Eugène Fasquelle (p. 168-182).
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XIV

Jacques revenait comme autrefois dans la pièce de coupe. L’ancienne voisine de Sandrine nous en avait raconté long sur les tourments du pauvre garçon.

Son divorce d’abord, que sa femme avait facilement obtenu contre lui, et dans le même temps, la grande maladie qui avait fait mourir sa mère. Puis, lorsque tout lui avait manqué à Paris, il s’en était allé au pays de Sandrine vers ses deux petits et leur grand’mère dont il ne savait plus rien depuis des mois. Mais là encore tout lui avait manqué. La mère de Sandrine n’avait pas pu supporter son dur chagrin, et il avait fallu aussi la conduire au cimetière. Et pour que le malheur fût complet, comme les enfants ne portaient pas le nom de leur père et qu’il ne leur restait aucun parent, on les avait mis à l’Assistance publique comme de petits abandonnés. Maintenant Jacques s’enfermait chaque soir avec sa peine dans la petite chambre de Sandrine où il s’était installé à demeure. Sa voisine, qui le prenait en grande pitié, nous appelait à son secours :

— Si personne ne lui tend la main, il mourra aussi.

Et elle avait ajouté avec un air de crainte :

— Il y a des nuits où il pleure comme un fou.

La première visite de Jacques n’avait guère duré qu’un quart d’heure, et il était reparti plus défait qu’à son arrivée. Cependant il était revenu au bout d’une semaine, et maintenant ses visites se faisaient plus régulières. Quelquefois encore, il passait sur le trottoir d’en face sans oser monter, mais le patron qui l’aimait le guettait et lui faisait des signes. Cela l’amusait, et il riait pour nous dire : « Je fais comme Bergeounette avec son manchot. »

Jacques ne se faisait pas répéter les signes et peu après son grand corps apparaissait dans la porte. À mesure que les jours se déroulaient, il devenait plus expansif, et bientôt il put parler du passé sans que sa voix s’effaçât trop brusquement.


Mme Dalignac imaginait mille moyens qui lui permettraient de reprendre ses enfants, mais aucun n’était possible. Il eût fallu avant tout une femme à Jacques.

— Bien sûr, disait-elle. Il ne manque pas d’hommes veufs qui se tirent d’affaire avec deux enfants. Mais Jacques…

Et son bras levé très haut restait comme en suspens.

Elle en vint tout naturellement à penser à Gabielle qui était honnête et courageuse.

Elle croyait qu’un mariage entre elle et Jacques était une chose raisonnable qui pouvait rendre à tous deux la tranquillité et leur apporter un peu de bonheur dans l’avenir.

Elle dit à Jacques :

— Vous aurez trois enfants dès votre entrée en ménage. Voilà tout.

Jacques se fit tout de suite à l’idée d’épouser Gabielle. Il la trouvait plus à plaindre que lui encore, et tout ce que disait Mme Dalignac lui semblait juste.

Il ne fut pas aussi facile de parler à Gabielle, tant elle apportait d’indifférence à la personne de Jacques. Il ne comptait pas plus pour elle qu’une machine à coudre ou que la table de coupe contre laquelle elle s’appuyait dans ses moments de désespoir, et jamais elle ne s’était inquiétée de sa présence, lorsqu’elle étalait ses colères ou laissait couler ses larmes.

Jacques avoua modestement :

— Je crois bien qu’elle ne m’a jamais regardé.

Pour attirer l’attention de Gabielle il lui offrit plusieurs fois son bras dans la rue. Elle acceptait, tout heureuse d’avoir l’air d’une femme mariée aux yeux des passants ; mais arrivée à sa porte elle retirait son bras en disant : « Merci » d’un air distrait, comme si quelqu’un lui eût simplement prêté une canne pour l’aider à franchir un pas difficile.

Il fallut pourtant se décider à lui parler de ce mariage. Elle ne répondit ni oui, ni non. Elle laissa seulement voir un étonnement excessif. Mais à partir de ce jour-là, elle regarda souvent Jacques et refusa son bras pour marcher dans la rue.


Le mois de juin arrivait avec ses fleurs et sa chaleur. Les marronniers de l’avenue haussaient leurs branches jusqu’à l’atelier et du matin au soir le soleil entrait par les fenêtres ouvertes. Malgré cela, les forces du patron déclinaient et sa maigreur augmentait.

« Il lui manque l’air des Pyrénées », disait à chaque visite M. Bon. Mme Dalignac pensait de même. Mais rien, ni personne, ne pouvait décider le malade à quitter Paris. Couché de travers sur sa chaise longue, attentif à tous les mouvements de sa femme, il restait à la regarder sans jamais se lasser.

— Au moins, supplia M. Bon, ne restez pas dans cette poussière de tissus, allez respirer dehors.

Et il indiqua les avenues voisines, et le jardin du Luxembourg où l’on pouvait se promener ou se reposer à l’aise.

— Oui, oui, répondait le patron, je sortirai demain.

Et le lendemain il restait comme la veille à suivre des yeux sa femme qui, sans jamais se lasser non plus, soulevait à pleins bras les lourdes pièces d’étoffes, pour les dérouler sur la table et couper plusieurs vêtements à la fois.

Avec le beau temps l’envie du balcon d’en face le reprenait. Il bougonnait contre ceux qui avaient la chance de le posséder et qui n’en jouissaient pas. En effet, jamais personne n’y venait à ce balcon, ainsi que l’avait prédit Bouledogue. Il ne servait qu’à battre des tapis, et déjà de larges taches grises apparaissaient sur ses barreaux tournés et sur la blancheur de ses pierres.

Pour décider le patron à sortir, Mme Dalignac prit le parti de m’envoyer chaque jour au Luxembourg avec lui. Il était de mauvaise humeur tout le long du chemin, et nous n’étions pas encore arrivés au jardin qu’il me rappelait déjà l’heure du retour. Il ne croyait pas à sa guérison et il me blâmait d’obéir à sa femme. Aussi, après avoir placé sa chaise tout près de la sortie, il affectait d’oublier ma présence, et dépliait vite son journal qu’il mettait entre nous deux. Cependant il ne le lisait guère, il regardait surtout les belles promeneuses, et quand l’une d’elles offrait quelque ressemblance avec Mme Dalignac il redevenait aimable avec moi en attirant mon attention :

— Dites, petite Marie-Claire, regardez un peu celle-ci. Elle lui ressemble, hein ! Mais tout de même, elle n’est pas aussi bien faite.

C’était vrai, presque toujours, car il était difficile d’être aussi bien faite que Mme Dalignac.

Après une semaine de grognements et de révoltes, il prit goût au jardin.

La terrasse toute brûlante de chaleur l’attirait plus que l’ombre et la fraîcheur des arbres, et lorsqu’il rencontrait un banc de pierre placé en plein soleil, il s’y asseyait largement et le touchait aussi des mains comme pour en prendre toute la tiédeur.

La pépinière et le bois avaient bien changé depuis la Noël. Les pigeons tout habillés de neuf s’y promenaient maintenant deux par deux, et les moineaux tout occupés de leur nid oubliaient de se disputer pour voler vers tous les brins de duvet qui passaient dans l’air.

Gabielle qui ne pouvait plus faire sa journée complète venait parfois nous rejoindre. Elle tournait le dos aux passants et se tenait raide sur le banc, comme si elle voulait dissimuler sa grossesse aux merles qui couraient tout inquiets à travers la pelouse.

Jacques aussi venait nous rejoindre. À l’encontre de Gabielle, il se tenait sur le banc comme un bossu, et n’essayait même pas de réprimer le tremblement nerveux qui lui écartait brusquement les coudes du corps et le secouait profondément.

À droite et à gauche de nous, des jeunes mères, au visage paisible, surveillaient d’un coup d’œil leurs bambins déjà grands ou balançaient d’une main la petite voiture qui servait de berceau à leur nouveau-né.

Jacques évitait de regarder les enfants et les mères, et Gabielle, les épaules droites et les yeux fermés, pleurait et se lamentait tout bas.


Il m’avait fallu moins d’une semaine, à moi, pour prendre goût au jardin du Luxembourg. J’y vivais dans une sorte d’enchantement qui me faisait oublier le patron et ses bouderies.

J’imaginais que le jardin voguait dans l’espace, et que ses grilles aux lances dorées n’étaient là que pour en maintenir les bords.

Très hautes parmi les arbres, les reines, toutes blanches sur leur piédestal, me faisaient penser à des anges prêts à s’envoler. Et dans le lointain les tours de Saint-Sulpice dont on n’apercevait que le faîte, semblaient placées dans le ciel comme des reposoirs.

Les bruits de la ville n’arrivaient pas jusqu’à nous, et le vent qui passait dans les feuilles était doux à entendre comme un froissement de soie.

À tout instant dans ma mémoire la voix de Bergeounette chantait la chanson du Paradis terrestre :


    Dans un jardin délicieux,
      Tout près des cieux…

Par delà les allées, lorsqu’un groupe d’enfants vêtus de couleurs claires passaient en courant, je croyais voir des touffes de fleurs échappées aux plates-bandes et s’enfuyant vers les sous-bois.

Sur les bancs et sur les chaises, des couples restaient inactifs et silencieux, comme écrasés de bonheur.

D’autres couples, très jeunes, très graves et le regard fixé en avant, s’en allaient à pas pressés vers la pépinière.

Puis le soir tombait, et brusquement une sonnerie de clairon nous avertissait qu’on allait fermer les portes. Et de nouveau je pensais à la chanson de Bergeounette :


    Adam, Adam, entends ma voix,
       Sors de ce bois.

Le patron se levait, et comme s’il eût pensé aussi à la chanson, il me disait avec ennui :

— Allons, petite, on nous chasse.


Malgré sa faiblesse le patron était toujours présent le matin à l’arrivée des ouvrières, et il trouvait encore des choses drôles à dire aux retardataires :

— C’est la faute à l’édredon, je parie.

À Duretour, dont le chignon n’était pas plus lisse que la veille, il disait :

— L’oreiller vous tirait par les cheveux, hein ?

Le repos qu’il prenait ne ramenait guère de couleur à son visage, et il supportait difficilement le bruit des machines. Il devint peureux, et bientôt les bruits inconnus le troublèrent plus que de raison. Il lui arrivait de poser la main sur nos ciseaux pour nous dire :

— Écoutez donc, qu’est-ce qui fait ça ?

Nous écoutions et Mme Dalignac se moquait doucement, à voix basse :

— Ça, c’est un lion qui entre par le trou de la serrure.

Il riait avec nous, et un peu de rouge venait à ses joues.

Un matin qu’il avait vu sortir une petite souris de la caisse à chiffons, il eut presque une colère en exigeant que Duretour allât tout de suite chercher le chat du voisin.

C’était un gros chat né dans l’appartement d’à côté et qui n’avait jamais vu de souris. On le rencontrait souvent sur le palier où il recherchait les caresses des ouvrières. Aussitôt entré, il sauta sur les machines, et il fit le tour de l’atelier en flairant dans tous les coins, puis, quand il eut tout vu, il se fourra dans un casier vide pour y dormir à son aise.

La petite souris se doutait du danger. Elle montra plusieurs fois son fin museau entre le mur et le dessus de la cheminée, mais elle n’osa pas aller plus loin. Puis comme le gros chat dormait toujours, elle s’enhardit et traversa l’atelier pour gagner la cuisine.

Elle recommença les jours suivants. Elle passait toute menue et vive avec sa jolie robe grise, et Bergeounette, qui la guettait, riait de la voir si adroite.

Pourtant le chat l’aperçut, il sauta lourdement de sa planche et s’en alla derrière elle dans la cuisine. Il revint peu après, mais son allure était changée. Il avançait avec précaution et tout son corps s’allongeait, ses yeux étaient plus jaunes aussi, et il étirait longuement ses griffes. Il fit encore le tour de l’atelier, mais au lieu de retourner à son casier, il se plaça sous un tabouret tout près de la cheminée. Il avait l’air de dormir nez sur ses pattes, mais l’une ou l’autre de ses oreilles restait constamment dressée, et l’on voyait une raie claire entre ses paupières.

La petite souris ne se pressait pas de revenir, et personne ne pensait plus à elle ni au chat, lorsqu’on entendit un cri si fin et si long que toutes les machines s’arrêtèrent et que tout le monde regarda vers le tabouret. Le chat y était encore, mais il se tenait couché sur le côté, et, sous l’une de ses pattes, allongée, la queue de la souris dépassait et traînait comme un bout de cordon noir. Presque aussitôt le cordon noir s’agita, et la souris s’échappa. Elle n’alla pas loin, le chat lui barra la route et la retourna d’un coup de patte. Elle resta un instant comme morte, puis elle essaya de filer vers la cuisine ; le chat se trouva encore devant elle.

Alors elle s’affola ; elle voulait fuir n’importe où et n’importe comment, elle tournait ou se lançait dans toutes les directions, et toujours, d’un coup de griffes, le chat la ramenait dans l’atelier. Il y eut un moment où l’on crut qu’elle allait se résigner à mourir, tant elle était tremblante et affaissée. Mais soudain, elle fit face à son bourreau. Elle s’était dressée si vite que son élan avait failli la renverser en arrière ; elle resta debout toute frémissante en agitant ses pattes de devant, tandis que sa petite gueule saignante laissait échapper des cris variés et suivis. Et chacune de nous comprit bien qu’elle accablait d’injures l’énorme monstre qui la regardait tranquillement assis en penchant la tête. Puis, comme si elle eût mesuré d’un coup toute sa faiblesse, et compris que rien ne pourrait la sauver, elle vacilla et retomba en poussant une plainte aiguë. Et cela fut si pitoyable que Bouledogue saisit le chat par le milieu du dos et le jeta sur la table. Il redescendit très vite, mais la souris n’était plus là.

Le patron retourna à sa chaise longue, et on ne sut pas s’il était fâché ou content lorsqu’il dit :

— La voilà échappée.

Mme Dalignac respira fort, et ses deux poings qu’elle tenait serrés contre sa poitrine s’ouvrirent brusquement comme si elle-même n’avait plus rien à craindre.


Le lendemain de ce jour on s’aperçut que Gabielle souffrait. Elle arrêtait sa machine et se courbait en deux pendant une minute, puis elle reprenait son travail sans rien dire.

Bergeounette la plaisanta :

— Est-ce que c’est pour aujourd’hui ?

Et elle s’offrit à l’accompagner sans retard à la Maternité.

Gabielle avait peur de l’hôpital. On avait beau lui dire que la Maternité n’était pas un hôpital ; elle n’en croyait rien. Et, à l’idée d’y aller ainsi, tout de suite, sans pouvoir y réfléchir encore, sa répugnance augmentait, et elle affirma ne souffrir que d’un malaise passager.

Félicité Damoure, qui venait d’avoir un enfant, lui donna raison contre les autres :

— Pardi ! Elle a le temps, la pôvre. Quand le moment sera venu, vous lui verrez faire une autre grimace.

Mais comme Gabielle continuait à se plier en deux, Bergeounette lui mit de force son manteau et l’obligea à quitter l’atelier.

Ce fut parmi nous comme un grand événement et la plupart des ouvrières se mirent à la fenêtre pour voir Gabielle traverser l’avenue. Mme Dalignac et le patron firent de même, et je m’approchai pour regarder comme eux.

Un lourd camion attelé de trois chevaux qui montait lentement l’avenue empêcha les deux femmes de traverser immédiatement, et Bergeounette en profita pour se retourner vers nous et nous faire des signes d’adieu. On vit bien que Gabielle voulait en faire autant, mais en se retournant ses deux pieds échappèrent à la bordure du trottoir, et elle tomba à la renverse devant l’attelage.

Il y eut des cris. Le cheval de flèche recula, se cabra et monta sur le trottoir. Puis on vit Bergeounette saisir la bride des chevaux pendant que le conducteur debout sur son siège tirait à pleines mains sur les guides.

Des gens accouraient, mais déjà Gabielle se relevait sans aide et se secouait.

Mme Dalignac n’avait pas attendu la fin pour courir en bas. Elle soutint Bergeounette autant que Gabielle, et toutes trois remontèrent lentement.

Les yeux vifs de Bergeounette s’écarquillaient, et son visage brun avait pris une teinte terreuse :

— Jamais je n’ai eu si peur, avoua-t-elle.

Et comme elle ne perdait jamais l’occasion de se moquer d’elle-même autant que des autres, elle exagéra sa faiblesse avec des mots et des grimaces qui ramenèrent bruyamment la gaîté.

Gabielle riait. Elle n’avait pas voulu s’étendre sur la chaise longue du patron, et elle refusait le cordial que Mme Dalignac lui offrait. Elle riait sans bruit et son rire avait quelque chose de surnaturel. La pâleur de son visage avait aussi quelque chose de surnaturel, et n’était pas plus agréable à voir que son rire, mais toute la dureté de ses traits était partie et son regard redevenait doux et confiant. Elle reprit sa machine et il ne fut plus question d’accouchement ce jour-là.

Il n’en fut pas davantage question le lendemain ni les jours suivants. Et si Gabielle se pliait encore en deux de temps à autre, elle ne se plaignait pas, et sa machine ne faisait pas moins de bruit que celle des autres.

Huit jours étaient déjà passés lorsque M. Bon vint faire sa visite au patron. Parce qu’il s’était intéressé à Gabielle, le patron lui raconta sa chute comme une histoire drôle, mais M. Bon ne trouva pas l’histoire si drôle et il avança un peu la tête dans l’atelier pour regarder Gabielle. À peine l’eut-il regardée que ce fut comme un nouvel accident qui arrivait. Il se pencha sur elle, la saisit à l’épaule et avant qu’elle ait pu résister, il l’entraîna vers la porte.

Les fenêtres s’ouvrirent comme la fois d’avant, et l’on vit Gabielle moitié tirée, moitié portée par M. Bon jusqu’à une voiture qui s’éloigna aussitôt.

Tout le monde crut à un accouchement précipité. Gabielle elle-même avait dû y croire ; car à son passage dans la pièce de coupe, elle avait tourné vers nous un visage désolé. À cet instant seulement j’avais remarqué ses paupières violacées et ses lèvres d’une couleur si sombre qu’elles en paraissaient noires.

M. Bon ne tarda pas à revenir chercher son chapeau qu’il avait oublié. Il eut un haussement d’épaules plein de mépris pour notre ignorance, quand il dit un peu rudement :

— Elle porte son enfant mort depuis le jour de sa chute.

Après une semaine on sut que Gabielle échapperait à la mort, et qu’elle avait supporté ses souffrances avec le plus grand courage.

Le dimanche suivant, à l’heure de la visite aux malades, je retrouvai Bergeounette à la Maternité. Il ne fallait pas penser à faire parler Gabielle, mais Bergeounette se rattrapait en posant mille questions à l’infirmière, qui nous retenait à l’écart du lit de la malade.

La dernière question fut celle qui nous intéressait le plus :

— Était-ce une fille ou un garçon ?

L’infirmière n’avait pas songé à s’en informer, et ses deux mains ensemble firent un geste d’indifférence quand elle répondit :

— Ce n’était qu’un peu de chair en décomposition.

À peine dehors, Bergeounette me prit le bras pour dire :

— Quelle chance pour elle que cette chute.

Elle ajouta avec le ton grave qu’elle avait parfois :

— L’enfant s’en est allé comme le père était venu, sans que Gabielle ait vu la forme de son corps ni la couleur de son visage.