L’Arc d’Ulysse/Rossignol

L’Arc d’UlysseÉditions Georges Crès et Co (p. 16-17).

ROSSIGNOL

Les velours fastueux du soir drapent le fût
Bleuissant des vieux ormes ;
Et les bois apaisés ont des soupirs confus
De femmes qui s’endorment.

Réveillez-vous, Dryade et Nymphe ! Éveille-toi,
Âme lourde et fanée,
Car tu vas retrouver ce soir le jeune émoi
De ta seizième année.

Déjà l’ombre tressaille, et le lyrique oiseau,
Aussitôt qu’il prélude,
Fait jaillir une source et trembler un roseau
Dans le cœur le plus rude.

Mais, aux Muses sacré, crains de troubler ce lieu
Et la branche fidèle
Où revient chaque nuit se révéler un dieu,
Et se cacher une aile.

Car l’ombre seule est sûre au chanteur ; et le sang
Dont cette plume est rousse
Enseigne que toujours le caillou du méchant
Vise la gorge douce.

De geais rauques et bleus la gloire aime assortir
Les clinquants de sa jupe :
Ô flûte d’or, éteins les muables saphirs,
Avec les sottes huppes.

Et puisque doit l’hiver, sous un buisson, mouler
La neige à ton squelette,
Que l’orgueil du génie enfle aux plus hautes clefs
Ton gosier de poète.

Chante comme le vent sur l’orgue des roseaux ;
Et, pour t’ouïr, soudaines,
Qu’à leurs glauques plafonds les déesses des eaux
Surgissent jusqu’à l’aîne.

Pour les Dames d’antan, que préserve un sonnet
Vendosmois de la cendre,
Chante, et pour l’aubépin, dont s’aime couronner
L’Ombre qui fut Cassandre.

Celui, dont le chant doit périr, chante à l’écart.
Chante ! — Aux célestes portes,
— Chante si doucement — que se penche Ronsard,
Et t’approuve Desportes.


21 janvier 1918.