Albin Michel (p. 293-308).



CHAPITRE XIX


LE TANEZROUFT


Pendant la première heure de notre fuite, le grand méhari de Cegheïr-ben-Cheïkh nous entraîna à une vitesse folle. Nous franchîmes au moins cinq lieues. Les yeux fixes, je dirigeais la bête vers le gour que m’avait indiqué le Targui et dont l’arête grandissait sur le ciel qui devenait pâle.

La vitesse faisait siffler à nos oreilles une légère brise. Les grandes touffes de retem fuyaient à droite et à gauche, squelettes sombres et décharnés.

Dans un souffle, j’entendis la voix de Tanit-Zerga.

— Arrête le chameau.

Je ne compris pas tout d’abord.

Et sa main serra violemment mon bras droit.

J’obéis. De très mauvaise grâce, le chameau ralentit sa course.

— Écoute, — fit la petite fille.

D’abord, je n’entendis rien. Puis ce fut un bruit très léger, un frôlement sec, derrière nous.

— Arrête le chameau, — commanda Tanit-Zerga. — Ce n’est pas la peine de le faire agenouiller.

Au même instant, une mince forme grise bondissait sur le méhari. Il repartit de plus belle.

— Laisse-le, — dit Tanit-Zerga. — Galé a sauté.

En même temps, je sentis sous ma main une touffe de poils hérissés. À la trace, la mangouste nous avait suivis et rejoints. J’entendais maintenant son souffle de brave petite bête haletante qui, progressivement, s’apaisait.

— Je suis heureuse, — murmura Tanit-Zerga.


Cegheïr-ben-Cheïkh ne s’était pas trompé. Nous doublâmes le gour comme le soleil naissait. Je regardai en arrière : l’Atakor n’était plus qu’un chaos monstrueux au milieu des buées nocturnes que traquait le petit jour. Il n’était déjà plus possible de discerner, parmi les pics anonymes, celui où Antinéa continuait à ourdir ses trames passionnées.

Tu sais ce que c’est que le Tanezrouft, le « plateau par excellence », le pays abandonné, inhabitable, la contrée de la soif et de la faim. Nous étions en cet instant engagés dans la partie de ce désert que Duveyrier appelle Tasili du Sud, et qui figure sur la carte du ministère des Travaux publics avec cette attrayante mention  : « Plateau rocheux, sans eau, sans végétation, inhospitalier pour l’homme et les animaux. »

Rien, sinon peut-être quelques portions du Kalahari, n’est plus affreux que ce désert de rocaille. Ah ! Cegheïr-ben-Cheïkh ne s’était pas trop avancé en affirmant qu’on ne songerait pas à nous y poursuivre.

De grands pans de ténèbres s’obstinaient encore à ne pas vouloir devenir clairs. Les souvenirs s’entre-choquaient dans ma tête avec la plus parfaite incohérence. Une phrase me revint, textuelle : « Il semblait à Dick que, depuis l’origine des temps, il n’avait fait autre chose, dans son obscurité, que de fendre l’air sur le dos d’un méhari. » J’eus un petit rire : « Depuis quelques heures, pensai-je, je cumule les situations littéraires. Tout à l’heure, à cent pieds au-dessus du sol, j’étais le Fabrice de la Chartreuse de Parme au flanc de son donjon italien. Maintenant, voilà que je suis sur mon méhari le Dick de la Lumière qui s’éteint fendant le désert à la rencontre de ses compagnons d’armes. » Je ris encore, puis je frémis, je songeai à la nuit précédente, à l’Oreste d’Andromaque qui accepte d’immoler Pyrrhus… Une situation bien littéraire, aussi…


Cegheïr-ben-Cheïkh avait compté huit jours pour notre arrivée aux régions boisées des Aouelimiden, annonciatrices des steppes herbeuses du Soudan. Il connaissait bien la valeur de sa bête. Tout de suite, Tanit-Zerga lui avait donné un nom, El-Mellen, le blanc, car ce magnifique méhari avait une robe presque immaculée. Il resta une fois deux jours sans manger, arrachant seulement, de-ci, de-là, une branche à quelque acacia-gommier, dont les hideuses épines blanches, longues de près de dix centimètres, me remplissaient de crainte pour l’œsophage de notre ami. Les puits repérés par Cegheïr-ben-Cheïkh étaient bien aux endroits indiqués mais nous n’y trouvions qu’une brûlante boue jaunâtre. Elle suffisait au chameau, si bien qu’au bout de cinq jours, grâce à des prodiges de tempérance, nous n’avions consommé que le contenu d’une des deux outres d’eau. À ce moment, nous pûmes nous croire sauvés.

Près d’une de ces flaques bourbeuses, je réussis ce jour-là à abattre d’un coup de carabine une gazelle des dunes, aux petites cornes droites. Tanit-Zerga dépouilla la bête, et nous nous régalâmes d’un beau cuissot cuit à point. Pendant ce temps, la petite Galé qui, pendant nos haltes du jour, au moment de la grande chaleur, ne cessait de fureter à travers les roches creuses, découvrit un ourane, un crocodile des sables, long de trois coudées, et eut tôt fait de lui tordre le cou. Elle mangea à ne plus pouvoir bouger. Il nous en coûta une pinte d’eau pour aider sa digestion. Nous la lui accordâmes de bon gré, car nous étions heureux. Tanit-Zerga ne me le disait pas, mais je voyais la joie où la mettait la conviction que je ne songeais plus à la femme au pschent d’or et d’émeraude. Et vraiment, ces jours-là, je n’y ai guère songé. Je ne pensais qu’à la chaleur torride qu’il faut éviter ; à l’outre de peau de bouc qu’il faut enfouir une heure au creux d’un rocher, si l’on veut que l’eau soit fraîche ; au bonheur intense qui vous prend lorsqu’on porte aux lèvres le gobelet de cuir débordant de cette eau salvatrice… Je puis le dire hautement, plus hautement que personne : les grandes passions, cérébrales ou sensuelles, sont affaires de gens dûment repus, désaltérés et reposés.

Il était cinq heures du soir. L’effroyable chaleur diminuait. Nous étions sortis de l’anfractuosité rocheuse où nous avions fait une petite sieste. Assis sur une grosse pierre, nous regardions l’occident devenir rouge.

Je déployai le rouleau de papier sur lequel Cegheïr-ben-Cheïkh avait tracé nos étapes jusqu’à la route du Soudan. Je constatai de nouveau avec joie que son itinéraire était exact, et que je l’avais suivi scrupuleusement.

— Après-demain soir, — dis-je, — nous serons sur le point de partir pour l’étape qui nous conduira, le lendemain, à l’aube, à l’oued Telemsi. Là, nous n’aurons plus à penser à l’eau.

Les yeux de Tanit-Zerga étincelèrent dans son visage amaigri.

— Et Gâo ? — demanda-t-elle.

— Nous ne serons plus qu’à une semaine du Niger. Et Cegheïr-ben-Cheïkh a dit que, de l’oued Telemsi, on achève la route sous les mimosas.

— Je connais les mimosas, — dit-elle. — Ce sont de petites boules jaunes, qui fondent dans la main. Mais je préfère les fleurs du câprier. Tu viendras avec moi à Gâo. Mon père, Sonni-Alkia a été tué, comme je te l’ai dit, par les Aouelimiden. Mais les gens de chez moi ont dû, depuis, reconstruire le village. Ils y sont habitués. Tu verras comme tu seras reçu.

— J’irai, Tanit-Zerga, j’irai, je te le promets… Mais il faut que, toi aussi, tu me promettes…

— Quoi ? Ah ! je devine. Tu me prends donc pour une petite sotte, si tu me crois capable de parler de certaines choses qui pourraient faire de la peine à mon ami.

En disant ces paroles, elle me regardait. La grande fatigue et les privations avaient comme stylisé son visage brun où les yeux brillaient, immenses… Depuis, j’ai eu le temps d’assembler les cartes, les compas, et de fixer à tout jamais l’endroit où, pour la première fois, j’ai compris la beauté des yeux de Tanit-Zerga.

Un grand silence régna entre nous. Ce fut elle qui le rompit.

— La nuit va tomber. Il faut manger, pour pouvoir repartir le plus vite possible.

Elle se leva et alla vers le rocher.

Presque aussitôt j’entendis sa voix qui m’appelait, et cela avec une intonation d’angoisse qui me glaça.

— Viens. Oh ! viens voir.

D’un bond, je fus auprès d’elle.

— Le chameau, — murmura-t-elle, — le chameau !

Je regardai, et un mortel frisson me traversa.

Étendu tout de son long de l’autre côté de la roche, ses flancs pâles secoués par de brusques convulsions, El-Mellen était en train d’agoniser.

Sur la fièvre avec laquelle nous nous empressâmes auprès de cette bête, il n’est guère besoin d’insister. De quoi mourait El-Mellen, je ne le savais pas. Je ne l’ai jamais su. Tous les méhara sont ainsi. Ce sont à la fois les bêtes les plus robustes et les plus délicates. Ils chemineront six mois à travers les plus affreuses solitudes, peu nourris, pas abreuvés, et ne s’en porteront que mieux. Puis, un jour que rien ne leur fait défaut, ils s’allongent sur le flanc, et vous faussent compagnie avec une simplicité déconcertante.

Quand nous vîmes, Tanit-Zerga et moi, qu’il n’y avait plus rien à faire, nous nous relevâmes et regardâmes sans mot dire les sursauts de l’animal qui diminuaient. Lorsqu’il exhala son dernier souffle, nous sentîmes que c’était également notre vie à nous qui s’envolait.

Ce fut Tanit-Zerga qui, la première, prit la parole.

— À combien sommes-nous de la route du Soudan ? — demanda-t-elle.

— Nous sommes à deux cents kilomètres de l’oued Telemsi, — répondis-je. — On peut gagner trente kilomètres en marchant vers Iferouane, mais sur ce parcours les puits ne sont pas tracés.

— Il faut marcher alors vers l’oued Telemsi, — dit-elle. — Deux cents kilomètres, cela fait sept jours ?

— Sept jours au moins, Tanit-Zerga.

— À combien est le premier puits ?

— À soixante kilomètres.

Les traits de la petite fille se contractèrent un peu. Mais elle se raidit vite.

— Il faut partir tout de suite.

— Partir, Tanit-Zerga, partir, à pied !

Elle frappa le sol. J’admirai de la voir si forte.

— Il faut partir, — répéta-t-elle. — Nous allons manger et boire ! et faire aussi manger et boire Galé, puisque nous ne pouvons pas emporter toutes les boîtes de conserves, et que l’outre est si lourde que nous n’irions pas dix kilomètres en nous en chargeant. Nous mettrons un peu d’eau dans une boîte de conserves, après l’avoir vidée par un petit trou. Cela nous servira pour l’étape de cette nuit, qui sera une étape de trente kilomètres sans eau. Puis, demain soir, nous partirons pour une nouvelle étape de trente kilomètres, et nous arriverons au puits marqué sur le papier de Cegheïr-ben-Cheïkh.

— Ah ! murmurai-je désolé, — si mon épaule n’était pas comme elle est, j’aurais pu me charger de l’outre.

— Elle est comme elle est, — dit Tanit-Zerga. — Tu prendras la carabine et deux boîtes de conserves. Moi, j’en porterai deux autres, plus celle où il y aura de l’eau. Viens, maintenant. Il faut être parti dans une heure, si nous voulons faire l’étape de trente kilomètres. Tu sais que, quand le soleil est né, les rochers sont si chauds qu’on ne peut plus marcher.

Dans quel morne silence s’acheva cette heure dont le début nous avait trouvés si confiants, je le laisse à supposer. Je crois que, sans la petite fille, je me serais assis sur la roche, et aurais attendu. Seule, Galé était heureuse.

— Il ne faut pas trop la laisser manger, — dit Tanit-Zerga. — Elle ne pourrait pas nous suivre. Puis, demain, il faudra qu’elle travaille. Si elle prend un autre ourane, ce sera pour nous.


Tu as marché dans le désert. Tu sais que les premières heures de la nuit sont terribles. Quand la lune paraît, énorme et jaune, il semble qu’une âcre poussière s’élève et monte en buées suffocantes. On a un mouvement de mâchoire machinal et continu, comme pour broyer cette poussière qui pénètre dans la gorge en feu. Puis, est-ce l’habitude, une sorte de repos, de somnolence survient. On chemine sans penser. On oublie qu’on marche. Il faut qu’on butte pour s’en souvenir. Il est vrai qu’on butte souvent. Mais enfin, c’est supportable. « La nuit va finir, se dit-on, et avec elle, l’étape. Somme toute, je suis moins fatigué maintenant qu’au départ. » La nuit se termine, et c’est pourtant alors l’heure la plus atroce. On meurt de soif et on tremble de froid. Toute la fatigue revient en masse. L’horrible petit vent précurseur de l’aube, ne vous est d’aucun soulagement, au contraire. À chaque faux pas, on se répète : le prochain sera le dernier.

Voilà ce que ressentent, ce que disent les gens qui savent pourtant que dans quelques heures les attend une bonne halte, avec à boire, à manger…

Je souffrais abominablement. Tous les heurts se répercutaient dans ma pauvre épaule. À un moment, j’eus envie de m’arrêter, de m’asseoir. J’aperçus alors Tanit-Zerga. Les yeux presque clos, elle avançait. Il y avait sur son visage un indicible mélange de souffrance et de volonté. Je fermai moi-même les yeux, et continuai.

Telle fut la première étape. Au petit jour, nous nous arrêtâmes dans un creux de rocher. Bientôt la chaleur nous obligea à nous relever pour en trouver un autre plus profond. Tanit-Zerga ne mangea pas. Elle avala en revanche d’un trait sa demi-boîte d’eau. Elle resta assoupie tout le jour. Galé tournait autour de notre rocher en poussant de petits cris plaintifs.

Je ne parle pas de la seconde étape. Elle passa en horreur tout ce que l’on peut imaginer. Je souffris ce qu’il est humainement possible de souffrir dans le désert. Mais déjà je m’apercevais avec une infinie pitié que ma force d’homme commençait à prendre le dessus sur les nerfs de ma petite compagne. La pauvre enfant allait, sans un mot, son haïk, dont elle mâchonnait un coin, rabattu sur la face. Galé suivait.

Le puits vers lequel nous nous traînions était indiqué sur le papier de Cegheïr-ben-Cheïkh par le mot Tissaririn. Tissaririn est le duel de Tessarirt et veut dire deux arbres isolés.

Le jour naissait quand, enfin, j’aperçus les deux arbres, deux gommiers. Une lieue à peine nous en séparait, j’eus un hurlement de joie.

— Tanit-Zerga, courage, voilà le puits !

Elle écarta son voile, j’aperçus le pauvre visage angoissé.

— Tant mieux, — murmura-t-elle. — Tant mieux, parce qu’autrement…

Elle ne put achever.

Le dernier kilomètre, nous l’achevâmes presque en courant. On voyait déjà le trou, l’orifice du puits.

Enfin, nous l’atteignîmes.

Il était vide !


C’est une étrange sensation que de mourir de soif. D’abord, les souffrances sont terribles. Puis, elles s’apaisent. L’insensibilité vous gagne. De ridicules petits détails de votre vie surgissent, volent autour de vous comme des moustiques. Je me mis à me rappeler ma composition d’histoire pour l’entrée à Saint-Cyr, la campagne de Marengo. Obstinément, je me répétais : « J’ai dit que la batterie démasquée par Marmont au moment de la charge de Kellermann avait dix-huit pièces… Or, je me souviens, maintenant, elle n’était que de douze pièces. J’en suis sûr, de douze pièces.

Je répétai encore :

« De douze pièces. »

Et je tombai dans une sorte de coma.

J’en fus tiré par la sensation d’un fer rouge sur mon front. J’ouvris les yeux. Tanit-Zerga était penchée sur moi. C’était sa main qui me brûlait ainsi.

— Lève-toi, — me dit-elle. — Partons.

— Partir, Tanit-Zerga ! Le désert est en feu, le soleil est au zénith. Il est midi.

— Partons, — répéta-t-elle.

Alors, je vis qu’elle délirait.

Elle était debout : son haïk avait glissé à terre. La petite Galé y dormait en rond.

Tête nue, sans souci de l’effroyable soleil, elle répétait :

— Partons.

Un peu de raison me revint.

— Couvre ta tête, Tanit-Zerga. Couvre ta tête.

— Partons, — répéta-t-elle, — partons. Gâo est là, tout près, je le sens. Je veux revoir Gâo.

Je l’obligeai à s’asseoir, à mon côté, dans l’ombre d’une roche. Je sentis que toute force l’avait abandonnée. L’immense pitié qui me prit me rendit mon bon sens.

— Gâo est là, tout près, n’est-ce pas ? — dit-elle.

Et ses yeux qui brillaient devinrent suppliants.

— Oui, petite, petite fille aimée. Gâo est là. Mais pour Dieu, allonge-toi. Le soleil est mauvais.

— Ah ! Gâo, Gâo ! Je savais bien, — répéta-t-elle. — Je savais bien que je reverrais Gâo.

Elle s’était redressée sur son séant. Ses petites mains de feu étreignaient les miennes.

— Écoute. Il faut que je te dise, pour que tu puisses comprendre, pourquoi je savais que je reverrais Gâo.

— Tanit-Zerga, calme-toi, ma petite fille, calme-toi !

— Non, il faut que je te dise. C’était, il y a bien longtemps, au bord du fleuve qui a de l’eau, à Gâo, enfin, où mon père était prince… Eh bien, un jour, un jour de fête, il vint de l’intérieur des terres un vieux sorcier, vêtu de peaux et de plumes, avec un masque et un bonnet pointu, des castagnettes, deux najas dans un sac. Sur la place du village, où tous les nôtres faisaient cercle, il dansa la boussadilla. J’étais au premier rang, et parce que j’avais un collier de tourmaline rose, il vit bien que j’étais la fille d’un chef sonrhaï. Il me parla alors du passé, du grand empire mandingue, sur lequel mes pères ont régné, de nos ennemis, les féroces Kountas, de tout, enfin, puis il me dit…

— Calme-toi, petite fille.

— Puis il me dit : « N’aie crainte. Les jours peuvent être méchants pour toi, qu’importe, puisqu’un jour, à l’horizon, tu verras luire Gâo, non plus Gâo asservi et réduit au rang d’une infime bourgade nègre ; mais le Gâo splendide d’autrefois, la grande capitale du pays des noirs, Gâo régénéré, avec la mosquée à sept tours et aux quatorze coupoles de turquoise, avec les maisons aux frais patios, les jets d’eau, les jardins irrigués, tout emplis de grandes fleurs rouges et blanches… Alors, ce sera pour toi l’heure de la délivrance et de la royauté. »

Tanit-Zerga était maintenant droite. Sur nos têtes, autour de nous, partout, le soleil crépitait sur la hamada, la brûlait à blanc.

L’enfant tendit soudain le bras. Elle poussa un cri terrible.

— Gâo. Voilà Gâo.

Je regardai.

— Gâo, — répétait-elle. — Ah ! je le savais bien. Voilà les arbres et les fontaines, les coupoles et les tours, les palmiers, et les grandes fleurs rouges et blanches. Gâo !…

À l’horizon en flammes, une ville fantastique montait, en effet, étageait ses prodigieux édifices d’arc-en-ciel. Devant nos yeux agrandis, l’atroce mirage multipliait son abominable fièvre.

— Gâo, — criai-je, — Gâo.

Et, presque aussitôt, je poussai un autre cri, de douleur et d’horreur, celui-là. La petite main de Tanit-Zerga, je la sentis mollir dans la mienne. J’eus tout juste le temps de recevoir dans mes bras l’enfant, et de l’entendre me murmurer, comme dans un souffle :

— Alors, ce sera l’heure de la délivrance. L’heure de la délivrance et de la royauté.


Ce fut quelques heures plus tard, que, m’aidant du couteau qui lui avait servi deux jours auparavant à dépouiller la gazelle des dunes, je creusai dans le sable, au pied du rocher où elle avait rendu l’âme, la fosse où allait dormir Tanit-Zerga.

Quand tout fut prêt je voulus revoir le cher petit visage. J’eus une courte défaillance… Vite je ramenai sur la face brune le haïk blanc et je déposai dans la fosse le corps de l’enfant.

J’avais compté sans Galé.

La mangouste ne m’avait pas quitté des yeux, pendant tout le temps que j’accomplissais ma triste besogne. Quand elle entendit les premières poignées de sable rouler sur le haïk, elle poussa un cri strident. Je la regardai, je la vis, les yeux rouges, prête à bondir.

— Galé ! — suppliai-je.

Et je voulus la caresser.

Elle me mordit la main, puis, ayant sauté dans la fosse, se mit à gratter, écartant furieusement le sable.

Par trois fois, j’essayai de l’éloigner. Je sentais que jamais je n’arriverais au bout de ma tâche, et que, même si j’y parvenais, Galé resterait là et déterrerait le corps.

Ma carabine était à mes pieds. Une détonation secoua les échos de l’immense désert vide. L’instant d’après, Galé, couchée sur le cou de sa maîtresse, à l’endroit où je l’avais vue tant de fois, dormait elle aussi de son dernier sommeil.


Quand il n’y eut plus à la surface du sol qu’un léger tertre de sable piétiné, je me levai en chancelant, et m’en allai dans le désert, au hasard, vers le Sud. »