La Revue populaire (p. 106-107).

V


Le rossignol chantait éperdument dans les arbres des petits jardins environnants, et les raisins en fleurs de la treille de Madeleine répandaient cette fine odeur, si pénétrante qu’elle va troubler jusqu’aux vieux vins endormis, dans les profondeurs des caves fraîches.

Une nuit du commencement de juin, limpide et légère, sans lune, lumineuse pourtant comme si, à travers cette courte nuit, le soir tardif et l’aurore matinale s’étaient souri.

Jean et Fanchette étaient assis sous les pampres. Jean venait ainsi, de très loin, seulement pour voir Fanchette un instant, pour serrer sa main, pour lire sa tendresse dans ses yeux jadis si rieurs, si tristes maintenant.

Jean avait la patience de ceux qui croient, de ceux qui aiment, et pourtant, il pressait sa fiancée de conclure leur mariage.

— Dis, quand seras-tu ma femme ? Trouves-tu que je n’ai pas assez attendu ?

— Mon pauvre ami, pardonne-moi, je suis peut-être trop exigeante, maman elle-même, me trouve déraisonnable, mais je ne peux pas me décider, quand je vois le malheur de Marie, je n’ai pas le courage d’être heureuse, car c’est nous qui sommes la cause de ce terrible consentement qu’elle a donné, Jean ! Tant qu’elle n’est pas mariée, je conserve encore de l’espoir, attends encore un peu ; il me semble que Dieu ne nous bénirait pas.

Si pourtant tu es lassé d’attendre, choisis une autre fiancée, je ne t’en voudrai pas pour ça. Tu ne peux aimer Marie comme je l’aime, ni comprendre tout ce qu’elle est pour moi.

— Tais-toi, Fanchette, tu sais bien que je n’aimerai jamais une autre que toi. Ne pleure pas, va, j’attendrai encore, j’attendrai autant de temps que tu le voudras. Souris-moi seulement, comme autrefois.

Ils demeurèrent une heure ainsi et le rossignol continuait son chant, si triste pour les cœurs souffrants, et les fleurs des treilles mettaient comme une langueur dans l’air nocturne.

Et puis Jean embrassa sa fiancée, et partit pour être de retour à son travail avant l’aube.