L’Angleterre et la vie anglaise
Revue des Deux Mondes (p. 801-843).
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L’ANGLETERRE
ET
LA VIE ANGLAISE

XXVI.
LE SUD DU PAYS DE GALLES ET L’INDUSTRIE DU FER.
CARMARTHEN, LES EISTEDDFODAU ET LES IRON-WORKS DE MERTHYR TYDVIL.

La richesse de nos voisins consiste principalement en métaux, mais plus que tous les autres le fer marque leur industrie d’un cachet de grandeur et de prospérité. On a calculé que les deux tiers du fer produit dans le monde entier sortaient des mines du royaume-uni. A voir un pareil théâtre de travaux, qui ne croirait que nos voisins ont cultivé depuis longtemps avec énergie cette branche importante de l’industrie métallurgique? Il s’en faut pourtant de beaucoup qu’il en soit ainsi : lors de la fameuse expédition de l’Armada, les conseillers de Philippe II comptaient particulièrement pour le succès sur l’excellence du fer espagnol comparé au fer anglais. Pendant des siècles, la Grande-Bretagne fut tributaire de l’Espagne, de l’Allemagne et plus tard de la Suède pour la provision annuelle de ce métal. Le fait a lieu d’étonner, mais ne porte-t-il pas aussi en lui-même un enseignement? Les grandes industries ne naissent point avec les nations; elles deviennent, elles se développent, et ajoutent ainsi de nouveaux organes à la lente formation des sociétés. Les Anglais ont pendant des siècles ignoré leurs richesses ou ne les ont exploitées qu’avec négligence. Que leur a-t-il donc manqué pour qu’il en fût tout autrement? Le combustible. On a commencé par fondre le fer avec du charbon de bois. Il fallait alors que l’usine s’élevât dans le voisinage d’une forêt, et encore les arbres de cette forêt elle-même ne tardaient point à disparaître. C’est ainsi que dans le Kent, le Surrey et l’Essex, — autant de comtés qui étaient à l’origine le centre de l’industrie du fer, — la hache fit le vide pendant des siècles parmi les hautes futaies. Si l’Angleterre est aujourd’hui un pays très peu boisé, ce fait s’explique en grande partie par la consommation formidable des anciennes forges. Une telle destruction des forêts ne tarda guère à exciter les alarmes du gouvernement. Au XVIe siècle, les voraces travaux de fer, voracious iron-works, — ainsi que les appelle un auteur du temps, — étaient déjà désignés comme une calamité publique. La population avait besoin de bois pour se chauffer, l’état avait besoin de grands arbres pour sa marine, et les fonderies menaçaient de tarir dans les deux cas les sources de l’approvisionnement britannique. Aussi Elisabeth, dans la première année de son règne, promulgua-t-elle un édit défendant d’abattre les chênes, les frênes et les hêtres d’une certaine grosseur sur un rayon de quatorze milles autour de la mer ou sur le bord des rivières importantes. Cette restriction, qui fut suivie de lois encore plus rigoureuses, porta un coup mortel aux maîtres de forges. Plusieurs d’entre eux furent contraints d’éteindre leurs fourneaux et de dessécher l’étang de leur usine, qui se couvrit bientôt de saules et de houblons. L’industrie anglaise du fer était donc frappée dans sa racine, si le génie humain ne fût venu à son secours et n’eût dérobé à la nature d’autres moyens pour dompter le minerai. Au moment où le bois commençait à disparaître, le charbon de terre vint le remplacer.

Cette substitution du combustible minéral au charbon de bois fut pourtant une œuvre lente et laborieuse. Un Allemand, nommé Simon Sturtevant, s’engagea le premier dans la voie du progrès; la théorie était excellente, mais la pratique ne répondit point à son attente, et il succomba. Après d’autres essais infructueux, un Anglais, Dud Dudley, fils naturel de lord Dudley, fut envoyé en 1619, au sortir du collège, dans le Worcestershire pour y surveiller une usine appartenant à son père, et consistant en une fournaise et deux forges chauffées au charbon de bois. Là, comme sur d’autres points de la Grande-Bretagne, des forêts entières avaient fondu en se tordant dans le brasier; le bois commençait donc à devenir rare, tandis que le charbon de terre abondait pour ainsi dire jusque sous la bouche des fourneaux. C’est alors que Dud Dudley conçut l’idée d’utiliser ce dernier combustible. Après diverses expériences, il parvint à traiter le fer par l’intervention de la houille : ce fer, il nous l’apprend lui-même, était de bonne qualité; mais la quantité ne s’élevait pas à plus de trois tonnes par semaine. Cependant la tentative donnait déjà des profits, et Dud écrivit à son père pour lui annoncer à quel point il avait réussi. Lord Dudley obtint du roi pour trente et un ans, et en son nom, un brevet d’invention qui porte la date de 1620. Touchait-on enfin à la grande révolution métallurgique, source de si prodigieuses conquêtes industrielles pour l’Angleterre? Il serait bien permis de le croire, mais par malheur il n’en fut point ainsi. L’année suivante, une désastreuse inondation ruinait les propriétaires de l’usine et emportait avec elle les germes du succès. Cette découverte, il faut le dire, n’avait d’ailleurs été appréciée ni par les maîtres de forges ni par les ouvriers. Dud Dudley mourut sans avoir légué son secret à personne, et après lui le bois continua d’alimenter les fournaises. Le mal, c’est-à-dire la destruction des anciennes forêts, s’aggravait donc de jour en jour, et pourtant le remède était trouvé.

C’est à Abraham Darby, un quaker, qu’il était réservé d’introduire de nouveaux progrès dans l’industrie du fer telle qu’elle se pratiquait alors de l’autre côté du détroit. De son temps, les principaux ustensiles de cuisine pour les classes pauvres se coulaient en fonte, et encore les meilleurs étaient-ils importés de Hollande. Il résolut de se rendre dans ce dernier pays et de voir par lui-même comment il se faisait que les poteries de fer hollandaises étaient si bonnes, tandis que celles de la Grande-Bretagne étaient si mauvaises. Après avoir étudié sur les lieux et avoir reconnu que la différence tenait surtout à la nature des moules, il revint en Angleterre, où il appliqua avec beaucoup de succès le procédé étranger. Il fut d’ailleurs aidé dans ses recherches par un auxiliaire que lui amena le hasard. Un jour de pluie et de neige fondue, un jeune berger du pays de Galles, nommé John Thomas, traversait à la nage une rivière pour ramener dans les étables un troupeau de moutons appartenant à son maître et qui s’était égaré dans les montagnes. Il parvint à réunir les pauvres bêtes, tremblantes et trempées jusqu’aux os sous leur manteau de laine, puis les poussa vers le gué de la rivière, qui était devenue sur ces entrefaites un torrent redoutable. Monté sur le dos d’un bœuf, il fendit les eaux courroucées et ramena tout le troupeau sain et sauf dans la bergerie. Son maître récompensa cet acte de courage en lui donnant quatre moutons. John Thomas vendit leur laine pour s’acheter des habits, puis il vendit les moutons eux-mêmes, afin de se rendre à Bristol et d’y chercher fortune. Comme c’était alors le temps des guerres de Marlborough, il craignit d’être enrôlé de force par les officiers de la reine Anne, s’il continuait à rester dans la ville sans rien faire. Il entra donc en qualité d’apprenti dans une fonderie de métaux, Baptist mills, où se trouvait alors Abraham Darby. Là, il assista aux expériences de ce dernier pour couler des articles de fonte. Un jour que les ouvriers hollandais amenés par Darby en Angleterre n’avaient point été heureux dans leurs efforts, John Thomas dit « qu’il croyait savoir par où l’opération avait manqué.» Il demanda donc à faire lui-même un essai, et passa toute la nuit seul dans l’atelier avec Abraham Darby. Avant le matin, ils avaient réussi à couler un pot de fer qui ne laissait plus rien à désirer. L’apprenti entra dès lors au service d’Abraham Darby et jura de garder le secret. Plus tard, il résista aux offres d’argent qu’on lui fit pour quitter son maître, et se montra même fidèle à la veuve et aux enfans de celui-ci dans leurs mauvais jours. De 1709 à 1828, la famille des Thomas fut attachée aux descendans d’Abraham Darby. Quant à ce dernier, ses associés de Baptist mills trouvèrent qu’il avait perdu l’esprit et qu’il prodiguait l’argent à des expériences inutiles. L’acte de partnership étant rompu, Darby alla s’établir, accompagné de John Thomas, dans la vallée de Colebrookdale, qui se déroule entre des collines rocheuses à partir d’une gorge assez profonde formée par le Severn. C’était alors un lieu sauvage et pittoresque. Abraham y fit construire une fournaise qui devint le noyau de ces grands travaux de fer visités aujourd’hui par tant de curieux. La paisible vallée s’est changée en un pandémonium de feux visibles à plusieurs milles de distance pendant la nuit.

La lutte entre le charbon de terre et le charbon de bois touchait d’ailleurs à une solution définitive. Ce ne fut pourtant, on a lieu de le croire, qu’après la mort d’Abraham Darby que l’usage de la houille devint général dans les fonderies de fer britanniques. Cette nouvelle méthode fut toute une révolution : le métal qui dormait jusque-là dans les mines, faute d’un combustible propre à le réduire, fut exploité avec une énergie toujours croissante. Il faut en effet ces deux conditions pour obtenir du fer en grande quantité, — du minerai et de la houille, — et c’est parce que l’Angleterre réunit l’une et l’autre qu’elle marche à la tête des nations productrices de métaux. D’après une statistique publiée par M. Robert Hunt, archiviste du Practical Geology Museum la Grande-Bretagne a extrait en 1863 80 millions de tonnes de charbon et 8 millions de tonnes de fer, dont à peu près la moitié a été convertie en fonte, pig iron[1]. Il serait difficile d’embrasser d’un coup d’œil une si vaste industrie, répandue sur vingt-cinq comtés au moins; c’est dans le sud du pays de Galles qu’il faut se placer de préférence pour l’étudier. Les mœurs des anciens Bretons donnent ici au travail industriel un cadre pittoresque, et c’est sur ce cadre même que l’attention doit se porter d’abord.


I.

J’entrai dans la principauté de Galles par un tronçon de chemin de fer connu sous le nom de Bristol and South Wales Union railway. Arrivé à un endroit qu’on appelle New Passage (nouveau passage), la ligne se trouve brusquement interrompue par les grandes eaux du Severn. Portée sur une forêt de charpentes, la voie ferrée traverse une partie du fleuve ou plutôt de l’estuaire, puis s’arrête comme effrayée devant les vagues de plus en plus profondes et orageuses. Les voyageurs descendent des wagons et s’acheminent par un escalier de bois vers le niveau de cette mer (Severn sea), où les attend un bateau à vapeur. En même temps on décharge les bagages, qui, jetés dans une énorme caisse maintenue par des chaînes de fer, ne tardent point à rejoindre les passagers. La machine recommence plusieurs fois son voyage aérien, montant et redescendant tour à tour. Enfin tout est prêt : hommes et femmes, en élégant négligé de touristes, ont pris leur place depuis quelques minutes sur le steamer, dont la chaudière bouillonnante semble frémir d’impatience. Les roues s’agitent, battent l’eau, qui se soulève en écumant, et le bateau à vapeur s’éloigne de la jetée. C’est alors que chacun peut embrasser du regard la grossière, mais audacieuse construction sur laquelle on vient de franchir en chemin de fer une partie du Severn. La lame se heurte et se brise entre les pilotis chargés à la base d’une mousse verdâtre et solidement plantés dans le lit du fleuve. A certains jours de l’année, les hautes marées accourent avec furie par l’embouchure du Severn, tout à coup trop étroite, et forment une colonne d’eau qui s’écroule sur cet ouvrage de bois sans l’ébranler. Le passage, quoique ne durant guère plus de vingt minutes, suffit à donner une idée de la largeur du noble fleuve, — trois ou quatre milles environ. On arrive ainsi de l’autre côté du Severn à une seconde jetée située non en face de la première, mais plus en aval, car il aurait sans doute été trop dur de couper l’eau en droite ligne. Allant de l’une à l’autre, le steamer sert de trait d’union entre les deux extrémités d’un pont ouvert par le milieu. On dirait deux bras trop courts tendus à la surface du détroit et qui se lancent comme une pierre le bateau chargé de voyageurs. A distance se montre sur la rive qu’on vient de quitter un mur de rochers à pic connus sous le nom d’Aust Cliffs et marquant un point de repère pour les vaisseaux qui s’engagent du canal de Bristol dans l’estuaire du Severn. A peine le bateau à vapeur a-t-il touché la seconde jetée, également appuyée sur de massives charpentes, que les voyageurs remontent en wagon : une locomotive toute fraîche les attend sur le chemin de fer, ainsi que faisaient jadis les chevaux de relais sur les grandes routes.

La contrée qui s’étend au-delà du Severn appartenait autrefois à la principauté de Galles : elle en a été depuis longtemps détachée; mais on peut dire que le paysage qui la caractérise n’est déjà plus anglais. Nous entrons ici dans le domaine des touristes. Que viennent-ils chercher de l’autre côté du fleuve? D’abord le sud du pays de Galles est la terre des ruines. Sur la limite où les deux races ennemies, les Saxons et les Bretons, se sont si souvent rencontrées les armes à la main, s’élevaient des forteresses aujourd’hui démantelées, telles que les châteaux de Chepstow, de Raglan et de Cardiff. Ces anciennes citadelles gardent jusque dans la caducité un air de grandeur et de fierté menaçantes. Et pourtant la nature a triomphé en quelque sorte de ces sombres édifices témoins de tant de sièges, de batailles et de dissensions civiles. Le lierre, non plus humble et rampant, mais ayant acquis les proportions de véritables arbres, enlace de ses bras robustes les plus hautes tourelles. La voix du coq retentit dans les cours où sonnait le clairon, et de grands bœufs nonchalamment couchés près de la vieille poterne normande occupent la place des anciennes sentinelles qui gardaient l’entrée du château. Les édifices religieux ont subi le même sort; la célèbre abbaye de Tintern[2] a été saisie en quelque sorte dans sa vieillesse par les forces toujours jeunes d’une végétation envahissante qui lui ont donné comme une seconde vie. Les herbes, la mousse, les arbustes, les fleurs sauvages semblent avoir pris à cœur de remplir les vides de l’architecture; des plantes grimpantes balancées par le vent pendent le long des belles fenêtres aux fines nervures de pierre et les consolent des vitraux détruits. Au moment où je visitai cette vieille église monastique, un sorbier chargé de fruits rouges comme des grains de corail étalait joyeusement ses branches sur une partie de l’aile gauche, depuis longtemps écroulée; la voûte du ciel servait de toit à l’édifice, entièrement découvert, et une bande d’oiseaux chantaient vêpres dans les arceaux délabrés, qui avaient du moins conservé la beauté des lignes. De tels monumens, vaincus par le temps et la nature, éveillent d’ailleurs plus d’une grave réflexion. Sur une terre où le catholicisme s’est évanoui, ces anciennes églises sont en quelque sorte les sépulcres d’une religion. Une foule protestante, — des touristes, des Anglaises une ombrelle à la main, — se promène jusque dans le sanctuaire, qui n’excite plus aujourd’hui que la piété des ruines. Le sud du pays de Galles réalise en outre l’idéal de ce que nos voisins appellent un paysage romantique. On n’y trouve pas, comme dans le nord de la principauté, de hautes montagnes au front couronné de nuages; mais on y rencontre des chaînes de collines, les unes boisées, les autres nues, des cultures variées et de belles rivières. La Wye par exemple coule encaissée entre des murs de falaises, ou bien, se recourbant sur elle-même comme une couleuvre, enveloppe de ses plis des prairies basses dont elle forme autant de vertes péninsules.

Il faut pourtant aller jusqu’à Carmarthen (245 milles de Londres), si l’on tient à découvrir ce que les Anglais appellent le caractère welshe[3]. Cette ville, très ancienne, se répand un peu au hasard sur le bord nord-ouest de la rivière Toway, que traverse un vieux pont de pierre en des d’âne, aux arches massives, protégées par des contre-forts. La rive se relève subitement, et il faut gravir une pente ardue et traverser des ruelles aussi étroites qu’escarpées avant de pénétrer de ce côté-là dans l’intérieur de la capitale du Carmarthenshire. Chemin faisant, on rencontre les débris d’un ancien château qui, s’il faut en croire la tradition et l’apparence sinistre d’une ou deux tours, a défié jadis plus d’un siège. Aujourd’hui tombé en décrépitude, envahi et pressé par de pauvres masures, il m’a paru servir à d’assez vils usages. Dans la grande rue s’élèvent trois monumens consacrés à la gloire militaire : une statue en bronze du général William Nott, un obélisque érigé à la mémoire de sir Thomas Picton, qui fut tué à Waterloo, et un autre portant les noms des officiers gallois qui périrent durant la guerre de Grimée. A la vue de ces témoignages d’admiration pour le courage héroïque, on pourrait se croire dans une place de guerre. Il n’en est rien pourtant : Carmarthen est au contraire une ville pacifique et agricole. Quoique à peu de distance des iron-7works, elle ne s’aperçoit guère du voisinage des mines que par le bon marché du fer converti en instrumens aratoires. Ce qui frappe tout d’abord, c’est le costume des femmes de la campagne. Ce costume consiste en un jupon rouge surmonté d’un casaquin de laine bleue, ouvert et flottant, maintenu seulement autour de la taille par le cordon du tablier. Un chapeau d’homme en feutre noir, ressemblant, pour la forme, à ces tuyaux d’argile qu’on pose en Angleterre sur les cheminées, chimney pots, recouvre un bonnet blanc comme la neige qui entoure la chevelure et se noue sous le menton. C’est surtout le samedi, jour de marché, que je pus observer à loisir ce vêtement bizarre. Le marché, qui se compose de deux cours quadrangulaires, l’une réservée pour les provisions de toute espèce, l’autre servant de porcherie, est un beau bâtiment neuf, avec des hangars et des magasins. Les fermières des environs arrivaient avec des corbeilles remplies de fruits, de légumes, d’œufs et de volailles. L’une d’entre elles, pimpante et jolie, conduisait elle-même une élégante voiture du pays, entièrement découverte et traînée par un poney welshe à l’œil plein de feu. Elle paraissait fière de porter le costume national, et comme si c’était un privilège de la jeunesse d’embellir tout autour d’elle, le chapeau de feutre n’avait point du tout mauvais air sur sa tête.

Ce qui rachète en général l’excentricité du vêtement chez les riches paysannes galloises est une propreté délicate. Et pourtant le vieux costume tend chaque jour à disparaître : à Newport, à Cardiff, on ne le rencontre presque plus. Une jeune fille restée fidèle à la mode de ses ancêtres est accueillie dans les rues avec un sourire moqueur. Les grand’mères en gémissent : avec le costume qui s’en va se perdent aussi, suivant elles, les derniers lambeaux de la nationalité bretonne. Il n’y a plus guère que les campagnes où la force de l’usage se fasse encore respecter. Là, les femmes tiennent tant au chapeau qu’elles le portent jusque dans la maison. Je me souviens d’avoir vu dans un humble cottage trois vieilles paysannes qui prenaient le thé autour d’une petite table ronde, et qu’à leur coiffure j’avais prises d’abord pour trois hommes. Cette coiffure singulière a pourtant sa raison d’être : elle convient au climat. Dans un pays fort exposé aux injures des élémens, le chapeau de feutre à forme haute et à larges bords ne protège pas seulement la figure, il défend la tête et le bonnet blanc contre les pluies qui tombent durant une grande partie de l’année.

Le costume des paysannes welshes étonne à première vue; leurs mœurs ne présentent-elles point aussi quelques singularités? Les jeunes gens et les jeunes filles ont une manière assez étrange de se faire la cour. C’est généralement à une foire ou à quelque fête champêtre qu’on se rencontre. L’aspirant guette le moment d’engager une conversation particulière avec l’objet de son choix, l’aborde et lui offre galamment de la bière, quelquefois même du vin avec des gâteaux. Si pourtant il est d’un naturel timide et que le cœur lui manque à force de battre, il charge un de ses amis de rompre la glace. Cette seconde tactique, il faut le dire, est rarement couronnée de succès. Un ancien poète breton a dit : « La meilleure robe de la vierge est la modestie ; mais la hardiesse sied à un jeune homme. » Les paysannes welshes sont de l’avis du barde; cette demande par procuration est le plus souvent accueillie avec un sourire froid et moqueur, semblable, dit un proverbe gallois, « au ricanement de l’eau sous la neige. » Le cœur des belles favorise les audacieux; celui qui assaisonne sa déclaration d’un grain d’esprit, qui a confiance en lui-même, est presque toujours le préféré. La jeune fille consentira peut-être à le recevoir dans la nuit du samedi. Le jour et l’heure du rendez-vous étant fixés, ni la distance, ni l’épaisseur des ténèbres, ni l’inclémence des élémens ne doivent décourager l’ardeur de l’heureux Léandre. Une fois arrivé, il se cache dans les bâtimens extérieurs de la ferme jusqu’à ce que toute la famille soit couchée. Seule, elle sait qu’il est là et attend sa visite. L’amant se glisse alors sans bruit dans la maison; on cause quelques instans au coin du feu, et si tout est pour le mieux au point de vue des sentimens, on se dirige vers un fit vide qui se trouve ordinairement au rez-de-chaussée. Le jeune homme se dépouille de son habit et de ses souliers, la jeune fille quitte sa chaussure seulement, puis, s’enveloppant d’une ou deux couvertures, les deux amoureux continuent de s’entretenir à voix basse jusqu’au point du jour. L’aube, si souvent maudite par les bardes welshes, donne le signal de la retraite; le prétendu s’esquive sur la pointe des pieds, promettant bien de revenir.

Cette coutume singulière est ce que les Anglais appellent le bundling ou courting in bed. La plupart des habitans du pays de Galles auxquels on parle de cet ancien usage semblent légèrement embarrassés. Ils rougissent et prétendent qu’on ne trouve plus aujourd’hui rien de semblable. J’en ai vu d’autres cependant qui défendaient bravement la coutume nationale : l’amour vrai, suivant eux, est une victoire remportée sur les sens, et le bundling exerce chez l’homme et la femme les forces de la volonté, l’empire sur soi-même, les mâles résistances de la vertu. Cette manière de se faire la cour dure quelquefois des années. Certains accidens ont prouvé que les jeunes filles du pays de Galles n’étaient pas plus que d’autres à l’abri de toute faiblesse; mais cela, dit-on, arrive rarement, et presque jamais avant une promesse mutuelle de mariage. En général, si l’amant osait se permettre la moindre liberté, la fiancée s’élancerait du lit avec la rapidité de l’éclair, et, comme l’éclair aussi, lui laisserait sur le visage quelque trace de courroux. Quoi qu’il en soit, il faut être sur la réserve avec les filles du pays de Galles. Un touriste anglais me racontait avoir été par hasard témoin des rendez-vous nocturnes d’une domestique de ferme avec un jeune laboureur des environs. Il eut l’imprudence d’en parler à la servante, en lui disant qu’il l’avait vue dans le lit avec son amant. Elle s’indigna, devint pourpre de honte, et faillit lui faire un mauvais parti. L’erreur s’expliqua enfin à l’avantage de la jeune fille : elle était sur le lit, et non dans le lit[4].

La moralité du bundling est dans le mariage, qui le couronne presque toujours. Ce mariage lui-même se célèbre selon certaines coutumes locales. Dans les districts agricoles, dès que le jour de la noce est fixé, le jeune couple fait imprimer de petits billets (hand-bills), qu’on distribue parmi le cercle des connaissances. On y annonce l’intention de faire un bidding, c’est-à-dire une collecte d’argent pour laquelle tous les amis sont invités à ouvrir leur bourse[5]. Le nombre de ceux qui répondent à cet appel varie naturellement suivant la condition des fiancés; la réunion s’élève quelquefois à cent ou deux cents personnes des deux sexes et de tous les âges. Si le jeune homme et la jeune fille demeurent à quelque distance l’un de l’autre, les deux parties se mettent en marche le matin de bonne heure, précédées par un ménétrier. On convient d’ordinaire de se rencontrer à mi-chemin en un lieu fixé d’avance. Là les deux bandes joyeuses se confondent, et le cortège se dirige aussitôt vers l’église. Sur le chemin de l’église, la coutume dans certains villages veut que les garçons, cachés derrière des arbres ou des haies, déchargent des armes à feu en manière de salut, à la grande consternation des femmes et au grand amusement des jeunes hommes. Après la cérémonie nuptiale, on se rend à la maison du père de la mariée, et l’on prend une collation pour laquelle chacun paie son écot. C’est aussi là qu’on dépose les offrandes. Le montant de la collecte peut s’élever en moyenne de 40 liv. sterl. (1,000 fr.) à 100 liv. sterl. (2,500 fr.). Cet argent, qu’on y prenne garde, n’est point un don, c’est un prêt : il n’a donc rien d’humiliant. Le nouveau couple s’engage sur l’honneur à payer les dettes qu’il aura ainsi contractées, je veux dire à rendre, au fur et à mesure que d’autres biddings se présenteront, les sommes qu’il aura reçues de chacun des invités. Plusieurs de ceux qui contribuent de leur bourse à cette œuvre de bienveillance sont mariés, et n’ont par conséquent rien à réclamer pour eux-mêmes; mais ils ont le droit de demander un jour le même service en faveur d’un de leurs enfans. Il n’y a guère que les célibataires obstinés qui, dans cette circonstance, placent leur argent à fonds perdus. Qui ne voit tout d’abord les avantages d’une telle coutume? Elle resserre les liens de fraternité entre les membres de la famille agricole, puisque tout nouveau couple se trouve en quelque sorte doté par ses pairs. Cette avance de fonds permet en outre aux jeunes mariés de commencer, comme on dit, la vie à deux sans que la lune de miel soit empoisonnée par l’amertume des embarras pécuniaires.

Centre d’une contrée agricole, Carmarthen s’élève, comme un îlot de maisons, au milieu d’un océan de verdure. Le paysage qui l’entoure, et que bornent à l’horizon de hautes collines, a un caractère de fraîcheur, d’étendue et de placidité qui repose l’âme. La terrasse qui domine le cours de la rivière laisse apparaître entre les arbres des maisons blanches. Le goût des Welshes pour le badigeonnage est extraordinaire. Dans les fermes, l’étable à cochons, les murs du jardin, même les pierres et les quartiers de roche qui ont le malheur de se trouver dans le voisinage de la maison, n’échappent point à ce baptême du lait de chaux. Il y a mieux encore : non contens de peindre les murs extérieurs de leurs cottages, ils blanchissent souvent jusqu’aux toits d’ardoise. Cette dernière habitude est déplorable et gâte l’aspect des villages. Les Anglais, — qu’il ne faut pas toujours croire sur parole quand il s’agit de la race celtique, — prétendent en outre que ces maisons ont le tort d’être des sépulcres blanchis, et que l’intérieur ne répond nullement à la propreté menteuse des dehors. Sans avoir le temps de constater tout ce qu’il y a de vrai dans ce reproche, je descendis vers la rivière Toway, qui, en aval de la ville, coule au milieu de charmantes prairies. Là, je rencontrai un pêcheur assis dans un petit bateau d’une forme ovale, que les Welshes appellent cwrwgl et les Anglais coracle. Cette espèce de nacelle remonte à une haute antiquité, et demeure dans le pays de Galles comme un monument primitif de l’industrie nautique au sein des îles de la Grande-Bretagne. Ce sont les mêmes bateaux, on a lieu de le croire, qui servaient aux Gaulois, aux Scots et aux Pictes pour traverser les fleuves et les rivières. Le coracle consiste en une légère carcasse à jour faite avec des lattes ou de minces baguettes d’osier, et recouverte soit d’une peau, soit d’une toile goudronnée. On dirait le berceau de Moïse flottant sur les eaux; c’est du moins le berceau de la navigation. Le milieu du coracle est traversé par un banc de bois sur lequel s’assied le nautonier, car ces bateaux ne sont guère faits que pour une seule personne. Une rame à la main gauche qu’il manie avec une dextérité merveilleuse, il fait mouvoir et dirige à la fois, comme avec un gouvernail, la frêle embarcation. De la main droite, qui reste libre, il se livre à la pêche. Le plus souvent il est accompagné d’un autre pêcheur qui manœuvre un autre coracle et l’aide à tendre les filets. Comme les gros poissons vivans deviendraient des hôtes incommodes dans cette tremblante nacelle, qu’un seul soubresaut peut faire chavirer, le pêcheur les assomme avec une sorte de casse-tête avant de les tirer de l’eau. Ceci fait, il les jette sous le banc, où se trouve une place pour les recevoir. Toutes ces manœuvres exigent beaucoup d’adresse; aussi arrive-t-il quelquefois des accidens. Lorsque j’étais dans le sud du pays de Galles, deux ouvriers de Shrewsbury s’étaient embarqués dans un coracle pour cueillir des noisettes aux buissons touffus qui ombragent aux environs de la ville le cours du Severn. L’un des deux étendit brusquement la main vers une branche de noisetier qui pendait toute chargée à la surface de l’eau. Ce vif mouvement avait suffi pour rompre l’équilibre de la vacillante embarcation, et les deux hommes tombèrent dans la rivière. Ils revinrent à la surface, où on les vit se saisir l’un l’autre, puis ils s’enfoncèrent sous les vagues pour ne plus reparaître. Telle est pourtant la force de l’habitude que les pêcheurs semblent naviguer à l’aise et avec une confiance parfaite dans ces perfides coracles. L’un d’eux avait parié de se rendre de la rivière Wye par l’estuaire tempétueux du Severn jusqu’à l’île Lundy, située un peu plus bas que l’embouchure du canal de Bristol. Il tint parole, et à son retour il fut accueilli par ceux qui connaissaient les difficultés d’une telle traversée dans un tel bateau avec autant d’honneur que s’il fût revenu d’un voyage autour du monde.

Après leur journée de travail, les pêcheurs mettent à sec le coracle, et, le prenant sur le dos, vont le déposer à la porte de leur cottage. Vient-il à pleuvoir chemin faisant, ils se cachent la tête sous le bateau léger et imperméable, ainsi que les tortues se rassemblent sous leur carapace par les mauvais temps. Vus ainsi, ces hommes présentent un aspect assez singulier, mais qui ne manque certes point de caractère. A une fête célébrée par les habitans de Carmarthen en l’honneur du mariage du prince de Galles, une procession des divers corps d’état traversa la ville, et à leur suite marchaient une cinquantaine de pêcheurs encapuchonnés de leurs coracles. Ce furent les plus remarqués : ils ressemblaient par derrière à d’anciens Gaulois chargés de noirs boucliers.

Je me trouvais à Carmarthen le jour de la foire aux bestiaux. Des paysans aux traits celtiques fortement prononcés, les jambes recouvertes de grosses guêtres de cuir, se promenaient de long en large dans une grande rue à travers les cornes des bœufs qui cherchaient de temps en temps à s’échapper. Ces bœufs sont généralement noirs et de petite taille[6]. La dernière condition tient évidemment au caractère de l’agriculture. Le sud du pays de Galles est assez fertile, mais hérissé de collines, et les étroites vallées ne fournissent guère ces gras pâturages qu’on rencontre dans certains comtés de l’Angleterre. Les énormes bêtes à cornes du Leicestershire ou de Norfolk y tomberaient bien vite à l’état des vaches maigres de l’Écriture. Une autre particularité me frappa, c’est la ressemblance des bœufs welshes avec ceux de notre Bretagne. La même race d’animaux et la même race d’hommes habitent le nord-ouest de la France et l’ouest de l’Angleterre, séparées par un bras de mer. Qui ne sait que le langage des deux provinces, la Bretagne et la principauté de Galles, présente aussi des traits de famille? Les Welshes ont interprété le fait en leur faveur. A les en croire, ce sont eux qui ont peuplé la Bretagne française. Une tradition locale fixe même la date des trois émigrations qui auraient étendu au-delà du détroit la langue et la civilisation galloises. La première de ces émigrations aurait eu lieu en l’an 313 après Jésus-Christ, la seconde en 383 et la dernière en 409. Je rapporte cette opinion flatteuse pour l’amour-propre des Gallois sans tenir compte des difficultés historiques qu’elle soulève. Les racines qui unissent la constitution moderne des Welshes à l’ancienne nationalité sont encore très fortes, et tout ce qui peut rehausser leurs annales est pour eux un article de foi.

Le nom de Carmarthen lui-même dérive, suivant quelques philologues, de Caer Merddin, la ville de Merlin. La chronique veut qu’elle ait en effet donné naissance au célèbre enchanteur dont le vieux poète anglais Spenser a célébré les merveilleux exploits dans sa Reine des fées. A trois milles de Carmarthen s’élève un petit bois touffu qui porte encore aujourd’hui le nom de Merddin’s grove (le bosquet de Merlin, — en welshe Gallt Fyrddyn). Dans ce bois, s’il faut en croire la tradition, le prophète se livrait à ses incantations mystérieuses. Plus loin vers le nord, au coin d’un champ, on montre dans le roc une ouverture naturelle en forme de caverne. C’est là, toujours selon la même légende, que Merlin, après avoir dompté les dragons et les autres monstres de l’esprit, succomba aux attraits de la beauté charnelle et s’enterra tout vivant avec la dame du lac. Ces lieux, il faut le dire, ont aujourd’hui beaucoup perdu de leur terreur fantastique. La grotte si célèbre dans les anciens poèmes est un trou noir et fort étroit où l’on hésiterait à passer sa vie, même avec la plus adorable des fées. Quoi qu’il en soit, ce magicien, héros de tant de romances, est bien le guide qu’il convient d’invoquer en entrant sur la terre des bardes et des eisteddfodau. Il nous faut expliquer ce dernier terme, qui se rattache à l’histoire de la littérature welshe.


II.

Le pays de Galles a conservé sa langue, ses traditions, ses anciens usages celtiques, et c’est le trait qui le distingue surtout de la Cornouaille, partagée, elle aussi, entre les travaux des mines et ceux de l’agriculture. Pour fortifier encore les souvenirs si chers au sentiment national, on a institué depuis des siècles des assemblées littéraires connues sous le nom d’eisteddfodau[7]. Ces réunions, qui remontent à une grande antiquité et qui avaient lieu bien avant la conquête du pays gallois par les Saxons, ont été surnommées les olympiades de la Grande-Bretagne. On n’y admettait à titre de membres du congrès que les bardes et les ménétriers ayant passé par de longues épreuves. Un juge décidait du mérite des bardes, leur assignait des grades et leur conférait solennellement le droit d’exercer leur talent en public. Les ménétriers se divisaient de même en plusieurs classes. Les joueurs de luth à trois cordes, de tambourin et de chalumeau étaient rangés parmi les exécutans vulgaires : ils n’avaient point la permission de s’asseoir devant l’assemblée et ne recevaient qu’un denier pour leur peine. L’instrument noble était la harpe. Le chef de la faculté recevait lui-même de temps immémorial, comme insigne de ses hautes fonctions, une harpe en argent longue de cinq ou six pouces et garnie de neuf cordes en l’honneur des neuf muses. Les encouragemens qu’on prodiguait dans ces assemblées à la classe supérieure des musiciens contribuèrent à développer leurs succès. Les harpistes des Wales jouissaient d’une grande réputation dans toute la Grande-Bretagne et jusqu’à la cour des rois d’Angleterre. L’un d’eux, un tout jeune homme nommé Lewis, remplissait auprès de Jacques Ier les fonctions de David auprès du roi Saül. O sombre décadence des grandeurs humaines! à Neath, un jour de pluie, dans une des rues les plus tristes et les plus mal famées de cette ville obscurcie par la fumée des usines, j’entendis sortir d’un rez-de-chaussée à l’apparence suspecte et aux vitres dépolies le son d’une harpe éraillée. Voilà donc où en est tombé un instrument qui faisait autrefois la gloire de la principauté de Galles, et sur lequel les anciens ménétriers chantaient les exploits merveilleux du roi Arthur, de Rhys ap Tewdwr, d’Owain Gwynedd et des autres héros bretons !

Quant aux poètes qui figurent en si grand nombre dans les eisteddfodau, ils prétendent au contraire descendre en droite ligne des premiers bardes de la vieille Cambrie. Il convient donc de remonter à leur origine. La tradition veut que l’institution des bardes se rattache dans le passé à la hiérarchie druidique. Lors de la conquête de la Grande-Bretagne par les Romains, leur chef Suétone Paulin, l’an 61 après Jésus-Christ, fit abattre dans l’île d’Anglesea les bois sacrés, voulant ainsi atteindre jusque dans sa racine la religion nationale. Cette île, au nord du pays de Galles, était en effet le siège principal de l’autorité des druides, c’est même là que se rendaient les Celtes de la Gaule et de l’Italie qui voulaient s’initier aux mystères de la doctrine[8]. On montre encore aujourd’hui dans la paroisse de Llanidau, laquelle fait partie de l’île d’Anglesea, les ruines d’un très ancien édifice portant le nom de Trer Drew, et que l’on prétend avoir été la demeure de l’archidruide. Près de ces débris se trouvent les traces d’autres habitations qu’on dit avoir été placées sous la surveillance du grand-prêtre, et parmi ces dernières est Trer Beird, ou, comme on l’appelle encore, le hameau des bardes. La puissance sacerdotale se divisait chez les anciens Celtes en trois ordres, — les druides, qui étaient chargés de l’instruction de la jeunesse, les ovates, qui étudiaient sans cesse les secrets de la nature, et les bardes, dont le ministère était de chanter en vers héroïques les actions des braves. Lorsque les progrès du christianisme eurent vaincu et dispersé les anciens prêtres de la nature, les bardes leur succédèrent. Dans les commencemens surtout, ces derniers se vantaient d’avoir puisé toute leur doctrine aux sources druidiques, afin de se donner une plus grande autorité morale. Ces inspirés jouaient un rôle important dans l’état. Historiens, ils perpétuaient de vive voix le souvenir des événemens remarquables, et, de même que les scaldes du Nord, recueillaient une foule de traditions qui sans eux se seraient éteintes dans l’oubli. Leur talent de généalogistes les faisait en outre rechercher par les familles nobles. Tout château avait son barde. La présence de ce dernier relevait l’éclat des fêtes, portait bonheur aux naissances et aux mariages. Les lois de Hoel Dha, qui remontent aussi loin que l’an 940, consacrent l’office du bardd teulu ou barde de cour, qui jouissait de grands privilèges[9].

Lorsque le roi d’Angleterre Édouard Ier eut enfin brisé la longue et héroïque résistance des Welshes, il voulut leur arracher les dernières armes qui restent aux vaincus, leur poésie, leurs chroniques, leurs légendes. Non content de soumettre les habitans du pays de Galles, il résolut de faire la guerre aux fictions. Pour arriver à ses fins, il massacra les bardes. Cette politique cruelle ne fut point adoptée, il faut le dire, par ses successeurs. Ils comprirent que, si la poésie évoque dans certains cas les fantômes de la nationalité frappée au cœur, elle peut aussi adoucir les ressentimens d’une race fière, belliqueuse et facile à émouvoir. À ce dernier point de vue, ils rétablirent les assemblées littéraires ; seulement ils se réservèrent le droit de nommer eux-mêmes les juges chargés d’examiner le sujet des compositions. C’était ainsi une sorte de censure exercée par les vainqueurs sur les inspirations de la race conquise. La reine Élisabeth est la dernière qui soit intervenue dans la célébration des eisteddfodau. Après elle, ces congrès de bardes et de ménétriers ont obéi à l’influence de sociétés locales fondées pour l’encouragement de la littérature welshe.

Au moment où j’étais dans le pays de Galles, un grand eisteddfod devait avoir lieu à Llandudno. Je m’y rendis, curieux d’assister à une des scènes les plus émouvantes chez un peuple si sensible à la poésie. Llandudno, autrefois un village de contrebandiers, aujourd’hui une jolie ville de bains, s’élève au nord des Wales sur un magnifique promontoire, où elle se trouve abritée par de hautes falaises. Un eisteddfod attire toujours un grand nombre de poètes, d’écrivains et de curieux ; je dois même dire que les saltimbanques, les jongleurs, les danseurs de corde, s’y donnent aussi rendez-vous. De même que le grand jour du derby à Epsom, ces solennités poétiques ont dans le pays de Galles le privilège de réunir toutes les classes de la société. Les uns y viennent pour s’instruire, d’autres y cherchent une source de plaisir et d’amusemens ; mais dans tous les cas, de telles réunions, si bien en harmonie avec les goûts et l’esprit des habitans, effacent pour quelques jours les distinctions de rang ou de fortune[10]. La ville de Llandudno avait donc, depuis une semaine, un air de fête : les cabarets (public houses) étaient envahis; une foule de candidats aux honneurs des jeux olympiques semblaient puiser l’inspiration dans les flots dorés de l’lie amère. De même que la plupart de ces congrès littéraires qui ont lieu tantôt dans une ville, tantôt dans une autre, le présent eisteddfod avait été préparé depuis un an par un comité local et permanent, dont les fonctions consistent à déterminer l’époque de ces solennités, à fixer le nombre et la valeur des prix décernés aux candidats, ainsi que le sujet des poèmes admis au concours. Vers dix heures du matin, une procession composée de bardes, d’ovates, de druides, de ménétriers, se rendit solennellement des bureaux de ce comité sur le terrain du gorsedd. Qu’est-ce donc que le gorsedd? Tel est le nom que l’on donnait aux anciens conciles des bardes. S’il faut en croire la tradition welshe, ces conciles, dans lesquels se votaient les lois et les règlemens de la contrée, cessèrent d’exister soixante ans environ après Jésus-Christ, et furent alors remplacés par les eisteddfodau. Le cortège, étant arrivé sur le théâtre de la fête, se forma en rond autour d’un cercle magique tracé par douze grosses pierres placées à une distance de six pieds les unes des autres, et au centre desquelles s’élevait un cromlech artificiel. Sur le devant du cercle se dressaient trois autres pierres représentant les solstices solaires, tandis que les douze pierres de la circonférence étaient un symbole des douze signes du zodiaque. Les bardes entrèrent dans l’intérieur du cercle sacré, et le son de la trompette proclama que le moment solennel était venu d’ouvrir le gorsedd. Alors le chef des bardes lut la déclaration suivante : « La vérité contre tout le monde[11] ! L’an mil huit cent soixante-quatre, le soleil approchant de l’équinoxe d’automne, dans la matinée du vingt-trois août, le gorsedd, annoncé, selon l’usage, depuis un an et un jour, est ouvert dans la province de Gwynedd; nous y avons invité tous ceux qui peuvent se rendre ici, où nulle arme ne sortira du fourreau, mais où il sera prononcé un jugement sur les meilleures compositions et sur les ouvrages qui méritent de recevoir le prix. A la face du soleil et sous l’œil de la lumière, la vérité contre tous! » Après une courte prière en anglais récitée par deux ministres de l’église protestante, le chef des bardes, debout sur la pierre la plus élevée, saisit une épée nue qui gisait à côté du fourreau, puis il s’écria d’une voix forte : « La paix règne-t-elle, — a oes heddwch? » À cette question, les bardes qui étaient rangés dans le cercle de pierres répondirent en chœur : « La paix règne. » Ce gage de concorde étant donné, l’épée fut alors plongée dans le fourreau. Les candidats aux divers grades de la hiérarchie, bardes, ovates, druides, archidruides, furent ensuite appelés devant le conseil des anciens et reçurent leurs degrés. Il y a donc encore des druides?... Graves et sombres, ces derniers semblaient en effet se croire de la meilleure foi du monde les légitimes successeurs des austères pontifes qui célébraient les anciens mystères dans les forêts de la Cambrie. La plupart d’entre eux se distinguaient en outre par la saillie des os maxillaires, un des signes extérieurs de la race celtique selon les physiologistes, et qui n’est, si nous devons en croire les Anglais, qu’un effet naturel des efforts de mâchoire auxquels se livrent les druides depuis leur enfance pour articuler le langage welshe. Quoi qu’il en soit, c’était leur tour de figurer dans la cérémonie. Un d’entre eux lut en langue celtique la prière du gorsedd. Quelques profanes (et parmi ces derniers des reporters anglais) sou- riaient bien un peu de ces rites mystérieux qui forment la partie théâtrale du gorsedd; quant aux habitans du pays de Galles, ils suivaient au contraire avec un grand sérieux des usages remontant, ils n’en doutent point, à la plus haute antiquité druidique.

Le gorsedd, tel qu’il se célèbre aujourd’hui, est en quelque sorte la préface de l’eisteddfod. Cette dernière assemblée se tient quelquefois en plein air ou sous des tentes; mais à Llandudno le comité a fait construire un bel édifice en bois, le pavillon, pour recevoir à des époques plus ou moins éloignées les héros de la fête et les spectateurs. L’intérieur était décoré de bannières, de feuillages et de devises galloises. Au centre du pavillon flottait un drapeau sur lequel se lisait en langue welshe cette inscription un peu ambitieuse : « soyez les bienvenus dans le temple du génie. » A onze heures, le président, escorté de la procession des bardes et des druides, fut solennellement installé dans son fauteuil. La salle pouvait bien contenir de deux à trois mille personnes. Les places les mieux en vue étaient occupées par des célébrités welshes aux noms les plus formidables que la langue humaine ait jamais prononcés. Tout cela formait le spectacle ; quant au but sérieux de ces réunions, on ne tarda point à l’apprendre des lèvres mêmes du président, chairman. Suivant lui et d’après le manifeste du comité qui avait organisé le congrès, l’institution se propose de ranimer l’intérêt qui s’attache aux antiquités celtiques. Ce qu’on veut, c’est répandre les connaissances, faire jaillir le talent qui s’ignore lui-même, inspirer l’amour du foyer et réveiller dans les cœurs une noble ambition pour la culture de la poésie, de la musique et des beaux-arts. A quel point ce but a-t-il été atteint depuis la renaissance des eisteddfodau? Selon la parole de l’un des orateurs, tout hameau a maintenant dans le pays de Galles son chœur de musiciens ; chaque village a son barde, chaque maison a sa Bible. Chaque colline et chaque vallée répètent les anciennes mélodies nationales. Cette année, le comité eut même l’idée d’adjoindre au congrès littéraire une exposition de sculptures et de tableaux, dans laquelle un artiste welshe, M. David Davies, avait envoyé une bonne étude d’après l’antique. Pour exciter encore cette flamme sacrée, une somme de 300 liv. st. (7,500 fr.) servie par le comité, et à laquelle certaines personnes avaient ajouté 50 liv. st. (1,250 fr.), devait être distribuée en prix à ceux qui sortiraient vainqueurs du concours. Un de ces prix, et l’un des plus considérables en argent, était offert à la meilleure pièce de vers. « C’est surtout de la classe ouvrière, dit un des orateurs, que le comité attendait des preuves d’inspiration. » Comme pour établir un lien entre les deux races, les Bretons et les Anglo-Saxons, un autre prix de cinq guinées fut décerné à la meilleure traduction d’Hamlet en vers gallois. Le barde d’Avon apparut ainsi comme une ombre dans le cercle des anciens bardes welshes, qu’il semblait réunir à l’Angleterre par l’autorité du génie. Le chant et la musique reçurent aussi leur récompense. D’excellens discours furent prononcés en anglais sur un ton très sage, et l’assemblée enthousiaste se sépara sans avoir proféré cette fois le vieux cri de guerre : Wales for the Welsh (le pays de Galles pour les Gallois) !

L’intention qui a présidé depuis un demi-siècle à la renaissance des eisteddfodau ne saurait être un instant douteuse : il s’agit avant tout de conserver la langue. S’il faut en croire les habitans du pays de Galles, qui pourraient bien être un peu orfèvres, cette langue est « la plus belle et la plus expressive qu’on ait jamais parlée dans le monde. » La vérité est que, comme tous les anciens idiomes formés à l’origine par une caste sacerdotale, le welshe se prête admirablement à l’éloquence religieuse. Dans les églises de la principauté, le service du dimanche se célèbre alternativement en anglais et en gallois. Parmi les habitans, même ceux qui parlent très bien anglais déclarent que la vieille langue celtique est beaucoup plus solennelle et convient mieux que l’autre aux rapports de l’homme avec la Divinité. Il en résulte naturellement que les ministres du culte sont tenus de posséder les deux idiomes. Presque tous, il est vrai, sont nés dans le pays, et il faut qu’il en soit ainsi, car apprendre le welshe passe pour une entreprise herculéenne. On considère comme un tour de force extraordinaire l’exemple donné par l’évêque de Saint-David, un des hommes éminens de l’église anglicane, qui, après une année d’études, fut capable de s’exprimer couramment devant une assemblée de Gallois. Sans aspirer au même succès, j’étais curieux de connaître les principaux caractères de cette langue, et je voulus lire quelques-unes des grammaires qui se publient en anglais dans l’ancienne Cambrie[12]. Un des traits qui me frappèrent le plus dans la construction des verbes est l’absence du présent de l’indicatif. Après tout, le présent existe-t-il? Les Welshes se servent d’un temps composé pour désigner ce moment insaisissable entre le passé et l’avenir. Quoi qu’il en soit, leur dialecte compte de zélés défenseurs. Un lettré qui mourut à Londres en 1852 a fondé à Llandovery une institution pour l’enseignement de la langue welshe. La même ville a vu naître dans ses murs le révérend Rhys Prichiard, auteur de deux poèmes intitulés, l’un le Livre du Vicaire, et l’autre la Chandelle du Welshe, écrits tous les deux dans l’idiome primitif, et qui se rencontrent sous presque tous les toits de chaume du pays de Galles.

Le plus grand service qu’aient rendu jusqu’ici les eisteddfodau a été d’appeler l’attention sur d’anciens manuscrits, des airs nationaux et des traditions orales qui, sans le concours de ces congrès de bardes, fussent certainement tombés dans l’oubli. Ce mouvement fut soutenu en outre par l’influence de riches sociétés littéraires et par quelques efforts individuels. Des manuscrits précieux dormaient depuis des siècles, enfouis dans la bibliothèque des collèges ou de certaines familles nobles du pays, lorsqu’un marchand de fourrures dans Thames-street, Owen Jones, fit appel au patriotisme des Welshes, et à partir de 1801 éleva un monument à la littérature des anciens Bretons. Ce monument, — the Myvyrian Archaiology of Wales, en trois gros volumes, — embrasse diverses périodes de l’histoire des Gallois, depuis l’an 500 jusqu’en 1400. Il était bien temps qu’on mît la main à l’œuvre, car, selon Owen Jones lui-même, un nombre de manuscrits égal pour le moins à celui qui existait de son vivant avait déjà péri depuis les deux derniers siècles par négligence. Dans cette grande tâche, à laquelle il consacra son temps et, assure-t-on, plus de 1,000 livres sterling (25,000 francs), il fut aidé par Edouard Williams et par quelques autres collaborateurs. Il mourut, laissant la matière de huit autres volumes qu’il se proposait de publier. Du moins l’exemple donné par le pelletier de Thames-street (Londres) ne fut point perdu, et aujourd’hui les documens abondent; les plus précieux sont naturellement ceux qui remontent à la plus haute antiquité. Il doit suffire ici de les indiquer en quelques traits. Les quatre plus anciens bardes connus sont Aneurin, Taliesin, Merddhyn et Llywarch Hen.

Aneurin, qu’on suppose avoir vécu de 510 à 560 après Jésus-Christ, et que les Welshes ont surnommé le « roi des bardes, » était, d’après la tradition, le chef de la tribu des Ottadini. Élevé tout jeune au métier des armes, il se distingua dans plusieurs batailles. Il assistait au combat de Cattraeth, où les Bretons furent vaincus par les Saxons. A la suite de cette sanglante défaite, il fut fait prisonnier de guerre et enfermé, dans un donjon où il passa plusieurs années dans les chaînes. Délivré plus tard par le fils d’un autre barde, il se retira dans le sud du pays de Galles et chercha un refuge au fond d’une chaumière où il composa le Gododin[13]. Le sujet du poème, le plus long qui existe dans la langue welshe, est cette calamiteuse bataille de Cattraeth, dans laquelle le poète avait payé de sa personne et avait vu tomber ses meilleurs compagnons d’armes. Il raconte en vers élégiaques les tristes circonstances de la déroute, qu’il attribue à l’intempérance des Bretons; ceux-ci avaient été « entraînés à combattre sous l’influence des coupes trop pleines. » Des trois cent cinquante-trois hommes qui accompagnaient le barde sur le champ de bataille, quatre seulement échappèrent au tranchant du glaive, et lui-même ne dut la vie qu’à son caractère sacré. Dans tout ce poème règne une inspiration sauvage ; les scènes de massacre et de désolation, le fracas des boucliers contre les boucliers « semblable au bruit du tonnerre, » le choc des hommes d’armes « teignant d’un bleu d’acier les ailes blanches de l’aurore, » les noms et les vertus martiales des héros dont la mort « fait trembler une larme aux cils de plus d’une mère, » tel est le thème un peu monotone sur lequel cet Ossian du pays de Galles chante ses vers rudes et mélancoliques. Les bardes bretons, différens en cela des scaldes du Nord, qui excitaient sans cesse au carnage, se considéraient eux-mêmes comme des messagers de paix, et tout en célébrant avec un sombre enthousiasme les horreurs de la guerre s’efforçaient du moins d’arrêter l’effusion du sang. La légende veut qu’Aneurin ait été tué vers 570 par la hache d’un assassin.

C’est dans la même période à peu près, de 520 à 570, que Taliesin prit rang parmi les bardes gallois. Ce qu’on croit savoir de sa vie ressemble beaucoup à un roman. La langue welshe possède un grand nombre de contes d’enfans, les uns conservés seulement dans la mémoire du peuple, les autres retrouvés dans des manuscrits; parmi ces derniers, il en est un qu’on attribue à Taliesin. « Un petit garçon appelé Gwin, nous dit le conteur, était employé par une sorcière nommée Keridwen à surveiller un chaudron magique où elle préparait un breuvage pour donner à son fils la science et le génie. L’enfant but lui-même les trois gouttes du philtre qui devait produire l’effet merveilleux, et encourut ainsi la vengeance de la sorcière. Il fit donc preuve de sagesse en fuyant le courroux de Keridwen, qui le poursuivait. Il s’échappa sous la forme d’un lièvre; mais elle le harcela sous celle d’un lévrier. Au moment d’être pris, il se changea en poisson, elle se convertit en loutre. Il se fit alors passereau, et elle faucon. A la fin, il fut avalé sous la forme d’un grain de blé par Keridwen, qui s’était métamorphosée en poule. Au bout de neuf mois, elle s’en délivra et le lia dans un sac qu’elle jeta ensuite à la mer. C’est dans cet état qu’il fut trouvé plus tard sur le sable au bord d’une baie par le prince Elfin, fils de Gwyddno[14]. » C’est sans doute ce conte qui a donné lieu à la légende du poète recueilli par des pêcheurs dans une corbeille ou dans un de ces petits bateaux si sveltes appelés coracles. Lui-même affirme plusieurs fois dans ses chants avoir passé par une série d’existences antérieures, tout en gardant jusqu’au bout l’impérissable conscience du moi. C’est aussi au chaudron de Keridwen qu’il attribue le don de haute sagesse et de prophétie qui le distingue. Dernier des bardes primitifs, il se donne comme chargé d’une sorte de mission divine. « Je suis, s’écrie-t-il, un disciple du silence qui adresse la parole aux bardes de la terre. Mon rôle est d’animer le héros, de convaincre ceux qui sont dans l’erreur, d’éveiller le contemplateur endormi et muet, d’éclairer bravement les rois. Je ne suis point un artiste superficiel qui caresse les bardes attachés à la maison des princes; il faut laisser ce soin aux habiles parasites. — L’Océan a dans son orgueil une profondeur légitime! » Barde et pontife, il s’autorise de la hardiesse des anciens druides pour aborder les sources les plus hautes de l’inspiration poétique. « Si vous êtes, dit-il, fidèles à la discipline de vos pères, vous devez chanter les grands secrets du monde que nous habitons. » Et, payant d’exemple, il nous donne en vers une sorte de cosmogonie dans laquelle il se représente l’univers visible comme un énorme animal montant du fond de l’abîme, sombre séjour d’un principe mauvais. A quel point les mythes et les farouches doctrines du barde dérivent en droite ligne de l’ancienne théologie celtique, là se présente la grande question qu’il est difficile d’approfondir. Ce point de vue n’en donne pas moins à ses chants un haut intérêt ; malheureusement le ton en est très obscur, et l’authenticité de ces poèmes eux-mêmes a été contestée par quelques érudits. Quoi qu’il en soit, les habitans du pays de Galles, plus accessibles à l’enthousiasme qu’au sens critique, lui assignent une date et une place certaines dans la littérature welshe. Par son caractère et par la nature de son époque, il forme, selon eux, une sorte de transition entre les anciens ovates et les bardes guerriers, entre la religion des druides éclipsée et l’aube du christianisme dans les forêts de la Cambrie[15].

Merddhyn, surnommé le Calédonien ou le sauvage, Wyltt, est avec Taliesin un des derniers prophètes de la race bretonne. Ce n’était point un habitant du pays de Galles proprement dit, mais bien du royaume welshe, qui s’étendait vers le sud-ouest de l’Ecosse. Poète, guerrier, suprême juge du nord, il résista de toutes ses forces à l’introduction du christianisme. Vaincu, persécuté, il se retira dans les forêts de la Calédonie, emportant avec lui le dernier soupir des druides qu’il exhala dans ses chants. Un sombre mysticisme réchauffé au soleil couchant des religions de la nature en fit une sorte de Jérémie celtique. Comme on lui attribuait le don de lire dans l’avenir, ses oracles restèrent et firent autorité. Plus tard, quand on avait besoin de nouvelles prédictions pour ranimer le sentiment national, on faisait parler le prophète du fond de sa tombe[16]. Après lui, Meigant, dont il reste une élégie sur la mort de Cyndylan, prince de Powys, et Llywarch Hen ferment le cycle barbare. Ce dernier vivait de 550 à 640 et mourut, dit-on, à l’âge de cent cinquante ans, près de Bala[17].

La seconde période de la littérature welshe s’étend depuis 1120 jusqu’à la chute de l’ancien gouvernement breton, qui suivit en 1283 la mort de David, dernier prince de Galles. Cette seconde époque a sur la première le mérite d’une authenticité qui défie toute discussion, et à ses débuts du moins elle surpasse encore en antiquité tout ce qui a été écrit dans les langues modernes de l’Europe, à l’exception de l’Islande. La lyre welshe avait trois cordes, — la religion, la guerre et la nature. Mieux encore que les montagnes de la vieille Cambrie et que le bouclier d’Owain Gwynedd, l’institution des bardes servit de rempart sacré à l’indépendance nationale. La tradition veut que ces bardes aient encouru la disgrâce des prêtres catholiques à cause de la liberté de leurs doctrines et de la vénération qu’ils professaient pour les maximes religieuses des anciens druides, leurs premiers maîtres. Toujours est-il qu’ils furent défendus contre l’influence du clergé par la faveur et la protection des princes welshes. L’un de ces derniers, Grafydd ap Cynan, vers le commencement du XIIe siècle, renouvela par des règlemens l’ordre des bardes et des ménétriers. Son poète favori était Meilyr, qui a laissé une élégie sur la mort de ce prince, ainsi qu’une pièce de vers touchante intitulée le Lit de mort[18]. Les chefs bretons avaient bien compris que ces chantres divins étaient les véritables soutiens du patriotisme; eux seuls ranimaient les courages. N’a-t-on pas lieu toutefois de s’étonner du silence gardé par les bardes lors des dernières catastrophes qui ont assombri l’histoire de la principauté de Galles? Il n’existe qu’une seule élégie pour consacrer la mémoire de Llyvelyn, traîtreusement égorgé à Buallt en 1282. Avec cet événement semble avoir péri non-seulement la nationalité welshe, mais aussi le vieil esprit de résistance à l’invasion saxonne. L’âme d’un peuple reste comme ensevelie sous cet obscur monument de l’un des derniers bardes bretons. Les conquérans, on l’a vu, respectèrent du moins la langue des vaincus et encouragèrent même la littérature à se relever. Depuis ce temps, le pays de Galles présente l’exemple assez rare d’une race qui, tout en ayant renoncé à se gouverner elle-même, vit fièrement enveloppée dans les traditions du passé comme dans une armure. Ce qu’on appelle encore aujourd’hui dans les eisteddfodau la nationalité welshe se compose uniquement de poésie et de fictions; ne ressemble-t-elle point ainsi à ces ombres d’Ossian qui chassaient et combattaient dans des brouillards? La littérature welshe n’en a pas moins continué depuis la conquête à s’enrichir de nouveaux écrivains. Il suffira de nommer parmi les vivans David Owen, qui sous le pseudonyme de « Brutus » publie un recueil intitulé Yr Haul (le Soleil), et que les érudits du pays de Galles comparent pour le talent à Charles Dickens.

Les eisteddfodau ont beau faire, la langue bretonne est condamnée à périr. De tous les côtés s’élèvent dans la principauté de Galles des écoles où les enfans apprennent l’anglais. Les chemins de fer ouvrent de jour en jour aux touristes et aux relations commerciales cet Éden des fraîches vallées et des collines vaporeuses. Que parlé-je d’ailleurs des attaques du dehors? C’est en elle-même que cette langue porte des germes de dissolution inévitable. Si admirable qu’on le prétende, cet idiome a un défaut qui ne doit point trouver grâce devant le progrès matériel : il ne convient point aux affaires. Frappé d’un cachet ineffaçable par les castes sacerdotales et militaires, il n’a point du tout été fait pour une époque d’industrie, de commerce et de transactions pécuniaires. Il porte jusque dans sa littérature les traits d’un langage arrêté à la période descriptive et poétique. Dans les campagnes, au milieu des fermes, parmi les bergers qui conduisent leurs troupeaux sur le versant des collines, il suffit encore aux rapports de la vie rustique et pastorale; mais dans les villes il meurt au souffle contagieux du commerce, et dans les usines à fer au contact de l’industrie. On a longtemps cherché les causes qui ont amené la décadence des anciens idiomes; peut-être, si l’on s’éclairait par l’exemple des populations du pays de Galles, les trouverait-on dans un fait bien simple. Les langues s’éteignent le jour où elles cessent de répondre au mouvement social des idées. La conquête peut accélérer ce résultat, mais seule elle ne saurait le produire, puisque le welshe a survécu pendant des siècles, dans l’ancienne Cambrie, à la perte de la nationalité. Quelques habitans du pays de Galles reprochent aux Anglais d’en vouloir à leur langue. Que gagnerait l’Angleterre à briser les dernières cordes d’une lyre qui a cessé depuis longtemps d’être hostile? De son côté, le pays de Galles tient par trop de liens indissolubles à la Grande-Bretagne pour rêver une scission qui équivaudrait à un suicide. Ses habitans peuvent bien évoquer dans le cercle magique du gorsedd les ombres des anciens héros bretons et s’écrier «vivent les Wales! » qu’y a-t-il en cela de si menaçant? Au patriotisme il faut une patrie, et les Welshes ne peuvent en avoir d’autre que l’Angleterre. Ils le savent bien eux-mêmes; aussi les plus intelligens et les plus actifs d’entre eux cherchent-ils à se rapprocher autant qu’il est en eux de la race saxonne. La conquête a d’ailleurs ménagé leur amour-propre; c’est, en apparence du moins, la couronne d’Angleterre qui est passée aux Wales[19]. Et puis, consolation suprême, ils n’ont été vaincus que par la liberté. Les Welshes jouissent depuis longtemps de tous les privilèges, de tous les droits politiques des Anglais. Donnant en cela un démenti à ceux qui prétendent que les Celtes ne sont point propres au gouvernement constitutionnel, ils se montrent dignes des institutions libres qu’ils ont en quelque sorte conquises dans la défaite.

C’est surtout l’industrie des mines qui a effacé de la Cornouaille l’ancien langage breton : la même cause ne doit-elle point aussi produire dans le pays de Galles les mêmes effets? Ce dernier est la terre des métaux. A dix milles environ de Llandovery, petite ville du Carmarthenshire, aux maisons vagabondes et éparpillées sur un plateau dominé par des collines qui prennent vers le nord un caractère sauvage, se rencontre une de ces masses de quartz si fréquentes dans le système cambrien. On l’appelle Gogöfau ou Ogofau, c’est-à-dire les cavernes. Le roc se montre en effet percé dans plusieurs directions par des galeries horizontales, ouvrage des Romains. On y a découvert des médailles, des ornemens, des inscriptions, des débris de poterie romaine, une salle de bains et d’autres antiquités annonçant assez que les maîtres du monde avaient dans le voisinage une station militaire reliée au travail des mines. La nature de ces mines elles-mêmes était depuis des siècles un secret pour les antiquaires, lorsque des spécimens de métal précieux, trouvés par les géologues dans les filons de quartz, ont enfin trahi depuis quelques années le secret de ces antiques cavernes. Le Gogöfau, il n’y a plus lieu d’en douter, était une mine d’or exploitée par les Romains[20]. Aujourd’hui ce n’est point l’or, c’est le fer qui constitue pour les Welshes une source de richesses. Si l’on tient à étudier sous cet autre aspect le sud du pays de Galles, il faut nous transporter à Merthyr Tydvil, un des plus grands centres de l’industrie métallurgique.


III.

On peut se rendre de Cardiff à Merthyr Tydvil par une branche de chemin de fer qui traverse la romantique vallée de la rivière Taff. Il est peu de routes mieux faites pour exciter l’enthousiasme du paysagiste. La voie ferrée serpente entre deux chaînes de collines. Ce défilé du comté de Glamorgan a été jadis le théâtre de sombres aventures : là se rencontrèrent lance au poing les bandes cuirassées des barons welshes, et le sang a teint plus d’une fois l’herbe humide des prairies. C’était un lieu inculte, farouche et presque inhabité. Aujourd’hui quel contraste! Le bruit de la locomotive trouble seul le repos de la vallée, qui s’entrouvre par moment et laisse apercevoir un village gracieusement couché au pied des collines comme un troupeau de blanches génisses. Ailleurs des maisons neuves s’éparpillent à tous les étages d’une montagne boisée. La charrue se promène sur les hauteurs, traçant des sillons chargés de toutes les promesses de l’année suivante, ou bien encore la faux décrit un cercle éclatant parmi les épis mûrs. La rivière Taff coule nonchalamment auprès du chemin de fer, s’en éloigne, puis s’en rapproche encore, écumant çà et là entre des quartiers de roche. Au moment où je traversai à vol de vapeur cette vallée pittoresque, un voile de pluie et d’épais brouillard couvrait la tête des collines, dont quelques-unes s’avançaient en promontoire sur un océan de verdure, éclairées de distance en distance par une lumière couleur de rouille. Après tout, cette brume, qui se rencontre si souvent dans le sud du pays de Galles, ne nuit aucunement à l’effet général de la scène. L’esprit devine sous ce voile des horizons qui échappent au regard et se les figure plus étendus qu’ils ne le sont peut-être en réalité. N’est-ce point à cet aspect nébuleux du ciel qu’il faut attribuer le caractère même de la poésie des bardes du nord? A mesure qu’on avance, le spectacle extérieur se modifie : l’agriculture et l’industrie semblent se disputer le terrain. De petits moutons welshes, à la laine noircie par le brouillard et par la fumée des usines, errent encore dans les prairies herbues, qui, abritées par de hautes collines, restent vertes en dépit des étés les plus secs. Plus loin, c’est l’industrie qui triomphe. Des rubans de fer couronnent le front des hauteurs, sur lesquelles courent de petits wagons chargés de minerai ou de charbon de terre, et qui sortent sans doute des bouches de la mine. Les collines, coupées, dénudées, tourmentées dans leurs escarpemens, accusent en vigueur sur un fond brumeux les blessures qu’elles ont reçues de la main de l’homme. De tous les côtés de l’horizon, de longs tuyaux de brique font de la fumée dans du brouillard. Des bouffées de feu s’échappent à distance de sombres soupiraux, comme si c’était le sol lui-même qui brûlât. Le ciel en est noir; la campagne étouffe en quelque sorte dans un bain de vapeur. Ceux qui ont vu, il y a une trentaine d’années, cette vallée du Glamorgan ne la reconnaîtraient plus aujourd’hui. D’où est venu le changement? L’homme croit tenir et dominer la terre, c’est au contraire la terre qui le possède. Qu’une veine de métal passant sous des prairies, des champs cultivés, vienne à être découverte, et pourvu que cette veine soit riche, voilà toute une région bouleversée. Le sous-sol exerce une réaction puissante non-seulement sur les travaux qui s’exécutent à la surface du terrain, mais encore sur les mœurs et le caractère des populations locales. C’est l’histoire de ce qui est arrivé dans la vallée de la rivière Taff. La découverte du fer, non contente d’altérer les traits du paysage, a changé un peuple de laboureurs en un peuple d’ouvriers.

On a dit que le sol inégal et onduleux du pays de Galles ressemblait à une mer orageuse. Dans ce cas, les collines du sud, comparées aux montagnes du nord, représentent assez bien le lendemain de la tempête, c’est-à-dire le moment où les vents commencent à se calmer et où les grosses vagues s’affaissent les unes sur les autres pour se relever en bondissant. Ces collines ont pourtant encore des airs de fierté. Quelques-unes sont assez hautes et assez perpendiculaires pour donner lieu, dans certaines saisons, à de véritables avalanches. Un constable vivait avec sa famille dans le district qui s’étend entre Merthyr Tydvil et Tredegar; sa maison, perchée sur le versant d’une colline abrupte, faisait partie d’une rangée de cottages isolés au milieu des précipices. En 1863, un orage éclata, suivi de torrens de pluie. Le constable, nommé Lewis, se disant que l’averse pourrait bien inonder l’égout qui se trouvait à côté de sa maison, sortit et se mit bravement à l’ouvrage pour nettoyer le ruisseau. Tout à coup il s’arrêta saisi de stupeur : un rugissement pareil à celui d’un tremblement de terre se fit entendre, et le bruit se rapprochait de moment en moment. Ayant recouvré sa présence d’esprit, il alla voir ce qui se passait. Un torrent se précipitait de la montagne contre la porte de derrière, back-door, de sa maison. Il courut pour avertir sa femme et ses enfans du danger qui les menaçait; mais à peine avait-il fait quelques pas qu’il fut renversé par un déluge d’eau, d’argile et de cailloux. Il parvint à se relever, et, faisant un détour, s’élança vers la façade du cottage. Cependant la porte de derrière avait été forcée par le torrent, et avant que la femme de Lewis pût se sauver, le rez-de-chaussée venait d’être envahi par une avalanche de pierres qui bloquaient la porte de devant. Elle essaya, dans son trouble, d’ouvrir au moins la porte de l’escalier et de se réfugier vers l’étage supérieur; mais cette issue elle-même était obstruée. L’eau montait alors jusqu’à son épaule. La malheureuse femme portait un de ses enfans sur le cou, tandis que l’autre avait réussi à grimper entre ses bras qu’elle élevait audessus du torrent. Armé d’une hache, Lewis enfonça la porte; mais ce fut à grand’peine qu’il put sauver sa femme et ses enfans, tant ils étaient, pour ainsi dire, incrustés dans un fit de boue épaisse et de cailloux.

Ces torrens qui descendent des collines n’ont pas toujours, il est vrai, le même caractère de violence. Ce sont d’ordinaire des ruisseaux à l’onde pure et froide, comme tout ce qui vient des hauteurs. Ils alimentent dans les vallées de belles rivières peu profondes qui semblent avoir été faites pour réfléchir le ciel, pour donner une âme au paysage ou pour tomber en gracieuses cascades du front des rochers. L’industrie du fer a encore changé tout cela : elle force ces ruisseaux paresseux à travailler, elle les emprisonne dans des canaux, leur fait tourner des roues ou broyer les minerais, et les condamne à traîner tristement leurs ondes souillées vers la mer. Les fées bretonnes ont dû en gémir, et je ne m’étonne plus qu’elles aient abandonné pour jamais ces fraîches retraites dont on a troublé l’eau, abattu les bosquets et foulé aux pieds les fleurs sauvages.

Merthyr Tydvil ressemble à ces villes qu’on voit en rêve, et qui s’évanouissent dès qu’on veut y entrer. De loin elle s’accuse vigoureusement par un épais nuage de fumée; y est-on, on la cherche en quelque sorte sans la trouver. Ses rangées de maisons vagabondes, assemblées sans ordre et sans symétrie, se perdent à chaque instant dans la campagne. Il y a pourtant une grande rue, commençant au chemin de fer et finissant on ne sait où, qui s’enfle et se rétrécit tour à tour, comme un serpent aux abois, sans jamais aboutir à un centre. Le secret de ce désordre est que Merthyr n’était encore, à la fin du dernier siècle, qu’un obscur village. Il avait poussé par hasard dans une large vallée, et c’est par hasard aussi qu’il s’est accru jusqu’à devenir, comme on dit, la capitale du fer. Des rues nouvelles se sont embranchées aux anciennes sans autre but que de fournir des logemens aux ouvriers des usines. C’est ici du reste qu’il faut étudier l’influence de l’industrie métallurgique sur la fortune des villes. Des vieillards se souviennent encore à Merthyr du temps où l’arrivée d’un colporteur à cheval, avec des ballots de marchandises, bagman, mettait en fuite toute la population, qui le prenait pour un officier du roi chargé d’enrôler par force les habitans (press-gang). Aujourd’hui quelle différence! La ville possède beaucoup de grands magasins qui n’auraient besoin que d’être mieux entourés pour faire grande figure, et quant aux bagmen, ils ne sont, hélas! que trop nombreux, bourdonnant autour de la bourse de l’ouvrier comme les frelons autour des grappes mûres. Commerce, population, numéraire, tout a centuplé, et qui a produit ces résultats ? Le fer.

J’étais descendu à l’hôtel du Castle, dont l’enseigne fait allusion à un ancien château, Morlais castle, érigé par Gilbert, lord de Glamorgan, et dont on aperçoit aujourd’hui les ruines couronnant, à quelques milles de Merthyr, une hauteur à pic. Comme il continuait de pleuvoir, et qu’il n’y avait pas moyen ce jour-là de visiter les forges, je pris le parti de faire un voyage à ma fenêtre. L’endroit était bien choisi. Je ne dirai pas que je fusse au centre de la ville, car il n’y a point de centre; mais l’hôtel occupe dans la grande rue un poste d’observation d’où le regard s’étend sur une vaste place jonchée de décombres et très fréquentée. La population de Merthyr Tydvil jouit, il faut le dire tout de suite, d’une assez mauvaise renommée. La veille, à Cardiff, un employé du chemin de fer m’avait engagé à ne point me rendre pendant la nuit dans ce qu’il appelait une ville dangereuse. Je ne vis rien, absolument rien, qui justifiât ses craintes, si ce n’est qu’il y a là une population pauvre et grossière. Les habitans peuvent se diviser en deux classes, ceux qui portent des souliers et ceux qui vont pieds nus. Il m’a été difficile de saisir d’autres distinctions, car presque tous sont revêtus des mêmes habits cousus plus ou moins de mille pièces. Une Anglaise disait qu’il fallait venir à Merthyr Tydvil pour apprendre à raccommoder. Si quelque chose étonne, c’est que de tels vêtemens aient jamais pu être neufs. Ces haillons, vus par un jour de pluie, sous une lumière cendrée, ont je ne sais quoi de fantastique et de navrant. Les enfans demi-nus barbottent dans la boue avec l’indifférence de jeunes canards. Les femmes, habillées en grande partie comme les hommes, couvertes de vestes ou de casaques brunes, chaussées de gros souliers à semelle de bois, arpentent bravement le terrain, portant sur le sommet de la tête une cruche, un baril chargé de charbon de terre ou une lourde corbeille de légumes. Un chapeau à couronne plate, fait en paille grossière, leur permet d’asseoir et d’équilibrer le fardeau. Leur force égale leur adresse; on est tout surpris de voir des muscles vigoureux se dessiner sous leur peau brune et en quelque sorte cuivrée. Elles marchent droites et semblent défier le mauvais temps aussi bien que la mauvaise fortune. Quelques-unes recouvrent d’une loque la corbeille posée sur leur tête, prenant ainsi pour quelques humbles achats domestiques plus de soins qu’elles n’en prendraient pour elles-mêmes : que leur fait la pluie? Les femmes du pays de Galles ont aussi une manière à elles de porter leur enfant. Ce dernier est enveloppé dans un vieux châle qui recouvre l’épaule gauche de la mère et passe sous le bras droit, les deux extrémités étant nouées sur la poitrine. De cette manière l’enfant repose dans un des plis du châle comme dans un nid, et n’est plus un fardeau pour la femme, dont un des bras reste toujours libre. Cette habitude est celle des gypsies, et remonte sans doute à une haute antiquité. Les jeunes filles, d’autant plus déguenillées qu’elles sont plus à la fleur de l’âge, s’arrêtent, rient et parlent entre elles une langue inintelligible qui ajoute encore au mystère de cette race infortunée. Tout le monde est si pauvre qu’on ne rencontre point de mendians : qui leur donnerait? Les chiens eux-mêmes, maigres, ébouriffés, flairant tous les coins, parcourent la ville avec des airs affamés. Tant de misères, et nous sommes pourtant ici à la source des richesses! Si je consulte les statistiques, j’apprends que cette paroisse est une des plus abondantes de toute la Grande-Bretagne en produits métalliques; les millions en sortent sous la forme de minerai de fer et de diamant noir (charbon de terre). L’industrie, religion des temps modernes, aurait-elle donc ses martyrs, comme l’indique le nom même de la ville[21]? Il faut pourtant se défier de cette première impression et attendre le témoignage des faits.

Mais quelles sont ces ombres qui s’avancent là-bas dans un flot de brouillard et au milieu d’une foule recueillie? C’est un enterrement. Des parapluies massifs de toutes les couleurs, quoique le plus souvent bleus, forment autour du noir cercueil un groupe étrange. Comme toutes les anciennes races, les Celtes du pays de Galles professent un grand respect pour les morts. Quatre ou cinq cents personnes suivent généralement le défunt à sa dernière demeure. Dans quelques paroisses au sud du pays de Galles, les cimetières ressemblent à une fiancée parée pour le jour des noces. Durant la semaine qui précède les fêtes de Pâques ou de la Pentecôte, on arrache les mauvaises herbes, on fait la toilette du terrain, on y plante des fleurs nouvelles et des arbrisseaux. Parmi ces fleurs, on n’admet que celles qui ont une odeur agréable. Les roses blanches s’épanouissent sur la tombe des vierges, tandis que les roses rouges indiquent des personnes qui se sont distinguées par leur bienfaisance et par leurs vertus sociales. Ce langage des fleurs appliqué aux morts n’a-t-il point quelque chose de touchant? Arracher les plantes d’un cimetière est regardé comme un sacrilège. Un ami, un parent peut bien cueillir une fleur par hasard et l’attacher à sa boutonnière comme un souvenir, mais il doit respecter la tige. Les tombes elles-mêmes sont au moins une fois l’an blanchies à la chaux; je n’assurerai point qu’elles en soient pour cela plus belles ni plus respectables sous leur linceul à la détrempe; mais après tout qui blâmerait l’intention? A Merthyr, ville d’industrie et de travail, on a moins le temps de s’occuper des morts. Le cortège marchait d’un pas pressé, comme s’il avait eu hâte de rendre à la terre le fardeau qu’elle réclamait. La nuit était venue; mécontent de la ville à cause de sa misère, du temps qui continuait d’être affreux, de moi-même qui n’avais point encore atteint le but de mon voyage, j’étais couché depuis quelques heures déjà lorsque je me sentis réveillé en sursaut par un éclat d’incendie. Je courus à ma fenêtre, vis le ciel rouge comme s’il eût été enflammé par une aurore boréale. J’étais sur le point de crier : au feu ! mais comme personne ne bougeait dans l’hôtel et que tout était tranquille dans le voisinage, je me rassurai, et bientôt je me souvins que je vivais cette nuit-là dans le pays des forges. La lueur sanglante qui empourprait les ténèbres était en effet une réverbération des iron-works.

Le lendemain était un beau jour pour Merthyr Tydvil. Il n’avait plu que deux fois dans la matinée. Je profitai de cette éclaircie pour me rendre aux usines. Il y en a quatre principales qui portent les noms de Cyfarthfa, de Dowlais, de Gadly’s et d’Aberdare company. Je visitai d’abord celle de Cyfarthfa, la plus ancienne et l’une des plus rapprochées de la ville. L’art de fondre le fer était pratiqué depuis des siècles dans cette localité, mais les travaux n’avaient jamais pris de grands développemens jusqu’en 1775. C’est alors qu’un habile entrepreneur, M. Anthony Bacon, obtint un bail de neuf années pour exploiter un terrain riche en houille et en minerai de fer, présentant une superficie de huit milles en longueur sur quatre en largeur. Peu de temps après, il érigea lui-même à Cyfarthfa une fournaise, des ateliers et une forge pour fabriquer des barres de fer. Sur ces entrefaites, une guerre entre la Grande-Bretagne et l’Amérique éclata; ayant passé un contrat avec le gouvernement pour fournir divers arsenaux, il établit, toujours à Cyfarthfa, une fonderie et une usine pour le percement des canons. Ce fut l’origine de sa fortune comme aussi des agrandissemens de la ville. De même que tant d’autres industriels anglais ennoblis par leurs œuvres, self made, il siégea plus tard au parlement. Après lui, les ateliers de Cyfarthfa, iron-works, passèrent entre les mains de M. Richard Grawshay, dont la famille les possède encore aujourd’hui, et qui fit construire une grande roue en fonte mue par la force de l’eau, ayant coûté 4,000 liv. sterl. (100,000 fr.), laquelle devait alors donner une impulsion nouvelle aux travaux. L’exemple donné par M. Anthony Bacon avait d’ailleurs été suivi; d’autres usines à fer, telles que celles de Dowlais et de Plymouth, avaient été successivement fondées par des compagnies. Un grand obstacle contre lequel ont à lutter les entrepreneurs anglais et dont on ne se doute point assez en France, c’est que très souvent ils ne possèdent point le terrain sur lequel s’exerce leur industrie. Il y a quelques années, m’assure-t-on, le bail des terres occupées par les travaux du Dowlais, c’est-à-dire les collines d’où la fonderie extrait le charbon et le minerai de fer, était expiré, et comme le marquis de Bute, propriétaire du sol, dictait pour le renouvellement de ce bail des conditions que les maîtres de l’usine hésitaient à accepter, les travaux demeurèrent plus ou moins suspendus, à la grande consternation des ouvriers. Enfin, à la suite d’une crise et d’une période de souffrance, la difficulté s’arrangea, et si grande fut la joie des habitans de Merthyr qu’ils saluèrent l’heureuse nouvelle par le son des cloches. La vie de douze mille hommes avec toutes leurs familles livrée brusquement à la merci d’un contrat, quel argument plus fort contre la loi qui immobilise en Angleterre la propriété foncière dans les mains de quelques familles nobles! Aussi, qu’on ne s’y trompe point, la guerre est chez nos voisins entre ces deux puissances, l’industrie et ce qui reste encore du régime féodal. C’est une guerre lente, courtoise, respectueuse, car heureusement pour la Grande-Bretagne il n’y a point chez elle d’animosité entre les classes. L’industrie se courbe pour conquérir (j’emprunte volontiers le titre d’une comédie de Goldsmith); la noblesse, de son côté, fait la part du feu et cède prudemment du terrain à l’ennemi. Quoi qu’il en soit, le résultat peut-il être douteux? Qu’on regarde autour de soi dans le pays de Galles; les châteaux tombent en ruines, tandis que les usines avec leurs tours illuminées, leurs murailles noires et épaisses comme d’anciennes forteresses, leurs remparts de terre et de débris, se dressent fièrement panachées de plusieurs jets de fumée. Là est la vie, là est le progrès.

On arrive aux Cyfarthfa iron-works en traversant des chemins fangeux et un canal qui a la couleur du Styx. belle rivière Taff, qu’a-t-on fait de tes eaux? La terre sur laquelle on marche est d’ailleurs coupée dans tous les sens par des rubans de fer, tramways, qui serpentent jusque dans la ville. Comment oublier que ces rails, depuis si longtemps employés dans les mines, ont servi de prototype à nos voies ferrées sur lesquelles courent aujourd’hui les locomotives, ces chevaux du soleil, selon la théorie scientifique de Stephenson? L’usine, masquée par des habitations ou par des plis de terrain, se découvre enfin dans toute sa grandeur brutale. Construite dans l’épaisseur d’une colline éventrée par la pioche, elle se compose de deux étages, dont l’un est de plain-pied avec la vallée et dont l’autre atteint le sommet du monticule avec lequel il se confond, appuyés qu’ils sont en quelque sorte l’un sur l’autre. C’est vers la galerie supérieure qu’arrive le minerai de fer, descendant des collines voisines dans de petits chariots d’une forme bizarre, qui semblent se mouvoir par eux-mêmes. La mine est à quelque distance dans les montagnes. Un premier fait a lieu d’étonner, c’est l’association presque constante du minerai de fer argileux (clay iron-stone) avec le charbon de terre. Ces deux minéraux sont dans le pays de Galles le Castor et le Pollux du règne souterrain. N’y a-t-il pas là un vaste champ de réflexions pour ceux qui croient aux causes finales? Ces grands dépôts de fer argileux enveloppés dans les plis des bassins houillers, la connexion du métal avec le combustible qui doit le réduire et aussi avec le calcaire grossier qui facilite l’action du feu, tout cela semble en effet dicté par une prévoyance de la nature. On aime à supposer que dans ses lentes combinaisons du passé, alors qu’elle construisait par une série de créations et de destructions la croûte solide de notre globe terrestre, elle avait en vue l’homme, l’industrie, le bien-être des sociétés. Telle est du moins l’idée qui a saisi quelques géologues anglais; mais alors comment se fait-il que ces indications fournies par le gisement, ce lien de parenté entre le métal et le combustible, aient échappé pendant des siècles à l’esprit des fondeurs de fer? Ces deux minéraux sont cependant bien du même âge; leur acte de naissance est signé en quelque sorte par les mêmes fossiles. On a trouvé dans les nodules de fer des coquilles, des plantes tout à fait semblables à celles qui se rencontrent dans les couches schisteuses des mines de houille. Ce sont des végétaux appartenant surtout à l’ancienne famille des fougères, tels que la neuropteris. La flore fossile, d’accord avec l’ensemble des faits, ne saurait laisser aucun doute sur une communauté d’origine dont devait profiter un jour l’industrie. Toutes les grandes fonderies possèdent à la fois des mines de charbon et des mines de fer; elles consument une partie du combustible dans leurs fournaises pour dompter le métal, et envoient l’autre sur le marché.

Le minerai de fer est reçu dans une grande galerie aux arches voûtées qui s’ouvrent sur une terrasse. Le style de l’architecture est des plus grossiers, mais il ne manque point de caractère. Dans les renfoncemens des pleins-cintres massifs qui courbent de distance en distance la forte muraille opposée à la terrasse, je vis des jeunes filles, pour la plupart Irlandaises, qui, assises ou pour mieux dire accroupies sur la pierre, prenaient leur repas en silence. C’était l’heure du déjeuner. La tâche de ces jeunes ouvrières est principalement de casser le minerai qui sort des couches d’argile sous la forme de nodules plus ou moins aplaties. Elles le réduisent en morceaux à peu près de la grosseur d’un œuf. Ce minerai concassé est alors soumis à un procédé qu’on appelle roasting, et qui consiste le plus souvent à construire avec des couches alternatives de charbon de terre et de minerai une sorte de hutte recouverte d’un toit incliné. On met alors le feu au fit de houille qui forme la base de l’édifice; ce feu se communique bientôt à toute la masse, qu’on laisse brûler ainsi durant cinq ou six jours. Durant cette épreuve, le minerai a changé de couleur et perdu de son poids en se dégageant du gaz acide carbonique, du soufre et des autres matières inflammables qu’il pouvait contenir. Ce fer rôti qu’on laisse refroidir est maintenant prêt à être fondu. C’est la seconde opération et peut-être la plus intéressante. Sur la large terrasse que commande la galerie s’ouvrent de distance en distance des espèces de fosses à l’orifice parfaitement circulaire et surmonté d’un pavillon avec des portes de fer. Ces puits de feu sont les bouches des fournaises, furnaces. Quand on ouvre l’une des portes, il s’en échappe des éclairs et des rugissemens d’incendie. Que ces flammes se mêlant et s’entrelaçant les unes dans les autres rappellent bien la sombre vision du buisson ardent ! Des hommes qui ont sans doute trouvé le secret de se rendre incombustibles courent avec insouciance sur cette plate-forme à travers les langues de feu que darde le sommet des cheminées. Pour nous faire une idée de la construction des fournaises qui jouent un si grand rôle dans le traitement du fer, il faut d’ailleurs nous transporter sur un autre théâtre, c’est-à-dire descendre la colline de Cyfarthfa et pénétrer dans les cours basses qui forment le premier plan de l’usine.

L’histoire des progrès de la métallurgie se rattache d’assez près aux améliorations qui se sont succédé de siècle en siècle dans la forme et l’énergie mécanique des fourneaux. Ceux qu’avaient construits les Romains dans la Grande-Bretagne étaient d’une structure basse et conique. Plus tard on éleva la maçonnerie de la fournaise et on y introduisit deux soufflets qui travaillaient alternativement à chasser et à activer l’air dans l’intérieur. Lorsque l’industrie métallurgique eut substitué l’emploi du charbon de terre à celui du charbon de bois, il fallut accroître la pression du courant d’air; c’est alors qu’on eut recours à des machines plus puissantes que les soufflets. On remplaça ces derniers par des cylindres de fonte appelés blowing cylinders (cylindres soufflans), parce qu’agissant tour à tour, ils soufflaient en effet une assez vaste quantité d’air dans la cheminée, cold blast furnace. Cette découverte remonte à 1760 et fut appliquée pour la première fois dans une fonderie de canons établie par le docteur Roebuck: mais le grand progrès fut la substitution d’un courant d’air chaud à un courant d’air froid. Aujourd’hui une puissante machine à vapeur travaille à forcer le fluide atmosphérique dans une sorte de four où il s’échauffe, s’élève même à une haute température, et d’où il est ensuite conduit par des tuyaux dans les fournaises, hot blast furnaces. La supériorité de ce dernier système frappa bientôt les industriels. Un brevet d’invention avait été accordé en 1828 à M. James Beaumont, directeur d’une usine à gaz dans la ville de Glasgow; sa méthode avait été pratiquée pour la première fois dans les travaux de fer de la Clyde, et dès 1835 tous les maîtres de forges écossais, à l’exception d’un seul, l’avaient adoptée. Cette innovation a triomphé aussi à Merthyr Tydvil. Un des avantages qu’elle présente est l’économie du combustible : la même quantité de houille réduit trois fois plus de fer, et un courant d’air chaud fait deux fois plus d’ouvrage, comme on dit dans les usines, que n’en faisait un courant d’air froid égal en volume. Le résultat très clair de ce changement a donc été d’élever le chiffre de la production et de diminuer le prix des produits : grand bienfait pour l’Angleterre. Que se passe-t-il toutefois dans la fournaise pendant que l’air souffle chaud et que le feu mugit? Les substances confiées à ce vaste récipient, c’est-à-dire le minerai de fer et le calcaire grossier, s’amollissent, portées à un degré de chaleur intense par la combustion du coke[22]. Le calcaire se dépouille alors de son acide carbonique, lequel, se combinant avec les parties siliceuses et albumineuses du minerai, forme ce qu’on appelle le slag ou scorie à l’état liquide. Cette écume s’élève et flotte à la surface du bain de fer fondu, tandis que ce dernier, attiré en bas par la loi de gravité, descend lentement le long de la fournaise, traverse le courant d’air sans s’oxyder, grâce à la grande quantité de carbone dont il s’est imbibé au passage, et s’amasse goutte à goutte dans l’âtre, hearth, placé à la base du foyer.

Ces fournaises en travail présentent vraiment un aspect terrible. Que parle-t-on de volcans? Durant ces dernières années, plusieurs explosions ont eu lieu en Angleterre dans ces cheminées chargées de feu, de métal et de vapeurs concentrées. Le fils de l’ingénieur des travaux de Dowlais, à deux milles de Merthyr Tydvil, fut asphyxié, il y a quelque temps, par les gaz qui s’échappaient d’un de ces cratères en ébullition. Ailleurs quatre personnes qui habitaient une maison voisine d’une fonderie de fer furent étouffées durant la nuit par la même cause. En Écosse, à l’usine de Dundyvan, près de Coatbridge, trois ouvriers et un jeune apprenti furent renversés par la masse encore liquide des scories et par les cendres qui s’abattirent tout à coup d’une fournaise. Les habits et le corps brûlés, ces trois hommes se sauvèrent dans un état pitoyable, et après avoir vécu quelques jours, luttant contre des douleurs atroces, ils succombèrent à leurs blessures. Quant au jeune garçon, il ne put même se relever; on réussit à le dégager de ce monceau de laves fumantes, et on le transporta dans une maison où il mourut quelques heures après. Lorsqu’on nettoie ces cheminées, ce qui en tombe est formidable. On y a trouvé des graphites et d’autres rares produits chimiques. Les scories qu’on retire de la fournaise après la fonte du minerai produisent un volume très considérable. Jetées et amassées d’année en année autour de l’usine, elles l’entourent de véritables remparts. Ces monceaux de débris ont même imprimé des traits nouveaux au paysage et élevé des collines parmi les collines. Dans deux ou trois mille ans d’ici, ces terrains créés par l’industrie exerceront peut-être dans plus d’un sens la curiosité des géologues; aujourd’hui même en Angleterre on suit pour ainsi dire à la piste les travaux métallurgiques des anciens Romains et de leurs successeurs par les couches artificielles qu’a laissées sur place le rebut des fonderies, et qui dans plus d’un endroit ont eu le temps de se recouvrir d’une croûte de terre végétale. Cette écume du fer offre encore une autre singularité remarquable : comme on la dépose à l’état igné sur la masse refroidie des scories anciennes, elle semble d’abord près de s’éteindre, et l’ensemble ne présente pendant le jour qu’un immense tas de noirs décombres; mais qu’on ne se laisse point aller à trop de confiance, le feu couve sous la cendre. Viennent les ombres de la nuit, et des flammes de diverses couleurs qui dormaient en quelque sorte sous la clarté du soleil se réveillent successivement. Toute la colline apparaît alors revêtue d’un éclat sinistre. C’est ce phénomène que j’avais aperçu la veille des fenêtres de l’hôtel, et qui m’avait fait croire à un incendie.

Revenons au métal qui bout dans la fournaise. On a étendu devant le foyer un vaste fit de sable. Dans quelques usines, ce lit est recouvert d’un toit; aux Cyfarthfa iron-works, il est exposé en plein air et protégé seulement par un enclos de pierre qui le sépare de la cour. le lit de sable s’incline en pente à partir de la fournaise et se montre en quelque sorte labouré d’une série de sillons parallèles entre lesquels s’élève un fort bourrelet. L’embouchure de ces sillons communique avec un conduit transversal creusé dans le gravier, et tous ces conduits aboutissent à un long canal qui court du robinet de la fournaise jusqu’à l’extrémité du lit de sable. L’ouverture du robinet (tapping) est à coup sûr un moment solennel pour le spectateur. Le métal bouillant sort du réservoir avec un éclat de lune fondue (c’est la comparaison des ouvriers), et, descendant en ruisseau par le canal principal, va d’abord remplir la dernière rainure, c’est-à-dire la plus éloignée de la fournaise. Au far et à mesure que le liquide ardent s’est introduit dans les rangées de gouttières, un ouvrier ferme la communication entre le conduit oblique et la grande artère latérale; il fixe en terre d’une main ferme un fer de bêche et jette du sable contre le courant. Le bain de métal est ainsi obligé de rebrousser chemin, et alimente l’un après l’autre tous les sillons, en finissant par les plus rapprochés du foyer. Le canal nourricier est appelé « la truie » (sow), et les autres sont censés être autant de a petits cochons » (pigs), qui têtent successivement le sein de la mère. De là le nom de pig iron que les Anglais donnent au fer fondu.

J’avais assisté d’abord le jour à cette scène intéressante; mais combien elle m’a paru plus grande et plus merveilleuse pendant la nuit! Toute l’usine avec ses fortes ombres et ses feux flamboyans se détache alors comme un édifice de cyclopes, tandis que le métal en fusion répand à la surface du sol une clarté blanche pareille à celle de la lumière électrique. Dès que le liquide commence à se figer, on jette du sable avec une pelle, ou l’on fait jouer un jet d’eau à la surface des pigs afin d’en réduire la chaleur incandescente. Plus tard, quand ils sont refroidis, on les relève, et ces longs blocs de métal ont naturellement pris la forme des moules, c’est-à-dire des sillons dans lesquels il ont été coulés.

Jusqu’ici le fer n’est encore que de la fonte (cast iron). S’agit-il maintenant de le convertir en fer malléable, c’est l’affaire d’un second procédé auquel on donne dans les usines anglaises le nom de puddling. Ce procédé, pour lequel Henri Cork reçut un brevet d’invention en 1784, consiste à briser la fonte en petits fragmens et à l’introduire sous cette forme dans une fournaise reverbératoire. Un ouvrier, appelé, à cause de ses fonctions, le puddler, dirige une colonne d’air à travers la grille et le foyer de manière à produire une chaleur extrêmement intense. Au bout de vingt minutes environ, la charge (c’est ainsi qu’on désigne le métal confié à la fournaise) commence à donner des signes de ramollissement. Lorsque toute la masse est arrivée à l’état de fusion, le puddler, armé d’un instrument de fer ayant la forme d’une houe, agite et remue le liquide, dont il présente sans cesse une nouvelle surface à l’action du feu. Durant ce travail, le bain de métal se soulève et s’enfle comme une mer, jetant des éclairs de flamme bleuâtre. Il est alors en train de se décarboniser sous l’action de l’oxygène de l’air qui circule dans toute la fournaise. Ce métier de puddler est l’un des plus pénibles qui existent : il exige l’exercice d’une grande vigueur musculaire dans des conditions très rigoureuses. Faut-il après cela s’étonner que de tels ouvriers montrent le plus souvent de la répugnance à élever leurs enfans pour une profession dans laquelle en général les forces humaines cessent, après l’âge de quarante-cinq ou de cinquante ans, de suffire à la tâche? Qui ne leur pardonnerait en outre de s’abandonner quelquefois à un excès de boisson, livrés qu’ils sont, pendant de longues heures de travail, à l’action dévorante de la fournaise? Cependant le métal, qu’on n’a cessé de remuer vigoureusement, finit par ne plus être un fluide élastique : il se caille en grumeaux, puis bientôt ces grumeaux se réunissent en une masse granulaire qui s’émiette comme de la terre sèche sous l’instrument du puddler; seulement c’est une terre de feu. Dans cet état, on le retire de la fournaise en boules d’une grosseur modérée, et on le soumet à une forte pression mécanique de manière à en former des gâteaux (cakes). Ces gâteaux sont remis au feu dans une autre espèce de fournaise, puis ils passent à plusieurs reprises sous une série de rouleaux d’où ils sortent s’allongeant à vue d’œil en rubans de fer rouge. Chaque fois qu’ils glissent sur le plancher de métal, ces rubans se tordent et se meuvent de même qu’un serpent qui lutterait pour s’échapper; mais des enfans noirs comme des lutins courent à travers la plate-forme, saisissent ces serpens de feu avec des pinces et les traînent ainsi captifs vers de nouvelles épreuves. Une machine qui semble animée d’une force surnaturelle les coupe ensuite l’un après l’autre, selon la longueur voulue, avec plus d’aisance qu’une lame de rasoir ne trancherait un roseau. On a obtenu alors ce qu’on appelle du fer en barres ou du fer forgé. J’ai vu frapper selon le même procédé des rails de chemins de fer qui s’empilent par milliers dans les cours de l’usine. Le métal a dépouillé dans cette série d’épreuves le carbone, l’oxygène et les parties terreuses qui s’attachaient encore à la fonte. Il resterait, pour certains besoins de l’industrie, à convertir le fer en acier; mais cette dernière transformation ne se pratique guère jusqu’ici à Merthyr Tydvil.

De l’usine de Cyfarthfa je me rendis aux Dowlais iron-works, où je voulais observer une autre grande scène d’actions mécaniques. Les travaux couvrent une superficie de 14 acres de terre et ont coûté à établir 2 millions l/2 de livres sterling (62,500,000 francs.) Pour jeter les fondemens des ateliers, on creusa jusqu’à ce qu’on pût trouver dans la terre une roche solide; l’excavation fut remplie d’abord de gros blocs de calcaire grossier reliés entre eux avec du ciment, et sur cette base on étendit un plancher en chêne qui fut ensuite masqué par un revêtement de fer. Qui ne serait frappé en arrivant par l’aspect de ces immenses hangars dont le toit s’appuie de distance en distance sur des colonnes de métal? Les machines sont lourdes et puissantes; elles se meuvent, véritables mastodontes de l’industrie, avec une lenteur solennelle, mais aussi avec une régularité terrible qui brise toutes les résistances. Là se trouve le plus grand cylindre soufflant, blowing cylinder, qui ait été construit dans la Grande-Bretagne et par conséquent dans le monde; il frappe vingt doubles coups par minute. Quelques détails statistiques donneront une idée de l’importance de ces grandes usines welshes. Celle de Dowlais extrait de ses mines 600,000 tonnes par an de charbon de terre, dont 400,000 sont consumées dans la fabrique et 200,000 sont exploitées pour servir de combustible aux bateaux à vapeur ou aux locomotives des chemins de fer. Elle possède dix-sept fournaises pour fondre le minerai, blast furnaces, dont quinze sont toujours en activité. Qu’on ajoute à cela cent cinquante-quatre fournaises pour épaissir le fer liquide, puddling furnaces, parmi lesquelles quatre-vingt-dix travaillent sans cesse. La quantité de fonte, pig iron, produite par an est de 140,000 tonnes. Ce colossal établissement occupe huit mille ouvriers et six cents chevaux. Le prix du travail varie selon le prix du fer sur le marché; mais quand les salaires sont hauts, l’usine paie à ses ouvriers 9,000 liv. sterl. (225,000 francs) par semaine[23]. On construit en outre sur les lieux en ce moment d’autres ateliers pour faire de l’acier selon le procédé nouveau, Bessemer system, et qui permettront de fabriquer 20,000 tonnes de ce métal par an. L’acier sera converti en plaques pour construire surtout des frégates cuirassées. Encore n’est-ce pas seulement à Merthyr Tydvil que prospèrent les iron-works ; ils s’étendent dans le Glamorganshire sur un rayon d’une quarantaine de milles, groupés çà et là dans les vallées ou sur le versant des collines. Plus se développe la liberté du commerce, et plus les grandes industries tendent chez nos voisins à se localiser. Des comtés tout entiers deviennent de vastes ateliers de travail, représentant ici les forges de l’Angleterre, ailleurs ses salines, plus loin ses poteries. Les principales fabriques aussi bien que l’agriculture s’attachent à la terre, ou pour mieux dire à la nature du sous-sol comme à une mamelle féconde où elles puisent l’aliment de leur force et de leur activité.

Les maisons des ouvriers s’alignent autour des usines de Dowlais. Je trouvai aux habitations meilleur air qu’aux habitans eux-mêmes. Le plus souvent, peintes d’une bordure verte autour de la porte et des fenêtres, elles étalent avec un naïf orgueil un seuil blanchi à la chaux. La porte est presque toujours ouverte, et l’intérieur ne manque point de propreté[24]. Le regard découvre du dehors dans une pénombre un bahut en acajou chargé de verreries et de porcelaines, des chaises rangées avec ordre, des instrumens de ménage en cuivre ou en étain aussi polis et aussi luisans que s’ils étaient d’or ou d’argent, et dans un coin la maîtresse du logis assise, qui travaille à quelque ouvrage d’aiguille. Les enfans jouent dans la rue, sur le devant de la maisonnette; ils sont frais et bien portans, mais barbouillés, crottés, bourbeux : on dirait des boutons de rose ramassés dans la boue. Des poules se promènent aussi autour du seuil comme si elles étaient sur leur terrain, et entrent même quelquefois dans l’intérieur de la chambre, au rez-de-chaussée, dont le plancher est recouvert d’une légère couche de sable. Si j’en crois une statistique publiée il y a quelques années, l’éducation des habitans laisse beaucoup à désirer. Sur 695 couples mariés en 1845, 1,016 personnes étaient incapables de signer leur nom. L’instruction a fait depuis ce temps-là quelques progrès à Merthyr Tydvil; mais la plupart des parens, déterminés par l’appât du gain, envoient plus volontiers leurs enfans à l’usine qu’à l’école. Les salaires sont assez élevés; les meilleurs ouvriers gagnent près de 7 livres sterling (175 francs) par mois; ce n’est donc point tout à fait dans la mauvaise rétribution du travail qu’il faut chercher la cause de leur misère. L’industrie, surtout celle du fer, exige une alimentation plus forte que le labeur agricole; elle entraîne en outre plus facilement aux goûts de dissipation et à l’abus des liqueurs fortes[25]. Il en résulte que les ouvriers des usines, tout en gagnant deux fois plus que les ouvriers des fermes, n’en sont pas pour cela beaucoup plus riches. Où donc ont-ils alors trouvé de l’argent pour bâtir les nombreuses chapelles qui s’élèvent à Merthyr Tydvil, et dont quelques-unes affectent d’assez grands airs d’architecture? La religion est pour eux le seul lien qui les rattache à l’idéal; il n’y a que le temple où le dimanche ces hommes, courbés toute la semaine sous le travail manuel, entendent une parole qui les élève un instant au-dessus du cercle étroit et monotone des habitudes journalières. Il ne faut donc point s’étonner de leurs sacrifices pour acheter ainsi le pain de l’esprit. Ces chapelles appartiennent à des sectes dissidentes, c’est-à-dire séparées de l’église anglicane. N’est-il point curieux d’observer que, toutes les fois que la race celtique s’est détachée du catholicisme, elle s’est avancée jusqu’aux limites extrêmes de la réformation? Les ouvriers de Merthyr Tydvil ont aussi leurs fêtes populaires. Au moment où j’y étais, une procession traversa la ville bannières au vent et rubans déployés : c’étaient les irorites, une société de bienfaisance et de secours mutuels assez semblable pour ses statuts à celles des odd fellows, des foresters et des autres confréries anglaises, mais placée sous la protection d’un héros welshe. Ivor Hoel ou Ivor le Généreux était un chef de la maison de Tredegan, qui vécut de 1310 à 1370.

Les Anglais reprochent aux Celtes du pays de Galles un caractère fin et rusé. Quant à moi, j’ai surtout été frappé de leur tristesse. Consultez leurs poèmes nationaux, ce sont des élégies; écoutez leurs chants et leurs airs, ils ont la mélancolie d’une race qui a souffert. Les événemens de l’histoire ont été durs pour ce rameau de la famille celtique : comme un enfant dont la maison a été détruite et qui passe dans le sein d’une autre famille, les Welshes ont de bonne heure changé de maîtres et de patrie. La nature elle-même leur a fait de rudes présens; elle leur a donné le fer. La contrée est belle, mais quelle âpreté dans la grandeur! Les montagnes qui s’élèvent vers le nord ressemblent à des nuages figés en granit. Si la lune a des paysages, ils doivent ressembler à ceux-là. Je ne connais que les sévères conquêtes de l’industrie qui puissent faire diversion à cet ensemble de causes absorbantes. Dans les eisteddfodau, la voix des orateurs soulève plus d’une chaleureuse acclamation; mais ces bruits s’éteignent bientôt dans le vide, ainsi que les derniers échos d’une nationalité expirante. La gloire militaire des Wales n’est plus qu’un souvenir; leur poésie elle-même semble destinée à périr comme Ophélia, le rayon de la jeunesse et la couronne de fleurs sauvages sur la tête. Dans les usines au contraire, où l’on ne s’enivre point des fictions du passé, quel changement! Le feu, l’eau, la vapeur, les machines, les hommes, tout lutte, tout produit, tout vit. On a devant les yeux le grand spectacle d’une ancienne race qui, sortant enfin des nuages d’une rêverie énervante, se régénère dans le travail et se rattache bravement au grand courant des sociétés modernes. Il serait inutile de s’étendre sur les applications du fer à l’industrie, à l’architecture, à la marine, à la guerre. Qui ne sait que l’importance des états se mesure aujourd’hui en grande partie à la possession de ce métal? Les Anglais en ont tiré mille services et l’ont ployé à toute sorte d’usages. Il se construit à Londres des maisons de fer qu’on emporte avec soi et qu’on monte ensuite de toutes pièces en Australie, au Cap, à la Nouvelle-Zélande. Comment dire ce que le génie civil doit aux iron-works ? Un de ses triomphes est à quelques lieues mêmes de Merthyr Tydvil le viaduc en fer de Crumlin, véritable chef-d’œuvre de force et de légèreté.

Pour peu qu’on interroge l’histoire, on est entraîné vers un autre ordre de réflexions. Le caractère des métaux n’a point été étranger à la nature des différentes époques. Les découvertes de l’or du XVe au XVIe siècle ont répondu aux besoins d’une société aristocratique. L’âge du fer est au contraire, par une curieuse coïncidence, l’âge de la démocratie. La moralité de ce dernier métal, si l’on peut s’exprimer ainsi, est du moins supérieure à celle de l’or : il n’allume point les convoitises des aventuriers, il n’a jamais dépeuplé les contrées lointaines ni traversé les mers teint du sang des indigènes. Transformé en outils, il apporte au travailleur des forces nouvelles; converti en machines, il centuple la production; allongé en rubans, il réduit les distances. Combien le bon marché des ustensiles de fer n’a-t-il pas depuis un demi-siècle accru chez nos voisins le bien-être domestique! L’agriculture lui doit ses meilleurs progrès. C’est ce caractère d’utilité générale qui assure l’avenir aux iron-works. Les grandes industries sont aujourd’hui les industries populaires. Pareilles à ces chênes gigantesques dont les racines, selon l’expression de Humboldt, plongent vers le foyer central, elles vont puiser la sève et la chaleur dans les couches profondes de la société.


ALPHONSE ESQUIROS.

  1. Ceux qui voudraient connaître plus en détail ce que nos voisins appellent l’histoire du fer consulteront utilement Percy’s Metallurgy of iron et le dernier ouvrage de M. Smiles, Industrial Biography.
  2. Cette abbaye fut fondée en 1131 par Walter-Fitz-Richard de Clare pour des moines de l’ordre de Cîteaux. Les voyageurs trouvent dans le gardien de ce curieux édifice un guide intelligent et éclairé. Pour lui, ce n’est point une ruine, c’est un ami.
  3. Ce nom de Welshes a été donné par les Anglo-Saxons aux habitans du pays de Galles. Quant à ces derniers, ils s’appelaient eux-mêmes Cymri, qui veut dire primitifs. A les entendre, leur langage, qu’ils désignent sous le nom de cymraeg, est le plus ancien qui ait été parlé dans les îles de la Grande-Bretagne. Il ne faut d’ailleurs point accorder une foi aveugle à ces traditions : toutes les tribus celtiques avaient la prétention de se croire autochtones. Aussi certains ethnologistes prétendent que les anciens habitans étaient au contraire une colonie de Belges établis dans le pays de Galles quelques siècles avant l’arrivée de César.
  4. Le mot welshe est caru-ar-y-gwely, qui a été traduit à tort en anglais par courting in bed (courtiser dans le lit); ce devrait être courting on the bed (courtiser sur le lit). Aux yeux des habitans du pays de Galles, la différence est grande.
  5. La forme de ces lettres de faire part est presque toujours la même à quelques variantes près. En voici une qui nous est tombée sous la main. « Comme nous avons l’intention de nous marier, nos amis et connaissances nous engagent à faire le 28 juillet 1864, dans la maison du père de la fiancée, appelée ***, dans la paroisse de ***, comté de Carmarthen, un bidding, pour lequel le plaisir de votre bonne et agréable compagnie est humblement sollicité. Quelque don qu’il vous plaira d’offrir sera reçu avec reconnaissance, et lorsque vous nous appellerez plus tard, pour une occasion semblable, vous pouvez compter d’avance sur vos obéissans serviteurs. » Suivent les noms des deux fiancés.
  6. Les moutons de leur côté sont à peine la moitié aussi gros que les moutons anglais. Par une harmonie bien connue des naturalistes, la taille des hommes se montre généralement proportionnée dans le pays de Galles à celle des animaux domestiques.
  7. Pluriel d’eisteddfod, et dont la racine est eistedd, s’asseoir, tenir séance.
  8. César confirme le fait. Selon lui, la religion des druides s’était formée dans la Grande-Bretagne, d’où elle s’était ensuite répandue au-delà du détroit. Ceux qui tenaient à s’instruire aimaient à revenir vers la source.
  9. Il dînait à la table du roi, possédait des terres exemptes d’impôts, avait une garde-robe bien garnie et un cheval nourri aux frais de la couronne.
  10. Cette division des rangs n’est pas moins marquée dans le pays de Galles qu’en Angleterre. A Carmarthen, un grand bal avait été donné dans une sorte de club qu’on appelle V institution. On y avait réuni deux classes de la société ; mais pour maintenir entre elles la limite, une corde était tendue d’un bout à l’autre de la salle. Un Français établi à Carmarthen, et que cette séparation indignait, s’avisa de couper la corde : il fut blâmé également par les deux classes.
  11. C’est la devise du pays de Galles.
  12. Voyez entre autres Grammar of the welsh language, by William Spurrell. Carmarthen.
  13. Une traduction en anglais du Gododin fut publiée en 1820 par M. Probert.
  14. On voit encore aujourd’hui près de Conway les ruines d’un vieux château, Diganwy Castle, où fut enfermé, selon la tradition, ce même prince Elfin par les ordres de son oncle Maengwyn. L’influence irrésistible des vers de Tallesin, dont il avait été le sauveur et le patron, lui fit rendre la liberté.
  15. Soixante-dix-huit poèmes ont été imprimés sous le nom de Taliesin dans l’Archaiology of Wales. Ce sont pour la plupart des élégies, des chants épiques et religieux. Il a laissé beaucoup de maximes, entre autres celle-ci : « une noble naissance est la plus déplorable des veuves quand elle n’est point fiancée au mérite. » On lui attribue aussi une prédiction célèbre qui s’adressait à tous les Celtes de la Grande-Bretagne « leur dieu ils continueront d’adorer; leur langue ils conserveront; leur terre ils perdront, à l’exception du sauvage pays de Galles. »
  16. Les deux poèmes attribués à Merddhyn le Calédonien, l’Avellenau et le Hoianail, ont été traduits en anglais par Jones dans Poetical and musical Relies of the Welsh Bards. Londres, 1794.
  17. Llywarch Hen, c’est-à-dire « Llywarch le Vieux, » est après Taliesin le poète de la première période dont il reste le plus de fragmens. Ses poèmes ont été traduits en anglais sous le titre de Heroic Elegies of Llywarch Hen, prince of the Cambrian Bretons.
  18. On peut voir l’original et la traduction de ce poème dans le Cambrian Register, t. Ier, p. 405. sous le titre de the Death Red.
  19. Edouard Ier, voyant que les Welshes étaient domptés, mais non soumis, imagina d’envoyer la reine d’Angleterre faire ses couches à Carnarvon, dans le pays de Galles. «Maintenant, leur dit-il, je vous donnerai un chef né parmi vous et, qui parlera votre langue. » C’est depuis ce temps-là que les fils aînés du souverain, héritiers présomptifs de la couronne, prennent le titre de prince de Galles.
  20. Voyez dans les Memoirs of the Geological Survey un travail très intéressant de M. Warington W. Smyth.
  21. Merthyr vient en effet de martyr. Dans les anciens temps, c’est-à-dire vers le Ve siècle, une princesse chrétienne et bretonne nommée Tydvil ou Tudfyl, fille de Brychan, prince de Brecon, se rendait de temps en temps à un ermitage près de la rivière Taff, où son père s’était retiré dans ses vieux jours pour se livrer à des exercices de dévotion. Ils étaient à prier, lorsqu’une bande de Saxons se jeta sur eux et massacra Tydvil avec trois de ses frères. Une source située dans le voisinage et appelée Tydvil’s Well passe pour l’endroit où le meurtre a été commis.
  22. Il faut en effet que le charbon de terre soit réduit d’avance à l’état de coke pour être utilisé dans ces fourneaux.
  23. Le directeur des travaux de Dowlais, M. Menclaus, jouit d’une grande réputation parmi les métallurgistes.
  24. Cette habitude de vivre en quelque sorte dans la rue entraîne plus d’un inconvénient. Le samedi, grand jour de nettoyage, on voit les hommes tout noirs de la mine ou de la forge, les enfans, quelquefois même les femmes, se laver dans un état alarmant de nudité.
  25. On accuse aussi les femmes de se livrer entre elles à des parties de thé où se dépense beaucoup de temps et d’argent. L’ouvrier, revenant à la maison et ne trouvant point son souper prêt à l’heure, n’en est que plus porté à fréquenter les cabarets.