L’Antoniade/Premier Âge/Dédicace


DÉDICACE.

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À Catherine Tégahgouïta,
Vierge Iroquoise-Algonquine.

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La fleur dans le désert, la fleur dans la prairie,
Sans que pour la cueillir une main l’ait flétrie,
Ainsi qu’un encensoir, au rayon matinal,
Exhale son parfum suave et virginal.
 Ô Tégahgouïta, douce Fleur Indigène,
En ta vie et ta mort, austèrement chrétienne ;
Toi, dont le cœur sans tache, en sa sérénité,
Fut ébloui du lys de la virginité ;
Toi dont l’âme a compris, a force d’être pure,
Cette vertu de l’ange, — effroi de la nature ; —
Dont l’âme, avant la foi, par instinct a compris
De la virginité l’évangélique prix,
Vertu qui, dans son vol, au ciel emportant l’âme,
En la couronnant reine, angélise la femme !
O bonne Catherine, ô Tégahgouïta,
Geneviève du Nord, que le ciel écouta ;
Qui pris Dieu pour époux, à lui seul consacrée,
Et qui mourus d’amour et d’extase enivrée !
O vierge solitaire, enfant de nos déserts,
Comme un frère à sa sœur, je t’offre ici mes vers ;
Ces vers, où j’ai chanté la vie érémétique,
À toi je les dédie ; — oui, ce livre mystique,
Écrit dans le désert, où Dieu te visita,
Je t’en fais l’humble offrande, ô Tégahgouïta !
Abrite sous ton aile, ô vierge d’Amérique,
Contre un vulgaire esprit, mon poème ascétique ;
Et fais que dans quelque âme, épouse de la Croix,
Ton héroïque amour renaisse au fond des bois ;

Fais que prie à l’écart, aidant sa sœur active,
Marie, en son repos, humble Contemplative,
Et que le ciel fléchi par son austérité,
Jette un regard clément sur ce siècle agité !
 Autrefois, jeune encore, en chantant les savanes, —
La Muse me dicta quelques notes profanes ;
Pour elle, en sa candeur, le monde gracieux,
Les choses de la terre avaient l’éclat des cieux :
Mais depuis, à genoux dans la divine enceinte,
Elle a reçu l’étole avec Fonction sainte ;
Et par le sacerdoce attachée au Seigneur,
Son amour en lui seul a trouvé le bonheur ;
Craintive en son espoir, avec inquiétude
Elle aborde les lieux où vit la multitude ;
Et quand son cœur s’exhale en de pieux concerts,
C’est toujours, loin du siècle, au fond des grands déserts ;
Semblable au whip-poor-will, harmonieux ermite,
À l’ombre des forêts, elle prie et médite,
Et veillant avec lui, sous l’azur étoile,
Sent descendre l’extase en son cœur isolé ;
Dans le calme profond et l’ardente prière,
Son esprit en silence et s’enflamme et s’éclaire ;
Consacrée à jamais par un vœu solennel,
La paix est dans son âme, et son âme est au ciel !
Pour elle la douleur a son intime ivresse ;
Elle puise la joie au fond de la tristesse ;
Et dans la solitude, unie à son époux,
En le possédant seul, sympathise avec tous !