L’Année terrible/Quoi ! rester fraternel, c’est être chimérique !


                           II

Quoi ! rester fraternel, c’est être chimérique !
Rêver l’Europe libre autant que l’Amérique,
Réclamer l’équité, l’examen, la raison,
C’est faire du nuage et du vent sa maison !
Voir un triomphe vaste et dur, ne pas s’y joindre,
Empêcher qu’il soit pire et tâcher qu’il soit moindre,
Quoi ! ne point accabler les malheureux, offrir
L’homme à l’homme, et l’asile à ceux qui vont mourir,
Ne pas prendre le faible et l’aveugle pour cible,
Pardonner, c’est vouloir habiter l’impossible !
Dire qu’on doit la loi juste, le droit commun
Même aux brigands, même aux bandits, c’est en être un !
N’importe ! il faut lutter. L’heure sombre est venue.
Quant à ton âge, eh bien, sois vieux, et continue,
Vétéran. Tu seras renié de nouveau.
Les plus cléments auront pitié de ton cerveau.
Tu seras le maudit qu’on raille ou qu’on foudroie,
Tu seras insulté, hué, traqué, la proie
Des calomniateurs au crime toujours prêts,
Tu seras lapidé, proscrit. Eh bien, après ?