L’Arme invisible/Chapitre 17

L’Arme invisible ou le Secret des Habits noirs (1re partie) (1869)
E. Dentu (p. 267-281).


XVII

Remy d’Arx.


Les juges d’instruction, en 1838, étaient encore plus mal logés qu’aujourd’hui.

On n’avait pas entamé les restaurations du Palais-de-Justice, et le cabinet de Remy d’Arx, situé tout au bout du long corridor qui règne au-dessus de la Conciergerie, présentait un aspect assez triste.

C’était une pièce de large étendue, mais carrelée comme une mansarde, et qui ne participait en aucune façon aux magnificences sévères de la maison de Saint-Louis.

Le fenêtre, étroite et haute, donnait sur la cour de la Sainte-Chapelle, alors encombrée de pierres de taille.

Le plafond s’écaillait, les lambris demandaient une lessive et l’apparence de l’ensemble allait presque jusqu’au délabrement.

Au centre de la pièce il y avait une table carrée, posée sur une natte et couverte de papiers en désordre : vous eussiez dit la table d’un poète.

Une autre table en bois noir, portant pupitre et écritoire, se plaçait en travers de la première comme la barre d’un T.

La muraille qui faisait face à la fenêtre était cachée par des casiers contenant des cartons étiquetés ; la tablette de la cheminée supportait un buste de Louis-Philippe, et l’on voyait des deux côtés de la porte principale, à droite une vieille pendule, à gauche un baromètre à cadran.

Tout château a ses communs ; c’étaient ici les communs du château de Thémis.

Remy d’Arx était seul, debout, le chapeau sur la tête, devant la croisée, dont ses doigts distraits battaient les carreaux étroits et brouillés.

Il regardait sans le voir un vieil orme aux branches à demi dépouillées qui s’en allait mourant parmi les décombres et les moellons entassés dans la cour de la Sainte-Chapelle.

Cet orme avait sa renommée.

Il était un des trois arbres célébrés sous la Restauration par M. de Jouy comme servant d’hôtellerie aux moineaux parisiens.

L’un d’eux, le plus illustre, qui avait grandi dans la rue Coq-Héron, vivait encore l’année dernière ; l’autre est mort en 1860, tué par les démolitions du quai de la Grève.

Six heures du soir venaient de sonner à la tour de l’horloge.

Il n’y a point de bourgeois rangé qui soit si exact qu’un moineau pour le moment de la couchée.

Des milliers d’oisillons arrivaient en voletant de tous les points du ciel.

Pendant quelques minutes, ce fut dans l’arbre hospitalier un bruyant remue-ménage : on s’agitait en piaulant, on s’embrassait peut-être en échangeant les souhaits de bonne nuit, peut-être on disputait, à coups de becs ou d’ailes, les meilleures places du perchoir.

Mais graduellement, les mouvements désordonnés se calmèrent, le caquetage aigu baissa d’un ton, puis se tut ; au bout d’un quart d’heure, les vingt mille hôtes de l’auberge aérienne dormaient comme d’honnêtes pierrots.

Remy d’Arx n’avait pas bougé depuis longtemps ; il sembla s’éveiller à ce silence et découvrit son front pour y passer sa main.

À ces heures crépusculaires du matin et du soir, quand le jour vient et qu’il s’en va, les objets changent de formes et surtout de couleurs : c’était peut-être la brune qui creusait ces rides profondes entre les sourcils du jeune juge d’instruction et qui mettait à ses joues cette mortelle pâleur.

Il se retourna lentement, déposa son chapeau sur un meuble et fit dans la chambre quelques pas chancelants.

Quand il s’arrêta, ce fut pour déployer un papier froissé qu’il tenait à la main.

— Je ne l’ai dit à personne, murmura-t-il ; hier, j’aurais pu affirmer que je ne me l’étais pas dit à moi-même. L’idée d’un si grand bonheur n’a jamais pu entrer en moi ; je n’espérais pas, j’étais sûr d’être vaincu avant même d’entamer la bataille. Il a fallu les conseils de Francesca, l’obsession, devrais-je dire, et l’augure favorable porté par le colonel Bozzo pour combattre à la fois mes pressentiments trop fondés, et mes craintes, qui devaient se réaliser si vite !

Il s’approcha de la table et s’assit, déposant le papier froissé auprès de deux autres lettres dont les enveloppes étaient à terre.

— Qui peut m’écrire ainsi ? reprit-il, et pourquoi m’écrit-on comme si ce mariage était une chose possible, publique, certaine ? Les gens qui m’adressent ces calomnies, savent et ne savent pas ; ils ont pénétré le secret de mon amour, que je n’aurais pas confié à mon meilleur ami ; mais ils croient que mon amour est heureux, ils essayent d’empoisonner ma joie avec du fiel…

Il prit à la main les trois lettres, que son regard, chargé d’une immense fatigue, parcourut tour à tour.

— Ma joie ! répéta-t-il avec une amertume qui allait jusqu’à l’angoisse. Ah ! s’il était vrai, si Valentine m’avait laissé un espoir, je les défierais bien de troubler mon triomphe ! Ne sais-je pas aussi bien qu’eux qu’il y a un mystère dans sa vie ? Ne me l’a-t-elle pas dit elle-même, et ne s’est-elle pas offerte à me le révéler ?

Il s’interrompit, lisant à demi-voix et sans savoir peut-être quelques lignes de la première lettre :

« Vous êtes trompé, votre passion vous aveugle, cette jeune fille est de celles à qui un galant homme ne peut pas donner son nom… »

« … Prenez garde, disait une autre lettre, votre mission ici-bas est grave et sacrée. Souvenez-vous de ceux qui sont morts et ne mettez pas cette honteuse aventure entre vous et votre vengeance. Celle que vous allez épouser sera un obstacle au-devant de vos pas, ceux que vous poursuivez sont puissants et manient des armes inconnues ; l’amour est un poison : prenez garde… »

La troisième lettre disait :

« Madame Samayoux, saltimbanque et propriétaire d’une ménagerie foraine, a sa baraque, en ce moment, sur la place Walhubert. Allez lui demander des nouvelles de Fleurette et vous saurez ce qu’est Mlle de Villanove. »

Les doigts du jeune magistrat se crispèrent, et d’un geste violent il jeta les trois lettres dans le foyer.

— Arme inconnue ! pensa-t-il tout haut, arme invisible ! Tout cela sort de leur mystérieux arsenal ? sont-ils autour de moi déjà ? essayent-ils de tuer mon âme, parce que j’ai mis la vie de mon corps à l’abri de leurs atteintes ?

Sa tête tomba entre ses mains et sa poitrine rendit un sanglot.

— Oh ! Valentine ! Valentine ! murmura-t-il, que m’importe tout cela ! Désormais, y a-t-il au monde pour moi une autre pensée que la tienne ? Ce n’est pas leur haine qui me brise, et ils n’ont pas forgé l’arme dont la blessure me fait mourir. Une de ces lettres au moins disait vrai : si je n’ai pas encore déserté ma tâche commencée, je suis sans force et sans ardeur pour l’achever. Valentine ! Elle est là, toujours devant mes yeux, enivrante comme l’amour qui me dévore ; je suis son regard divin qui va vers un autre et la jalousie me torture. Puis je me reprends à vivre, éclairé par les lueurs de son sourire. Elle devait venir chez moi, car il y a en elle une étrange clémence : on dirait qu’elle souffre du mal qu’elle me fait. Chez moi, elle ne trouvera personne ; j’ai pris la fuite et j’ai bien fait, je ne veux pas la voir. Que m’apprendrait-elle ? est-il au monde une révélation qui puisse guérir la maladie de mon cœur ?

Ses deux mains glissèrent le long de ses joues, découvrant son visage défait, où il y avait des larmes.

— Je le sens bien, dit-il encore d’une voix brisée, j’ai honte, mais je ne combats plus parce que la lutte est impossible : je l’aime malgré et en dépit de moi-même ! je l’aimerai quand un autre sera son maître ! Si elle était coupable, je l’aimerais encore, et s’ils venaient me dire ici, ceux qui peuvent tout : Pour la conquérir, il faut commettre un crime…

Il n’acheva pas et tout son sang révolté vint rougir sa joue, pendant que son front découragé s’inclinait de nouveau.

Trois petits coups furent frappés au-dehors, et un homme du palais, entr’ouvrant la porte, demanda :

— Monsieur le juge d’instruction veut-il interroger l’accusé ?

Remy regarda cet homme avec hébétement. Il ne savait plus ce dont on lui parlait.

— Quel accusé ? balbutia-t-il.

— L’assassin de la rue de l’Oratoire, répondit l’employé. Les pièces sont sur le bureau de monsieur le juge depuis midi, et il paraît qu’on veut presser l’instruction de cette affaire-là.

Remy jeta les yeux sur un dossier qui était auprès de lui et dont la chemise portait deux noms : Hans Spiegel, Maurice Pagès.

Le nom du mort et celui du meurtrier.

Il eut conscience alors seulement d’avoir été avisé dès le matin que l’instruction de cette affaire lui était attribuée.

— J’ai encore quelques notes à prendre, dit-il, dans une demi-heure je serai prêt.

L’employé repassa la porte ; Remy attira à lui le dossier et l’ouvrit.

Le dossier contenait quatre pièces principales, le procès-verbal du commissaire de police, le rapport de l’inspecteur Badoit, celui de l’inspecteur Mégaigne et une double feuille volante non signée qui portait le timbre de la préfecture, 2e division.

Remy d’Arx étala ces divers documents sur son bureau ; il essaya de lire le procès-verbal, mais aussitôt qu’il eut dépassé les formules connues qui, dans les actes de cette sorte, précèdent toujours l’exposé des faits, l’écriture dansa devant ses yeux.

C’est à peine s’il y prit garde, car il était retombé déjà au plus profond de son rêve.

Il croyait travailler, et sa pensée l’emportait vers la soirée de la veille ; il se voyait au bras de la comtesse Corona épanchant pour la première fois le trop plein de son cœur ; il s’écoutait lui-même confessant les ardeurs, les timidités, les douleurs et les joies de cet immense amour qui était entré malgré lui dans sa vie, et qui désormais était sa vie tout entière.

Tout lui revenait : les étonnements de Francesca, l’intérêt si vif et si franc qu’elle avait pris à sa peine, et jusqu’à ces gaietés de femme du monde pleine d’admiration et de pitié.

— Depuis le déluge, avait dit la comtesse, on n’a rien vu de pareil !

Et c’était bien vrai, du moins Remy le croyait ainsi.

Ce qu’il avait vu, ce qu’il avait lu ne lui fournissait aucun point de comparaison ; rien ne ressemblait à la chère, à la brûlante tyrannie exercée sur tout son être par cet amour dont la puissance lui apparaissait invincible.

C’était une maladie, une fièvre, un délire qui exaltait au même degré les sens, l’imagination et l’âme.

L’image évoquée de Valentine le plongeait dans une extase sans nom où il se sentait mourir à force de trop vivre ; il la voyait belle comme les éblouissements de son martyre enchanté, il écoutait au loin les harmonies pénétrantes de sa voix et buvait à longs traits le philtre magnétique qui jaillissait de ses prunelles.

Ceux dont la jeunesse fut austère sont incendiés parfois ainsi par la foudre qui frappe tardivement.

Les joyeux jours du printemps, les souriantes années que d’autres dépensent en folles amourettes, Remy d’Arx les avait données tout entières au sombre travail qui avait été si longtemps le but unique de son existence.

Son adolescence n’avait rien prodigué au dehors ; tout ce qui brûle chez l’homme s’était amassé en lui silencieusement et la première étincelle d’amour venant à le toucher avait allumé un volcan.

C’était la violence inouïe et la naïveté sans égale de sa passion qui avaient si fort étonné, la veille, Francesca Corona.

Il aimait à la fois comme un enfant et comme un vieillard, avec les effervescences du premier âge, avec l’ardeur stérile et désespérée des derniers jours.

Rien ne restait en lui, sinon cette flamme triste et souveraine, combattue en vain par l’impuissante volonté de continuer son œuvre.

Tout lui parlait de Valentine, mais Valentine elle-même, entrant à l’improviste dans son ancienne vie et lui apportant une aide inespérée, n’avait pu réveiller en lui le feu éteint de la vengeance.

Valentine, parlant des assassins de Mathieu d’Arx, de ces Habits Noirs que Remy poursuivait depuis tant d’années, Valentine, promettant d’apporter la lumière dans la nuit que tant d’efforts n’avaient pu dissiper, avait été à peine écoutée.

De Valentine, Remy ne voulait qu’elle-même, et la révélation promise l’indignait, parce qu’il y voyait l’offre d’un dérisoire dédommagement.

Il lisait tout cela, c’est-à-dire la confusion de ses souvenirs et l’angoisse de sa pensée, à travers les lignes tortueuses que le commissaire de police avait déposées sur le papier timbré.

Le temps passait, sa distraction de plus en plus tyrannique achevait de voiler dans son esprit le vague remords d’avoir négligé son devoir de juge, lorsqu’un bruit de pas lourds se fit entendre dans le corridor.

La demi-heure était écoulée et l’escorte du prisonnier approchait.

Cette fois, Remy d’Arx s’éveilla en sursaut.

Avec cette sûreté de coup d’œil que donne l’habitude, il parcourut en quelque sorte du même regard les papiers étalés devant lui.

Le procès-verbal du commissaire de police et les rapports des deux inspecteurs concordaient entièrement ; ils étaient clairs et courts ; ils équivalaient presque, tant les circonstances du crime ressortaient frappantes, à une constatation de flagrant délit.

Au moment où la porte s’ouvrait, les yeux du jeune magistrat tombaient sur la quatrième pièce, qui n’avait point de signature.

Cette pièce, qui tenait toute une large feuille, remplie d’une écriture fine et serrée, se terminait ainsi :

« Observation importante : on n’a rien trouvé chez l’accusé en fait d’argent, et il portait seulement sur lui une somme insignifiante. On prouvera qu’il avait conçu le romanesque espoir d’épouser une jeune fille noble dont la dot probable s’élève à plus d’un million. »

La fonction domine l’homme et le relève.

Pour un instant, Remy d’Arx avait recouvré toute la lucidité de sa pensée parce qu’il s’était éveillé juge.

Son œil demeura fixé sur cette page qui apportait à l’évidence le surcroît inutile d’une présomption.

Un doute de nature particulière lui traversa l’esprit, un doute qui ne pouvait appartenir qu’à lui et qui se rapportait à la série habituelle de ses recherches.

Il pensa :

— Une note analogue était dans le dossier du malheureux qui « paya la loi » après le meurtre de mon père.

Vous ne l’eussiez pas reconnu lorsqu’il releva ses yeux brillants et clairs sur l’accusé qui venait d’entrer, laissant ses deux gardiens en dehors de la porte.

Il y avait dans le regard du jeune magistrat une curiosité très vive et quelque chose qui ressemblait à de la sympathie.

Le greffier, sortant d’une pièce voisine, s’était glissé vers sa petite table et frottait déjà sa plume contre l’éponge de son écritoire.

L’accusé s’arrêta à trois pas de la table principale et resta debout, les bras tombants, la tête haute, mais sans affectation de forfanterie.

Il avait les mains libres et ne portait du costume des prisons que la veste, sous laquelle on voyait son pantalon d’uniforme.

Il était pâle et très défait ; néanmoins son regard mâle ne laissait paraître aucune faiblesse.

Au moment où ce regard, qui était dans toute la force du terme celui d’un honnête homme, se croisa pour la première fois avec celui de Remy d’Arx, les sourcils du jeune magistrat se froncèrent malgré lui et la paupière de Maurice se baissa.

L’interrogatoire commença aussitôt.

Sur la demande du juge, Maurice donna ses nom, prénoms et qualités.

Le greffier, petit homme maigre, à pince-nez prétentieux, écrivait en songeant à ses affaires.

Sur le terrain de l’instruction, il se croyait bien plus avancé que Remy lui-même, et rassasié qu’il était des cancans du palais, il regardait déjà comme une très vieille histoire ce meurtre qui ne datait que de quelques heures.

Son opinion était formée solidement ; il avait en lui-même condamné Maurice à l’échafaud ou tout au moins au bagne, pour le cas où les jurés auraient la faiblesse d’admettre des circonstances atténuantes.

Maurice fut quelque temps avant de répondre à la première question qui aborda le fait.

Le greffier eut tout le loisir de l’examiner par-dessus son pince-nez et de s’avouer à lui-même qu’il devinait très bien les mauvais instincts de ce beau garçon-là, à travers son masque de douceur et de franchise.

Maurice dit enfin à voix basse :

— Je sais bien que je suis perdu, à quoi bon tout cela ?

— Est-ce un aveu ? demanda Remy, dont la voix grave prenait à son insu l’accent de la compassion.

— Non, répartit Maurice vivement, je jure devant Dieu que je suis innocent ; mais qu’importe, puisque vous ne pouvez pas me croire ?

Le jeune magistrat dit avec lenteur :

— Je ne sais rien, je ne crois rien, je suis ici pour découvrir la vérité. Votre vie passée plaide le pour et le contre : vous avez quitté les études qui vous préparaient à une carrière honorable pour suivre une troupe de saltimbanques, mais depuis lors, vous avez porté l’uniforme et votre conduite en Algérie a été celle d’un vaillant soldat. Regardez-moi en face et parlez librement. Si vous êtes tombé dans un piège, dites-le, je vous écoute.

Pour la seconde fois, les yeux de Maurice rencontrèrent ceux de Remy d’Arx et il murmura :

— Monsieur, que Dieu vous récompense ; je n’espérais pas trouver tant de bonté en vous, mais je n’ai plus d’espoir.

Le greffier avait mis sa plume derrière l’oreille et se disait :

— C’est donc comme ça qu’on interroge maintenant ? excusez !

Maurice poursuivit :

— Depuis douze heures que je suis seul dans ma prison, j’ai bien réfléchi ; tout ce qui s’est passé me revenait à l’esprit de point en point, et il me semblait que j’étais mon propre juge. Mon malheur est grand ; j’ai souffert cruellement pendant cette journée, mais je n’ai point perdu la tête et je possède toute ma raison. Vous connaissez la pauvre histoire de ma jeunesse, monsieur le juge ; moi, je ne vous connais pas et j’ignore jusqu’à votre nom ; mais si une lueur d’espoir pouvait naître en moi, elle me viendrait de vous. La loi vous défend-elle de m’entendre en particulier ?

— La loi exige que l’interrogatoire soit recueilli par le greffier, répondit Remy d’Arx, et c’est la garantie de l’accusé, mais la loi ne pose aucune limite au libre arbitre du juge choisissant les moyens d’éclairer sa conscience.

Il s’interrompit et ajouta en s’adressant au greffier :

— Laissez-nous, monsieur Préault, mais ne vous éloignez pas ; je vous rappellerai quand il me plaira de reprendre l’interrogatoire légal.

M. Préault rangea ses papiers, déposa sa plume et gagna la porte en répétant :

— Excusez ! ça prépare des jolis moyens de cassation.

La porte fut bruyamment refermée, car M. Préault était de méchante humeur.

— Lieutenant Pagès, reprit le juge en se levant, personne ne nous écoute ; vous êtes ici en présence du seul homme qui puisse vous comprendre ; j’ai des raisons pour vous croire innocent.

— Serait-il vrai ?… s’écria Maurice stupéfait.

Remy lui tendit la main en ajoutant :

— Il se peut que je me trompe, c’est vous qui allez m’éclairer. Si j’ai deviné juste, je suis votre ami, lieutenant Pagès, parce que nous avons les mêmes ennemis.