L’Art de péter/Chapitre sixiéme

Florent-Q., rue Pet-en-Gueule, au Soufflet (p. 44-58).

CHAPITRE SIXIÉME.

Le petit Pet ou le ſemi-vocal.


Le petit Pet ou le ſemi-vocal, eſt celui qui ſort avec moins de fracas, ſoit à cauſe de l’embouchure ou de l’iſſuë trop étroite du canal par où il s’exprime (comme ſont ceux des Demoiſelles) ſoit à cauſe de la petite quantité de vents qui ſe trouvent renfermés dans les inteſtins. Ce Pet ſe diviſe en clair, moyen, & aſpiré.

Pet de Demoiſelle,

Le clair, eſt un Pet ſemi-vocal ou petit Pet, compoſé d’une matiére féche & deliée qui ſe portant avec douceur le long du canal de ſortie qui eſt fort étroit, ſouffleroit à peine une paille. On l’appelle vulgairement Pet de Demoiſelle.

L’aſpiré, eſt un petit Pet ſemi-vocal qui eſt compoſé d’une matiére humide & obſcure. Pour en donner l’idée & le goût, je ne ſçaurois mieux le comparer qu’à un pet d’oye. Peu importe que le calibre qui le produit ſoit large ou étroit, ce Pet eſt ſi chétif qu’on ſent bien qu’il n’eſt qu’un véritable avorton.

Le moyen tient en quelque ſorte un milieu juſte entre l’un & l’autre ; parce que la matiére dont il eſt compofé étant de qualité & de quantité médiocre, & ſe trouvant bien digérée, ſort d’elle-même ſans le moindre effort, par l’orifice qui n’eſt pour lors ni trop ſerré ni trop ouvert.

Premier total & cauſes des Pets.

On peut donc conclure de ce qu’on vient de dire, que la variété des ſons dans ces trois genres de Pets, de même que dans tous les autres, part de trois cauſes principales ; ſçavoir, de la matiére du vent, de la nature du canal, & de la force du ſujet.

1.o Plus la matiére du vent eſt ſéche plus le ſon du Pet eſt clair ; plus elle eſt humide, plus il eſt obſcur ; plus elle eſt égale & de même nature, plus il eſt ſimple ; & plus elle eſt hétérogéne, plus le Pet eſt multiſonore.

2.o Par rapport à la nature du canal. Plus il ſera étroit, plus le ſon ſera aigu, & plus il ſera large, plus le ſon aura de gravité. La preuve réſulte de la délicateſſe ou de la groſſeur des inteſtins, dont l’inanition ou la plenitude fait beaucoup au ſon.

Enfin, la troiſiéme cauſe de la différence du ſon eſt, ſans contredit, la vigueur & les forces du ſujet ; car, plus la nature eſt forte & vigoureuſe, plus le bruit du Pet eſt grand, & par consequent c’eſt de la diſſérence des cauſes que naît celles des ſons. On le prouve facilement par l’exemple des flûtes, des trompettes & des flageolets : une flûte épaiſſe & large, donne un ſon obſcur ; une flûte mince & étroite, en rend un clair, & une moyenne, en rend un mitoyen. Que quelqu’un qui a le vent bon embouche une trompette, il en tirera infailliblement des ſons très-forts, & le contraire arrivera s’il a l’haleine foible & courte. On tire donc des inſtrumens à vent, tels que les flûtes, les flageolets, les cors de chaſſe &c. des conjectures très-certaines ſur les différens ſons des Pets, c. à. d. qu’on peut par l’expérience de ces mêmes inſtrumens, rendre une raiſon juſte du ſon perçant ou grave qu’ils rendent lorſqu’on s’en ſert.


QUESTION MUSICALE.
Concert singulier.

Mais un ſçavant Allemand a propoſé ici une queſtion fort difficile à réſoudre : ſçavoir s’il peut y avoir de la muſique dans ces ſortes de Pets ? On y répond réſolutivement. Il y a certainement de la Muſique dans les Pets diphtongues, non pas de cette Muſique qui ſe rend par la voix ou par l’impulſion de quelque choſe de ſonore comme d’un violon, d’une guittarre, d’un clavecin &c ; mais de celle qui ſe rend par le ſouffle, tel, par exemple, que celui d’une trompette ou d’une flûte. Pour prouver ce que j’avance je citerai l’exemple de deux petits garçons qui s’amuſoient à faire de tems en tems un Concert ſingulier, où j’aſſiſtai ſouvent en qualité de compagnon de claſſe des acteurs. L’un donc rottoit ſur différens tons, tant qu’il voiloit, & l’autre petoit de même. Mais ce dernier pour donner plus d’élégance à ſon inſtrument, mettoit ſur le plancher d’une chambre haute, un petit clayon à égoutter des fromages, ſur lequel il ajuſtoit une feuille de papier, puis s’aſſeyant à nud & tortillant les feſſes il rendoit des ſons organiques de toutes les eſpéces. J’oſe avancer qu’un habile maître de musique en auroit pû tirer des notions originales & dignes d’être tranſmiſes à la posterité & inſcrites au nombre des regles de la compoſition. On les auroit pû rediger auſſi ſur le mode diatonique en obſervant d’y procéder par une dimenſion Pythagorique.

NOTA,

Pour faire cette opération, il eſt bon d’obſerver ce qui ſuit. Le tempérament des perſonnes eſt un guide ſûr. Par exemple un corps rempli de fumées ſubtile, & un anus étroit produiſent des ſons aigus : au contaira des fumées epaiſſes & un canal large procréent des ſons deux fois plus graves. Quiconque n’a que des vents ſecs ne rend que des ſons clairs, & celui qui en a d’humides n’en produit que d’obſcurs. En un mot le bas ventre eſt une eſpéce d’orgue polyphtongue[1], où l’on pourroit ſans ſe gener beaucoup, trouver comme dans un magaſin, douze tropes ou modes de ſons.

Raiſonnement du dernier goût,

Cependant il eſt bon de s’arrêter ici ſur cet axiôme de Philoſophie que à ſenſibili in ſupremo gradu, deſtrui ſenſibile ; c’eſt-à-dire, « que ce qui eſt trop ſenſible détruit ſon ſentiment. » Ergo tout ce qui eſt modéré doit plaire, & non pas un ſon auſſi fort & auſſi bruyant que celui qui ſort des cataractes de Chaffouſſe ou des montagnes d’Eſpagne, ou des ſauts de Niagara ou de Montmorenci dans le Canada, qui rendent les hommes ſourds, & font avorter les femelles pluſieurs années avant qu’elles ſoient groſſes.

Ce ſon cependant ne doit pas être ſi foible, qu’il fatigue l’oüie de l’Auditeur qui ſe prête pour l’entendre. Il faut donc garder ſoigneuſement le milieu dans les ſons, comme dans toutes autres choſes, ainſi que l’ordonne, ou le conſeille fort ſagement Horace : Eſt modus in rebus ſunt certi denique fines ; quos ultrà citràque nequit conſiſtere rectum.

Ainſi l’on prendra garde, en affectant de donner des ſémitons, de diminuer les ſons au point qu’on ne les entende point, ou de faire à l’uniſon pluſieurs ſons aigus ou graves, qui rendroient la Muſique inſipide & déſagréable. Il faut choiſir les modes, ne pas les employer indiſtinctement & n’admettre uniquement que ceux qui ſervent aux agrémens, comme ſont les modes Lyxoleidien, Hypolyxoleidien, Dorique & Hypodorique, & en les obſervant, il ſera aiſé ſelon l’arrangement qu’on leur donnera, de faire

un concert enchanteur & miraculeux.
BELLE INVENTION
Pour faire entendre un Concert à un Sourd.

Le moyen de faire participer un ſourd à un pareil Concert, eſt de lui faire prendre une pipe à fumer donc il appliquera la tête à l’anus des Concertans, & dont il tiendra l’extrêmité du tuyau entre les dents. De cette ſorte, il ſaiſira par le bénéfice de contingence, tous les intervalles des ſons dans toute leur douceur & leur étendue. Cardan, & Baptiſte Porta de Naples, nous en fourniſſent un exemple ; mais ſi ce Sourd, ou quelqu’autre que ce ſoit, veut auſſi participer au goût, il n’aura qu’à tirer fortement ſon vent. Alors il aura tout le plaiſir qu’il pourroit prétendre.

  1. Qui rend plusieurs ſons.