P. Ollendorff (p. 34-37).


Scène VI


MADAME PÉRARD, ANGÉLIQUE.
MADAME PÉRARD, entre par la porte de droite, passe derrière la table et descend à l’avant-scène gauche.

A-t-on jamais vu un pareil emportement ! Il est fou.

ANGÉLIQUE, retire le couvert et le porte au dressoir de droite.

Non, madame, mais il est jaloux, et c’est tout comme.

MADAME PÉRARD.

M. Lecoincheux ? Il ne me fera jamais tant d’honneur. D’ailleurs, je vous demande un peu, mademoiselle, de qui il pourrait être jaloux ?

ANGÉLIQUE.

Pardienne ! de… Madame sait bien.

MADAME PÉRARD.

Je ne sais pas ce que vous voulez dire.

ANGÉLIQUE.

Faut croire que madame porte à la tête, car l’autre est presque aussi fêlé.

MADAME PÉRARD.

Quel autre ?

ANGÉLIQUE.

Eh bien ! M. Philippe Roquet !… Celui qui tourne autour de madame depuis quinze jours, en poussant des soupirs à faire tourner les moulins.


MADAME PÉRARD, passe à l’avant-scène droite.

Ah ! oui, ce jeune homme !

ANGÉLIQUE, descend à l’avant-scène milieu.

Un bien joli jeune homme, madame !

Elle remonte au dressoir de droite.
MADAME PÉRARD.

Que nous importe ?

ANGÉLIQUE., redescend à l’avant-scène milieu.

Pardon, madame, mais puisque les affaires s’embrouillent, il faut que madame sache tout.

MADAME PÉRARD, sèchement.

Il y a donc des choses que je ne sais pas ?

ANGÉLIQUE.

Madame est si bonne qu’elle m’excusera. Mais il était si malheureux, il avait si bonne envie d’admirer madame… de loin ! Et comme en ce temps-là, le pavillon ne servait à personne, j’ai pris sur moi de le loger ici.

MADAME PÉRARD, remonte à la chaise à gauche de la table.

Vous auriez pu demander la permission.

ANGÉLIQUE.

Madame aurait été obligée de me la refuser, tandis que, venant de moi, la chose ne compromettait personne. Madame ne l’a jamais aperçu ?

MADAME PÉRARD, s’assied.

Au moins vous auriez dû lui dire de se mieux cacher. Il passait la journée à la fenêtre et l’on ne pouvait faire un pas dans la grande allée sans apercevoir sa figure entre les rideaux.

ANGÉLIQUE, qui est remontée derrière la table.

Ça, c’est de l’indiscrétion. Mais pouvait-on prévoir que madame se promènerait tous les jours dans cette vilaine allée où elle ne va jamais ?

MADAME PÉRARD.

Angélique !

ANGÉLIQUE.

Madame m’excusera ! mais ces malheurs-là n’arrivent qu’à moi. C’est comme un fait exprès.

MADAME PÉRARD, se lève et descend à l’avant-scène, à gauche.

Taisez-vous ! Votre légèreté peut avoir des conséquences fatales. Il ne faudrait rien de plus pour faire manquer un mariage, ennuyeux sans doute, mais convenable à tous les points de vue, honorable même, et décidé depuis longtemps.

ANGÉLIQUE, descendant à l’avant-scène, au milieu.

Ah ben ! madame, si ce mari-là vous manquait, il ne faudrait pas aller bien loin pour en trouver un plus jeune et un plus joli.

MADAME PÉRARD.

Laissez-moi ! vous me rompez la tête.

ANGÉLIQUE, remonte derrière la table.

J’m’en vas, madame. C’est égal… un plus jeune et un plus joli !…

Elle sort par la porte de droite.