L’Ancienne Alsace à table/Édition 1877/3

Berger-Levrault et Cie (p. 61-89).
CHAPITRE III

Retour de la pêche. — Le pêcheur à la cuisine. — Généralités. — Principes d’un docteur colmarien du seizième siècle. — Le poisson aux sauces anciennes. — Le poisson à la bière. — Le poisson au bleu. — Quelques apparitions authentiques du poisson dans des festins historiques. — Le poupelin de truites du Silecker. — Le pâté froid de truites de Sainte-Marie-aux-Mines. — Le pâté de langues de carpes et de foies de lottes de Strasbourg. — Les Fischmohl du seizième siècle. — Napoléon 1er et les poissons de Strasbourg. — La truite des Vosges. — Bons endroits à noter. — Une truite du Ballon devant la justice administrative. — La friture ; son caractère et son importance dans les mœurs. — Auberges champêtres fameuses à ce point de vue. — Le Renard-Prêchant de Strasbourg. — Admission des grenouilles. — Traitement de l’écrevisse ; méthode de l’électeur de Hesse-Cassel. — Les bisques de Bærenthal. — Le foie d’écrevisses découvert par un Bourguignon à Schlestadt. — Communication importante. — Résumé de la question. — Transition. — Les menus. — Les missi dominici en voyage. — Régime des chanoines du chapitre de Strasbourg au neuvième siècle. — Progrès de ce régime. — Ce qu’il était pendant le carême. — Fondation charitable d’une chère-lie de huit jours francs, au profit du chapitre de Bâle et aux dépens du porc. — Un anniversaire bien entendu. — Idées d’un abbé de Senones. — Comment il les applique. — Un souper politique à Thann en 1469. — Deux anciennes méthodes pour se rafraîchir. — Détails du service. — Festin d’intronisation de l’évêque Robert de Bavière en 1449 ; menu en règle et plats d’agrément. — Un état de dépenses de bouche, en 1478, à Montbéliard. — Ce qu’il en coûtait à une commune, au dix-septième siècle, pour baptiser une comtesse de Ribeaupierre. — Banquet donné, en 1507, à l’évêque Guillaume de Hohnstein. — Critique de ce repas par un docteur in utroque jure. — Frais d’entretien des députés des XIII cantons à Mulhouse en 1515. — Bel appétit d’un Mulhousien de la Renaissance. — Sieste.


J’ai conduit mes lecteurs sur les rives de toutes les eaux de l’Alsace qui, dans les temps anciens, avaient la réputation de fournir des produits abondants et estimés à l’appétit de nos aïeux ; je les ai fait assister, en imagination et par le souvenir, à quelques grandes fortunes de pêche, à quelques exploits célèbres dont les trophées ont eu la gloire de décorer des festins historiques. Mais s’il est beau, pour quelques-uns, de prendre le poisson, et si ce triomphe leur suffit, il peut paraître plus profitable, au grand nombre, de s’arrêter aux jouissances positives. Toute chose a son idéal et sa face matérielle, ses poëtes et ses prosateurs. Alexandre, dans ses conquêtes, pouvait se contenter de la joie de poursuivre son rêve, mais ses bandes de tueurs voulaient du butin, des dépouilles et des voluptés. Voilà la prose de l’art de la guerre. La pêche, comme tous les autres arts, a ses utilitaires, ses réalistes, ses prosateurs, qui préfèrent avoir le ventre à table que d’avoir les pieds dans l’eau. Il faut donc quitter le Rhin et ses grèves silencieuses qui font rêver ; l’heure est venue d’abandonner les bords riants et animés de l’Ill et de sortir des fraîches vallées où les torrents vosgiens roulent leurs eaux écumantes. Le pêcheur a détendu et ployé ses engins ; il va donner un coup d’œil curieux aux entreprises savantes et variées des femmes, des cuisinières, qui dévouent à la bouche avide des prosateurs les fruits de sa victoire.

Aujourd’hui, les progrès de l’art culinaire et la perfection des méthodes ont richement varié la mise en œuvre du poisson. Cet aliment sain et délicieux constitue une des sensualités les plus délicates de la table moderne, en même temps qu’un luxe de bon goût qui en rehausse le spectacle pittoresque. Mais autrefois, dans l’enfance de l’art, quand l’homme était plus préoccupé de se nourrir que de bien vivre, les moyens d’apprêter le poisson étaient réduits à une simplicité extrême, à un laconisme de formes primitif et radical. Une cuisson sommaire à l’eau dont la fadeur n’était relevée que par le parfum violent de quelques herbes à senteur âcre ou d’épices brûlantes ; la friture rapide et saisissante exécutée au beurre ou à l’huile ; tels étaient les deux modes uniques de préparation accrédités dans la cuisine ancienne. Si ces limites ont été heureusement franchies, nous en sommes redevables à l’art, à l’inspiration.

La vieille médecine affectionnait les contrastes et les oppositions. Elle paraît avoir entièrement reposé sur l’axiome : contraria contrariis sanantur. Un docteur colmarien du seizième siècle, Jean-Jacques Wecker, qui a écrit une pratique générale de la médecine[1] dédiée à l’empereur Rodolphe II, et qui laissa sa femme Anna Keller composer un livre de cuisine qu’elle dédia à la princesse d’Orange, admettait, sans doute avec tous les savants de son époque, que les maladies inflammatoires requéraient une nourriture rafraîchissante, les maladies froides un régime excitant ; les maladies humides un régime sec et les maladies sèches un régime humide ; les maladies inflammatoires et humides un régime rafraîchissant et sec, les maladies froides et humides un régime sec et chaud, et ainsi de suite[2]. D’après ces beaux principes, qui sont peut-être encore respectés aujourd’hui, Wecker avait classé les poissons parmi les aliments froids et humides, et il les employait pour combattre les maladies inflammatoires et dévorantes… Mais il les distinguait en deux catégories : ceux qui fournissent un bon suc produisant un sang généreux, comme le barbeau, la perche, l’huître, l’écrevisse, etc., et ceux qui fournissent un mauvais suc ne pouvant donner qu’un sang vicieux, tels que l’anguille, la carpe et toutes les espèces familières aux eaux dormantes. Il est assez probable que les gens du seizième siècle laissaient le brave docteur Wecker et ses confrères s’enfoncer et se perdre dans toutes ces savantes divisions et sous-divisions, et qu’on n’allait guère les consulter pour apprendre d’eux ce que l’on penserait du poisson que l’occasion envoyait.

Et, au fait, pourquoi consulter les oracles de la médecine quand on était décidé d’avance à manger le poisson, sans tenir aucun compte des règles rappelées par l’Esculape colmarien ? À la bonne heure s’il se fût agi de savoir à quelle sauce il serait servi ! Et encore ! L’histoire nous apprend que ce genre de problème est plus de la compétence des sénateurs que des médecins.

Nous voyons par les Kreuterbuch de Léonard Fuchs et de Jérôme Bock que les poissons cuits à l’eau étaient relevés par des sauces chaudes ou froides dont les plantes aromatiques des jardins ou des champs faisaient tous les frais : sauce au cumin, sauce aux poireaux, sauce à la menthe, à la sauge, au basilic, à la marjolaine, à l’anis, à l’armoise, à la lavande, à la passerage, au fenouil, au serpolet, au fenugrec, etc., enfin à tous les parfums étranges et condamnés que la civilisation a exilés au fond de la boutique des apothicaires et des coiffeurs. Les pauvres n’aspiraient pas même si haut ; ils se contentaient de l’humble sarriette, le véritable aromate du misérable. Les riches et les dissipateurs usaient des épices, alors précieuses, de l’Orient. Dans les cuisines moyennes, on ne manquait pas, à la saison où mûrissent les noix, de recueillir le brou de ce fruit, de le sécher et de le pulvériser ; cette poudre, mélangée à un peu de sauge râpée, fournissait une variante d’assaisonnement qui passait pour être agréable. Mais le rude palais des Alsaciens se délectait surtout du poisson cuit en compagnie de groseilles à maquereau encore vertes ; c’est Bock qui le dit.

J’avoue que cette cuisine me fait frémir, et je reconnais que c’est un grand bienfait de vivre en un temps plutôt que dans un autre. Je ne crois pas que je me fusse consolé en mangeant avec Thomas Plater, le futur professeur de l’Université de Bâle, des poissons bouillis à la bière. Il paraît cependant les avoir trouvés à son goût. À la vérité, Plater était un Bâlois du seizième siècle, et le cas se passait en Silésie. Il raconte[3] que dans son vagabondage de pauvre étudiant, il avait, avec quelques camarades, volé des poissons dans un vivier. Arrivés avec leur proie dans un village, ils en abandonnèrent une partie à un paysan à la condition que celui-ci leur accommodât l’autre en la cuisant dans de la bière, à la mode du pays, sans aucun doute.

Ce procédé doit être remarqué par l’histoire. Il est l’aube qui annonce la venue du grand jour, le précurseur d’une révolution, le tâtonnement qui précède la vérité. Le poisson à la bière forçait l’humanité logiquement, en vertu de la loi de la perfectibilité progressive, à découvrir le poisson au vin, le poisson au bleu, le dernier terme connu du bien, de l’excellent, en cette importante matière. En effet, Jean-Baptiste Bruyerin, plus connu sous le nom de Champier, médecin de François 1er, observe que cette façon d’accommoder le poisson était récente, qu’on la devait aux Allemands, et qu’elle s’employait surtout pour les carpes qui, cuites ainsi tout entières, avec leurs écailles, ne perdaient rien de leur suc[4]. Toujours fidèle à la loi du progrès, le monde a profité des quatre siècles qui les séparent de la découverte allemande pour débarrasser les poissons de leurs écailles et pour mettre encore beaucoup d’autres choses au bleu.

Je ne constate, on le voit de reste, que les généralités de l’art culinaire, ce qu’il avait d’usuel, de fixe, et pour ainsi dire de constitutionnel. Il serait évidemment impossible de signaler toutes les tentatives exceptionnelles, tous les caprices de détail qui rompaient la régularité de l’habitude. Mais il n’est pas sans intérêt de relever quelques spécialités originales propres à attester tantôt la simplicité des goûts anciens, tantôt la force d’imagination des cuisiniers. Ainsi nous apprenons, par un statut de Henri de Horbourg, évêque de Bâle, du douzième siècle, que les chanoines de cette ville mangeaient à Pâques et à Noël du saumon relevé avec une saumure en gelée, de la morue à la moutarde, du saumon cuit à l’huile et aux poireaux, des truites au vinaigre, des brochets au poivre et des ablettes frites à l’huile[5]. Au fameux festin donné à l’évêque de Strasbourg, Robert de Bavière, pour célébrer sa prise de possession de l’évêché en 1449, on vit paraître au premier service des poissons (on ne désigne pas l’espèce) emprisonnés dans une gelée noire[6] ; c’est évidemment un essai d’aspic. On ne servit pas d’autre plat de poisson à ce grand festin dont je reparlerai. Lorsque l’archiduc Sigismond fit, en 1469, dans la ville de Thann, la remise du comté de Ferrette aux commissaires de Charles le Téméraire, il les convia à un souper où figurèrent « un plat de vairons cuits en l’eau, un plat de petites troites coupées en deux et cuites en l’eau et deux écuelles pleines de vinaigre pour toute la compagnie, des troites rôties, et des troites mises en sausse jaune[7] ». Au repas solennel offert, en 1507, à l’évêque Guillaume de Hohnstein, à l’occasion de son entrée dans Strasbourg, on voit servir « des brochets au bleu avec une sauce verte[8] ». Au festin de noces de Georges de Ribeaupierre avec Élisabeth de Helffenstein, en 1543, les convives furent régalés, au premier service, d’un brochet lardé, d’une monstrueuse tête de brochet au bleu, tenant dans la bouche un lys blanc, symbole de la virginité de la jeune mariée ; au second, d’une carpe en sauce, et d’un saumon froid ; au troisième et dernier, d’une soupelette aux poissons (Fisch-Sipplin) qui fut comme le couronnement gastronomique de ce repas[9]. En 1520, la ville de Mulhouse donne aux envoyés de la confédération un souper à l’hôtel de ville, où l’on consomma notamment des aumons et « autres bons poissons[10] » ; mais le chroniqueur se tait sur la forme de l’accommodage. L’on nous a conservé le menu du repas d’admission des nouveaux bourgeois de Mulhouse, en 1705, et je suis étonné de n’y pas voir figurer la moindre arête de poisson[11]. — L’antiquaire Silbermann raconte qu’il a vu, en 1745, les marquards du Silecker, dans la vallée de Munster, apprêter une espèce d’omelette ou de poupelin aux truites (Forellen-Eierkuchen), et il ajoute que c’est un mets dont l’on n’use point à Strasbourg, mais qui est presque quotidien chez les marquards[12]. L’on pourrait peut-être le remettre en honneur. La partie alsacienne de Sainte-Marie-aux-Mines était renommée, au dix-huitième siècle, pour ses pâtés froids de truites[13] ; la tradition s’en est conservée dans la famille Antoine d’Échéry. C’est un pâté excellent, que le modeste abbé Grandidier a pu goûter dans ses libres courses d’historien et d’archéologue. Mais ce n’est qu’à la table somptueuse du cardinal de Rohan qu’il a pu faire l’épreuve d’un autre pâté de poissons, qui est le terme suprême de la recherche épulaire. Ce pâté n’était composé que de langues de carpes, de foies de lottes et de queues d’écrevisses. Il était à un prix exorbitant. La pièce coûtait 400 livres. Une brochure, publiée à Paris sous l’Empire, mentionne cette rareté aristocratique du vieux Strasbourg et ajoute que « plus d’une fois on l’a vu servir sur la table d’un simple particulier, car l’on y est extrêmement recherché et gourmand pour certains mets délicats[14] ».

Dans les anciens temps, au quinzième siècle, par exemple, les aubergistes de Strasbourg servaient des repas exclusivement composés de poissons ; la fidélité à l’observance canonique du maigre, appuyée sur l’admirable abondance du poisson, explique aisément cette institution sociale. Ces repas spéciaux portaient le nom caractéristique de Fischmohl, et la taxe officielle, en 1492, en était de 9 kreutzer[15], 2 kreutzer de plus que la taxe du repas ordinaire.

Les hauts faits du monde intime de la cuisine sont moins indignes qu’on ne le croit des regards de l’histoire. La renommée de nos beaux poissons de Strasbourg a été connue de l’empereur Napoléon Ier, et la bouche auguste du vainqueur de l’Europe s’est, une fois particulièrement, délectée à leurs dépens. À l’entrée de Marie-Louise, en 1810, les pêcheurs portaient une nacelle aux armes de France et d’Autriche, dans laquelle nageaient une grosse carpe du Rhin de 28 livres, âgée de plus de 120 ans, et un silure d’une grosseur extraordinaire et long de 16 décimètres. Ces deux sujets d’honneur furent envoyés à Paris à S. A. S. le prince de Neuchâtel, qui daigna répondre qu’ils avaient été remis à la bouche de Sa Majesté et qu’il en avait prévenu le duc de Frioul, le fidèle Duroc[16]. N’est-ce donc rien pour le vrai philosophe que de voir le major-général des armées napoléoniennes et le grand-maréchal du palais du nouveau César se mettre en frais de correspondance sur de pareils sujets ? J’aime à donner place ici à une réflexion toute sage que le respectable abbé Grandidier faisait lorsqu’il entrait dans le détail domestique des mœurs anciennes. Il redoutait, comme moi, de paraître frivole aux savants qui n’ont d’autre mesure de la dignité de leur travail que l’intensité de l’ennui très-grave dont ils abreuvent leurs lecteurs. « Ces détails, disait-il, paraîtront peut-être puérils à quelques critiques, qui les jugeront indignes de la gravité de l’histoire ; mais ils ont un rapport trop direct avec les mœurs et les usages anciens, pour que je me sois cru permis d’en priver les lecteurs. Ces détails, par eux-mêmes peu importants, intéressent en ce qu’ils contribuent à nous donner du caractère de nos pères une image vivante qu’on ne remplacerait qu’imparfaitement par les plus longues discussions[17]. »

Quand nous parcourons, aux vacances, nos Vosges délicieuses, combien ne sommes-nous pas ravis et reconnaissants lorsque la propre et avenante ménagère d’une blanche auberge de nos montagnes offre à notre appétit excité un opulent plat de truites ! Du cachot de bois qu’agitait l’eau tourbillonnante de la cascade les pauvres prisonnières n’ont fait qu’un saut jusque dans la cuisine ; les voilà étendues sur la faïence, celles-ci rayonnantes d’une friture dorée, celles-là parées d’une sauce à la crème épaisse, jaune et odorante, ou garnies d’une sauce exquise au vin rouge. J’ai toujours remarqué que cette apparition faisait merveille, qu’elle ranimait les natures les plus fatiguées et qu’elle répandait dans l’imagination des convives un doux rayon de bienveillance et de volupté. C’est que la truite est dans le domaine des poissons de rivière ce que le faisan est dans celui du gibier à plumes ; elle serait dignement appelée le faisan d’eau. Sa chair délicate et savoureuse défie toutes les rivalités quand elle a reçu d’une main compétente et heureusement exercée les mérites d’un apprêt intelligent. Je crois qu’il n’y a pas encore un siècle que la truite est traitée, dans les Vosges, avec la fermeté de principes et la sûreté scientifique où nous la voyons parvenue aujourd’hui. La « sausse jaune » du souper de Thann, en 1469, que j’ai rappelée plus haut, n’est certainement pas la sauce à la crème si fine de goût, si veloutée, qui a fait la renommée de plusieurs bonnes maisons de notre âge. Si la truite est, en général, bien apprêtée dans toutes nos vallées, il est juste d’ajouter qu’elle l’est excellemment et avec une rare distinction chez Mme  Jespair à Lutzelbourg, chez Mme  André à Schirmeck, dans la famille Marchal au Hohwald, chez Mme  Delcominet à Haslach, chez Mme  Blaise à Villé, à l’auberge du Bateau à Illhæusern, aux bains de Soultzbach, et chez Mme  Antoine à Échery, belle-fille d’un chasseur du prince de Condé, à qui j’offrirais la palme triomphale sur toutes ses honorables émules.

C’est le cas ici, je crois, de faire connaître de quel poids une belle truite, adressée à propos, a pu quelquefois peser dans la balance de la justice. Je n’ai pas besoin de prévenir que l’anecdote remonte à l’ancien régime ; les truites du dix-neuvième siècle, on le sait, n’ont aucune prise sur la magistrature moderne. Quelques années avant la Révolution, sous l’intendance de M. Chaumont de la Galaizière, la ville de Soultz était en instance devant l’intendant d’Alsace, pour je ne sais quelle grosse affaire, bonne ou mauvaise, mais dont la solution paraissait impossible. La ville de Soultz était désespérée des lenteurs et des hésitations de l’intendance. Dans le même temps, le génie tutélaire qui veillait sur les destinées de la ville favorisa la capture, dans le lac du Ballon, d’une truite colossale ; elle pesait 17 livres. L’aréopage municipal saisit avec finesse cet heureux coup du sort. Il délibéra d’envoyer en poste l’intéressant poisson à M. l’Intendant, ce qui fut fait. M. de la Galaizière, qui était un galant homme, fut touché de cette preuve de confiance en sa justice, et donna une solution immédiate et favorable à la difficulté. J’enregistre ce fait avec d’autant plus de satisfaction qu’il éclaircit à la fois les mystères de la procédure administrative de l’ancien temps et qu’il me fournit l’occasion de déterminer le volume exact d’une truite du Ballon, objet sur lequel j’avais déclaré ne pas posséder des renseignements historiques certains[18].

En dehors des modes divers d’accommodage du poisson que j’ai énumérés, a toujours régné la friture, formule antique et simple, découverte le jour même où l’homme, le poisson, le beurre ou l’huile se sont trouvés réunis pour la première fois. De pareils procédés n’ont d’autre date que le commencement de la société elle-même. Il n’y faut donc pas insister, si ce n’est pour remarquer que ce mets, outre son importance dans l’ordre alimentaire, en a encore une autre, d’une influence décisive sur l’esprit de famille et sur l’instinct de sociabilité. Qui est-ce qui n’a pas vu, en effet, dans le voisinage des villes assises sur les fleuves, les jours de fête et de loisir, des familles isolées ou associées, les enfants devant, les parents derrière, cheminer gaiement vers les retraites ombragées, les fraîches tonnelles, les tivolis bourgeois ou les tuscules démocratiques dans lesquels frémissent avec un bruit provocateur les poêles ardentes ? Ce n’est pas l’aliment qui est convoité, c’est le plaisir d’échanger la boutique, l’atelier, l’étude, la maison, contre l’air libre du ciel, les grands arbres et la liberté ; ce n’est plus l’homme qui se nourrit, mais l’homme qui est heureux. Nos anciens avaient déjà trouvé cette distraction, ce divertissement des dimanches, pour eux, leurs femmes, leurs enfants et les jeunes fiancés qui frappaient honnêtement à la porte de leur famille. Autour de toutes nos villes importantes se cachaient au bord de l’eau, dans un bouquet vert, derrière d’épaisses charmilles, souvent à l’ombre de quelques tilleuls séculaires, de modestes auberges et des guinguettes fringantes qui donnaient le plaisir, le repos et une heure d’oubli aux joyeuses volées humaines qui avaient déserté les murailles de la cité. Notre siècle est trop fier pour jouir si aisément ; mais le vieux temps était assez sage pour aimer les plaisirs simples et naturels. Pour ne parler que de la capitale de la province, Strasbourg comptait une foule de ces jardins de plaisance bourgeois : le Wasserzoll, à l’embouchure du Murgiessen dans l’Ill ; le Chasseur-Froid (Kalte Jæger), au fond de la Robertsau, où l’on se rendait en bateau, en s’embarquant derrière l’église de Saint-Étienne, les autres guinguettes de la Robertsau ; le Petit-Moulin, à la porte des Pêcheurs ; la Tour-Verte, la Montagne-Verte[19], la Chartreuse, qui a mérité cet hommage poétique :


Ein naher Tisch belebt von allen Arten Fischen,
Kann immer den Begriff zu neuer Lust erfrischen[20] ;


(Une table enrichie et animée par toutes sortes de poissons réveille sans cesse le désir de nouvelles jouissances.)


{{g|l’Arbre-Vert au Contades, célèbre par son tilleul à gloriette[21], et d’autres encore. Le village de Graffenstaden avait, déjà en 1770, un jardin de ce genre très-renommé[22]. Mais l’établissement le plus célèbre de Strasbourg et aussi le plus ancien fut celui du Renard-prêchant-aux-Canards (Wo der Fuchs den Enten predigt).}}

Voici l’histoire de cette très-singulière enseigne. Dans un temps que la tradition populaire ne détermine point, mais qui est peut-être contemporain du fameux prédicateur Geiler, qui a parlé du renard prêchant aux canards bleus, il y avait, dans la Krutenau, une pauvre petite maison assise sur un bras de l’Ill. Elle appartenait à un malheureux pêcheur surchargé d’enfants. Quand la fortune est dure, elle ne l’est pas à demi. Le Masaniello strasbourgeois ne parvenait pas, avec les produits de son art, à pourvoir aux besoins de sa famille. La malédiction semblait avoir frappé les eaux où il pêchait et ses filets étaient comme ensorcelés. Il fallut forcer la fortune pour vivre, lui et les siens. Un riche voisin, grand éleveur de canards, couvrait tous les jours la rivière d’une blanche flottille de ces palmipèdes. Voilà d’impertinents volatiles, se dit le pêcheur, qui dévorent les goujons qui devraient m’appartenir. Reprenons notre bien. — Notre logicien se mit à appliquer ses théories. Dès le lendemain, avant l’aube, il avait garni le bord de l’eau d’une série de ficelles amorcées d’un dé de lard appétissant. Autant de canards gourmands, autant de cols tordus. Cette industrie nouvelle dura quelque temps ; la fortune se laissait corriger avec complaisance. Mais le voisin ne trouvant plus le compte de ses canards, s’embusqua une nuit et surprit le larron à l’œuvre. Le grand sénat, siégeant au criminel, examina la légalité du procédé. Il le trouva ingénieux, mais trop libre. Pêcher le goujon dans l’estomac des canards, et les canards avec, lui parut un progrès qui devançait la sagesse du siècle. Le pêcheur fut condamné. Un artiste strasbourgeois prit le parti du condamné et protesta contre la sentence. Son pinceau humoristique décora la façade de la maisonnette d’une fresque demeurée célèbre dans le souvenir populaire. Elle représentait la figure matoise du goupil assis dans une chaire à prêcher, autour de laquelle était rangé un cordon de naïfs canards écoutant dévotement la belle homélie du sire. Le pêcheur se fit aubergiste, et sa femme devint une virtuose dans la spécialité des goujons frits. Cette enseigne satirique attira le monde et donna une vogue immense à la friture du Renard-Prêchant[23]. La maison prospéra pendant plusieurs siècles.

On trouvait des institutions semblables dans le voisinage de plusieurs villes de la province. Belfort avait le village de Danjoutin, chez le père Marcon, de génération en génération ; Colmar allait à Illhæusern, et Schlestadt à Rathsamhausen, etc.

Les grenouilles, qui sont une dépendance du poisson, n’ont pas toujours joui de la considération que nous leur accordons maintenant. Personne ne s’avise plus de mépriser les cuisses de grenouilles à la poulette ou frites, et cependant jusqu’au treizième siècle ces batraciens passaient pour des animaux immondes. Les Annales des Dominicains ont pris soin de nous informer au juste de l’année où la cuisine a revendiqué ces bêtes. « En 1280, dit le moine de Colmar, on commença à manger des grenouilles, aliment considéré comme abominable jusqu’à présent[24]. » Leur renom n’a pas subi d’éclipse, du moins chez nous, depuis cette époque. Mais l’Europe compte encore des pays qui ne les admettent point à l’honneur d’être mangées par l’homme.

Nous sommes, à ce que je crois, familiarisés de toute ancienneté avec les écrevisses. La manière usuelle de les servir est le buisson. Voici la formule de l’apprêt adopté, en Alsace, sur la fin du dix-huitième siècle : « Prenez pour 25 écrevisses un petit verre de vinaigre ou de vin, une poignée de sel, une pincée de poivre et un bouquet de persil ; couvrez et laissez cuire un quart d’heure[25]. » Cette formule trop simple a été remplacée avec raison, dans les bons endroits, par la recette plus vigoureuse et plus libérale de la cuisine française : « Mettez dans une casserole un morceau de beurre frais, persil en branches, thym, laurier, gros oignon émincé, lames de carottes, poivre, sel et une bouteille de vin blanc[26]. » À la bonne heure ! Voilà qui est parler. Cette recette est excellente et moins ruineuse que celle imposée par le prince de Hesse-Cassel à son cuisinier, un Alsacien, M. Ebert, de Guémar. Ce joyeux membre de la Confédération germanique, pantagruéliste renommé et gros mangeur, exigeait une triple épreuve pour l’écrevisse ; d’abord un bain de lait froid pour la faire dégorger, puis un bain tiède au vin blanc, et enfin une cuisson à grand feu, pendant quelques minutes, dans un madère généreux avec de vives épices. Qu’on dise encore que les princes allemands sont arriérés !

La cuisine alsacienne connaissait aussi depuis longtemps le potage à l’écrevisse ou les bisques d’écrevisses, dont Boileau chantait les louanges dans ces vers :


Qu’est devenu ce teint dont la couleur fleurie
Semblait d’ortolans seuls et de bisques nourrie ?


Les baigneurs de Niederbronn, et même les simples touristes en mangeront de délicieuses chez Mme  Krug, au Bærenthal. C’est le général d’artillerie Leclerc qui l’atteste sur une aquarelle exécutée par lui, représentant l’auberge du Bœuf et qui est appendue dans la salle à manger. Cette aquarelle porte la dédicace militaire suivante : À Madame Krug le pompon pour les bisques d’écrevisses !

J’ignore ce qu’il faut penser des écrevisses farcies recommandées par le livre de cuisine que nous devons à l’honorable épouse d’un pasteur protestant de Mulhouse, à Mme  Spœrlin. Cette farce qui remplissait toute la carapace évidée du crustacé était composée de pâte d’écrevisses pilées ; les écrevisses ainsi préparées étaient mises au petit four et mijotaient dans une sauce épaisse où je vois figurer du veau haché, des morilles, du bouillon, de la noix muscade, du jus de citron et des jaunes d’œufs. Tente l’aventure qui voudra. Je trouve qu’il est moins hasardeux d’accorder sa confiance tout entière, sans calcul ni réserve, au fameux foie d’écrevisses bien connu de tous les vrais dilettanti de la table que leur bonne étoile a conduits dîner dans quelque excellente maison de Schlestadt. Cette affaire mérite attention.

L’hôtel du Bouc était tenu au milieu du dix-huitième siècle par un valeureux Bourguignon, le sieur Dorlan. Il avait les aptitudes et l’imagination qui distinguent cette race ingénieuse et sensuelle. À cette époque, les eaux de Rathsamhausen abondaient en écrevisses magnifiques. Un homme d’esprit tire parti de tous les biens que la Providence place à sa portée. Le sieur Dorlan conçut la pensée d’un mets délicieux, riche, presque royal ; ce plat est d’une exécution très-difficile ; il ne réussit pas toujours ; quelques familles seulement sont en possession du véritable secret de cette fantaisie supérieure. Comment la définir, la caractériser ? Je n’ose pas le tenter. Imaginez-vous le foie gras, mais élaboré naturellement par une écrevisse gigantesque, que l’imagination seule peut rêver, au lieu du foie gras que nous tirons de l’oie. Cette composition artistique, où dominent les aromes particuliers de l’écrevisse, devient une substance, un corps, une chair nouvelle, savoureuse, fondante et inconnue qui n’a aucun analogue dans les productions spontanées de la nature. Le foie d’écrevisse ne peut pas être popularisé ; il restera forcément, et de plus en plus, dans le domaine des gens riches et des gourmands, qui vivent comme s’ils l’étaient. Mais comme l’amour du prochain doit s’exercer envers tous les hommes, je ferai aux sybarites, aux heureux du monde, la charité de la recette de cette délicatesse princière. Un de mes amis a bien voulu me la communiquer. Et comme la scrupuleuse histoire respecte aujourd’hui le vieux style et les solécismes des documents fameux qu’elle met en lumière, je conserverai aussi à ce titre culinaire la forme et même l’orthographe que la femme de l’hôtelier du Bouc a adoptées. Cela peut consoler les grammairiens qui dînent mal et qui écrivent purement[27].

Nous pouvons maintenant arrêter la situation du poisson dans l’ancienne cuisine alsacienne. À part les excentricités que j’ai signalées, et sous le bénéfice des remarques historiques que j’ai faites là où elles étaient possibles, les livres techniques constatent à l’actif culinaire du siècle passé les résultats suivants : carpe farcie, carpe à la sauce brune (germanicè Karpfen im Blech), carpe à la sauce blanche ; brochet à la même formule, brochet piqué cuit à la broche, mené par un feu très doux ; brochet sur le gril, à la maître d’hôtel ; truites grillées à la sauce d’estragon ; anguilles à la sauce aux câpres, anguilles frites aux fines herbes ; perche, barbeau à la maître d’hôtel ; tanches au vin blanc ou rouge, relevées d’une aillade légère, goujons noyés au lait préparés en blanquette ; saumoneaux au vin blanc aromatisé d’échalotes, de muscade, de girofle et de persil. Voilà les bégaiements d’un art qui devait produire la matelote marinière, la carpe à la Chambord, la sole normande et le potage de poissons à la Lucullus qui contient un dîner tout entier, et un excellent dîner, mis dans une soupière.

M’étant expressément réservé la plus complète liberté dans le sujet que je traite, j’interromps, pour un moment, les détails dont l’ensemble constituera l’encyclopédie de notre cuisine, et je vais mettre sous les yeux de mes lecteurs quelques exemples de synthèse culinaire, en langue vulgaire, la carte ou le menu de quelques repas dont les historiens, les chroniqueurs et les comptables publics nous ont authentiquement conservé la composition et l’ordonnance.

À tout seigneur, tout honneur. Quand les Missi dominici de Charlemagne inspectaient les provinces du puissant empereur, l’Alsace, comme les autres, ils avaient droit à des subsistances. Munis d’une lettre-patente appelée tractatoria, qu’on pourrait qualifier de lettre d’étape, ils requéraient pour eux et pour leur suite les provisions de bouche nécessaires à un entretien honorable. Cette lettre-patente n’était pas à mépriser. Marculfe nous en a conservé le modèle. Elle leur valait, jour par jour, outre les voitures, une forte quantité de pain blanc, de vin, de bière, de lard, de viande de boucherie, de porcs, de cochons de lait, de moutons, d’agneaux, d’oies, de faisans, de poules, d’œufs, d’huile, de miel, de vinaigre, de cannelle, de poivre, d’amandes, de pistaches, de fromages, de sel, de légumes. La prévoyance impériale n’avait pas même oublié les bougies destinées à éclairer les repas[28].

En ce temps-là, la table des chanoines n’aurait pas eu le mérite de fournir l’idéal de la bonne chère. Ceux du chapitre de Strasbourg avaient été placés, par l’évêque Heddon, au commencement du neuvième siècle, sous la règle du saint Chrodegang, évêque de Metz. Ils vivaient en communauté. Chaque chanoine, à l’exception des dignitaires, présidait à son tour à la cuisine, qui ne servait que deux repas par jour. Le dîner était composé d’un potage, d’une portion de viande et d’une portion de légumes. Si les légumes faisaient défaut, on servait deux portions de viande ou de lard. À souper, on se contentait d’une portion de viande ou d’une seconde portion de légumes. Les jours maigres, on donnait pour le dîner une portion de fromage, une autre de légumes et quelquefois de poissons. Les jours de jeûne, la portion était triple, parce que l’on ne faisait qu’un seul repas. Ils usaient de pain à discrétion, à l’exception des jours de jeûne. Ils étaient plus généreusement traités pour la boisson. Chaque chanoine avait trois chopines de vin à dîner, et deux à souper. On donnait de la bière à ceux qui ne buvaient pas de vin. « Je ne sais, dit l’abbé Grandidier, si les chanoines étaient obligés de boire leur portion, mais apparemment qu’on appréhendait qu’elle ne fût trop forte pour quelques-uns, puisqu’on leur recommande de ne point s’enyvrer[29]. »

Cependant l’on voit déjà les chanoines de Strasbourg graviter, à travers la règle de saint Chrodegang, vers un avenir meilleur. À certaines grandes fêtes, ils jouissaient du service plein ou grand service ; à certaines autres moins solennelles, et pendant les octaves de Noël, de Pâques et de la Pentecôte, du demi-grand service. Un manuscrit du trésor de la cathédrale, qui porte le titre de Antiquus liber culinæ summi capituli argentinensis, retrace dans leurs détails ces deux espèces de service. Les jours de grand service on fournissait au chanoine qui était de tour pour la cuisine deux muids de froment, trois cochons de huit mois à un an, que le texte appelle Frisginga, trois cochons de lait, un porc, quarante-quatre poulets, douze fromages, cent dix œufs, un demi-seau de lait, une demi-livre de poivre, du miel en suffisance et dix seaux de vin. Dans les fêtes d’été, on servait quatre agneaux d’un an au lieu de trois cochons de lait. Depuis le dimanche de Pâques jusqu’à la mi-mai, on ajoutait au service plein trois agnelets, dix œufs et du lard en suffisance. Depuis la Toussaint jusqu’au carême on substituait six oies aux trois agnelets[30]. Le demi-service reposait sur les mêmes bases, mais proportionnellement réduites.

Parlons tout de suite du carême des chanoines primitifs de Strasbourg. Il n’était pas aussi rigoureux qu’on peut le craindre, du moins les dimanches. Ainsi, au premier dimanche du carême, chaque chanoine recevait une portion de poisson, un quart de fromage, quatre œufs et trois pains, outre le pain ordinaire ; le souper consistait en poissons, en œufs, en galettes et en fromage, auxquels on ajoutait du vin clairet, clara potio, dit le texte, c’est-à-dire du vin mélangé de miel. Depuis le dimanche de Reminiscere jusqu’à celui des Rameaux inclusivement, le dîner était composé d’une portion de poisson, avec une livre d’huile et du vinaigre en suffisance. Pour le souper, on donnait une demi-livre d’huile avec du vinaigre ; pour assaisonner quoi ? On ne le dit pas ; mais c’est du poisson évidemment. Le vendredi dans l’octave de Pâques, la pitance de chaque chanoine consistait en trois portions de saumon suivies d’une galette ; on l’arrosait d’un verre de vin clairet, et d’un autre de charitas, c’est-à-dire de vin d’extra, prélevé sur les rentes de certaines fondations pieuses. Au jour joyeux de Pâques, on enterrait le carême sous un bon dîner, dont voici le détail : potage, trois portions de viande bouillie, quatre de rôti, poulets, agnelets lardés, avec des fritures et des galettes ; trois pains outre le pain ordinaire[31], et la boisson compétente. Pour être bien sûrs que le carême était fini, les chanoines répétaient le même dîner le lundi.

Au douzième siècle, leurs confrères les chanoines de Bâle ne vivaient plus en communauté. Mais en souvenir de l’ancienne commensalité, le prévôt ou chapitre devait les réunir et les traiter deux fois par an, à Noël et à Pâques. Ces agapes duraient chaque fois quatre jours, et comme il y avait vingt-quatre chanoines, la chose était de quelque conséquence. L’on en jugera par le statut de l’évêque Henri de Horbourg (1180-1190), qui prend soin de déterminer les mets à servir dans ces occasions. Le dîner devait être composé de neuf genres de mets (fercula, Gænge) ; le porc en faisait le fonds principal ; aussi était-il prescrit au prévôt d’en faire tuer trois pour chaque journée. Les voici dans l’ordre que leur assigne le document épiscopal :

1° Jambons (gambæ postreriores) ; pieds et tête de porc en saumure ou dans une gelée de jeunes porcs ; 2° parties intérieures de la bête accommodées de neuf manières différentes (quod novem recipit confectiones) ; trois sortes de boudins ; Magenwurst, Lungenwurst, Bratwurst ; andouille (Inductile) ; gigot, langue, filet, bajoue, le tout bien poivré ; 3° bœuf fumé reposant sur un lit de choux ; 4° gros lard d’un porc gras et lard d’un jeune porc ; dûment pourvus de poivre ; 5° grillades et rôtis de porc ; 6° verrat garni de viandes de venaison ; 7° lard gras avec forte moutarde ; 8° un plat de millet accommodé aux œufs, au lait et au sang de porc ; 9° enfin, et pour la clôture, épaule de porc rôtie et piquée au lard[32].

Ah ! de grâce, messieurs les chanoines du douzième siècle, laissez-nous respirer ! Si vous ne faisiez rien pendant le reste de l’année, il faut convenir que vous travailliez terriblement, à Noël et à Pâques, pour honorer les antiques traditions, aux dépens de votre pauvre prévôt.

Ce formidable menu ne subissait qu’une légère variante le jour de Pâques : le bœuf fumé était remplacé par une épaule de porc rôti, au vinaigre, et le verrat par des quartiers d’agneaux garnis d’œufs frits au saindoux. Si un jour maigre tombait indiscrètement dans ce temps de frairie, toutes ces richesses porcines restaient dans le garde-manger, et les chanoines ne se trouvaient plus en tête-à-tête qu’avec des saumons à la gelée ou en saumure, des morues à la moutarde, des truites au vinaigre, des brochets au poivre, des ablettes frites, des saumons cuits à l’huile et aux poireaux, des gaufres (oblata), des fruits, trois livres de pain ordinaire et un gâteau monastique (panis claustralis). Le souper était modéré ; il consistait en une panade, une demi-poule, des gâteaux et des fruits. J’allais presque laisser les bons chanoines à sec. Il est temps que je rassure mes lecteurs avec les cinq chopines de vin aromatisé (pigmentum) et le hanap de Schiltberger blanc qui arrosaient le dîner de chacun. Pour leur garantir un bon sommeil, le souper était mouillé de cinq autres chopines de clairet et de deux hanaps de vin vieux[33]. Ici, les gens d’église avaient stipulé entre eux pour quelque notable mangerie. Mais souvent la libéralité des hommes du siècle se prenait de compassion devant les rigueurs du cloître et entreprenait d’en interrompre, pour un jour, le cours austère. C’est ainsi que nous voyons un chevalier de l’évêché de Bâle, Henri de Tavannes, donner en 1297 à l’abbaye de Bellelay toutes ses possessions au village de Tramelan, à la condition que les revenus en seront spécialement employés pour un repas abondant (pro refectione uberiori) à faire au réfectoire de l’abbaye le jour de l’anniversaire de sa mort[34].

Nos voisins de Lorraine vivaient aussi très-bien dans leurs gras monastères. Baudouin, qui gouvernait l’abbaye de Senones, au treizième siècle, faisait une dépense de table très-somptueuse. « Il avait réglé ainsi le service du dîner : on donnait à laver, et pendant cette opération, d’habiles servants dressaient les tables. L’abbé s’assied et indique la place des convives ; puis arrivent les salières, couteaux et cuillères, le pain et le vin, ensuite les viandes ; les causeries particulières amènent le premier service. Les ménétriers, baladins et jongleurs font leur entrée pour rebaudir la compagnie ; ils sont suivis des servants pour renouveler vins et viandes. Puis on apporte le fruit. Le dîner fini, on enlève nappes et reliefs, on abat les tables, puis on donne à laver. On rend grâce à Dieu et à M. l’abbé et chacun se retire. Au souper, grandes lumières, des viandes plus délicates et de facile digestion. Ce repas était le plus long, parce que, suivant l’abbé Baudouin, il y a péril à manger de nuit hâtivement, pour se coucher[35]. » L’on devine ce que pouvait être la cuisine de Senones sous la direction de cet habile homme ; néanmoins il est à regretter que l’on soit privé des détails sur le menu de quelques-uns de ces repas, où l’eau ne figurait que pour les ablutions.

Nous devons à un manuscrit de la Bibliothèque nationale la connaissance exacte du menu d’un souper donné, dans la ville de Thann, le 21 juin 1469, par l’archiduc Sigismond aux commissaires de Charles le Téméraire qui venaient recevoir le comté de Ferrette engagé au Bourguignon. Il y avait trois tables : à la première, l’archiduc, le margrave de Bade, le margrave de Rœttelin, M. de Wattwiller, M. le juge de Besançon, M. Jean Carondellet, le procureur d’Amont et M. Jean Poincenot ; à la seconde des chevaliers et gentilshommes ; à la troisième, « ceux de moindre estat ». Sur le banc où étaient assis les princes, « et au plus près du dit duc y fut mise une petite serviette et sur quelle deux grosses coupes d’argent doré, couvertes, pesant huit ou dix marcs, toutes pleines de vin ». Voici la carte plus que modeste de ce souper politique : 1° un plat plein d’œufs pouchiés (pochés) et coques (à la coque), mis au milieu de la table ; 2° un plat de vairons cuits en l’eau ; 3° des chaffots frits (chabots, meuniers) que mon dit seigneur a répandus sur la table ; 4° un grand plat de raves (navets) cuites en l’eau, découpées bien menu ; 5° un plat de petites troites coupées en deux et cuites en l’eau et deux écuelles pleines de vinaigre ; 6° un plat de soupe de cerises fortes ; 7° troites mises en sausse jaune ; 8° des pois en cosse ; 9° des troites rôties et semblablement des bugnets en façon de poire. « Sur tous les mets avoient de la poudre (de safran) sur les bords des plats bien largement, et nota que au plustôt que le plat estoit apporté sur la table, chacun y mettoit la main et aucunes fois le moindre estoit le premier. » Tout le monde remarquera l’absence de la viande ; le 21 juin 1469 fut, en effet, un jour maigre. Le souper fini, l’on apporta à laver au duc et aux deux margraves. Le narrateur nous a conservé un détail de la manière de servir à cette époque. « En regard des serviteurs y avoit un escuyer ayant large cousteau à desservir de chacun mets ; et prenoit les tranchouers de pain (morceau de pain mince taillé en forme d’assiette et sur lequel on découpait la viande) et devant chacun ensemble ce qui étoit demeuré dessus et les jettoit en ung panier à vendangier estant au milieu de la chambre ; et après à son dict cousteau prenoit nouveaux tranchouers esquels il faisoit prendre un tour sur le dict cousteau. » Quand le duc d’Autriche voulait boire, son écuyer approchait de ses lèvres une des deux grandes coupes de vermeil dont j’ai parlé, et pendant qu’il buvait, l’écuyer lui tenait le couvercle de la coupe sous le menton. Le margrave de Bade buvait avec un cérémonial plus solennel. Il se servait de la seconde coupe, mais son écuyer, au lieu de lui placer le couvercle sous le menton, « le tenait en sa main bien haut, ainsi que l’on tient la platine du calice en plusors grandes messes depuis l’élévation du corpus Domini jusqu’à Pater noster[36] ».

L’on traitait mieux les évêques que les archiducs. En 1449, le mardi avant la Saint-Valentin, Robert de Bavière, évêque de Strasbourg, fit son entrée dans sa résidence. Après la messe, le prélat se rendit à son palais et l’on se mit à table ; plus de trois cents prêtres la garnissaient. Le festin se composait de trois services, chacun à cinq plats. En voici le détail[37] :


Premier service :

{{g|1. Un plat de choux.|4}}

2. Bœuf bouilli.
3. Ragoût d’amandes blanches garni de poules.
4. Poissons dans une gelée noire.
5. Pâté de flans.

Second service :

1. Civet de sanglier.
2. Pâté de cerf.
3. Bouilli de gruau au caramel.
4. Une pâtisserie enluminée.
5. Blanc manger. (War lindt zu essen — était bien délicat à manger.)

Troisième service :

1. Riz saupoudré de sucre.
2. Chapons, poules et cochons de lait rôtis.
3. Gelée de volaille et de veau, avec une sauce sur le tout.
4. Pâtisserie ayant l’aspect de poires (beignets).

Dessert :

Deficit.

J’aime à penser que si le chroniqueur passe le vin sous silence ce n’est point par respect pour la règle qui veut qu’on ne parle point des absents.

À la table plus recherchée où siégeait l’évêque avec ses officiers et sa cour, l’on vit quelques merveilles particulières, quelques inventions excentriques qui peuvent donner une idée du faste épulaire et de la recherche décorative de cette époque. Entre autres choses galantes, l’on plaça devant l’évêque un château édifié avec une pâtisserie fine et élégante. L’évêque ayant ouvert une fenêtre du castel, il s’en échappa une joyeuse volée d’oiseaux vivants au plumage brillant et varié ; puis il ouvrit une des portes basses du château et l’on vit un vivier dans lequel nageaient de petits poissons. On lui présenta encore deux autres plats de choix : un cochon de lait rôti, doré d’un côté, argenté de l’autre, et un paon rôti couvert de son magnifique plumage.

Le plus souvent les documents anciens, au lieu de détailler le menu des repas mémorables, se bornent à la simple indication des éléments, des matières premières qui y ont été mises en œuvre. Ces renseignements imparfaits ont leur prix, comme on peut en juger par les exemples suivants.

En 1478, la ville de Montbéliard offrit au comte Henri de Wurtemberg un banquet de bienvenue. Elle fit pour cela une suffisante provision de vin, de pain, de sel, de farine, d’œufs, de beurre, de lait, de chair de veau (28 livres), de figues et de raisins (47 livres), de sucre et de dragées, de chandelles et de torches en cire. Savez-vous ce qu’il lui en coûta, y compris une gratification au cuisinier de Monseigneur ? 8 florins et 8 gros blancs. Le compte existe encore[38]. Deux siècles plus tard, en 1648, une fille étant née à Georges-Frédéric de Ribeaupierre, la communauté de Sainte-Marie-aux-Mines contribua au festin de baptême de la jeune comtesse, en envoyant à Ribeauvillé les denrées dont le détail et le coût suivent[39] :


Avoir payé pour un veau employé pour le festin
du baptême de Mlle  la jeune comtesse
6 fl.28 k.
Plus 52 liv. de lard
9 fl.36 k.
Pour 10 grives
»29 k.
Pour un cabru (chevreau)
»24 k.
Pour un autre veau
5 fl.4 k.
Pour 35 poulets
4 fl.40 k.
Pour 35 liv. de beurre
4 fl.16 k.
Pour 170 œufs
1 fl.56 k.
Plus, payé aux pescheurs de truites
»20 k.
Payé à ceux qui ont porté les dites denrées à Ribeauvillé
»12 k.

Ensemble
33 fl.25 k.

Si chacun des huit bailliages de la seigneurie de Ribeaupierre a fait les choses aussi honnêtement que celui de Sainte-Marie, l’on peut conjecturer que la jeune comtesse a été fort convenablement baptisée.

J’en suis fâché, mais quand je veux signaler un repas correct et digne de quelque attention, c’est l’Église seule qui en fournit le programme. Cela tient à l’indiscrétion naturelle de l’œil des laïques. Ces révolutionnaires se sont toujours mêlés de remarquer et de noter les choses qui ne les regardaient point. Sous ce rapport, Séb. Brant, qui va être mon guide, ne valait pas mieux que le reste. Il nous a laissé la description du festin solennel donné, au palais de Strasbourg, à l’évêque Guillaume de Hohnstein, au mois d’août 1507, pour célébrer sa prise de possession de la dignité épiscopale[40]. L’on apporta d’abord une bouillie froide à l’avoine avec des morceaux de pain grillé ; c’est une purée d’avoine aux croûtons, c’est clair, mais elle était baignée de malvoisie ; 2° de la venaison de cerf en une compote de figues piquée d’amandes blanches ; 3° une pâtisserie pittoresque confectionnée avec des dragées et du beurre fondu, représentant un château ; trois gargouilles fixées dans le donjon épanchaient de l’hippocras dans des vasques d’argent ; 4° une fricassée de chapons et de veau ; 5° une nouvelle pâtisserie décorée représentant cinq jeunes filles dans un jardin fleuri ; 6° des brochets au bleu avec sauce aux herbes ; 7° un civet de gibier ; 8° encore une pièce de pâtisserie représentant un jardin au milieu duquel s’élevait un rocher surmonté d’un cerf dix-cors. À la table privilégiée des membres du Magistrat, Brant compta onze plats et sept pièces de pâtisserie, qu’il ne désigne point. Il fut du reste très-mécontent du festin, qu’il déclare avoir été désagréable et mal préparé, surtout parce que tout était froid. Il critique l’emploi dans la pâtisserie de l’eau collée qui n’empêcha pas les pièces de ballotter misérablement dans les plats au lieu de s’y tenir fermes et fières. Brant ajoute ce sarcasme presque intraduisible : « Es waren vil Schauwesen, aber wenig Dauwesen, noch minder Frouwenessen (il y avait belles matières pour les yeux, mais peu de chose pour l’estomac). » Ce qui l’indigne encore, c’est que le dîner avait commencé trop tard, à midi, et qu’à deux heures déjà, Hans Nagel, un officier de la bouche de l’évêque, vint malencontreusement leur dire : « Mes chers maîtres, il se fait tard, la cloche appelle aux vêpres ; nous allons interrompre le repas pour le reprendre à cinq heures. » C’était une odieuse trahison. Nagel avait confisqué les plats les plus nobles du dîner. L’on ne servit, après une longue attente, que des viandes vulgaires, des sauces suspectes, une seule gelée, et à certaines tables, où siégeaient pourtant des XIII et des XV du Magistrat, on n’apporta que des restes honteux de gelée, une tarte aride et une omelette. L’honorable chancelier de la république de Strasbourg pense que l’évêque était innocent de ces méfaits et que la responsabilité doit en remonter à son grand-maître d’hôtel, Jacques de Landsperg. Pour satisfaire la légitime rancune de Brant, je devais mettre ce nom au pilori de la gastronomie.

Lorsque la ville de Mulhouse entra, en 1515, dans la confédération suisse, les XIII cantons envoyèrent dans cette ville des députés pour recevoir son serment. Ces députés furent reçus sur le territoire de Mulhouse par la milice bourgeoise, forte de 500 hommes à pied et à cheval, et au bruit du canon. La milice les escorta en grande pompe jusqu’à la place Saint-Étienne, devant l’hôtel de ville. Là, ils furent répartis, aux frais de la ville, dans quatre hôtelleries : la Lune, le Lion, le Soleil et l’Ange ; mais le rez-de-chaussée de la maison de ville fut mis à leur service pour prendre leurs repas. Le Magistrat emprunta l’argenterie nécessaire pour organiser une crédence élégante ; la salle était décorée de branchages, de tapis, de couronnes de fleurs et jonchée d’herbes fraîches. Afin que rien ne manquât à une hospitalité digne et correcte, le bourgmestre, assisté d’un membre du sénat et du greffier de la ville, vérifiait avant chaque repas si les mets étaient convenablement accommodés et bien servis. Les envoyés restèrent quatre jours à Mulhouse. Leur entretien y compris deux repas qu’ils voulurent bien accepter à la tribu des tailleurs et à celle des maréchaux, fut acquitté sur le trésor public. L’état de cette dépense existe aux archives de la ville. Le voici :


À l’hôtelier de la Lune
8
Pfund
13
Schill.
À celui de l’Ange
5
2
Aux deux tribus des tailleurs et des maréchaux
4
flor.
Pour le pain et autres fournitures de bouche
7
Pfund
9
Schill.
Viande de boucherie
4
15
Beurre fondu, cerises et musiciens
2
17
Oignons
»
10
Rapp.
Au chasseur
»
5
Schill.
Pour les cochons de lait
1
19
Pour 2 saumons
6
flor.
Poules et oies
4
Pf.
Pour les épices (achetées chez Luc Iselin, de Bâle)
3
flor.
2 fuders de vin de Kaysersberg et de Guebwiller
9
Pf.
Pourboire aux valets des députés
»
10
Sch.[41]

Toutes ces valeurs réunies font environ 65 Pfund-stœbler ou 53 florins. Voilà des ambassadeurs à bon marché et qui ne mangeaient pas la maison qui les recevait.

S’ils avaient été du tempérament d’un certain Martin Kulm, enfant de Mulhouse, la ville ne s’en fût pas tirée à si peu de frais. Ce Martin Kulm était soldat dans une enseigne mulhousienne au service de France. Il avait fait les guerres d’Italie sous Charles VIII, Louis XII et François 1er, et sa bravoure héroïque était récompensée par une solde double. Payé comme deux, se battant comme quatre, il n’était que logique en mangeant comme six. Il le fit bien voir quand il revint de France, avec son congé, en 1520. Arrivé un jour d’automne, tout poudreux et fatigué à Thann, dernière étape qui le séparait de ses foyers, il entre dans une auberge de bonne apparence et commande à son hôte un copieux repas qu’une demi-douzaine de camarades devaient partager avec lui. Toute la cuisine est en travail pour restaurer les braves vétérans, enfants du pays, partis si jeunes, revenus si vieux ! Le dîner étant prêt, Kulm se met à table, sans attendre ses compagnons supposés, et se fait servir tout le repas. Il le consomma entièrement. L’hôtelier n’en pouvait croire ses yeux. Il jugea qu’un fantassin suisse doué d’un si ruineux appétit ne pouvait appartenir qu’au monde d’outre-tombe ; et comme il n’eût guère été prudent d’exiger un sextuple écot d’un revenant pourvu d’une bonne rapière, il abandonna la fixation du prix du dîner à la générosité naturelle du soldat. Kulm savoura avec plaisir un des plus utiles privilèges de la gloire. Il paya sobrement. Lorsqu’il partit, l’aubergiste le suivit secrètement, s’imaginant toujours qu’il verrait s’évanouir et se dissoudre dans l’Ochsenfeld ce fantôme qui avait si bien dîné. Mais il ne vit qu’un vieux soldat jovial, filant allègrement sur la route monotone, et dissipant les fumées de sa dernière victoire dans une joyeuse chanson des camps.

Suivant un vieux registre, le dîner de Martin Kulm avait consisté en une abondante soupe grasse au pain, deux livres de bœuf bouilli, un plat de choucroute égayé d’un rôti doré de porc frais, un rôti de veau, des poulets en fricassée, trois pigeons, dix grives et un plat de truites de la Thur, le tout mouillé à propos avec cinq pots de vieux vin du Rangen[42].

Après un pareil dîner, mes lecteurs doivent éprouver le besoin de faire une petite sieste.

  1. Practica medicinæ generalis. Basileæ, Froben, 1585, petit in-8°.
  2. [Note absente dans le texte original (indication du transcripteur).]
  3. Thomas und Félix Plater, Autobiographien. Basel, 1840, in-8°, p. 24.
  4. Legrand d’Aussy, Vie privée des Français, t. II, p. 259.
  5. Basel im vierzehnten Jahrh. Basel, 1856. In-8°, p. 16.
  6. Herzog, Edelsæss. Chronick, lib. IV, p. 113.
  7. Nouvelles adressées de Ferrette, mss. de la biblioth. Fevret de Fontette à la Bibliothèque nation.
  8. Inreiten des Bischofs Wilhelm. Code histor. de Strasbourg, t. II, p. 291.
  9. Légendes et chroniques alsaciennes. Mulhouse, s. d., p. 178.
  10. Mieg, Geschichte Mülhausens, t. II, p. 137.
  11. Idem, loc. cit., t. II, p. 313.
  12. Friese, Histor. Merkwürd. des Elsasses, p. 11.
  13. Grandidier, Vues pittoresques de l’Alsace, art. Sainte-Marie, p. 5.
  14. Les Habitants de Strasbourg. Paris, 1805. In-8°, p. 3.
  15. Friese, Histor. Merkwürd. des Elsasses, p. 173.
  16. Annuaire du Bas-Rhin de 1811, p. 157.
  17. Grandidier, Histoire de l’Église de Strasbourg, t. Ier, p. 183.
  18. Je suis redevable de la communication de ce fait à un honorable notaire, très-versé dans la connaissance de l’histoire du pays.
  19. Nun kommt der grüne Berg, wo selbsten auch nichts fehlt,
    Von dem was das Gemüth ermuntert und erfreut.
    Deshalb wird er auch vielfältiglich erwählt,
    Er hat den schönsten Stoff zur grössten Fröhlichkeit.


    (Puis vient la Montagne-Verte, où il ne manque de rien ; elle ranime la bonne humeur et réjouit le tempérament. Aussi ce lieu est-il l’objet de nombreuses visites, car il possède toutes les ressources du plaisir.)

    Rautenstrauch, Strasb. nach seiner Verfassung. Colmar, 1770. In-8°, p. 64.

  20. Idem, p. 63.
  21. Hautemer, Description de la ville de Strasbourg. Strasb., 1785, p. 147.
  22. Bürgerfreund, année 1776, p. 431.
  23. Piton, Strasbourg illustré, II. Faubourgs, p. 3.
  24. Annales et chron. des Domin. de Colmar, édition de 1854, p. 93.
  25. Oberrheinisches Kochbuch. Mulhouse, 1811, p. 87.
  26. Gogué, Secrets de la cuisine française. Paris, 1850, p. 317.
  27. Manière de faire de la foie d’écrevisse : — On prend 100 écrevisses dont on ôte à peu près 40 queus pour garniture qu’on boulie seulement dans l’eau sâlée. On prend le reste d’écrevisses ainsi que ce qui reste des autres, on le pile bien fin, on met au feu une casserole avec un bon morceau de beurre avec un oignon coupé par petits morceaux. Lorsque le beurre commence à devenir chaud vous jeterez les écrevisses pilées dedans avec sel et poivre ; on les tourne jusqu’à qu’il soit d’un beau rouge. Vous prendrez huit bonnes chopines de lait qu’on jette dedans, on le laisse bouillir à petit feu, et après vous le passerez dans un linge ; on prend une équelle, on y met trente-deux œufs qu’on bat bien ; après on remet son lait de nouveau sur le feu et quand il commence à devenir chaud, on y met les œufs battus, on remue jusqu’à ce que cela tourne et que cela bouillie et devient épais. On prend un nouveau linge, on le presse dedans pour lui donner la forme et on le laisse dans la serviette, pour le laisser détremper on l’attache avec une ficelle pour que le lait puisse bien sortir. La sauce : On prend un morceau de beurre frais avec de la farine et on prend le lait qui est sorti du foie pour délier et faire la sauce entière, à la fin on prépare un jaune d’œufs et de la crême comme à l’ordinaire. Vous couperez le foie ou le laisserai entier. Vous le mettrez sur le plat, versez la sauce autour et les queues par garniture. Servez chaud.

    (Communication de M. A. Dorlan, avocat à Schlestadt.)

  28. Marculfii, Formulæ, lib. I, form. xi, apud Baluzium, Capitul.
  29. Grandidier, Hist. de l’Église de Strasbourg, t. Ier, p. 179.
  30. Grandidier, Hist. de l’Église de Strasbourg, t. Ier, p. 180.
  31. Idem, p. 181.
  32. Basel im vierzehnten Jahrhundert. Basel, 1856. In-8°, p. 15.
  33. Basel im vierzehnten Jahrhundert. Basel, 1856. In-8°, p. 16.
  34. Trouillat, Monuments de l’histoire de l’évêché de Bâle, t. II, p. 650.
  35. Gravier, Histoire de la ville épiscopale de Saint-Dié, p. 134.
  36. Nouvelles adressées de Ferrette. Mss. de la Bibliothèque nationale.
  37. Herzog, Edelsæssische Chronick. Strasb., 1592, in-fol., lib. IV, p. 112.
  38. Duvernoy, Éphém. du comté de Montbéliard, p. 452.
  39. Anciens comptes communaux de Sainte-Marie-aux-Mines. Archives départementales du Haut-Rhin.
  40. Eintritt des Bischofs. Cod. histor. de Strasbourg, t. II, p. 292.
  41. Mieg, Gesch. der Stadt Mûlhausen, t. Ier, p. 119, et t. II, p. 136.
  42. Mieg, Gesch. der Stadt Mülhausen, t. II, p. 11.