L’Arc d’Ulysse/Arras au clair beffroi

L’Arc d’UlysseÉditions Georges Crès et Co (p. 67-68).

ARRAS AU CLAIR BEFFROI

Arras au clair beffroi renaîtra dans les nues
De sa propre fumée.
Le soir magicien souffle de ses cornues
Des villes enflammées.

Voguera le clocher et vogueront les dômes
Par les humides plaines,
Comme Thèbes, Ninive, et les villes fantômes
Depuis l’histoire humaine ;

Comme Jérusalem, dont les chiens ont flairé
Les cadavres épars ;
Troie, où s’accoude Hélène, aux cheveux étirés
Par le vent du rempart.

Cinéma du passé, le ciel crépusculaire,
Ô Reims, pourpre du sacre,
Rebâtira tes murs libérés de la terre,
D’or, de gemme et de nacre.

Quand les canons lointains de l’orage, les glaives
De l’éclair, et le vent
Ruineront le spectre obstiné, notre rêve
Le refera vivant.

Voici le doux hameau qui revient de la guerre
Dans la Flandre assoupie,
Et la lune rassemble à sa lanterne claire
Les moutons de charpie.

Les vieux moulins, jadis prisonniers des collines,
Avec leurs bras perclus,
Ont le grave retour des barques pèlerines
Qu’ils ne jalousent plus.

La veuve en noir regarde en la mélancolie
Illusoire des brumes
Rentrer le beau soldat en capote pâlie
Dans sa maison posthume.

Pour qu’au front du mourant ne soit pas refusé
Le signe d’oraison,
L’Église de campagne où il fut baptisé
Accourt à l’horizon.


25 avril 1915.