CHAPITRE VI


L’ANTIJUDAÏSME DEPUIS LA RÉFORME JUSQU’À LA RÉVOLUTION FRANÇAISE


Situation des Juifs aux débuts du seizième siècle. — Défaite des Maures. — Expulsion d’Espagne. — Adoucissement des mœurs. — Les dernières persécutions. — L’Inquisition en Portugal. — La Renaissance et la Réforme de l’Église. — Les attaques contre la Primauté romaine. — Les Humanistes et le Talmud. — Reuchlin et Pfefferkorn. — La Réforme et l’Esprit juif. — La Bible. — Luther et les Juifs. — Transformation de la question sociale et de la question religieuse. — Les guerres des Paysans. — Les Juifs ne sont plus les principaux ennemis de l’Église. — L’État chrétien. — Le catholicisme, les réformés et les Juifs. — Les papes et le Judaïsme. — Les mesures contre le Talmud et les conversions. — La législation antijuive. — Les vexations et les avanies. — L’antijudaïsme dogmatique. — Le rappel des Juifs. — Les Juifs en Europe au XVIIIe siècle. — Les Juifs en Hollande, en Angleterre, en Pologne et en Turquie. — Les Juifs portugais en France. — État intellectuel et moral des Juifs. — Cabbalisme et Messianisme. — Sabbataï Zevi et Franck. Les sectes mystiques : les Hassidim et les Néo-Hassidim, les Donmeh et les Trinitaires. — Le Talmudisme. — Joseph Caro et le Schulchan-Aruch ; le Pilpoul. — La réaction juive contre le Talmud. — Mardoché Kolkos, Uriel Acosta, Spinoza. — Mendelssohn, le Méassef et l’émancipation juive. — La philosophie humanitaire et les Juifs. — L’état social et les Juifs. — Les objections économiques et les objections politiques. — Maury et Clermont-Tonnerre ; Rewbel et Grégoire. — La Révolution. — L’entrée des Juifs dans la société.


Quand se leva l’aube du seizième siècle, quand le premier souffle de liberté passa sur le monde, les Juifs n’étaient plus qu’un peuple de captifs et d’esclaves. Enfermés dans les ghettos dont leurs mains imbéciles avaient contribué à épaissir les murailles, ils étaient retirés de la société des hommes et pour la plupart ils vivaient dans un état de lamentable et navrante abjection. Comme ils avaient eux-mêmes fermé toutes les portes, obstrué toutes les fenêtres par où ils auraient pu recevoir air et lumière, leur intellect s’était atrophié. Durant tout le Moyen-Age, sous l’influence des peuples ambiants, des législations spéciales et avilissantes, sous l’action déprimante et funeste des talmudistes, ils avaient acquis cette physionomie particulière, qu’ils ne perdirent que de nos jours et que beaucoup conservent encore en Pologne, en Roumanie. en Russie, en Hongrie, en Bohême et en quelques parties de l’Allemagne, physionomie que l’humilité coutumière avait rendue basse et obséquieuse, que les conditions d’existence avaient faite craintive et maladive, que l’enseignement exclusif des rabbins avait empreinte de cautèle et d’hypocrisie, mais que la souffrance avait affinée, illuminée parfois de tristesse passive et de résignation douloureuse. Le nombre de ceux qui avaient échappé à cet abaissement était très restreint, et les Juifs qui avaient su garder leur cerveau libre et leur esprit fier étaient en minorité infime. C’étaient pour la plupart des médecins, car la médecine était la seule science que permît le Talmud ; en même temps ils étaient parfois des philosophes, et nous verrons le rôle qu’ils jouèrent en Italie pendant la Renaissance. Quant à la masse, elle était inapte à tout ce qui n’était pas commerce ou usure. Elle n’avait plus du reste aucun droit, aucune capacité, nulle route ne pouvait s’ouvrir devant elle, et les rares chemins qu’elle aurait pu encore prendre lui étaient fermés par ses propres docteurs qui s’étaient ainsi alliés aux légistes chrétiens.

Ces derniers, dans leur œuvre, s’étaient inspirés des doctrines de l’Église, ces doctrines que Thomas d’Aquin avait lapidairement exprimées. Judaei sunt servi, avait dit énergiquement le maître ; la loi ne les avait pas considérés autrement. À la fin du quinzième siècle, le Juif était devenu le serf de la chambre impériale en Allemagne, en France il était le serf du roi, le serf du seigneur, moins que le serf même, car le serf encore pouvait posséder tandis qu’en réalité le Juif n’avait pas de propriété ; il était une chose plutôt qu’une personne. Le roi et le seigneur, l’évêque ou l’abbé pouvaient disposer de tout ce qui appartenait au Juif, c’est-à-dire de tout ce qui semblait lui appartenir, car la possibilité de posséder était pour lui purement fictive. Il était imposable à merci, il subissait des impôts fixes, sans préjudice des confiscations et tandis que, d’une part, l’Église faisait tous ses efforts pour attirer le Juif à elle, d’autre part les barons et les dignitaires ecclésiastiques le retenaient dans sa condition. S’il se convertissait, il perdait ses biens au profit du seigneur désireux de compenser la perte des taxes qu’il ne pouvait plus percevoir sur le converti et ainsi, l’intérêt maintenait le Juif dans son ergastule. On le regardait comme une bête, une bête immonde et utile, moins qu’un chien ou qu’un pourceau auxquels pourtant le péage personnel l’assimilait ; c’était l’éternel maudit, celui sur lequel il était licite, méritoire même, de faire retomber les coups qu’avait supportés le Crucifié dans le prétoire de Pilate.

Lorsque s’ouvrit le seizième siècle, le seul pays dans lequel les Juifs pouvaient prétendre à la dignité d’homme venait de leur être fermé. La prise de Grenade et la conquête du royaume maure avaient enlevé aux Juifs leur dernier refuge. Le jour (le 2 janvier 1492) où Ferdinand et Isabelle entrèrent dans la cité musulmane, l’Espagne tout entière fut chrétienne. La guerre sainte des Espagnols contre les infidèles était close victorieusement, et les Maures qui subsistaient, malgré la sécurité qui leur avait été garantie, furent cruellement persécutés. Comme la victoire avait excité le fanatisme d’une part, et le sentiment national de l’autre, l’Espagne, délivrée des Maures, voulut se débarrasser des Juifs, que le roi et la reine catholique expulsèrent l’année même de la chute de Boabdil, tandis que l’Inquisition redoublait de rigueur envers les Marranes et la descendance des Morisques.

Cependant, et malgré que la condition où ils étaient réduits fût lamentable, le temps des grandes douleurs était passé pour les Juifs. Ils commencent à descendre la colline qu’ils ont si péniblement gravie, et, s’ils ne trouvent pas encore toute sécurité par les sentiers, ils rencontrent plus d’humanité, plus de pitié. Les mœurs s’adoucissent à cette époque, les âmes deviennent moins rudes, on acquiert réellement la notion de la créature humaine ; cet âge, où grandit l’individualisme, comprend mieux l’individu ; en même temps que la personnalité se développe, on se montre plus tendre pour la personne d’autrui.

Les Juifs se ressentirent de cet état d’esprit. Ils furent tout aussi méprisés, mais ils furent haïs d’une façon moins violente. On voulut encore les attirer au christianisme, mais par la persuasion. On les expulsa bien de quelques cités et de quelques pays ; on les chassa de Cologne et de Bohême au seizième siècle ; les corporations d’artisans de Francfort et de Worms, conduites par Vincent Fettmilch, les obligèrent aussi à quitter ces villes ; mais en leur qualité de serfs de la Chambre impériale, ils furent efficacement protégés par leur suzerain. Si Léopold Ier les renvoya de Vienne, si plus tard Marie-Thérèse les expulsa de Moravie, ces décrets d’expulsion n’eurent qu’un effet temporaire, leurs conséquences ne se firent pas sentir longtemps ; et quand les Juifs rentrèrent dans les villes à la faveur d’une certaine tolérance, ils ne furent pas violentés. Les massacres de Franconie et de Moravie, les bûchers de Prague furent exceptionnels au seizième siècle ; et quant aux exterminations que Chmielniki commanda en Pologne au dix-septième siècle, elles n’atteignirent les Juifs que par ricochet.

De persécutions systématiques, il n’y en eut plus désormais, sinon celles que l’Inquisition continua à exercer en Espagne contre les Juifs convertis, et en Portugal lorsqu’elle fut introduite par le pape Clément VII, à la prière de Jean III, et après les massacres de 1506. Encore, là, l’Inquisition fut-elle confiée aux Franciscains, qui se montrèrent moins féroces que les Dominicains espagnols.

Les Juifs n’avaient pourtant pas changé. Tels nous les avons vus en plein moyen âge, tels nous les retrouvons au moment de la Réforme ; peut-être même, moralement et intellectuellement, la masse juive était-elle pire. Mais s’ils n’avaient pas changé, on avait changé à côté d’eux. On était moins croyant, et partant moins porté à détester les hérétiques. L’Averroïsme avait préparé cette décadence de la foi, et l’on sait quelle part les Juifs eurent dans la diffusion de l’Averroïsme ; de telle sorte qu’ils travaillèrent ainsi pour eux. La plupart des averroïstes étaient des incrédules, ou tout au moins attaquaient-ils la religion chrétienne. Ils furent les ancêtres directs des hommes de la Renaissance. C’est grâce à eux que s’élabora l’esprit de doute, et aussi l’esprit d’investigation. Les platoniciens de Florence, les aristotéliciens d’Italie, les humanistes d’Allemagne, vinrent d’eux ; c’est grâce à eux que Pomponazzo composa des traités contre l’immortalité de l’âme, grâce à eux encore que chez les penseurs du seizième siècle germa ce théisme qui correspondit à une décadence du catholicisme.

Animés de semblables sentiments, les hommes de cette période ne pouvaient guère s’enflammer d’une indignation religieuse contre les Juifs. D’autres préoccupations les sollicitaient d’ailleurs, et ils avaient à abattre deux autorités puissantes : la scolastique et la primauté romaine. Les luttes du siècle précédent, le schisme d’Occident, la licence des mœurs parmi les clercs, la simonie, la vente des bénéfices et des indulgences, tout cela avait affaibli l’Église et diminué la papauté. De toutes parts on se levait contre elle. On proclamait l’autorité du concile supérieure à celle du pape. On faisait des distinctions entre l’Église universelle qui est infaillible et l’Église romaine qui est capable d’errer. Les séculiers et les réguliers se disputaient, des voix s’élevaient demandant un changement. « Il faut moraliser le clergé », avaient déjà dit les Pères du synode de Vienne (1311). Après eux, on déclara qu’il fallait réformer « la tête et les membres ». Déjà le mouvement des Hussites, celui des Frérots, des Fraticelles, des Beggards, avaient été une protestation contre les richesses et la corruption de l’Église, mais la Papauté était impuissante à réformer, et la Réforme devait se faire en dehors d’elle et contre elle.

Les humanistes en furent les promoteurs. Tout les détournait du catholicisme. Les Grecs de Constantinople fuyant les Turcs leur avaient apporté les trésors des littératures anciennes ; Colomb en découvrant le nouveau monde venait de leur ouvrir des horizons inconnus. Ils trouvaient là des raisons nouvelles de combattre la scolastique, cette vieille servante de l’Église. En Italie les humanistes devenaient sceptiques et païens, ils s’émancipaient en raillant ou en platonisant, mais en Allemagne le mouvement d’émancipation qu’ils contribuaient à créer devenait plutôt religieux. Pour vaincre les scolastiques, les humanistes de l’empire devinrent des théologiens, et pour s’armer mieux ils allèrent aux sources mêmes : ils apprirent l’hébreu, non comme Pic de la Mirandole et les Italiens, par une sorte de dilettantisme ou par amour de la science, mais pour y trouver des arguments contre leurs adversaires.

Pendant ces années qui annoncent la Réforme, le Juif devint éducateur et enseigna l’hébreu aux savants, il les initia aux mystères de la cabbale, après leur avoir ouvert les portes de la philosophie arabe, il les munit, contre le catholicisme, de la redoutable exégèse que les rabbins avaient, durant des siècles, cultivée et fortifiée : cette exégèse dont saura se servir le protestantisme, et plus tard le rationalisme. Par un hasard singulier, les Juifs qui avaient, consciemment ou inconsciemment, donné des armes à l’humanisme lui fournirent le prétexte de sa première bataille sérieuse. La dispute pour ou contre le Talmud préluda aux disputes sur l’Eucharistie.

C’est à Cologne que s’ouvrit le combat ; Cologne, cité de l’Inquisition, capitale des dominicains. Un Juif converti, Joseph Pfefferkorn dénonça une fois encore le Talmud au monde chrétien et, soutenu par le grand inquisiteur Hochstraten, il obtint de l’empereur Maximilien un édit l’autorisant à examiner le contenu des livres juifs et à détruire ceux qui blasphémaient la Bible et la foi catholique. Les Juifs en appelèrent à Maximilien de cette décision, et ils réussirent à faire attribuer à l’archevêque électeur de Mayence les pouvoirs conférés d’abord à Pfefferkorn. L’archevêque prit pour conseillers des docteurs, des humanistes, et parmi ceux-là Reuchlin. Reuchlin n’avait pas pour les Juifs une sympathie immodérée, il les avait même attaqués à son heure mais s’il méprisait les Juifs en général, il n’en était pas moins un hébraïsant et, à ce titre, le Talmud l’intéressait plus sans doute que le tribunal inquisitorial et ses arrêts. Aussi, il combattit violemment les projets de Pfefferkorn et des dominicains et non seulement il déclara qu’il fallait conserver les livres des Israélites mais encore il soutint que l’on devrait créer dans les universités des chaires d’hébreu. On accusa Reuchlin de s’être laissé corrompre par l’or des Juifs. Il répondit par un pamphlet terrible, Le Miroir des yeux qui fut condamné au feu, et dès lors les Juifs, cause originelle du débat, furent oubliés, les humanistes et les dominicains restèrent seuls en présence et ces derniers, abattus définitivement par les Lettres des hommes obscurs, furent condamnés par l’évêque de Spire et abandonnés par le pape qui, quelques années après, donna aux imprimeurs d’Anvers le privilège de publier le Talmud.

Mais des temps nouveaux s’approchaient ; la tempête que chacun prévoyait fondit sur l’Église. Luther publia à Wittemberg ses quatre-vingt-quinze thèses, et le catholicisme n’eut pas seulement à défendre la condition de ses prêtres, il fallut qu’il combattît pour ses dogmes essentiels. Un instant les théologiens oublièrent les Juifs, ils oublièrent même que le mouvement qui se propageait prenait ses racines aux sources hébraïques. Cependant la Réforme en Allemagne, comme en Angleterre, fut un de ces moments où le christianisme se retrempa aux sources juives. C’est l’esprit juif qui triompha avec le protestantisme. La Réforme fut par certains de ses côtés un retour au vieil ébionisme des âges évangéliques. Une grande partie des sectes protestantes fut demi-juive, des doctrines antitrinitaires furent plus tard prêchées par des protestants, entre autres par Michel Servet et par les deux Socins de Sienne. En Transylvanie même l’antitrinitarisme avait fleuri dès le seizième siècle, et Seidélius avait soutenu l’excellence du Judaïsme et du Décalogue. Les évangiles furent délaissés pour la Bible et pour l’Apocalypse. On sait l’influence que ces deux livres exercèrent sur les luthériens, sur les calvinistes et surtout sur les réformateurs et les révolutionnaires anglais. Cette influence se prolongea jusqu’au dix-huitième siècle même, c’est elle qui fit les Kakers, les Méthodistes, les Piétistes et surtout les Millénaires, les Hommes de la Cinquième Monarchie, qui avec Venner à Londres, rêvaient la république et s’alliaient avec les Niveleurs de John Lilburn.

Aussi à ses débuts en Allemagne le protestantisme chercha-t-il à gagner les Juifs et, à ce point de vue, l’analogie est singulière entre Luther et Mahomet. Tous deux tirèrent leurs doctrines des sources hébraïques, tous deux désirèrent faire approuver par les débris d’Israël les dogmes nouveaux qu’ils dressaient. Ce n’est pas là, en effet, un des côtés les moins curieux de l’histoire de cette nation. Tandis que le Juif est détesté, méprisé, avili, couvert de crachats et de boue, souillé d’outrages, martyrisé, enfermé et frappé, c’est de lui que le catholicisme attend le règne final de Jésus, c’est le retour des Juifs que l’Église espère et demande, ce retour qui pour elle sera le suprême témoignage de la vérité de ses croyances, et c’est aussi aux Juifs que les luthériens et les calvinistes en appellent. Il semble même que ces derniers eussent été pleinement convaincus de la justice de leur cause si les fils de Jacob étaient venus à eux. Mais les Juifs étaient toujours le peuple obstiné de l’Écriture, le peuple à la nuque dure, rebelle aux injonctions, tenace, intrépidement fidèle à son dieu et à sa loi.

La prédication de Luther fut vaine, et le colérique moine publia contre les Juifs un terrible pamphlet[1]. « Les Juifs sont des brutes, disait-il, leurs synagogues sont des étables à porcs, il faut les incendier, car Moïse le ferait s’il revenait au monde. Ils traînent dans la boue les paroles divines, ils vivent de mal et de rapines, ce sont des bêtes mauvaises qu’il faudrait chasser comme des chiens enragés. »

Malgré ces violences, malgré ces excitations, malgré les controverses nombreuses qui eurent lieu entre protestants et Juifs, ces derniers ne furent pas maltraités en Allemagne : on n’avait pas le loisir de s’occuper d’eux. D’un côté les luthériens et les calvinistes avaient fort à faire à se disputer entre eux ; les discussions sur l’eucharistie, sur l’impanation et l’invination, sur la trinité et sur la nature de Christ, occupaient suffisamment leurs esprits, et les sectes étaient si nombreuses — Crypto-calvinistes et Antinomistes, Adiaphoristes et Majoristes, Osiandristes et Synergistes, Memnonites et Synerchistes, etc., — que batailler les unes contre les autres devait absorber leur activité. D’autre part, les conditions sociales et religieuses étaient bien changées et leur changement était profitable aux Juifs qui voyaient d’autres préoccupations s’emparer de leurs ennemis.

Excédés de misères, décimés par la guerre, ruinés, réduits à l’esclavage, en proie au dénuement et à la famine, les paysans du seizième siècle ne s’en prirent plus uniquement au Juif prêteur d’argent ou au chrétien usurier, ils visèrent plus haut, ils attaquèrent d’abord toute une classe, celle des riches, et ensuite l’état social tout entier. Leur révolte fut générale, ce furent d’abord les paysans des Pays-Bas, ensuite, et surtout, ceux de l’Allemagne. Dans tout l’empire ils avaient fondé des sociétés secrètes, le Bundschuh[2], le Pauvre Conrad, la Confédération évangélique. En 1503 les paysans de Spire et des bords du Rhin s’insurgèrent ; en 1512 les bandes de Joss Fritz ; en 1514 les paysans du Wurtemberg ; en 1515 les paysans d’Autriche et de Hongrie ; en 1524 ceux de Souabe ; en 1525 ceux de Souabe, d’Alsace, du Palatinat. Tous marchèrent au cri de « En Christ il n’y a plus ni maître ni esclave ». Les artisans se joignirent à eux, des chevaliers comme Gœtz de Berlichingen se mirent à leurs têtes et ils massacrèrent les nobles et incendièrent les châteaux et les couvents.

Munzer, lui, alla plus loin encore, il combattit non seulement contre les barons, les évêques et les riches, ces « rois de Moab », mais il combattit le principe même d’autorité. « Plus d’autorité, criait-il, sinon celle qu’on accepte et choisit librement. » Dans le code de douze articles qu’il rédigea, il voulait l’affranchissement des serfs et lorsqu’il monta sur l’échafaud, après avoir perdu la bataille de Frankenhausen, il attesta qu’il avait voulu « établir l’égalité dans la chrétienté ; que toutes choses fussent communes à tous et à chacun selon ses besoins ». Les douze articles furent traduits en français, et répandus en Lorraine où les paysans se soulevèrent aussi, au moment où Hutter et Gabriel Scherding allaient fonder les communautés de Moravie, au moment où l’anabaptisme se répandait en Suisse, en Bohême et dans les Pays-Bas.

Dans ce formidable mouvement qui jusqu’en 1535 agita une partie de l’Europe, laissant partout des traces profondes, les Juifs avaient été négligés, ils avaient cessé d’être le bouc émissaire et ce n’avait plus été sur eux que s’étaient rués les pauvres hères, les affamés et les misérables.

Étaient-ils aussi heureux dans les pays catholiques ? Oui, car là aussi ils avaient cessé d’être les principaux, les uniques ennemis de l’Église, et ce n’était plus eux qu’on redoutait.

Les protestants faisaient oublier les Juifs ; leur existence menaçait la vieille conception de l’État catholique, et ce fut cette conception séculaire qui attira aux religionnaires de France, d’Italie et d’Espagne, des persécutions identiques à celles qu’avaient jusqu’alors subies les Juifs.

Cependant, après le concile de Trente, la papauté réformée se préoccupa de nouveau des Juifs. Le relâchement des idées religieuses avait amené en Italie un rapprochement entre une certaine catégorie de Juifs et les différentes classes de la société. D’abord les humanistes, les poètes, fréquentaient les savants, les philosophes et les médecins israélites. Cette familiarité avait commencé au quatorzième siècle où l’on vit Dante avoir pour ami le Juif Manoello, le cousin du philosophe Guida Romano ; elle continua au quinzième siècle et au seizième siècle. Alemani fut le maître de Pic de la Mirandole, Élie del Medigo enseigna la métaphysique publiquement à Padoue et à Florence, Léon l’Hébreu publia ses dialogues platoniciens sur l’amour. Les imprimeurs juifs, comme le savant Soncino, furent en rapport constant avec les lettrés de l’époque ; Soncino, dont la librairie fut le centre des publications hébraïques, entra même en rivalité avec Alde et imprima aussi des auteurs grecs. Hercule Gonzague, évêque de Mantoue, disciple du Juif Pomponazzo de Bologne, accepta les dédicaces de Jacob Mantino, qui avait traduit le Compendium d’Averroès, tandis que d’autres princes encouragèrent Abraham de Balmes dans son œuvre de traducteur[3]. Et non seulement la catégorie sceptique, incrédule même, des hellénistes et des latinistes, adorateurs de Zeus et d’Aphrodite plus que de Jésus, frayait avec les Juifs, mais les seigneurs et les bourgeois faisaient de même. « Il se trouve, dit l’évêque Maïol[4], des personnes et souvent de qualité, tant d’hommes que femmes, qui sont si fols et insensés qu’ils consultent avec les Juifs de leurs plus intimes affaires, à leur grand préjudice. On les voit (les Juifs) hanter et fréquenter les maisons et les palais des grands, les logis des officiers, des conseillers, des secrétaires, des gentilshommes, tant en la ville qu’aux champs. » On ne se contentait pas de recevoir les Juifs, on allait chez eux et, mieux, on assistait à leurs cérémonies religieuses. « Il se trouve, dit encore Maïol, des personnes parmi nous qui hantent et révèrent superstitieusement les synagogues » ; et les apostrophant, il s’écrie : « Vous entendez les Juifs aux jours de leurs festes, sonnant de la trompe, et vous accourez avec votre famille pour les regarder. » Cela continua ainsi pendant le dix-septième siècle. On allait à Ferrare entendre les sermons de Judas Azael et en 1676 encore Innocent XI menaçait de l’excommunication et d’une amende de quinze ducats ceux qui fréquentaient les synagogues. Les papes craignaient donc encore sur leurs fidèles l’influence juive ? Après la terrible secousse qui venait d’ébranler l’Église, ils voulaient plus que jamais garantir la sécurité du dogme catholique. « On pourra supporter le Talmud, avait décidé le concile de Trente, en enlevant les injures qu’il contient, car des parties du Talmud peuvent servir à la défense de la foi et montrer aux Juifs leur obstination. » Les papes ne furent pas de cet avis. Sur la dénonciation d’un Juif converti, Salomone Romano, Jules III fit brûler le Talmud à Rome et à Venise ; à la requête d’un autre converti, Vittorio Eliano, Paul IV encore le condamna ; de même firent Pie V et Clément VIII.

L’Église romaine, qui jusqu’alors avait été bienveillante pour les Juifs, devint, pendant la réaction dogmatique et théologique qui suivit la Réforme, le seul gouvernement, l’unique autorité presque, qui persécuta systématiquement le judaïsme. Paul IV remit en vigueur les anciennes lois canoniques, il fit brûler les Marranes, et Pie V, après avoir publié sa Constitution contre les Juifs, les expulsa de ses états sauf de Rome et d’Ancône, pendant que les Espagnols, à mesure qu’ils pénétraient en Italie, les chassaient de Naples, de Gênes et de Milan.

Un autre souci animait toutefois l’Église. Pourchasser les Juifs et brûler leurs livres était bien : les convertir était mieux. Ç’avait été la constante préoccupation des théologiens, des docteurs chrétiens et des pères. Au quinzième siècle, les conciles s’étaient occupés de la conversion des Juifs. Le concile de Bâle avait ordonné de prêcher les Juifs en Allemagne, et avait attribué d’importants privilèges aux convertis. Les papes du seizième siècle obligèrent les Juifs à assister à certains sermons, et leur firent annoncer la bonne parole par leurs propres apostats. Le tiers des Juifs de Rome devait tour à tour être présent aux prédications. Et tandis que Sadolet faisait restreindre à Avignon les privilèges pontificaux accordés aux Juifs, tandis qu’on imposait aux synagogues dix ducats d’impôt annuel pour l’instruction de ceux qui voulaient abjurer le judaïsme, Paul IV faisait bâtir des maisons hospitalières où l’on nourrissait, habillait et soignait les catéchumènes.

Les autres souverains n’eurent pas pour s’occuper des Juifs les mêmes motifs que les papes. Aussi depuis le seizième siècle, on cessa de légiférer contre les Juifs. On ne trouve plus guère en Allemagne que l’édit de Ferdinand Ier relatif aux usures des Juifs, quelques décrets en Pologne, et beaucoup plus tard les défenses de Louis XV et de Louis XVI. Pour retrouver une législation antijuive, il faudra étudier la Russie moderne, la Roumanie et la Serbie, ce que nous ferons tout à l’heure.

L’antijudaïsme consistait surtout en vexations, en avanies. Le populaire se plaisait à railler les Juifs et souvent les grands les donnaient en spectacle. Léon X, pontife fastueux, qui aimait les bouffonneries — il avait près de lui deux moines qui étaient chargés de le divertir par leurs plaisanteries — faisait donner des courses de Juifs et du haut de ses balcons il lorgnait le spectacle, car il était fort myope. Pendant le carnaval de Rome, le peuple parodiait l’enterrement des rabbins, et souvent on promenait par les rues de la ville un Juif chevauchant à rebours un âne, et tenant dans ses mains la queue de l’animal[5].

Sur les portes des Ghettos, on sculptait une truie, parfois même on l’entourait de groupes obscènes dans lesquels figuraient des rabbins[6]. La truie symbolisait la synagogue — de même que chez les Israélites l’Église romaine était désignée par le nom hébreu du porc — et on le rappelait souvent aux Juifs ; un peintre raconta même un jour à Wagenseil qu’il avait peint une truie sur les vantaux de l’arche d’une synagogue qu’on l’avait chargé d’orner.

Chez les savants, chez les érudits, chez les théologiens, l’antijudaïsme devenait dogmatique et théorique. On voulait bien ramener les Juifs mais par la douceur. Il n’était plus question de brûler leurs livres, mais de les traduire. On disait que désormais la foi chrétienne était assez solidement enracinée pour qu’on pût sans danger pour les fidèles publier les œuvres juives, comme on l’avait fait pour celles des Ariens et autres hérétiques. Ainsi on connaîtrait les procédés de polémique des Israélites et on les saurait combattre efficacement.

Cette étude eut un tout autre résultat que celui qu’on en attendait. En scrutant l’esprit juif on se rapprocha d’eux, on leur devint par cela même plus sympathique. Des hommes qui s’étaient préparés à l’exégèse scientifique, comme Richard Simon par exemple, par des recherches de talmudistes et d’hébraïsants, ne pouvaient regarder avec haine ceux desquels ils tenaient leur science. D’autres s’inquiétaient de savoir à quelle époque les Juifs seraient appelés à la communion chrétienne. Le dix-septième siècle fut le temps le plus propice aux disputes sur le rappel des Juifs. En France, la question de savoir si les Juifs seraient rappelés à la fin du monde ou avant, divisa Bossuet et les Figuristes que conduisait Duguet[7]. En Angleterre, les millénaires annonçaient le retour des Juifs[8]. Ils florirent surtout au dix-huitième siècle, pendant lequel Worthington, Bellamy, Winchester et Towers décrivaient les temps prochains du millenium. En Allemagne aussi cette opinion eut des défenseurs : ainsi Bengel. En France, non seulement les convulsionnaires de Saint-Médard proclamaient la prochaine entrée des Juifs dans l’Église, mais encore on vit jusqu’à nos jours des hommes soutenir ces rêveries, et, en 1809, le président Agier fixait la date de la conversion des Juifs à l’année 1849.

Au dix-huitième siècle, dans toute l’Europe, les Juifs jouissaient de la plus grande tranquillité. En Pologne seulement ils vivaient mal pour avoir trop bien vécu. Ils avaient été là prospères jusqu’au milieu du dix-septième siècle. Riches, puissants, ils avaient subsisté en égaux à côté des chrétiens, traités comme ceux du peuple au milieu duquel ils habitaient ; ils n’avaient pu néanmoins se livrer qu’à leur habituel commerce, à leurs vices, à leur passion pour l’or. Dominés par les Talmudistes, ils ne surent rien produire sinon des commentateurs de Talmud. Ils furent des collecteurs d’impôts, des distillateurs d’alcool, des usuriers, des intendants seigneuriaux. Ils furent les alliés des nobles dans leur œuvre d’oppression abominable, et quand les cosaques de l’Ukraine et de la petite Russie, conduits par Chmielmicki, se soulevèrent contre la tyrannie polonaise, les Juifs, complices des Seigneurs, furent les premiers massacrés. En dix ans, dit-on, on en tua plus de cent mille, mais autant tua-t-on de catholiques et surtout de Jésuites.

Ailleurs, ils étaient fort prospères. Ainsi dans l’Empire ottoman ils étaient simplement soumis à la taxe des étrangers et ne subissaient aucune réglementation restrictive, mais nulle part leur prospérité n’était si grande qu’en Hollande et en Angleterre. Ils s’étaient établis dans les Pays-Bas en 1593, Marranes fuyant l’Inquisition espagnole, et de là ils avaient détaché une colonie à Hambourg puis, plus tard, sous Cromwell, en Angleterre, d’où depuis des siècles ils étaient chassés, et où Menassé-ben-Israël les ramena. Les Hollandais, comme les Anglais, gens pratiques et avisés, utilisèrent le génie commercial des Juifs et le firent servir à leur propre enrichissement. D’incontestables affinités existaient du reste entre l’esprit de ces nations et l’esprit juif, entre l’Israélite et le Hollandais positif ou l’Anglais, cet Anglais dont le caractère, dit Emerson, peut se ramener à une dualité irréductible qui fait de ce peuple le plus rêveur et le plus pratique du monde, chose que l’on peut également dire des Juifs.

En France, les Juifs portugais avaient été autorisés par Henri II à s’établir à Bordeaux, où, en vertu des privilèges conférés, privilèges que confirmèrent Henri III, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, ils acquirent de grandes richesses dans le commerce maritime.

Dans les autres villes de France, on en trouvait fort peu, encore que ceux qui séjournaient soit à Paris, soit ailleurs, n’y avaient élu domicile qu’à cause de la tolérance administrative. En Alsace seulement existait une forte agglomération.

L’excellence de leur situation ne provoquait pas de manifestations violentes, parfois on protestait un peu, on disait avec Expilly : « On voit avec une peine infinie que des hommes aussi vils, qui n’ont été reçus qu’en qualité d’esclaves, aient des meubles précieux, vivent délicatement, portent de l’or et de l’argent sur leurs habits, se parent, se parfument, apprennent la musique instrumentale et vocale et montent à cheval par pure distraction. » Cependant de jour en jour une plus large tolérance se manifestait à leur égard ; le monde se rapprochait d’eux. Se rapprochaient-ils à leur tour du monde ? Non. Ils semblaient s’attacher de plus en plus à leur patriotisme mystique ; plus ils allaient, plus les rêves de la Kabbale les hantaient, ils attendaient le Messie avec une confiance chaque jour renouvelée, et jamais les faux Messies ne furent accueillis avec autant d’enthousiasme qu’au dix-septième et au dix-huitième siècle. Les kabbalistes épuisaient les combinaisons arithmétiques pour calculer la date exacte de la venue de celui qui était si désiré. Vers 1666, époque que l’on avait le plus généralement indiquée comme l’époque sacrée, tous les Juifs d’Orient furent soulevés par les prédications de Zabbataï Zévi. De Smyrne, où Zabbataï avait proclamé sa messianité, le mouvement se propagea en Hollande, et même en Angleterre, et chacun attendit de ce roi des rois, ainsi appelait-on Zabbatai, la restauration de Jérusalem et du royaume saint. Le même enthousiasme se manifesta en 1755, lorsque Frank se présenta en Podolie comme le nouveau Messie. Autour de tous ces illuminés, de nombreuses sectes mystiques se formèrent : celles des Donmeh, qui se rattachait aux musulmans, celle des Hassidims, des néo-Hassidims et celle des Trinitaires qui se rapprochait du christianisme en professant le dogme du Dieu un et triple[9].

Ces espoirs qu’entretenait l’illuminisme des kabbalistes contribuaient à retenir les Juifs à l’écart, mais ceux qui n’étaient pas séduits par les spéculations des rêveurs se courbaient sous le joug du Talmud, joug plus rude encore, plus avilissant en tous cas. Depuis le seizième siècle, loin de diminuer, la tyrannie talmudique s’était accrue. À cette époque Joseph Caro avait rédigé le Schulchan Aruch, code talmudique qui — suivant d’ailleurs les traditions inculquées par les rabbanites — érigeait en lois les opinions doctorales. Jusqu’à notre temps, les Juifs d’Europe vécurent sous l’abominable oppression de ces pratiques[10]. Les Juifs polonais, renchérissant encore sur Joseph Caro, raffinèrent les subtilités déjà si grandes du Schulchan Aruch, auquel ils firent des additions, et ils instaurèrent dans l’enseignement dialectique la méthode du Pilpoul (des grains de poivre).

A mesure donc que le monde se faisait plus doux pour eux, les Juifs — du moins la masse — se retiraient en eux-mêmes, ils rétrécissaient leur prison, ils se liaient de liens plus étroits. Leur décrépitude était inouïe, leur affaissement intellectuel n’avait d’égal que leur abaissement moral ; ce peuple paraissait mort.

Cependant la réaction talmudique partit des Juifs eux-mêmes. Au dixième siècle, Mardochée Kolkos[11], de Venise, avait déjà publié un livre contre la Mischna ; au dix-septième siècle, Uriel Acosta combattit avec violence les rabbins[12], et Spinoza ne se montra pas pour eux très tendre[13]. Mais l’antitalmudisme se manifesta surtout au dix-huitième siècle, d’abord parmi les mystiques, ainsi les Zoharites disciples de Franck qui se déclaraient les ennemis des docteurs de la loi. Toutefois ces adversaires des rabbanites étaient impuissants à tirer les Juifs de leur abjection. Il fallut, pour commencer cette œuvre, qu’un homme, juif en même temps que philosophe, Moïse Mendelssohn, opposât au Talmud la Bible. Il la traduisit en allemand en 1779 : grande révolution ! C’était le premier coup porté à l’influence rabbinique. Aussi les talmudistes qui avaient jadis voulu assassiner Kolkos et Spinoza, attaquèrent-ils violemment Mendelssohn et interdirent sous peine d’excommunication la lecture de la Bible qu’il avait traduite. Ces colères furent vaines. Mendelssohn fut suivi ; des jeunes gens, ses disciples, fondèrent un journal, le Meassef, qui défendait le nouveau judaïsme, essayait d’arracher les Juifs à leur ignorance et à leur avilissement, et préparait leur émancipation morale. Quant à l’émancipation politique, la philosophie humanitaire du dix-huitième siècle travaillait à la rendre possible. Si Voltaire fut un ardent judéophobe, les idées que lui et les encyclopédistes représentaient n’étaient pas hostiles aux Juifs, puisque c’étaient des idées de liberté et d’égalité universelle. D’autre part, si, en fait, les Juifs étaient isolés dans les états, ils n’étaient pas sans avoir des points de contact avec ceux qui les entouraient.

Le capitalisme s’était développé parmi les nations ; l’agiotage et la spéculation étaient nés ; les financiers chrétiens s’y livraient avec ardeur, comme ils se livraient à l’usure, comme, en qualité de fermiers généraux, ils percevaient les impôts et les taxes. Les Juifs pouvaient par conséquent prendre leur place au milieu de ceux que « les escomptes enrichissaient aux dépens du public, et qui étaient les maîtres de tous les biens des Français de tous les ordres », ainsi que disait déjà Saint-Simon.

Les objections économiques qu’on fit valoir contre leur émancipation possible n’avaient plus la même valeur qu’au moyen âge, alors que l’Église voulait faire des Juifs les seuls représentants de la classe des manieurs d’argent. Quant aux objections politiques : qu’ils formaient un État dans l’État, que leur présence en qualité de citoyens ne se pouvait tolérer dans une société chrétienne, et lui était même nuisible, elles restèrent valables jusqu’au jour où la Révolution française porta un coup direct à la conception de l’état chrétien. Aussi, Dohm, Mirabeau, Clermont-Tonnerre, l’abbé Grégoire eurent-ils raison contre Rewbel, Maury et le prince de Broglie, et l’Assemblée Constituante obéit à l’esprit qui la conduisait depuis ses origines quand, le 27 septembre 1791, elle déclara que les Juifs jouiraient en France des droits de citoyens actifs. Les Juifs entraient dans la société.


  1. Les Juifs et leurs mensonges, — Wittemberg, 1558.
  2. « Le soulier fédératif. »
  3. Abraham de Balmes traduisit en latin la plus grande partie des écrits d’Averroés, et l’on se servit de ses traductions dans les universités italiennes jusqu’à la fin du dix-septième siècle.
  4. Dierum canicularium (les Jours caniculaires) traduit en français, Paris (1612), t. VII : De Perfidia Judaeorum.
  5. E. Rodocanachi : Le Saint-Siège et les Juifs, Paris, 1891.
  6. Luther : Tractatus de Schemhamephorasch. Altemburg (Opera, t. VIII). — On appelait ces groupes obscènes des Schemhamephorasch. En voici l’origine. Ces mots Schemhamephorasch signifient « le nom de Dieu distinctement prononcé, le nom tetragrammate écrit et lu par les quatre lettres, yod, he, vav, hé » (Munk, Traduction du Guide des Égarés, t. I, p. 267, note 3). C’est de ce nom que Maïmonide dit « Avant la création du monde, il n’y avait que le Très saint et son nom seul » (Guide des Égarés, t. 1, ch. LXI). C’était le nom mystérieux ; on lui attribuait un pouvoir magique, et les rabbins costumés en magiciens qui étaient représentés dans les groupes dont je parle étaient sensés révéler à la truie le Nom. D’où l’appellation de Schemhamephorasch.
  7. Voir pour cette question : Duguet : Règles pour l’intelligence des saintes Écritures, 1723. — Bossuet : Discours sur l’Histoire universelle, IIe partie. — Rondet : Dissertation sur le rappel des Juifs, Paris, 1778. — Anonyme : Lettre sur le proche retour des Juifs, Paris, 1789, etc.
  8. Grégoire : Histoire des sectes religieuses, t. II. (Paris, 1825.)
  9. Peter Beer : Le Judaïsme et ses sectes.
  10. Aujourd’hui encore ils vivent ainsi en Russie, en Pologne et en Galicie.
  11. Voir Wolf : Bibliotheca Hebraæ, t. II, p 798, Hambourg, 1721.
  12. Exemplar vitæ humanæ, (publié par Limborch, 1687).
  13. Tractatus. Theolog. Polit.