L’Année terrible/À Madame Paul Meurice

L’Année terribleMichel Lévy, frères (p. 236-237).


                           VI

Ce que j’ai fait est bien. J’en suis puni. C’est juste.
Vous qui, dans l’affreux siège et dans l’épreuve auguste,
Fûtes vaillante, calme et charmante, bravant
Cette guerre hideuse et ce noir coup de vent,
Belle âme que le ciel fit sœur d’une âme haute,
Femme du penseur fier et doux, dont j’étais l’hôte,
Vous qui saviez donner appui, porter secours,
Aider, lutter, souffrir, et sourire toujours,
Vous voyez ce qui m’est arrivé. Peu de chose.
Vous m’avez vu rentrer dans une apothéose,
Vous me voyez chassé par l’exécration.
En moins d’un an. C’est court. Rome, Athène et Sion
Faisaient ainsi. Paris a les mêmes droits qu’elles.
D’autres villes peut-être ont moins de nerfs. Lesquelles ?
Il n’en est pas. Prenons le destin comme il est.
Epargner Montaigu, c’est blesser Capulet.
Or Capulet étant le plus fort, en abuse.
Je suis un malfaiteur et je suis une buse.

Soit. On m’insulte, moi qu’hier on acclamait.
C’est pour me jeter bas qu’on m’a mis au sommet.
Ce genre de triomphe, n’est-ce pas ? vaut bien l’autre.
J’en atteste, madame, un cœur comme le vôtre,
Et vous tous, dont l’esprit n’est jamais obscurci,
Vieux proscrits, n’est-ce pas que je vous plais ainsi ?
J’ai défendu le peuple et combattu le prêtre.
N’est-ce pas que l’abîme est beau, qu’il est bon d’être
Maudit avec Barbès, avec Garibaldi,
Et que vous m’aimez mieux lapidé qu’applaudi ?