L’Amour paillard/7
VII
Annette Gressac circulait comme une reine à travers les deux salles de jeu, menant à sa suite le montreur de plaisirs et sa smalah reconstituée. Sous une magnifique toilette décolletée de satin rouge, elle offrait un autre type de beauté, tout aussi séduisant que celui des jeunes femmes installées aux tables de jeu, ou égarées dans la galerie pour varier leurs émotions entre le dieu Mercure et la déesse Vénus. De nombreux regards s’attachaient avec des lueurs concupiscentes sur ses épaules, cherchaient à s’élancer sur le globe des seins, ou sur le relief des hanches. Elle souriait et se prêtait volontiers à ces polissonneries cachées. Elle conduisit son monde dans un petit salon réservé, où les ayant invités à s’asseoir, elle leur révéla le but de leur entrevue.
D’accord avec son mari Gaston Gressac, elle avait organisé cette maison de passe et de jeu, où l’on pouvait trouver à se satisfaire dans toutes ses passions. Elle acceptait même des clients qui préféraient l’ivresse des boissons aux émotions de la chair et du jeu, et qu’on laissait se griser abominablement, pour les emporter dans un dortoir où ils dormaient tant qu’ils le voulaient, dès qu’ils commençaient à devenir gênants. Ceux-là représentaient l’exception.
Les salles de jeu alimentaient en général la galerie aux voluptés, et réciproquement celle-ci alimentait les salles de jeu. Quand on avait bien cochonné, on abordait la roulette ou le baccarat pour retaper sa bourse, et quand on avait gagné on cherchait quelque vaillant et savant compère, ou commère, pour bien terminer sa nuit.
Ayant entendu parler, par son mari, des tableaux voluptueux qu’ils exécutaient, elle leur proposait de les mimer sur un tréteau qu’on établirait dans la galerie. Ils seraient certainement imités par nombre de spectateurs et de spectatrices, et les bénéfices de l’entreprise augmentant, ils toucheraient des cachets plus importants que dans les salons particuliers où ils opéraient, forcément très limités. Qui sait s’ils ne rencontreraient pas des amateurs dans le public qui les applaudirait ?
Cette proposition délicate les embarrassa tous au même degré. Devant un public restreint, avancèrent-ils, ils se sentaient en sûreté, protégés par la paillardise de qui les payait ; devant un public aggloméré, comme dans un théâtre, ils redoutaient des moqueries, des avanies, des insultes, et peut-être même des violences.
— Vous n’avez rien à craindre de ceux qui fréquentent ici, s’écria Annette. Ce sont tous gens très indépendants d’esprit, et de mœurs très commodes. Il y a des hommes qui courent après d’autres hommes, et des femmes qui tiennent à honneur de s’afficher avec le godemiché sur le ventre.
En principe, on ne repoussait pas la proposition ; on demanda seulement deux à trois jours de réflexion, et Annette Gressac les accorda. Ce débat ramena la paix entre les époux. Jacques et Thérèse, discutant avec Annette, se retrouvaient dans leur union d’affection et d’intérêts, ils souhaitèrent de retourner à Asnières pour sceller leur réconciliation et oublier les causes qui les séparèrent. Ce souhait comblait trop le désir de tous les autres membres de la famille pour qu’on ne s’y ralliât pas.
Dans le cœur de ceux qui étaient restés, luisait la pensée de fêter le retour des deux fugitives ; le mari et la femme feraient leur paix définitive, la tête sur l’oreiller. Sur un simple regard on se jugea d’accord et on s’évada. Jacques et Thérèse se retirèrent ensemble presque de suite ; ils trahissaient par leurs regards devenus très tendres leur bonne volonté d’accomplir le devoir conjugal. Léa s’attarda avec Antoine et Lina ; elle voulait prouver au vieux cousin que si elle n’était plus pucelle, elle ne lui refuserait pas plus qu’autrefois la satisfaction de ses goûts cochons ; elle le mignarda avec tant de gentillesse qu’il se trouva en état de la baiser, ce qui lui arrivait rarement ; il est vrai qu’ils débutèrent par un délicat soixante-neuf, où Lina s’amusait à les éventer pour les maintenir en haleine.
Oh, dans cette admirable famille, on était bien tous les uns pour les autres, et il eut été très malheureux que le trouble subsistât entre ses membres. Mais l’œuvre la plus importante de la paix conclue s’accomplissait dans la chambre de Thérèse, où Jacques avait suivi sa femme.
Ils ne furent pas plus tôt seuls, qu’ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre, pour se supplier réciproquement de se pardonner leurs fautes. Touchant ménage, ils recoururent à la plus franche des confessions pour chasser tout nuage de leur ciel. Les mains de Jacques, tout en parlant, dégrafaient le corsage de Thérèse, dénouaient les cordons de la robe et des jupons, et de son côté, se laissant faire, elle lui déboutonnait sa culotte, prenait sa queue dans la main, lui tendait la bouche pour se pigeonner au milieu de ces premiers attouchements érotiques. Puis, prestement en chemise, prestement nus, ils s’agrippèrent ventre à ventre, échangeant leurs confidences, où il avouait n’avoir encore couvert que de minettes et de feuilles de rose La Férina, tandis qu’elle confessait, la vilaine méchante, avoir été baisée par les deux amis, Alexandre Brollé et Émile Sauton, sans oublier l’excellent mari de la belle Annette, Gaston Gressac, qui se contenta d’enfoncer la pine dans son con, après avoir enculé Léa.
De se raconter les obscénités qu’ils rêvèrent et exécutèrent, en dehors de leurs liens matrimoniaux, cela les émoustillait, et Jacques recommençait sur le corps de sa femme les dévotions prodiguées au corps de La Férina ; sa langue courait sur le clitoris, pénétrait dans le vagin, voltigeait sur le chat, soulevait les cuisses, s’égarait entre les fesses, revenait vers les seins, et déclarait ne pas se lasser de ce ravissant pèlerinage. Thérèse rendait au centuple les politesses qu’elle recevait ; elle attrapait la queue entre ses lèvres, l’attirait dans sa bouche, la croquignollait avec délices, la suçait très adroitement et embrasait les sens de son mari d’un feu inextinguible.
Ils ne s’arrêtaient plus dans leurs ardentes caresses, et tous les deux se pelotaient avec la même fièvre. Le sperme bouillonnait dans les veines de Jacques, il ne pouvait plus différer l’enconnage ; Thérèse s’y prêta à sa première attaque, et la queue s’engouffrant dans son vagin, elle répondit aux secousses de son mari, déchargeant, jouissant. La paix était bien faite. Par trois fois ils renouvelèrent cette suprême extase, et Jacques déclara que sa Thérèse demeurait indispensable à ses ivresses charnelles, lesquelles perdaient tout charme, loin de ses tendres regards, même en les éprouvant avec Lina ou Léa, ses pâles reflets.
Reconquérant son mari, sentant qu’il parlait en toute sincérité dans cette minute où elle l’enivrait de sa possession, elle eut le tort de vouloir souligner sa victoire, en lui rappelant que lorsqu’il fit minette pour la première fois à La Férina, elle venait justement d’être enfilée par Alexandre Brollé, à qui Horacine avait ménagé cette douce entrevue ; elle supposait du reste que cette femme lui servait de maquerelle, et appuyant sur la chose, elle continua :
— Et, mon beau chéri, tu as vraiment de la chance avec cette vache ; si la première fois, la régalant de minettes, tu achevas de la nettoyer du foutre laissé par Alexandre, ce soir encore tu atteignis le même but, en léchant le foutre d’un inconnu, dont elle sortait de se faire enfiler.
— Je ne veux penser qu’à toi ! L’avais-tu fait ce soir, dis ?
— Non, pas dans la soirée, je te le jure ; mais avant dîner, avec Alexandre, qui se montrait enragé.
— Eh bien, tant pis, parce que si tu avais gardé son foutre, je l’aurais sucé dans ton con, tant je l’aime, et pour voir aussi s’il m’eût excité comme avec La Férina. Ah ! ce qu’elle avait du montant dans les cuisses !
Il la regrettait, au lieu de la maudire ; elle le vit en cette seconde, et comprit la faute commise. Elle essaya de la réparer, en disant :
— Tu es le plus chéri de tous les plus gros cochons de la création.
Ce fut comme une nouvelle lune de miel, qui réunit dans l’érotisme tous les membres de cette famille exceptionnelle ! Pendant trois jours de suite, on oublia le monde extérieur, et Antoine devant l’exaspération sensuelle des femmes et du montreur de plaisirs, sembla retrouver une seconde jeunesse.
À la hauteur des circonstances, il affichait de l’énergie, de la vaillance amoureuse, et baisa Thérèse, Léa, Lina à diverses reprises, ces ensorcelantes sirènes sachant inventer des poses mignardes et paillardes pour ranimer les ardeurs de leurs cavaliers. Au diable les propositions étrangères ! D’un commun accord, on décida de décliner l’offre d’Annette Gressac ; Thérèse ne cachait pas sa répugnance à continuer l’exploitation des tableaux érotiques, où l’on pouvait finir par se brouiller, alors qu’on formait un aussi joli groupe familial. Elle s’accusait aussi chaude à jouer le rôle de mari vis-à-vis de Lina et de Léa, qu’à servir de femme à toute luxure à Jacques et à Antoine. Son godemiché, plus fort, plus long que celui de La Férina aperçu par Jacques, lui donnait l’allure d’un galant baiseur, et bien souvent, en folâtrant par le jardin, dans des tenues très légères, le corps à peine recouvert d’une chemise et d’un peignoir, elle répondait à un coup d’œil de Lina ou de Léa, leur sautait dessus pour les enconner et calmer leurs désirs de rut, que ne pouvaient satisfaire en cet instant leurs deux maris. Ils accomplissaient cependant des prodiges. Une nourriture abondante et saine reconstituait leurs forces ; les images lascives circulaient sous leurs yeux pour les attirer à la pratique des voluptés. Ils ne s’ennuyaient pas, ils ne cherchaient pas à reparaître en public.
À côté des paillardises, chacun s’occupait de la part de ménage qui lui était dévolue, chacun prenait ses distractions à sa fantaisie. Antoine jardinait, Jacques étudiait les étoffes et les costumes, Thérèse lisait, Lina peinturlurait et Léa s’amusait à des ouvrages au crochet. Le temps fuyait ; une lettre d’Annette vint rappeler les exigences de la vie ; Jacques répondit simplement qu’on n’acceptait pas sa proposition. Une, deux semaines s’écoulèrent ainsi.
Les économies réalisées permettaient de ne pas se fouler la rate, on avait de quoi vivre devant soi, en attendant qu’on songeât à quelque lucrative entreprise pour combler la caisse, quand elle commencerait à sonner le creux. En attendant on savourait cette période de bonheur et de tranquillité que traversait la famille. Si on tirait moins de coups de queue, les paillardises en revanche se multipliaient, et on s’évertuait pour se dépasser en inventions lubriques et en caprices libidineux. Malheureusement, les caprices qui forcent la nature sont ceux qui épuisent le plus vite. Les goûts personnels reprenaient le dessus ; Thérèse aimait de sucer, et Antoine aurait toujours laissé sa queue dans la bouche d’une suceuse. Ils s’entendaient à ravir pour se réfugier dans quelque coin, où Thérèse berlingotait la pine d’Antoine à lèvres que veux-tu ; elle le comblait de pattes d’araignée, le patouillait sous les couilles, sur le ventre, sur le cul, lui chatouillait l’anus avec le godemiché, elle aspirait le gland en un mouvement velouté des lèvres, elle le faisait bander, et hélas ! souvent jouir, au risque de le tuer. Elle en appelait à tout son sang-froid pour s’arrêter, elle voulait l’épargner, et, les sens en feu, elle courait après Lina, qu’elle jetait sur un lit et enfilait, se donnant l’illusion d’être vraiment un homme par le godemiché, et en éprouvant un plaisir relatif. Elle remplissait si bien le rôle que Lina s’énamourait et, ayant déchargé, à son tour la suppliait de changer de personnalité pour devenir sa petite maîtresse.
Si Thérèse savait en ce moment son mari incapable de la posséder, elle se rendait au désir de sa cousine, et après avoir été un amant modèle, elle devenait une incomparable maîtresse, affolant et surexcitant sa bien-aimée baiseuse. Jacques, pour sa part, soignait sa marotte, et cette marotte, il la devait à son aventure avec la petite Pauline Turlu, la nièce d’Annette Gressac. Il profitait de la jeunesse de Léa, de sa taille pas trop élevée, de la fine délicatesse de son corps, pour lui faire revêtir des costumes de petite fille, très suggestifs, et lui produisant d’autant plus d’effet que les mollets ici apparaissaient fermes et saillants, qu’il savait trouver sur le bas-ventre la délicate toison, absente encore sur celui de Pauline, et il s’enrageait, sa belle-sœur le poursuivant sous sa toilette de fillette, à très courtes jupes, à la prendre à cheval sur ses genoux, pour qu’elle le masturbât comme avait fait l’autre. Avec une si gentille et si savante partenaire, le jeu s’agrandissait. Léa pressait habilement la queue, s’en chatouillait les cuisses, le bouton, palpait toute sa longueur et sa grosseur, se servait de la paume de la main et des doigts alternativement, suivant la dureté que présentait l’érection, et quand elle sentait la jouissance sur le point de jeter au dehors le sperme, elle intercalait le gland à l’orifice du vagin, entre les lèvres secrètes : plaçant alors un mouchoir de dentelles sous ses cuisses et sous les couilles de Jacques, où leurs mains parfois se heurtaient pour lancer des frissons dans leurs veines, Léa masturbait et s’excitait par le frottement du gland contre sa vulve, contre son clitoris. Elle tenait bien dans sa petite main l’engin mâle et le dirigeait au mieux de son propre caprice, visant à ce que la décharge se produisant amenât son plaisir personnel ; et ce plaisir, elle l’obtenait par le jet du sperme sur son con, sur son chat, par l’humidité qui en résultait sur le mouchoir de dentelles, gagnant peu à peu les tissus de sa peau. La même passion les unissait dans cette seconde, et sous l’influence de la même pensée, leurs cuisses se disputaient la moite mouillure du mouchoir.
Il l’eût enconnée sans difficulté ; elle se serait livrée à son attaque avec ivresse, mais l’un et l’autre s’appliquaient à éviter l’extase du coït, pour transporter leur émoi sur le frisson procuré par le contact du mouchoir de dentelles entre leurs cuisses. La sensation montait, montait toujours ; ils se pâmaient dans les bras l’un de l’autre, se becquetaient, tressautaient, leurs parties sexuelles se collant sur le mouchoir de dentelles. Une impression de farouche bonheur se traduisait dans leurs yeux. Ne se quittant pas, ils sortaient la langue, se la léchaient, chacun leur tour ; les moindres idées qui traversaient leur âme n’étaient pas un secret pour l’un et pour l’autre ; leur cœur battait à l’unisson, ils prolongeaient leurs postures, actionnant, par une force de volonté extraordinaire, leurs sexualités, pour qu’elles atteignissent toutes les fibres agrippeuses de félicité.
Jacques la suppliait, après une délicieuse minute d’un repos engourdissant, de recommencer ; elle ne refusait jamais ; la main, retirée de dessous les jupes, où se prélassait la queue mendiant le masturbage, saisissait d’abord les couilles, puis toute la tige virile, et le branlage redoublait avec plus de vélocité ; le résultat se précipitait, le sperme restait moins longtemps à jaillir, les organes préparés ne demandaient plus qu’à fonctionner pour hâter la volupté. Jeu dangereux, jeu mortel, tous les deux s’y acharnaient avec la même fougue. Léa jouissait de masturber comme Jacques d’être masturbé de cette façon, comme Antoine d’être sucé par Thérèse, comme Thérèse et Lina de se posséder par le godemiché.
La folie s’emparait de tous ces cerveaux. Ni les uns ni les autres ne gardaient plus une juste mesure, et en quinze jours d’une telle existence, les caractères menaçaient de tourner à l’idiotie ; une femme seule dominait la situation, Thérèse, qui semblait absorber la vigueur des mâles, et imposait sa loi à toute la maisonnée.
Voyant qu’elle n’avait qu’à parler pour être obéie, voulant réagir contre le dangereux courant qui s’établissait, elle imagina un système quotidien de conduite, où les heures de travaux, de repos, furent marquées, pendant lesquelles on s’abstiendrait de rechercher les sensualités des plaisirs spéciaux, et où on les interdirait ensuite si on n’avait pas tiré un coup au moins dans la journée, affirmant que pour sa part elle refuserait tout rapport sexuel à qui enfreindrait ce qu’elle édictait dans l’intérêt de chacun. Et donnant l’exemple, elle apporta elle-même un frein à son goût du suçage.
Encore des jours passèrent, et malgré cette sage ordonnance, on usa et abusa des occasions sensuelles, pour arriver enfin à un assoupissement nerveux où l’on pût redouter d’être atteint d’impuissance. La virilité des hommes, la féminité des femmes, exaspérées par ce culte trop exagéré à l’autel de Cupidon, refusait de vibrer. On avait beau en appeler à toutes les pensées de luxure, la nudité, si on y recourait, produisait un effet déconcertant, où les deux cavaliers fuyaient leurs dames, et où celles-ci, privées de leurs services amoureux, pour se stimuler, se battaient entr’elles, se fouettant, se mordant, se déchirant les chairs à coups d’ongles.
Au bout de six à sept semaines d’une telle retraite, la nostalgie du mouvement altruiste se glissa dans les âmes, et un matin Jacques déclara qu’il descendait à Paris pour faire ses visites de politesse aux personnes qui les protégèrent, et particulièrement à M. et Mme Gressac, pour leur expliquer les raisons qui motivèrent leur refus de ne pas exécuter des tableaux vivants dans l’établissement qu’ils avaient avenue Matignon. Thérèse, émue plus qu’elle ne voulait le paraître, lui demanda si, pour alimenter la caisse familiale, il ne croyait pas nécessaire de chercher à donner deux ou trois séances chez ceux qui les sollicitaient.
— Dame, répondit-il, nos économies baissent, et nous n’avons encore rien trouvé pour réparer les brèches qu’elles subissent.
— Eh bien, mon chéri, si tu juges utile de recommencer pour un certain temps, n’hésite pas ; cela ne nous empêchera pas de réfléchir à nous débrouiller d’une autre manière. En somme, nous étions bien payés, nous n’avons eu d’accidents qu’à notre dernière représentation, et cet accident on l’a bien effacé, n’est ce pas ?