L’Amour qui ne meurt pas/La Mort de Lazare

Éditions de la Revue des poètes (p. 60-63).

LA MORT DE LAZARE

Maintenant il est consolé… (St Luc, XVI, 25)

Ô Lazare, pauvre Lazare,
Sors du sépulcre où l’on t’a mis !
À ta mort absurde et barbare,
Nos cours ne se sont pas soumis.

Dresse-toi ! Soulève la pierre,
Corps si longtemps martyrisé !
Reprends ton seul bien, la lumière…
Vieux lutteur, tu n’es pas brisé.

Voilà tant de jours que tu pleures…
Lève-toi ! Dieu n’a pas permis
Que sans être vengé tu meures ;
Il fait justice ; Il l’a promis.


Ô toi qui traînas tant d’années,
Sur le seuil ingrat des heureux,
Tes espérances condamnées
Et tes maux dédaignés par eux,

Lazare, mon frère Lazare,
Qui cherchais de tes tristes yeux
Parmi les tempêtes un phare,
Une étoile au gouffre des cieux,

Retombait-elle sur la terre,
La prière qui s’élevait,
Silencieuse et solitaire,
Des cendres, ton sombre chevet ?

Ô perpétuelle victime,
As-tu pour jamais emporté
Ton malheur dans l’immense abîme
Où ne glisse nulle clarté ?

Tu gis, poussière méprisable,
Dans l’affreuse nuit sans flambeau…
Seigneur, l’espoir du misérable
S’éteint-il au fond du tombeau ?

Un autre a déjà pris ta place,
Et ton martyre est oublié ;
Ton ombre pâlit et s’efface…
Dans le vide avons-nous crié ?


Lazare, mon pauvre Lazare,
Frère de mon cœur, de ma chair,
Est-ce que la mort nous sépare,
Malheureux qui me fut si cher ?

Pour toi, défunt, je souffre encore ;
Tes maux en moi saignent toujours ;
Éperdûment pour toi j’implore
L’aube divine et le secours.

Mais rompant soudain le silence,
Une grande voix retentit ;
Mon âme vers elle s’élance
Dans un ravissement subit.

Elle dit : « Heureux ceux qui pleurent
Parce qu’ils seront consolés ;
Bienheureux les miens ! Lorsqu’ils meurent,
Dans mes bras ils sont rassemblés. »

Et le ciel s’ouvre et se colore
Là-haut, là-haut dans le lointain ;
Une lueur promet l’aurore,
Annonce l’éternel matin.

Tous ceux qui passaient sur la route
De toi ne se détournaient pas ;
Tes larmes, tombant goutte à goutte,
Dieu les comptait comme tes pas.


Quelqu’un plus que toi misérable,
Un Juste à souffrir condamné
Plus durement que nul coupable,
Ne t’a jamais abandonné.

Même en tes angoisses mortelles,
Les cours qu’illuminait la foi
Entendaient par moments des ailes
Frémir dans l’ombre autour de toi.

Et tous ces invisibles anges
Ont emporté ton âme à Dieu
Lorsque de ses sordides langes,
Elle a jailli, rose de feu.

Lazare, hier si misérable,
De maux et de mépris comblé,
Nul faix aujourd’hui ne t’accable ;
Christ à jamais t’a consolé.

Lazare, mon frère Lazare,
Tu t’es levé victorieux.
De quel éclat la mort te pare !
Ton royaume était dans les cieux.