Imprimé par ordre des paillards (p. 57-68).
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L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre
L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre


VI


De sa courte entrevue, avec Annette Gressac, Jacques emporta une grande espérance. Elle le reçut très sympathiquement en demi-toilette, sur sa carte que lui porta Pauline, et lui témoigna combien elle était heureuse de le connaître, tout en s’étonnant que cette connaissance eût tardé si longtemps à se faire.

Elle avait entendu parler de ses tableaux vivants, elle brûlait de les voir, et savait l’ennui qu’il éprouvait de la disparition de sa femme et de sa **belle-sœur. Ennui réparable, parce que d’après les rapports qui lui parvenaient, il ne se passerait pas trois jours avant qu’il ne se retrouvât en leur présence.

Elle l’engagea à aller le lendemain dans la soirée au Café des Pommes, avenue Matignon, et à donner sa carte au garçon qui le servirait. On l’introduirait dans une partie réservée de l’établissement, où fréquentaient de nombreux luxurieux de Paris, et où il apprendrait du nouveau. Surtout qu’il y vienne en compagnie d’Antoine et Lina Gorgon, lesquels lui seraient probablement très utiles. Elle lui recommanda de se défier de La Férina, une femme dangereuse, qui soufflait les maris à leurs épouses, les amants à leurs maîtresses, et les femmes à tous les hommes, sous son apparence de tristesse mélancolique. Il l’avait du reste jugée ; pour s’être rendu chez cette courtisane, il courait le risque de perdre sa femme et sa belle-sœur. Elle savait s’y prendre de toutes les façons pour arriver au but qu’elle se proposait, et qui souvent apparaissait le contraire de celui qu’elle poursuivait.

— Dans les jolies choses de l’amour, lui dit-elle, il y a deux points de vue à observer. Il faut tenir compte de ceux qui s’entêtent dans les idées du vieux temps et avec lesquels il n’y a rien à espérer ; et il ne faut s’occuper que de ceux qui, assoiffés d’imprévu, cherchent à élargir le champ des voluptés. Parmi ces derniers, les seuls intéressants, il s’agit de cataloguer les riches et les intelligents ambitieux.

Le plaisir, sans le cadre luxueux et luxurieux, est le plaisir des brutes. Les intelligents savent ce que peut donner le cadre luxueux, les riches l’ignorent. Le terrain d’entente entre riches et intelligents se présente dans l’émancipation des idées. Malheureusement, les cocottes de l’époque bataillent individuellement et sottement. Elles s’exposent à rester les dupes des intrigants habiles. Lui, le montreur de plaisirs, il avait trouvé une formule précieuse dans l’exposition de ses tableaux de luxure. Sans doute, avant, on s’occupa des voyeurs, mais il y avait un abîme entre le passé et le présent tel qu’il le comprenait. Pour bien réussir, il ne devait pas pactiser avec des femmes comme La Férina, qui ne songeaient qu’à leur intérêt et à leur plaisir personnels.

Malgré tout ce discours d’Annette Gressac, malgré le chagrin de sa mésaventure conjugale, il pensait beaucoup à cette femme, dont il admirait l’éclat des chairs et la rectitude des formes, ainsi que la chaleur passionnée qu’elle lui marqua. Rentré à Asnières, ayant mis au courant de ses démarches Antoine et Lina, sans parler de l’incident Pauline, il rêvait plus à La Férina qu’à Thérèse et à Léa. Néanmoins, comme elles représentaient le succès de son entreprise, il ne manqua pas d’aller au Café des Pommes.

À Paris tout existe, tout se trouve. Sur la carte qu’il remit au garçon, et que celui-ci porta à qui de droit, on le fit passer, avec Antoine et Lina, par une petite porte, monter un étroit escalier, et au premier étage, il entra dans une vaste galerie, longue salle de café, avec des tables carrées entourées de fauteuils, le parquet couvert de tapis, les murs ornés de grandes glaces, sauf sur un côté, où par trois marches, on pénétrait dans deux salons contigus, convertis en salles de jeux, l’une avec une roulette, l’autre avec une table pour le baccarat.

Dans la salle de café, peu remplie encore, divers groupes, composés en majorité de femmes, se trouvaient disséminés. Jacques se dirigea droit vers une extrémité, où il apercevait deux tables libres, et près de celle qu’il se disposait à occuper, il vit deux jeunes hommes et deux jeunes femmes, consommant du champagne dans une posture très hardie ; du reste la liberté la plus absolue régnait partout. Une des deux femmes avait les jambes sur les épaules de son cavalier, qui la branlait avec hardiesse, les jupes ramassées sur la ceinture. pour qu’on ne doutât pas de ce qu’il faisait : et, dans cette femme Jacques reconnut sa chère épouse Thérèse Phoncinot ; l’autre, plus calme, quoique installée sur les genoux de son compagnon, était sa belle-sœur Léa Dorial.

Lina eut juste le temps de s’interposer pour l’empêcher de se précipiter sur les deux couples et de frapper brutalement. Aidée d’Antoine, elle le poussa sur un fauteuil, et s’assit entre lui et Thérèse, à qui elle faisait un rempart de son corps, et qui, sans se troubler, regardait avec insolence son mari, comme pour le défier. À voix basse, Lina murmura au montreur de plaisirs :

— Sois raisonnable, aie de la patience, cela vaudra mieux que du tapage. Ce n’est pas pour causer du scandale que la Gressac t’a prié de venir ici.

Il posa les mains sur son visage, prit ensuite son mouchoir, essuya la transpiration que la colère contenue attirait à son front, appuya les deux coudes sur la table, réfléchissant à cette rencontre inattendue, et ne répondit rien à la provocation de sa femme, criant :

— Ah ! elle est trop forte, celle-là. Il tire parti de notre corps, et il ne voudrait pas que nous en disposions à notre fantaisie !

Léa Dorial était toute pâle, et ses yeux non courroucés semblaient implorer Jacques, qui ne retirait pas la tête de dessous ses mains, afin qu’il demeurât tranquille.

En ce moment, comme si le ciel eût préparé une compensation aux sentiments complexes qui bouleversaient l’âme de ce mari, La Férina survint, accompagnée d’Horacine des Tilleuls, toutes les deux en élégante toilette noire ornée de dentelles, avec sur la tête un grand chapeau à larges ailes. Devina-t-elle le drame intime qui se jouait ? Elle s’approcha de Jacques, lui toucha la tête de la main, et très gracieuse, lui dit :

— Ah, que je suis heureuse de vous voir ; je vous ai aperçu en entrant, et je suis venue tout de suite à vous.

Il faillit pousser un rugissement de joie ; il prit les deux mains de la jeune femme, les baisa avec transport et répondit :

— Oh, c’est le Paradis qui arrive avec vous !

— Ça, c’est mignon, et ça mérite qu’on accorde toutes les permissions.

Elle toisait Thérèse, qui retirait les jambes de dessus les épaules de son cavalier, et se penchant sur Jacques, elle lui embrassa le cou, en ajoutant :

— Tu sais, tu peux me peloter et me caresser, ici tout est autorisé.

Jacques, sur le champ, expédia les mains sous les jupes de l’horizontale, remarquant que sous la robe, il n’y avait qu’un jupon et la chemise ; il lui saisit les fesses, et la voyant qui se retroussait, il se baissa pour embrasser les cuisses qu’avec cynisme elle montrait.

Si certains s’étonnent de ces libertés, nous les prierons d’aller examiner les rapports de police, soigneusement verrouillés dans les cartons de la préfecture, et mentionnant les nombreux attentats aux mœurs qui se perpétraient sous les massifs des Champs-Élysées, et sur les bancs de ladite promenade. On a pourchassé les amateurs des deux sexes, et de toutes les conditions sociales, qui fréquentaient ces parages pour y découvrir des fervents de la paillardise ; il faut bien fermer les yeux sur les immeubles respectables où ils se sont réfugiés, et où, évitant avec soin le scandale public, ils se livrent à l’orgie de la chair.

Rien n’était gracieux comme La Férina, les atours retroussés, étalant aux regards curieux le modelé de ses jambes, le contour de ses hanches, les rondeurs de ses fesses, son bas-ventre orné d’un joli petit chat blond. Jacques avait embrassé avec discrétion, il embrassait avec passion, résistant mal à la tentation de s’agenouiller devant la déesse.

— Bravo, mes agneaux, s’exclama Horacine, ne vous gênez pas, allez-y de vos bonnes lippettes ; je m’installe de ce côté-ci, assieds-toi près de ce beau garçon, Margot, je suis sûre qu’il ne te ménagera ni les minettes, ni les feuilles de rose.

— Tout, tout ce qu’il voudra, dit La Férina.

Un fauteuil long et large se trouvait près de la place occupée par Jacques. La Férina s’y laissa tomber, jupes relevées, et immédiatement, le montreur de plaisirs, comme une bête fauve, se précipita à ses pieds, fourra la tête entre ses cuisses. Ah ! les ardentes minettes dont il honorait le gentil con, et comme on comprenait la ferveur que celui-ci inspirait ! Cette chair blanche, qui ressortait sous le cadre noir de la robe, éveillait les idées libertines des voisins les plus proches ; le corps féminin, qui se tordait dans les délices des caresses, ondulait avec grâce et étalait ses sexualités alléchantes. La Férina se soulevait, découvrait ses fesses, et la langue de Jacques s’y ruait, passant des minettes aux feuilles de rose, selon le pronostic d’Horacine. On entendait le gourmand gloussement avec lequel il savourait le satiné de la peau, on admirait les gestes de luxure de La Férina, trahissant le plaisir qu’elle éprouvait à la langue qui lui chatouillait le clitoris, ou s’égarait dans la fente rosée de son cul.

Tout d’abord, Thérèse sembla vouloir se désintéresser de ce spectacle ; elle s’assit sur les genoux de son galant, tira la queue hors de sa culotte pour la masturber, ou peut-être même l’exciter à l’enconner. Elle multipliait ses agaceries, surtout si son mari levait un instant la tête pour surveiller ses actions. L’attirance de La Férina s’exerçait si despotiquement, qu’il repartait sans hésiter dans ses caresses. Puis cette indifférence qu’il affichait à son sujet commença à froisser Thérèse ; malgré elle, son attention demeurait figée sur son mari, dont elle suivait avec un dépit de moins en moins dissimulé les coups de langue sur le con et sur le cul de La Férina.

Son cavalier lui-même, Alexandre Brollé, répondait avec mollesse à ses provocations ; ses yeux brillants ne quittaient plus la maîtresse qu’il avait perdue, et ne cachaient pas le regret qui tracassait son esprit ; il contemplait avec colère la pose abandonnée dans laquelle elle allongeait peu à peu tout son corps sur le siège du fauteuil, pour mieux le livrer aux dévotions de Jacques. Elle dévoilait toute sa croupe éblouissante, elle se montrait nue de la ceinture aux genoux, le visage du caresseur s’appliquait en plein sur les fesses, et ce fût la façon gloutonne dont il lui mangeait le cul, qui arracha un cri de rage à Thérèse, la fit se dresser de dessus les genoux d’Alexandre, courir vers son mari qu’elle tambourina à grands coups de pied dans le postérieur, tandis que, se penchant, elle administrait une maîtresse fouettée à La Férina, se débattant en vain pour échapper à sa furie. Jacques, surpris, étendu sur le sol, piétiné par sa femme, juchée au-dessus, cherchait à l’attraper par les jambes pour la repousser. Les jambes de Thérèse étaient dures et solides comme du fer, tant la fureur la surexcitait. Elle ne reculait pas, et continuait à frapper de claques retentissantes le beau derrière de La Férina. Horacine se précipita pour la lui arracher des mains ; elle en reçut une bourrade en pleine poitrine qui la renvoya à deux pas plus loin. Jacques, sur les genoux, saisit Thérèse à bras le corps par-dessous les jupes pour l’attirer en arrière. Elle se retroussa avec prestesse, remonta les jupes sur ses reins, et montrant son cul, lui dit :

— Tiens, lèche celui-là, puisque tu en désires un, au moins ce sera celui que t’a donné M. le Maire.

Allait-il mordre ? Allait-il embrasser ? Il hésitait entre les deux ; son désir luttait entre la Férina et sa femme, mais son intérêt se trouvant du côté de celle-ci, il comprit que s’il obéissait, il la reconquerrait, et qu’il la ramènerait ensuite au bercail. Il se décida à baiser le cul de Thérèse. Alors elle cessa de fouetter La Férina, l’obligea à se lever, et lui montrant son mari, dit :

— Regarde cet homme ; il te léchait le cul tout à l’heure, à présent il en a au mien. Mais c’est mon mari, et je le garde.

Dans les salles de jeu, on avait colporté la nouvelle de la correction : un afflux de monde envahissait la galerie. Au devant de ce monde, accourait Annette Gressac, se doutant bien de ce qu’il en était. Elle vit la querelle apaisée, elle toucha l’épaule de Jacques, toujours occupé après les fesses de sa femme, et lui dit :

— Que faites-vous là ?

— J’ai retrouvé ma femme, j’en profite.

— Bravo, je vous approuve, mais vous avez le temps d’en profiter. Venez avec moi tous les deux, j’ai à vous causer.

Antoine, Lina, Léa, les entourèrent en disant :

— Nous aussi, nous les suivrons, nous ne voulons plus nous séparer.

— Oui, oui, venez tous.

La Férina, debout et digne, s’empara de la main de Jacques qui passait près d’elle, et lui dit :

— Vous savez, cher ami, je comprends les obligations du mariage, mais moi, si je ne vous appartiens pas avec l’autorisation de M. le Maire, je coucherai avec vous quand ça vous plaira. Vous n’avez qu’à m’écrire un mot pour me donner un rendez-vous, ou à venir me voir et ça y sera. Je vous promets que vous serez content.

— Chameau ! lança Thérèse, esquissant un mouvement pour lui sauter à la gorge.

Annette put la retenir par le bras, et réussit à l’entraîner. Horacine, à la même minute, présentait à la Férina un monsieur, M. Bertrand Lagneux, qui désirait vivement la connaître, et elle l’accueillait avec le plus charmant des sourires, malgré le regard prometteur qu’en dessous lui décochait Jacques.