L’Art de corriger et de rendre les hommes constants/04

Marie-Anne-Geneviève Ballard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 58-84).

CHAPITRE IV.

Histoire de Madame de Verdillac, ou la vertu couronnée de succès.


Monsieur de Verdillac, riche financier, épousa une fille de qualité, dont toute la fortune consistoit en une longue suite d’ancêtres illustres. Elle étoit fort belle ; elle avoit beau coup d’esprit, & une grande douceur de caractère. Elle se conduisoit parfaitement bien avec son mari ; rien ne manquoit à cette union pour la rendre heureuse, qu’un peu d’aménité dans l’humeur de l’époux ; mais elle parvint insensiblement à le corriger.

Verdillac en avoit un autre plus essentiel qu’il cachoit avec soin à sa femme, il aimoit le jeu.

La charge qu’il occupoit l’obligeoit à vivre en province ; sa maison la plus opulente, y fut la plus recherchée ; il effaçoit, par son faste & son ostentation, les plus riches seigneurs du Languedoc.

Au bout de cinq années de mariage, Madame de Verdillac accoucha d’un garçon. Des fêtes superbes célébrèrent cet événement heureux. Peu d’années après, sa famille s’accrut encore de trois autres enfans, & Verdillac continuoit toujours à vivre avec le même faste.

Une indisposition de sa femme empêcha qu’elle l’accompagnât aux États, qui s’assemblèrent à Montpellier. N’ayant plus à craindre les conseils prudents de Madame de Verdillac, il se livra sans réserve à son vice favori. Il eut le malheur de gagner une somme considérable. Cet appâs lui devint fatal, il fondoit l’espoir de payer ses dettes sur le bonheur du jeu ; l’ostentation avoit déja dérangé sa fortune.

C’est ainsi que le faste ouvre la porte aux besoins, & que la misère s’établit imperceptiblement chez les gens les plus riches.

Il se trouva à Montpellier plusieurs anglois opulents ; entr’autres Milord Freeman, dont le désintéressement au jeu fut remarquable. Il jouoit souvent avec Verdillac ; mais l’Anglois se livroit à cette passion plutôt par ennui que par goût.

Après la séparation des États, Verdillac amena le sombre Lord à Toulouse. Sa femme reçut l’ami de son époux avec la plus grande cordialité.

L’habitude de voir l’aimable Madame de Verdillac, rendit bientôt l’Anglois amoureux. Il la contemploit des heures entières, soupiroit, alloit siffler dans un coin de l’appartement, & puis se retiroit chez lui, pour recommencer le lendemain la même scène.

Ce manège dura plusieurs mois sans qu’il osât en dire davantage, en attendant il faisoit la partie de Verdillac, qui à la vérité ne jouoit qu’un jeu médiocre, mais qui avoit le plaisir de satisfaire sa passion. Sur ces entrefaites, arrive à Toulouse un homme connu dans toute la France par ses intrigues ; il s’y établit. Sa maison aussi fastueuse que celle de l’imprudent financier, devint le rendez-vous de tous ceux qui cherchoient à vivre sans contrainte. On y jouoit gros jeu, & Verdillac ne fut pas le dernier à la fréquenter.

Il s’y fit un soir une partie à huis clos ; ceux qui y étoient admis, s’y rendirent avec ce mystère, compagne ordinaire du vice. On s’y dépouilloit avec un acharnement infernal. Verdillac y perdit deux cent mille écus.

De retour chez lui, à peine osât t-il regarder sa femme ; il ne caressoit même plus ses enfans : sa contrainte faisoit soupçonner son malheur ; mais Madame de Verdillac ne l’apprit, que lorsqu’il ne pouvoit plus le lui cacher. Les difficultés qu’il éprouva, pour se procurer cette somme, le forcerent à lui en parler. Il lui communiqua ce secret en tremblant. Comment convenir avec vous, lui dit-il en rougissant, d’une faute que la prudence de votre conduite aggrave. Je suis le plus coupable des hommes. Ah ma cher femme ! épargnez-moi des reproches trop mérités.

Madame de Verdillac le rassura par les propos les plus consolants & l’engagea à ne lui rien cacher. Il lui communiqua son imprudence, elle l’écouta tranquillement.

Lorsqu’il eut achevé : n’avez-vous pas d’autres dettes, lui demandat-elle, votre opulence me fait tout craindre ; vous ne daignâtes jamais me communiquer l’état de vos affaires — Je conviens que ma fortune est un peu dérangée ; profitons du malheur présent, reprit-elle, pour liquider toutes nos dettes. Vendez votre terre du Poitou, réformons notre dépense, & bientôt vous ne vous appercevrez plus, que vous avez oublié quelque fois que vous étiez père. Verdillac l’embrassa en versant quelques larmes que lui arrachoient ce reproche adroit.

Il suivit en effet les conseils de sa femme : lorsqu’il eut payé toutes ses dettes il lui resta cinquante mille livres de la vente de sa terre, dont il ne parla pas, ayant sans doute dessein de les garder pour le jeu ; car bien qu’il eût promis, à Madame de Verdillac d’être plus circonspect à l’avenir, il n’avoit cependant point renoncé au vice qui le maîtrisoit. Ils vécurent pendant plusieurs mois dans le voisinage de Toulouse ; en attendant on réforma une partie de leur Maison. Verdillac ne parut alors occupé que du bonheur de sa famille. Mylord passoit tout ce temps avec eux, il s’enflammoit tous les jours davantage ; mais ce qui acheva de le subjuguer, fut la confidence que lui fit Verdillac de la conduite de sa femme, dans une occasion où d’autres auroient accablé leurs époux des plus violents reproches.

Le vice s’établit insensiblement chez l’homme, & quitte difficilement sa proye. Le temps fit oublier bientôt à Verdillac la perte qu’il avoit faite au jeu.

De retour à Toulouse, des hommes artificieux réveillèrent peu-à-peu son goût favori. Il se trouva plusieurs fois dans leurs sociétés, y joua, & gagna. Ennivré de ce nouveau succès, il négligea sa femme n’écouta plus ses amis, & se livra sans contrainte à toute la fureur de ce dangereux vice.

Milord étoit le confident des chagrins de cette malheureuse femme ; encouragé par la conduite du mari, il se hazarda à lui parler de son amour. Elle l’écouta sans humeur, & n’affecta pas une vertu rigide, qui s’allarme au moindre propos ; ce manége n’appartient qu’aux prudes.

Milord acheva sa déclaration par les plus vives protestations d’un attachement inviolable, fondé sur la plus haute estime. Madame de Verdillac lui répondit avec douceur, que pour mériter davantage cette estime, dont elle étoit si jalouse, elle vouloit lui parler sans détours. Vous connoissez les défauts de mon mari, lui dit-elle ; si j’avois celui d’être galante, quel exemple donnerions-nous à nos enfans ? Quelle opinion y auroient-ils de leurs parents ? S’ils n’ont plus de père ; qu’ils ayent au moins une mère… — Plus de père, s’écria-t-il ! tant que je vivrai je leur servirai de père. — Ah Milord ! votre passion vous aveugle ; puis-je jamais croire que vous seriez plus généreux que celui qui leur donna le jour ? — Oui Madame, & vous en aurez des preuves. Accordez-moi votre cœur, & dès cet instant vos enfans deviennent les miens. — Mais ce langage m’offense ; considérez que mon devoir… — Les mauvais procédés de votre mari, Madame, vous engageront tôt ou tart à l’oublier.

Peut-être un autre moins franc, moins prévoyant que moi, vous tiendroit un différent langage : mais voici ce qui arrivera. Un François, par des propos galants s’insinuera dans votre cœur, il vous fera appercevoir que votre mari vous néglige, il vous conseillera de vous en vanger, vous ne l’écouterez pas d’abord, il vous représentera la même chose sous un aspect différent, vous combattrez encore ses raisons ; il ne se rebutera pas ; insensiblement ce langage vous deviendra familier vous vous habituerez à l’entendre ; & en ne voulant pas céder, vous tomberez dans le piége. Oui, Madame, je conviens que c’est un piége, quoique je me mêle moi-même de vous le tendre ; mais en vous engageant à m’accorder la préférence, je veux vous épargner de plus grands regrets. Je serai votre amant, votre ami, & le père de vos enfants.

Madame de Verdillac fut tentée plusieurs fois d’interrompre cette singulière déclaration ; mais elle çraignit d’humilier l’honnête franchise de Milord : elle ne lui laissa cependant aucun espoir de réussir. Il ne se rebuta pas, & elle eut autant à souffrir de ses persécutions amoureuses, que des pertes journalières. que faisoit son mari au jeu.

Les besoins se firent bientôt sentir vivement dans la maison ; une foule de créanciers assiégeoient infructueusement l’antichambre de Verdillac. Sa femme l’entretenoit souvent des malheurs qui menaçoient sa famille ; il ne l’écoutoit pas, ou lui répondit avec indifférence.

La fortune de Verdillac, lorsqu’il se maria, montoit avec sa charge à cinquante mille écus de rente, le jeu, & ses profusions l’avoient réduite à moins de la moitié. Le moment fatal approchoit où il alloit s’exposer, avec sa famille, à la plus cruelle indigence.

Un jour qu’il dînoit chez Milord, échauffé par le vin, on proposa l’après-dîné un trente & quarante. Tout le monde l’accepta. On apporte des cartes : la fortune incertaine partagea long-temps ses faveurs ; à la fin cependant elle se fixa du côté de Milord. Il gagne chaque coup. Les joueurs se désolent, des invocations, des plaintes, des soupirs, des imprécations se succèdent ; on eût dit que tout l’enfer s’étoit donné rendez-vous dans cette assemblée. Le phlegmatique Lord entend tout & ne dit rien ; on change à chaque instant de cartes, le même bonheur lui continu.

Verdillac perdit des sommes considérables, les autres joueurs déjà hors d’état de continuer, avoient quitté la table, le seul Verdillac s’obstinoit à lutter contre le sort en doublant toujours son argent ; l’Anglois consentoit à tout : il propose en fin le quitte ou double d’un million, Milord réfléchit un instant, le regarde, & puis lui demande froidement, à combien estimez-vous votre fortune ? — À peu près à cette somme. — Me l’assurez-vous sur votre honneur ? — Je l’affirme sur ma parole : — Cela suffit, je tiens.

Aussi-tot un cercle se forme en silence autour de la table. La curiosité, & la crainte sont peintes sur tous les visages ; on sembloit y voir la fortune s’y disputer avec l’indigence. Milord amene trente & un ; un murmure s’éleve en faveur de Verdillac : joyeux de voir le bonheur lui sourire, on le félicite déja sur ce retour heureux, mais un nombre égal, le fait passer du plaisir à la crainte.

On remêle les cartes, elles passent de mains en mains, on n’oublie rien pour écarter tout soupçon & en prenant les précautions d’usage, on ne s’apperçoit pas qu’on se fait une insulte réciproque. La confiance étant établie, de nouveau l’Anglois gagne le coup d’un point. Le cercle est consterné, Verdillac est pétrifié, ses regards annoncent la rage & le désespoir. En vain on lui parle, il n’écoute personne ; à la fin il s’écrie : malheureux ! & prenant avec fureur sa montre, sur laquelle étoit le portrait de sa femme, il la jette sur la table ; quel argent me tiendrez-vous contre cette montre ? Milord regarde, reconnoit le portrait ; celui que je viens de vous gagner, lui dit-il : — Quoi deux millions ? — Deux millions & plus, pour empêcher la ruine de la femme la plus vertueuse. Verdillac étonné croit à peine ce qu’il entend : voyons, continua Milord, à qui de nous la fortune accorde le portrait de cette femme respectable ; essayez votre bonheur, je vous accorde le coup en trois reprises. — C’est à vous Milord ; il n’est pas juste qu’après une telle générosité… — Commencez, Monsieur, je brûle de voir à qui le sort l’accordera. Verdillac manque la premiere fois, mais il est plus heureux au second coup : Milord se leve ; — Cette montre est à vous, lui dit Verdillac, non lui dit Milord, je ne veux la recevoir que de l’aveu de votre femme. Allons chez vous ; il donna quelques ordres, & sortirent ensemble. L’infortunée Madame de Verdillac attendoit son mari en tremblant ; voici, lui dit-il, en se jettant à ses pieds, notre bienfaiteur, sans son généreux désintéressement, nous serions dans l’indigence : il lui raconte son imprudence & la conduite de Milord. Madame de Verdillac remercia l’Anglois, en répendant un torrent de larmes. « Si ma conduite vous paroît digne d’éloges, lui dit-il, n’en attribuez le mérite qu’à vous, Madame. Pouvois-je voir votre portrait, sans m’intéresser à l’original. Vous n’ignorez pas que je vous aime ; puis-je être heureux aux dépends de votre repos ? Aussi long-temps que je respirerai, vous n’aurez rien à redouter de l’inconstance de la fortune ; & même après ma mort, vous vous ressentirez encore de mon amitié : vos qualités aimables m’ont plus subjugué que votre beauté, elles vous donnent les plus grands titres à mon estime. Reclamez-en les droits en toutes occasions ; & vous verrez, Madame, que Lord Freeman n’est point ami en vain. »

« Je reclame à mon tour votre portrait, permettez-moi de l’accepter : cette montre, la source de ma satisfaction, puisqu’elle a contribué à la vôtre, en m’indiquant le temps qui fuit, me rappellera qu’une femme aimable ne vieillit jamais. »

Enchantée d’un tel excès de délicatesse, Madame de Verdillac donna la montre à Milord, qui dans le même instant lui remit un parchemin ; il la pria de le lire, en disant qu’il l’avoit préparé, avant qu’il espérât que la fortune lui réserveroit l’avantage de sauver son mari du danger qu’il venoit de courir.

Connoissant sa passion pour le jeu, ajouta-t-il, j’ai pris les précautions nécessaires, pour vous mettre à l’abri du danger qui vous menace à chaque instant. Madame de Verdillac lit, voit avec surprise la donation d’un tiers du bien de Milord en sa faveur, réversible sur ses enfans. Pénétrée de reconnoissance, mais cependant décidée à ne pas accepter un don si considérable, elle s’apprête à lui rendre le parchemin, elle l’appelle, il étoit sorti & étoit déjà loin, avant qu’elle s’en apperçût. Elle en demande des nouvelles à son mari, il ignore où il est ; elle sonne, questionne ses gens, ils lui disent qu’il est parti, on lui remet une lettre ; en voici une copie, dit Eudoxie.

Copie de la lettre de Milord.

J’ai trop bien étudié votre belle âme, Madame, pour ne pas craindre les effusions d’un cœur comme le vôtre : vous vous croyez peut-être obligée à la reconnoissance ; vous ne m’en devez pas, je suis le seul obligé dans toute cette affaire. C’est à moi, Madame, à vous remercier, que les circonstances & votre malheur m’aient procuré l’occasion de vous témoigner mon estime. Ne connoissant point d’expressions assez fortes pour vous peindre le plaisir que j’ai d’avoir pu rassurer vos craintes, j’aime mieux renoncer au bonheur de vous voir, que de mal exprimer ma satisfaction.

Vous n’ignorez pas que le bonheur d’être avec vous surpasse pour moi tout ce qu’il y a de plus séduisant au monde. Ah ! Madame, que je serois heureux, si le ciel m’accordoit une femme qui vous ressemblât ! Je vais de ce pas parcourir toute l’Europe pour la chercher ; en attendant, soyez aussi heureuse que vous méritez de l’être ».

GEORGE FREEMAN.

— Quelle générosité, s’écria Madame de Verdillac. Tenez, Monsieur, lisez cette lettre & ce parchemin ; voyez de quoi un homme vertueux est capable, lorsque l’amour est fondé sur l’estime. Milord m’aimoit, mais je ne suis pas coupable.

Verdillac sorti de la léthargique tristesse qui l’absorboit, lit.

— Malheureux ! s’écria-t-il, faut-il qu’un étranger soit plus prévoyant que moi ? faut-il qu’il m’apprenne mon devoir ? Ah, Madame ! je connois plus que jamais ma faute. Ma pauvre femme ! mes pauvres enfans ! quel affreux précipice je creusai sous tes pas… pardon, ma chère & infortunée famille. Je suis indigne d’être ton père, & d’être l’époux de celle dont les vertus aggravent ma honte… comment réparer tant de torts ? Ton repentir, lui dit-elle en l’embrassant, effacera le passé. Elle lui tint encore quelques discours si tendres, qu’elle parvint enfin à le consoler.

Dès ce moment Verdillac se corrigea, & après avoir vécu pendant quelque temps avec la plus grande prudence, il mourut d’une maladie de langueur. On suppose que le souvenir de sa faute contribua beaucoup à abréger ses jours. Avant d’expirer, il fit venir ses enfans. Puisse, l’exemple funeste de votre pere, leur dit-il, vous garantir du vice dangereux dont vous avez manqué d’être la victime.

Vers la fin du veuvage de Madame de Verdillac, Milord revint, il lui témoigna le même empressement, & parvint enfin à lui faire accepter sa main. Elle fut plus heureuse avec ce second époux, qui fut aussi constant dans les liens de l’hymen qu’il avoit été fidele dans ceux de l’amour.

Vous voyez, Mesdames, dit Eudoxie, qu’on parvient quelquefois à corriger un vicieux ; cependant je ne vous ai point raconté l’histoire de Madame de Verdillac comme un exemple sur lequel doive se régler la conduite des femmes qui ont le malheur d’avoir des époux joueurs ; les incidents qui ont contribués à ramener son mari sont trop rares, pour se flatter de les rencontrer souvent. Il y a une méthode plus commune qui peut produire des effets heureux. La douceur, les craintes, un tableau effrayant des malheurs auxquels le vice expose, peut faire impression lorsqu’on en parle à propos. Si vous avez des enfans, vous pouvez intéresser quelquefois votre mari à leur sort, lui peindre vivement les regrets qu’il auroit de les voir par son imprudence, dans la misère : vous pouvez encore comparer son état présent avec sa tranquillité passée, lui représenter l’avenir sous un aspect affreux, lui citer quelques exemples, souvent ils font plus d’impression que les paroles les plus énergiques. Si tous ces moyens n’ont point d’effet, désespérez de sa guérison ; il ne se corrigera que lorsque la nécessité le forcera à renoncer à ce vice dangereux.

Mais toutes les femmes ne sont pas également propres à se servir avantageusement de ces maximes, répliqua Elvire. J’en conviens, lui répondit Eudoxie : elles ne sont destinées qu’à celles dont le jugement & le bon sens peuvent en faire usage avec profit. J’abandonne les autres à leur malheureux sort. Il semble que la nature les ait condamnées à végéter toute la vie, sous le joug qu’on leur impose. Victimes de l’autre sexe, elles en sont souvent le fléau ; rien de moins supportable qu’une sotte, il n’y a nulle ressource avec elle ; toujours au-delà ou en deçà du vraisemblable, elle désole tout ce qui l’environne. Croyez-vous qu’une telle femme puisse corriger un mari, elle pervertiroit l’homme le plus parfait.

Mais lorsqu’on manque de sagacité, dit Euphrosine, on devroit se conduire par les conseils de ceux qui sont plus éclairés. — Ignorez-vous, répliqua Eudoxie, qu’un esprit borné est opiniâtre, & présomptueux. Croyez-moi, il n’y a point de ressource avec de tels gens, il faut nécessairement les abandonner à leur incapacité…

Un laquais entra & remit une lettre à Euphrosine. Elle rougit : — Est-ce du perfide, lui demanda vivement Eudoxie ? Du perfide ! reprit la première après avoir lu. Je n’attends plus rien de d’Arceau ; c’est du Comte d’Alfosse ; il me mande que sa femme vient d’accoucher d’un fils. — Sa femme accouchée ? c’est une plaisanterie. Il y a quinze ans qu’ils ne vivent plus ensemble. — Ignorez-vous qu’ils sont raccommodés ? — Raccommodés ! cela me paroît fort : comment ce libertin a-t-il pu s’y résoudre ? — Par un événement bien extraordinaire. Sa femme en a profité, pour produire ce miracle. — Voyons : comment s’y prit-elle ? Racontez-nous cela, ma bonne amie, lui dit Elvire : — Je le veux bien, mais à condition que vous dînerez avec moi. Elles y consentirent, & Euphrosine commença.

Vasse - L'art de corriger et de rendre les hommes constants, 1783 (page 92 crop)
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