelle a adopté ses enseignements. Ses disciples les plus directe, Bernheim, Liégois, Beaunis, Bérillon appliquent sa méthode d’une manière éclatante. Il a conquis même le camp adverse. Le professeur Raymond, successeur de Charcot à la Salpêtrière, et son collaborateur Pierre Janet se filient au moins autant au docteur Liebeault qu’au maître de la Salpêtrière. Nous avons recueilli par écrit, comme pour le docteur Césare Lombroso, l’opinion du docteur Liebeault. Elle est indispensable à cette enquête, et elle dissipera peut-être maintes inquiétudes dans le public par sa lucidité et son bon sens.


« Cher monsieur,


» Ce n’est pas sans un certain charme que je réponds à la lettre que vous venez de m’écrire à propos du mysticisme, du spiritualisme, etc. Il est grand temps de porter la lumière dans ces productions ténébreuses de l’esprit humain.

» Ceci dit, je viens aux questions que vous me posez,

» 1° Y a-t-il, dans la recrudescence du mysticisme de notre époque, un signe de dégénérescence dans la marche de l’esprit humain ? Non. Il y a seulement une tendance de beaucoup d’esprits désillusionnés de leurs anciennes croyances par la lumière que la science porte dans leur esprit ; il y a une tendance vers l’adoption de connaissances nouvelles plus en harmonie avec leur besoin de croire et leur amour du merveilleux ; mais il n’y a pas déviation fausse dans la marche de l’esprit humain. Cependant, je ne pense pas que les clartés lumineuses que répand la science, toujours en voie de progrès, feront jamais disparaître entièrement ces tendances vers les explications mystérieuses, parce qu’en même temps il y aura toujours parallèlement pour la science qui les fait disparaître des limites dans l’inconnu qu’elle pourra reculer, mais franchir jamais.

» 2° Ma conviction est qu’il y a dans le mysticisme spirite des formations de phénomènes psychiques réels, mais ces phénomènes sont mal interprétés et n’ont presque jamais été rapportés à leur véritable cause. Cette cause n’est pas hors de l’homme, elle est en lui dans son cerveau, elle prend ses racines vraies surtout dans les états passifs dont le sommeil et les rêves sont le terrain de formation.

» 3° Les recherches expérimentales de MM. Crookes, Lombroso, etc., qui sont encore pour moi à être vérifiées, n’ont pas exercé sur mon esprit une influence convaincante. Je voudrais, dans des cas pareils, surveiller, voir, palper, etc., les phénomènes produits en présence de ces savants. Pourquoi les faits qu’ils rapportent sont-ils environnés de conditions si difficiles à réaliser, et pourquoi ne se manifestent-ils que sur des sujets privilégiés, sinon introuvables ?

» 4° Quant à la télépathie et à la communication de pensée (je me tais sur le dédoublement des personnes et sur les matérialisations, que je ne saurais envisager sérieusement) dont on n’a pas encore trouvé les conditions ni les lois, et dont, par conséquent, on n’a pas encore pu renouveler les phénomènes à volonté, je suis loin de les rejeter comme absurdes et je ne doute pas qu’on en trouvera le germe explicatif dans les propriétés actives du cerveau pensant et tel qu’il fonctionne normalement.

» 5° Comme les hommes sont insatiables de bonheur — ils en ont si peu ! — ils se forgent un monde meilleur au delà de leur vie terrestre. Ce qui les entretient surtout dans ces aspirations, ce sont les rêveries qu’ils font naître dans leur esprit, rêveries dont ils ne peuvent plus se déprendre et qu’ils transportent dans le monde de l’inconnu.

» Les croyances religieuses, nées dans les états passifs de la vie, me paraissent devoir se transformer, s’épurer fatalement, et même s’absorber les unes dans les autres ; et la science, grâce à l’esprit d’examen, tout en les disséquant et les réduisant à leurs éléments simples, en diminuera sans doute l’importance ; mais elle ne les pourra jamais détruire, parce qu’il y aura toujours pour les hommes des inconnues à chercher et de l’inconnaissable, c’est-à-dire un terrain sans limite et largement ouvert aux croyances mystiques invérifiables de ceux qui ont plus de sentiment et de sensibilité que de raison, et ils sont et seront toujours nombreux.

» A. Liebeault. »


Je ne saurais trop appeler l’attention des lecteurs les plus sérieux sur l’idée principale du docteur Liébeault : le phénomène psychique, quels que soient ses aspects extérieurs, même les plus bruyants, les plus grossiers, a, sans doute, sa source unique dans notre cerveau. Une analyse attentive nuit à l’hypothèse des spirites qui veulent voir partout, comme les fétichistes, des intelligences extérieures dans l’univers, tandis qu’ils sont dupes, le plus souvent je pense, sinon toujours, des seuls reflets de leur propre esprit. Il n’y a pas de manifestation psychique sans médium. C’est le cerveau humain qui est le créateur (au second degré du moins) de tous ces prodiges qu’il admire ensuite et attribue à d’autres qu’à lui par ignorance.

L’idée, selon Hegel, est la créatrice du monde. Il y a beaucoup de vrai dans ce mot d’un philosophe allemand. En tout cas notre âme anime sans cesse l’univers comme elle dirige notre corps ; c’est en elle et non pas hors d’elle, peut-être, qu’il faut chercher l’au delà et les forces inconnues.

Ce qui ne veut pas dire du tout que la suggestion explique l’inexplicable.

Il y a une multitude de phénomènes qui lui échappent et la dépassent — et je ne parle pas des phénomènes les plus hauts de l’occultisme, je citerai seulement les pressentiments et la divination…