L’Amour qui ne meurt pas/La Mort héroïque du lieutenant Contamine de Latour

Éditions de la Revue des poètes (p. 9-13).

LA MORT HÉROÏQUE
DU LIEUTENANT CONTAMINE DE LATOUR

Que font tous ces soldats ? Pourquoi se replier
En bel ordre guerrier,
Silencieusement par la plaine infinie ?
Où, d’un pas régulier,
Va cette compagnie ?

Quel est celui que par ce chemin hasardeux
Tous ont suivi sans faute ?
Que fait-il ? Où va-t-il ? Quand on s’approche d’eux,
Chose étrange, ils sont deux,
Muets et tête haute.

Un soldat tout sanglant tient son chef embrassé ;
De sa main brune et forte,
Contre son cœur fidèle, il étreint un blessé,
Fièrement redressé…
Non ! c’est un mort qu’il porte.

Étroitement unis, le mort et le vivant
Ne forment qu’un seul être…
Retournez à l’avant !
C’est le mort qui conduit, que tous iront suivant,
Le mort qui reste maître.

Que veut de vous ce chef ? Où vous mènerait-il
D’un grand geste viril
Comme il faisait naguère ?
Droit sur l’obstacle et l’ennemi ! Droit au péril,
À son poste de guerre !

Soldats, remontez tous sans hésiter là-haut
Avec ce mort qui vaut
La troupe la plus belle.
En avant, devant tous ! C’est la place qu’il faut
À cette sentinelle.

Mais est-il mort ou plus vivant que nous, celui
Qui se dresse aujourd’hui
Paisible à votre tête,
Et qui n’a jamais craint que la honte et l’ennui
De la sombre défaite ?

Mais est-il mort ou pour jamais vivant, celui
Qui gouverne et protège
Les siens dont nul n’a fui,
Qui trouve jusqu’au bout un si loyal appui,
Qu’entoure un tel cortège ?

Et sont-ils morts, tous nos soldats victorieux,
Dignes des grands aïeux,
De Jeanne la guerrière ?
Leur amour, leur espoir, la clarté de leurs yeux,
Ne sont-ils que poussière ?

Martyrs silencieux, vainqueurs de leurs tourments,
Enfants, frères, amants,
Ces géants des batailles,
Ne sont-ils désormais que ce peu d’ossements,
Épars sous les broussailles ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Non ; ne demeurez pas le front baissé, rêvant
À ceux que nous aimâmes :
En avant ! En avant !
Obéissez à leur appel d’un cœur fervent ;
Suivez le vol des âmes.

Quand vous errez parmi ces mille et mille croix,
Ces sillons noirs et froids,
Que d’horreur, de pitié, votre jeunesse vibre,
Prêtez l’oreille aux voix
Qui planent dans l’air libre :

Nous ne sommes pas morts, nous chevauchons plus haut
Avec Messire Saint Michel et la Pucelle,
Et Roland, Saint Louis, Bayard, troupe immortelle ;
Soldats et chefs, nous avons pris le ciel d’assaut
Dans la flamme et le sang comme eux, comme elle.

Nous sommes des vainqueurs. Qu’on pleure les vaincus !
N’avons-nous pas sauvé le pays et la race ?
Vous nous appartenez ; imitez notre audace,
Vous qui vivez les jours que nous aurions vécus ;
Courez sur le chemin que notre élan vous trace.

Ne cherchez pas les immortels parmi les morts…
Et ne ramenez pas nos ombres à l’arrière ;
En avant ! Exaucez notre ultime prière ;
Dans votre âme fidèle, amis jeunes et forts,
Emportez-nous vers l’avenir et la lumière !

C’est votre cœur que nous voulons pour seul tombeau,
C’est en vous qu’ici bas nous entendons revivre.
Malheur à l’oublieux qui de rêves s’enivre !
Vous nous appartenez ; relevez le flambeau :
Il nous trahit, celui qui n’ose pas nous suivre.

Trouverez-vous trop durs et trop hauts les chemins
Que jusqu’au bout nous avons faits pour vous défendre ?
Lâchement résignés, vous laisserez-vous prendre
La liberté, la paix, dons suprêmes des mains
Et des cœurs immolés réduits pour vous en cendre ?

Nous ne vous disons pas, frères, de nous venger —
Dieu venge ses martyrs, sa justice est parfaite —
Mais de garder fidèlement notre conquête
Et de vous souvenir qu’à l’heure du danger,
Nous étions là, vous abritant de la tempête.

Rude fut notre jour et longue notre nuit ;
Votre bataille à vous sera-t-elle plus brève,
Ou pour vous les combats cruels feront-ils trêve ?
Sentinelles, veillez ! L’aurore à peine luit ;
Enfants, montez au front : vous êtes la relève.

Défendez ce qu’hier a sauvé notre amour,
Nos croix et nos berceaux, la foi de notre enfance,
Ce qui nous exaltait dans la suprême transe
Et que nous chérissons encore ! À votre tour :
Veillez sur notre mère en deuil ! Gardez la France.