L’Ancien Régime et la Révolution/Livre 2/Chapitre 03

Michel Lévy frères (Œuvres complètes publiées par Madame de Tocqueville, volume 4p. 63-76).


CHAPITRE III


Comment ce qu’on appelle aujourd’hui la tutelle administrative est une institution de l’ancien régime.


En France, la liberté municipale a survécu à la féodalité. Lorsque déjà les seigneurs n’administraient plus les campagnes, les villes conservaient encore le droit de se gouverner. On en rencontre, jusque vers la fin du dix-septième siècle, qui continuent à former comme de petites républiques démocratiques, où les magistrats sont librement élus par tout le peuple et responsables envers lui, où la vie municipale est publique et active, où la cité se montre encore fière de ses droits et très-jalouse de son indépendance.

Les élections ne furent abolies généralement pour la première fois qu’en 1692. Les fonctions municipales furent alors mises en offices, c’est-à-dire que le roi vendit, dans chaque ville, à quelques habitants, le droit de gouverner perpétuellement tous les autres.

C’était sacrifier, avec la liberté des villes, leur bien-être ; car, si la mise en offices des fonctions publiques a eu souvent d’utiles effets quand il s’est agi des tribunaux, parce que la condition première d’une bonne justice est l’indépendance complète du juge, elle n’a jamais manqué d’être très-funeste toutes les fois qu’il s’est agi de l’administration proprement dite, où on a surtout besoin de rencontrer la responsabilité, la subordination et le zèle. Le gouvernement de l’ancienne monarchie ne s’y trompait pas : il avait grand soin de ne point user pour lui-même du régime qu’il imposait aux villes, et il se gardait bien de mettre en offices les fonctions de subdélégués et d’intendants.

Et ce qui est bien digne de tous les mépris de l’histoire, cette grande révolution fut accomplie sans aucune vue politique. Louis XI avait restreint les libertés municipales parce que leur caractère démocratique lui faisait peur ; Louis XIV les détruisit sans les craindre. Ce qui le prouve, c’est qu’il les rendit à toutes les villes qui purent les racheter. En réalité, il voulait moins les abolir qu’en trafiquer, et, s’il les abolit en effet, ce fut pour ainsi dire sans y penser, par pur expédient de finances ; et, chose étrange, le même jeu se continue pendant quatre-vingts ans. Sept fois, durant cet espace, on vend aux villes le droit d’élire leurs magistrats, et, quand elles en ont de nouveau goûté la douceur, on le leur reprend pour le leur revendre. Le motif de la mesure est toujours le même, et souvent on l’avoue. « Les nécessités de nos finances, est-il dit dans le préambule de l’édit de 1722, nous obligent à chercher les moyens les plus sûrs de les soulager. » Le moyen était sûr, mais ruineux pour ceux sur qui tombait cet étrange impôt. « Je suis frappé de l’énormité des finances qui ont été payées dans tous les temps pour racheter les offices municipaux, écrit un intendant au contrôleur-général en 1764. Le montant de cette finance, employé en ouvrages utiles, aurait tourné au profit de la ville, qui, au contraire, n’a senti que le poids de l’autorité et des privilèges de ces offices. » Je n’aperçois pas de trait plus honteux dans toute la physionomie de l’ancien régime.

Il semble difficile de dire aujourd’hui précisément comment se gouvernaient les villes au dix-huitième siècle ; car, indépendamment de ce que l’origine des pouvoirs municipaux change sans cesse, comme il vient d’être dit, chaque ville conserve encore quelques lambeaux de son ancienne constitution et a des usages propres. Il n’y a peut-être pas deux villes en France où tout se ressemble absolument ; mais c’est là une diversité trompeuse, qui cache la similitude.

En 1764, le gouvernement entreprit de faire une loi générale sur l’administration des villes. Il se fit envoyer, par ses intendants, des Mémoires sur la manière dont les choses se passaient alors dans chacune d’elles. J’ai retrouvé une partie de cette enquête, et j’ai achevé de me convaincre en la lisant que les affaires municipales étaient conduites de la même manière à peu près partout. Les différences ne sont plus que superficielles et apparentes  ; le fond est partout le même.

Le plus souvent le gouvernement des villes est confié à deux assemblées. Toutes les grandes villes sont dans ce cas et la plupart des petites.

La première assemblée est composée d’officiers municipaux, plus ou moins nombreux suivant les lieux : c’est le pouvoir exécutif de la commune, le corps de ville, comme on disait alors. Ses membres exercent un pouvoir temporaire et sont élus, quand le roi a établi l’élection ou que la ville a pu racheter les offices. Ils remplissent leur charge à perpétuité moyennant finance, lorsque le roi a rétabli les offices et a réussi à les vendre, ce qui n’arrive pas toujours ; car cette sorte de marchandise s’avilit de plus en plus, à mesure que l’autorité municipale se subordonne davantage au pouvoir central. Dans tous les cas, ces officiers municipaux ne reçoivent pas de salaire, mais ils ont toujours des exemptions d’impôts et des privilèges. Point d’ordre hiérarchique parmi eux ; l’administration est collective. On ne voit pas de magistrat qui la dirige particulièrement et en réponde. Le maire est le président du corps de la ville, non l’administrateur de la cité.

La seconde assemblée, qu’on nomme l’assemblée générale, élit le corps de ville, là où l’élection a lieu encore, et partout elle continue à prendre part aux principales affaires.

Au quinzième siècle, l’assemblée générale se composait souvent de tout le peuple  ; cet usage, dit l’un des Mémoires de l’enquête, était d’accord avec le génie populaire de nos anciens. C’est le peuple tout entier qui élisait alors ses officiers municipaux ; c’est lui qu’on consultait quelquefois  ; c’est à lui qu’on rendait compte. À la fin du dix-septième siècle, cela se rencontre encore parfois.

Au dix-huitième siècle, ce n’est plus le peuple lui-même agissant en corps qui forme l’assemblée générale. Celle-ci est presque toujours représentative. Mais ce qu’il faut bien considérer, c’est que nulle part elle n’est plus élue par la masse du public et n’en reçoit l’esprit. Partout elle est composée de notables, dont quelques-uns y paraissent en vertu d’un droit qui leur est propre  ; les autres y sont envoyés par des corporations ou des compagnies, et chacun y remplit un mandat impératif que lui a donné cette petite société particulière.

À mesure qu’on avance dans le siècle, le nombre des notables de droit se multiplie dans le sein de cette assemblée  ; les députés des corporations industrielles y deviennent moins nombreux ou cessent d’y paraître. On n’y rencontre plus que ceux des corps ; c’est-à-dire que l’assemblée contient seulement des bourgeois et ne reçoit presque plus d’artisans. Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu’on se l’imagine aux vains semblants de la liberté, cesse alors partout de s’intéresser aux affaires de la commune et vit dans l’intérieur de ses propres murs comme un étranger. Inutilement ses magistrats essayent de temps en temps de réveiller en lui ce patriotisme municipal qui a fait tant de merveilles dans le moyen-âge : il reste sourd. Les plus grands intérêts de la ville semblent ne plus le toucher. On voudrait qu’il allât voter, là où on a cru devoir conserver la vaine image d’une élection libre : il s’entête à s’abstenir. Rien de plus commun qu’un pareil spectacle dans l’histoire. Presque tous les princes qui ont détruit la liberté ont tenté d’abord d’en maintenir les formes : cela s’est vu depuis Auguste jusqu’à nos jours ; ils se flattaient ainsi de réunir à la force morale que donne toujours l’assentiment public les commodités que la puissance absolue peut seule offrir. Presque tous ont échoué dans cette entreprise, et ont bientôt découvert qu’il était impossible de faire durer longtemps ces menteuses apparences là où la réalité n’était plus.

Au dix-huitième siècle, le gouvernement municipal des villes avait donc dégénéré partout en une petite oligarchie. Quelques familles y conduisaient toutes les affaires dans des vues particulières, loin de l’œil du public et sans être responsables envers lui : c’est une maladie dont cette administration est atteinte dans la France entière. Tous les intendants la signalent  ; mais le seul remède qu’ils imaginent, c’est d’assujettir de plus en plus les pouvoirs locaux au gouvernement central.

Il était cependant difficile de le mieux faire qu’on ne l’avait déjà fait ; indépendamment des édits qui de temps à autre modifient l’administration de toutes les villes, les lois particulières à chacune d’elles sont souvent bouleversées par des règlements du conseil non enregistrés, rendus sur les propositions des intendants, sans enquête préalable, et quelquefois sans que les habitants de la ville eux-mêmes s’en doutent.

« Cette mesure, disent les habitants d’une ville qui avait été atteinte par un semblable arrêt, a étonné tous les ordres de la ville, qui ne s’attendaient à rien de semblable. »

Les villes ne peuvent ni établir un octroi, ni lever une contribution, ni hypothéquer, ni vendre, ni plaider, ni affermer leurs biens, ni les administrer, ni faire emploi de l’excédent de leurs recettes, sans qu’il intervienne un arrêt du conseil sur le rapport de l’intendant. Tous leurs travaux sont exécutés sur des plans et d’après des devis que le conseil a approuvés par arrêt. C’est devant l’intendant ou ses subdélégués qu’on les adjuge, et c’est d’ordinaire l’ingénieur ou l’architecte de l’État qui les conduit. Voilà qui surprendra bien ceux qui pensent que tout ce qu’on voit en France est nouveau.

Mais le gouvernement central entre bien plus avant encore dans l’administration des villes que cette règle même ne l’indique ; son pouvoir y est bien plus étendu que son droit.

Je trouve dans une circulaire adressée vers le milieu du siècle par le contrôleur-général à tous les intendants : « Vous donnerez une attention particulière à tout ce qui se passe dans les assemblées municipales. Vous vous en ferez rendre le compte le plus exact et remettre toutes les délibérations qui y seront prises, pour me les envoyer sur-le-champ avec votre avis. »

On voit, en effet, par la correspondance de l’intendant avec ses subdélégués, que le gouvernement a la main dans toutes les affaires des villes, dans les moindres comme dans les plus grandes. On le consulte sur tout, et il a un avis décidé sur tout ; il y règle jusqu’aux fêtes. C’est lui qui commande, dans certains cas, les témoignages de l’allégresse publique, qui fait allumer les feux de joie et illuminer les maisons. Je trouve un intendant qui met à l’amende de vingt livres des membres de la garde bourgeoise qui se sont absentés du Te Deum.

Aussi les officiers municipaux ont-ils un sentiment convenable de leur néant.

« Nous vous prions très-humblement, monseigneur, écrivent quelques-uns d’entre eux à l’intendant, de nous accorder votre bienveillance et votre protection. Nous tâcherons de ne pas nous en rendre indignes, par notre soumission à tous les ordres de Votre Grandeur. » — « Nous n’avons jamais résisté à vos volontés, monseigneur, » écrivent d’autres qui s’intitulent encore magnifiquement pairs de la ville.

C’est ainsi que la classe bourgeoise se prépare au gouvernement et le peuple à la liberté.

Au moins, si cette étroite dépendance des villes avait préservé leurs finances ; mais il n’en est rien. On avance que sans la centralisation les villes se ruineraient aussitôt : je l’ignore ; mais il est certain que, dans le dix-huitième siècle, la centralisation ne les empêchait pas de se ruiner. Toute l’histoire administrative de ce temps est pleine du désordre de leurs affaires.

Que si nous allons des villes aux villages, nous rencontrons d’autres pouvoirs, d’autres formes, même dépendance.

Je vois bien les indices qui m’annoncent que, dans le moyen-âge, les habitants de chaque village ont formé une communauté distincte du seigneur. Celui-ci s’en servait, la surveillait, la gouvernait  ; mais elle possédait en commun certains biens dont elle avait la propriété propre ; elle élisait ses chefs, elle s’administrait elle-même démocratiquement.

Cette vieille constitution de la paroisse se retrouve chez toutes les nations qui ont été féodales et dans tous les pays où ces nations ont porté les débris de leurs lois. On en voit partout la trace en Angleterre, et elle était encore toute vivante en Allemagne il y a soixante ans, ainsi qu’on peut s’en convaincre en lisant le code du grand Frédéric. En France même, au dix-huitième siècle, il en existe encore quelques vestiges.

Je me souviens que, quand je recherchais pour la première fois, dans les archives d’une intendance, ce que c’était qu’une paroisse de l’ancien régime, j’étais surpris de retrouver, dans cette communauté si pauvre et si asservie, plusieurs des traits qui m’avaient frappé jadis dans les communes rurales d’Amérique, et que j’avais jugés alors à tort devoir être une singularité particulière au Nouveau-Monde. Ni l’une ni l’autre n’ont de représentation permanente, de corps municipal proprement dit ; l’une et l’autre sont administrées par des fonctionnaires qui agissent séparément, sous la direction de la communauté tout entière. Toutes deux ont, de temps à autre, des assemblées générales où tous les habitants, réunis dans un seul corps, élisent leurs magistrats et règlent les principales affaires. Elles se ressemblent, en un mot, autant qu’un vivant peut ressembler à un mort.

Ces deux êtres si différents dans leurs destinées ont eu, en effet, même naissance.

Transportée d’un seul coup loin de la féodalité et maîtresse absolue d’elle-même, la paroisse rurale du moyen-âge est devenue le township de la Nouvelle-Angleterre. Séparée du seigneur, mais serrée dans la puissante main de l’État, elle est devenue en France ce que nous allons dire.

Au dix-huitième siècle, le nombre et le nom des fonctionnaires de la paroisse varient suivant les provinces. On voit par les anciens documents que ces fonctionnaires avaient été plus nombreux quand la vie locale avait été plus active ; leur nombre a diminué à mesure qu’elle s’est engourdie. Dans la plupart des paroisses du dix-huitième siècle, ils sont réduits à deux : l’un se nomme collecteur, l’autre s’appelle le plus souvent le syndic. D’ordinaire ces officiers municipaux sont encore élus ou sont censés l’être ; mais ils sont devenus partout les instruments de l’État plus que les représentants de la communauté. Le collecteur lève la taille sous les ordres directs de l’intendant. Le syndic, placé sous la direction journalière du subdélégué de l’intendant, le représente dans toutes les opérations qui ont trait à l’ordre public ou au gouvernement. Il est son principal agent quand il s’agit de la milice, des travaux de l’État, de l’exécution de toutes les lois générales.

Le seigneur, comme nous l’avons déjà vu, reste étranger à tous ces détails du gouvernement ; il ne les surveille même plus ; il n’y aide pas ; bien plus, ces soins par lesquels s’entretenait jadis sa puissance lui paraissent indignes de lui, à mesure que sa puissance elle-même est mieux détruite. On blesserait aujourd’hui son orgueil en l’invitant à s’y livrer. Il ne gouverne plus ; mais sa présence dans la paroisse et ses privilèges empêchent qu’un bon gouvernement paroissial ne puisse s’établir à la place du sien. Un particulier si différent de tous les autres, si indépendant, si favorisé, y détruit ou y affaiblit l’empire de toutes les règles.

Comme son contact a fait fuir successivement vers la ville, ainsi que je le montrerai plus loin, presque tous ceux des habitants qui possédaient de l’aisance et des lumières, il ne reste en dehors de lui qu’un troupeau de paysans ignorants et grossiers, hors d’état de diriger l’administration des affaires communes. « Une paroisse, a dit avec raison Turgot, est un assemblage de cabanes et d’habitants non moins passifs qu’elles. »

Les documents administratifs du dix-huitième siècle sont remplis de plaintes que font naître l’impéritie, l’inertie et l’ignorance des collecteurs et des syndics de paroisses. Ministres, intendants, subdélégués, gentilshommes même, tous le déplorent sans cesse ; mais aucun ne remonte aux causes.

Jusqu’à la Révolution, la paroisse rurale de France conserve dans son gouvernement quelque chose de cet aspect démocratique qu’on lui avait vu dans le moyen-âge. S’agit-il d’élire des officiers municipaux ou de discuter quelque affaire commune : la cloche du village appelle les paysans devant le porche de l’église ; là, pauvres comme riches ont le droit de se présenter. L’assemblée réunie, il n’y a point, il est vrai, de délibération proprement dite ni de vote ; mais chacun peut exprimer son avis, et un notaire, requis à cet effet et instrumentant en plein vent, recueille les différents dires et les consigne dans un procès-verbal.

Quand on compare ces vaines apparences de la liberté avec l’impuissance réelle qui y était jointe, on découvre déjà en petit comment le gouvernement le plus absolu peut se combiner avec quelques-unes des formes de la plus extrême démocratie, de telle sorte qu’à l’oppression vienne encore s’ajouter le ridicule de n’avoir pas l’air de la voir. Cette assemblée démocratique de la paroisse pouvait bien exprimer des vœux, mais elle n’avait pas plus le droit de faire sa volonté que le conseil municipal de la ville. Elle ne pouvait même parler que quand on lui avait ouvert la bouche ; car ce n’était jamais qu’après avoir sollicité la permission expresse de l’intendant, et, comme on le disait alors, appliquant le mot à la chose, sous son bon plaisir, qu’on pouvait la réunir. Fût-elle unanime, elle ne pouvait ni s’imposer, ni vendre, ni acheter, ni louer, ni plaider, sans que le conseil du roi le permît. Il fallait obtenir un arrêt de ce conseil pour réparer le dommage que le vent venait de causer au toit de l’église ou relever le mur croulant du presbytère. La paroisse rurale la plus éloignée de Paris était soumise à cette règle comme les plus proches. J’ai vu des paroisses demander au conseil le droit de dépenser vingt-cinq livres.

Les habitants avaient retenu, d’ordinaire, il est vrai, le droit d’élire par vote universel leurs magistrats  ; mais il arrivait souvent que l’intendant désignait à ce petit corps électoral un candidat qui ne manquait guère d’être nommé à l’unanimité des suffrages. D’autres fois il cassait l’élection spontanément faite, nommait lui-même le collecteur et le syndic, et suspendait indéfiniment toute élection nouvelle. J’en ai vu mille exemples.

On ne saurait imaginer de destinée plus cruelle que celle de ces fonctionnaires communaux. Le dernier agent du gouvernement central, le subdélégué, les faisait obéir à ses moindres caprices. Souvent il les condamnait à l’amende ; quelquefois il les faisait emprisonner ; car les garanties qui, ailleurs, défendaient encore les citoyens contre l’arbitraire n’existaient plus ici. « J’ai fait mettre en prison, dit un intendant en 1750, quelques principaux des communautés qui murmuraient, et j’ai fait payer à ces communautés la course des cavaliers de la maréchaussée. Par ce moyen, elles ont été facilement matées. » Aussi les fonctions paroissiales étaient-elles considérées moins comme des honneurs que comme des charges auxquelles on cherchait, par toutes sortes de subterfuges, à se dérober.

Et pourtant ces derniers débris de l’ancien gouvernement de la paroisse étaient encore chers aux paysans, et aujourd’hui même, de toutes les libertés publiques, la seule qu’ils comprennent bien, c’est la liberté paroissiale. L’unique affaire de nature publique qui les intéresse réellement est celle-là. Tel qui laisse volontiers le gouvernement de toute la nation dans la main d’un maître, regimbe à l’idée de n’avoir pas à dire son mot dans l’administration de son village : tant il y a encore de poids dans les formes les plus creuses !

Ce que je viens de dire des villes et des paroisses, il faut l’étendre à presque tous les corps qui avaient une existence à part et une propriété collective.

Sous l’ancien régime comme de nos jours, il n’y avait ville, bourg, village, ni si petit hameau en France, hôpital, fabrique, couvent ni collège, qui pût avoir une volonté indépendante dans ses affaires particulières, ni administrer à sa volonté ses propres biens. Alors, comme aujourd’hui, l’administration tenait donc tous les Français en tutelle ; et si l’insolence du mot ne s’était pas encore produite, on avait du moins déjà la chose.